Pokémon
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours donné la même réponse à la même question qu’on me posait.
« Qu’est-ce que tu veux être quand tu seras grand ? »
…Heureux…
« Mais non, tu n’as pas compris la question ! Je veux dire que veux tu faire plus tard ? »
…Quelque chose qui me rende heureux…
« Ah mais tu es pénible ! Tu peux pas répondre comme tout le monde ? »
« Tout le monde »
« Tout le monde »
« Tout le monde »
« Tout le monde »
« Tout le monde »
« Tout le monde »
« Tout le monde »
…
Tout le monde est différent, n’est-ce pas ?
Alors, pourquoi moi je ne suis pas comme tout le monde ?
J’ai longtemps répondu la même chose. On me répondait toujours la même chose. Que je ne faisais rien comme « tout le monde ». Comme si j’étais le seul différent, que tout les autres étaient pareils. Oui, on se ressemble tous dans l’espèce : on a tous deux yeux, deux oreilles, des poils un peu partout, quatre pattes avec des griffes qu’il faut en prendre soin, des poumons pour respirer, un cœur qui bat fort quand on écoute près du ventre…
Mais même chez les Arcanin et les Pijako, aucun n’est vraiment pareil.
Certains sont très très grands pour leur taille, certains très très gros ; certains très musclés et certains très hirsutes : y’en a même qui ont des fourrures moins oranges ou alors vraiment rougeoyantes, ou encore des couleurs super ternes, j’en ai même vu avec des plumes azur qui brillaient au soleil ou qui scintillaient tout le temps, même sans lumière. Tout les Pokémon d’une espèce ressemble beaucoup aux autres, mais aucun n’est complètement pareil. Même les jumeaux, même nés d’un même œuf ; il y a toujours quelque chose qui les différencie.
Un épi dans les poils et les plumes, un petit accroc à l’oreille après un terrible combat, des griffes et des serres abîmées… le regard froid ou humide, embrasé au contraire, l’odeur de fruits, d’eau ou de forêt, la douceur chaude de la fourrure du cou, ou un tas tout informe et emmêlé même sans saletés…
La capacité à se battre ou à fuir, à virevolter avec grâce ou à se jeter sur sa proie comme un gros lourdaud. La gentillesse, la douceur dans les gestes quand on joue ensemble, ou la hardiesse, l’espièglerie qui n’écoute jamais personne ou qui refuse même froidement le contact social par peur ou par indifférence des autres.
La voix.
Tout le monde est différent, tout le monde l’est à sa façon, c’est comme ça. Même quand les espèces ont pratiquement pas de différences visibles entre tous ses membres, tout le monde y est différent.
Alors, pourquoi c'est dans l’espèce humaine, l’espèce avec le plus de différences visibles, que l’on ne cesse de me dire que tout le monde est pareil ?
D’aussi loin que je m’en souviens, j’ai été dit « férent ». Mais personne ne me disait jamais en quoi, ou pourquoi. Juste que apparemment, les « autres » ne faisaient pas comme moi, et faisaient tout pareil entre eux ; j’étais le seul différent. Pas pareil. Peut-être…
Peut-être parce que je n’ai pas commencé comme beaucoup de tout le monde.
Je suis né loin, très loin dans une région si isolée que même les Professeurs Pokémon la connaissent peu, une région dont j’ai oublié le nom, qui je crois dans mon cœur j’appelle Hô… ou Hu, ou Ha, je ne sais pas. Je suis né seul, sans médecin, sans Joëlle réquisitionnée d’urgence pour cause d’hôpital trop loin pour l’accouchement, sans lit ni aide médicale. Je suis né, dans les bras de mon père, de ma mère, et de ma maman.
Mes parents sont des explorateurs, je crois ; je n’ai jamais vraiment demandé. Pour moi c’était Papa, Maman, et ils voyageaient avec les Pokémon d’une région à l’autre. C’est pour ça que je suis né si loin, ils ne m’attendaient pas avant leur retour dans une région plus avancée ; ils étaient en pleine mission quand je suis venu, un recensement des espèces dans un archipel si éloigné de tout que seuls les Pokémon y vivaient. Il paraît aussi que c’était pour ça qu’ils mon donné mon nom, parce que avant même ma naissance j’avais fait mon chef et décidé quand je viendrais au monde, parce que j’étais le prince de leur vie, même si je n’ai jamais vécu dans un château. Même si le monde est déjà mon château. On m’a d’ailleurs aussi demandé si je voulais être aussi comme mes parents, et on s’énervait quand je disais que je pouvais pas parce que c’était mes parents et que moi j’étais leur enfant, pas l’inverse, et on me rétorquait qu’on voulait savoir si je ferait la même chose que mes parents. Là je disais que si ça me rendait heureux, oui ; et tout le monde râlait encore devant cet « enfant qui fait jamais comme tout le monde… »
Ils étaient explorateurs, mais j’étais leur monde ; et sur le cœur de ma maman, dans les bras de mon père, et blotti tout contre la crinière crème de Arcky, ils étaient le mien.
Et puis un jour le monde s’est ouvert, et j’ai avancé tout doucement, tout simplement.
Le monde des Pokémon d’abord, avec Arcky juste derrière moi ; elle fut la première, ma maman avec ma mère-maman. Elle me surveillait comme la mère qu’elle était, chassait toute menace loin de moi de ses yeux intimidants, et grondait tout doucement quand je venais câliner son museau petit puis vraiment géant. Elle me portait et m’emmenait loin dans les prés et les forêts, avant que je sache marcher et bien après que j’ai appris avec elle ; ensemble, je voyait le monde et ses habitants évoluer, dans tout les sens du terme, autour de moi. Des Papilusion juste nés de Chrysaciers, des Démolosse formant leur propre meute, des Zéblitz défendant leurs troupeaux des Némélios, des nuées de Lovdisc trouvant chacun leur partenaires dans les eaux turquoises et clair de cristal, des Rocabot se réunissant pour le moment du jour qui changerait leur vie future de Lougaroc, des Étouraptor se battant en parades endiablées pour gagner le cœur des femelles, des Théffroi récupérant les fond de tasse abandonnées sur les tables par les gens pressés… et cet étrange chanteur rougeoyant et rampant, sifflant au clair de lune pour ce petit phénix qui n’avait pas peur de son grand museau aiguisé.
J’ai découvert le monde des Pokémon, sa beauté, bien sûr, mais sa dangerosité d’abord. Un bébé tout seul, humain ou non humain, c’était toujours une proie pour qui avait assez de cran, ou assez faim pour oublier le gardien qui rôde toujours.
C’est pour ça que Arcky me montra comment me défendre. Ses crocs ne firent jamais rien de plus que marquer éphémèrement ma peau, ses griffes érafler de blanc mes bras et ses pattes endolorir mon corps, mais ils m’apprirent bien. Assez pour que je n’ai plus peur des yeux violets dans le noir, et juste assez peu pour que je n’oublie jamais que proie et prédateur ne sont jamais complètement définis.
Le monde des Pokémon était le mien, par mes parents humains et par ma maman ; je n’avais pas peur de frapper si on me menaçait, mais je ne bousculait pas sans regard à ma force lorsqu’on voulait jouer. Je savais quand être silencieux face au danger, et quand hurler pour le repousser.
C’est sans doute pour ça que mes parents ont pensé que j’étais prêt pour le monde des humains, le deuxième dans ma perception. Je n’étais pas étranger aux autres personnes ou aux cités, mais nos voyages m’avaient jusqu’à présent fait voler sans jamais vraiment me poser parmi eux.
C’était ma première expérience avec la société des humains, et ma première fois stable dans l’environnement écolier. L’école maternelle était en marge de la ville, sans doute pour que je n’ai pas peur de ces soudains murs de fer et ces ouvertures trompeuses qui laissent passer lumière mais pas corps d’enfants. Apparemment, j’ai beaucoup amusé et attendri la maîtresse et ses collègues lorsque j’ai demandé pourquoi ils maintenaient en permanence un Abri aux trous dans le mur et si ça fatiguait pas le Pokémon à force de lancer l’attaque toute la journée. Tout le monde me trouvait adorable, sur tout les points : mes yeux pomme pétillants, mes mèches chocolat au lait qui ne voulaient jamais rester coiffées, ma petite bouille ronde, ma façon de dire curieusement « Perkoa ? », mes rires gazouillants, ma course quadrupède après mes camarades en récréation, mes petits cris de Pokémon, ma façon d’interagir avec ceux de la maternelle…
Tout le monde me trouvait adorable tant que c’était la première année.
Lorsque je continuais à chasser les autres enfants à quatre pattes lors de nos jeux de trape-trape, à plus parler en Pokémon qu’en humain, à monter aux arbres lorsqu’il était l’heure de classe, et à répondre ce que l’on avait pas l’habitude d’entendre, je n’étais plus juste adorable. J’étais difficile.
C’est vrai, je n’aimais pas trop rester assis sur une chaise à écouter la maîtresse nous faire répéter toujours les mêmes lettres à recopier sans arrêt sur des papiers, je préférais courir après les feuilles dans la cour quand j’avais fini mes exercices, et je disais que je voulais être heureux quand je serai grand ; mais je faisais de mon mieux pour écouter et comprendre vite, sans avoir besoin de refaire toujours les mêmes dessins de lettres des heures d’affilé. Je faisais vraiment de mon mieux.
Mais un enfant qui à cinq ans grimpe au chêne dès que la cloche sonne, qui ne recopie pas ses exercices plus d’une fois et qui dit que la maîtresse se trompe quand elle explique que les Chenipan évoluent rapidement en Chrysacier puis en Papilusion parce qu’un Chenipan peut mettre des années avant de se transformer, c’est un enfant difficile pour des adultes de quarante ans qui font la même chose depuis plus d’une dizaine d’année.
C’est un enfant différent, comme tout les autres enfants ; mais trop différent pour les adultes. Et bientôt aussi pour les autres enfants.
On m’aimait bien en maternelle, même si on me trouvait bizarre à sauter sur les autres comme un Persian en chasse et à courir à quatre pattes pour aller plus vite quand on jouait au Miaouss, ou à couiner comme un Ponchiot battu quand je n’avais pas le dernier cookie au goûter : au primaire, on commença à me trouver trop bizarre. Je me levais quand je devais faire mes besoins sans demander l’autorisation d’abord, je regardais la fenêtre au lieu du tableau, je ne suivais pas tout les ordres de l’instituteur, je le contredisais beaucoup trop souvent, et surtout, j’imitais tout le temps les Pokémon qui venaient parfois visiter notre école. Pour un enfant, un autre enfant qui roucoule comme un Poichigeon et grogne en montrant les dents comme un Medhyèna quand on le fâche, c’est tout sauf un enfant.
C’est un type bizarre, un débile, un sauvage, un dérangé, un monstre.
Mais jamais un autre enfant.
Surtout s’il a un Arcanin géant pour vous sauter dessus quand vous l’agressez à la sortie de l’école.
Mes parents furent convoqués par l’établissement lorsqu’un des enseignants vit Arcky tacler un élève en grognant comme si elle voulait le dévorer ; il n’avait pas vu, juste avant, que le même élève m’avaient agrippé le cou après que lui et que ses camarades m’avaient encerclés à la fin des cours.
Je n’aimais pas qu’on me fasse du mal ; mais je ne voulais pas non plus faire mal à moins que je n’ai pas le choix. Et si Arcky n’était pas intervenue, ça aurait été moi qui aurait repoussé le garçon avant de repartir ; même si je trouvais que Arcky y avait été trop fort. C’est en tout cas ce que je dis quand on me demanda ce qu’il s’était passé, en plus d’expliquer que le garçon et ses camarades m’avaient empêché de partir et m’avait attrapé brusquement.
Ces derniers dirent tout l’inverse, apparemment, qu’ils étaient juste en train de me parler et que mon « monstre horrible » avait débarqué pour essayer de les manger ; et que je l’aurai encouragé à le faire et qu’ils seraient plus là si l’enseignant n’avait pas tout vu pour les défendre avant. Ce qui était quand même bizarre comme façon de défendre, de juste crier « Arrêtez ! » et de se mettre entre eux et Arcky sans appeler de Pokémon ou même de prendre un bâton pour repousser désespérément un « montre terrifiant » qui n’avait pas plus bougé après avoir fait tomber le garçon. D’un côté, je les comprends bien ; ils devaient avoir eu très très peur de voir une Arcanin en colère, surtout avec son Talent d’Intimidation. Quand on a vraiment très peur, on sent parfois des choses qui sont pas là mais qu’on croit réelles tellement on sait plus quoi faire.
Par contre, ce que je n’ai pas compris, c’était que Arcanin représentait un danger pour la classe ; et par extension, moi aussi. Je n’avais même pas essayé de sortir mes griffes ou montrer mes crocs quand on m’avait attaqué ; quoique je l’aurai fait si Arcky n’était pas intervenu avant.
Quoi qu’il en soit, il fut décidé avec les parents des autres élèves et le directeur que l’Arcanin de mes parents ne pouvait plus venir à proximité de l’école vu sa dangerosité, et ce malgré les explications que j’avais données et la calme plaidoirie de Papa et Maman pour assurer que Arcky n’attaquerai jamais à moins qu’on me menace. Bien sûr, Arcky n’écoutait jamais les jugements des humains et comptait bien continuer à m’attendre chaque soir après l’école ; mais mes parents la connaissait elle aussi suffisamment pour savoir ça, et prirent à leur tour une décision.
J’allais partir.
Je n’étais exactement triste de quitter l’école ; le voyage faisait partie de moi depuis avant même ma naissance. Mais je ne comprenais pas qu’on parte lorsqu’on avait rien fait de mal.
Je voulus dire au revoir à ma classe comme il se doit ; mais mes parents, et mes instituteurs aussi apparemment, estimaient que c’était mieux que je parte en silence. Le dernier jour d’école, je vis pour la dernière fois le garçon qui m’avait attrapé quand Arcky avait surgi ; il m’évitait depuis comme s’il avait peur que je la cache derrière moi pour qu’elle le mange.
Je voulais juste qu’il sache pour Arcky, alors je l’ai rattrapé vite :
« Tu sais, Arcky attaque jamais les personnes gentilles, elle est super gentille elle aussi. T’as pas à être méchant juste parce que tu m’aime pas. »
Il me fixa un moment comme si j’avais soudain évolué en Trioxhydre, puis fila sans regarder en arrière en me lançant une dernière fois :
« F-Fiche le camp, le Poké-monstre ! »
Je le vis disparaître dans la foule sans plus jamais me regarder, et Maman vint me prendre dans ses bras pour m’emmener chez nous alors que j’essayais, juste un dernière fois, de trouver le garçon parmi les autres.
Je ne l’ai plus jamais revu.
À partir de ce jour, j’essayais de mon mieux de faire en sorte que les autres enfants ne me détestent pas à cause d’une Arcky protectrice de moi-même.
Je commençais par emmener Arcky avec moi le premier jour pour la présenter à tout le monde, pour qu’ils voient tous comme elle était gentille et ne montrait jamais les crocs sauf si on les montrait d’abord. La classe avait l’air très impressionnée. Beaucoup sont venus après me demander si c’était mon Pokémon et si je l’avais capturée tout seul et tout ; je répondis que non, c’était ma maman, et qu’elle était pas capturée vu qu’elle était libre. Je reçus des regards perplexes.
Pour ma défense, je n’avais pas encore compris à l’époque que « capturé » voulait dire pour eux « attrapé dans une Pokéball ».
Les autres élèves me laissèrent tranquille assez rapidement. Je me joignais à leurs jeux de Miaouss ou de la balle au prisonnier à la récré, mais les parties finissaient toujours très rapidement après mon arrivée. J’essayais de bien répondre aux exercices en classe, même si je corrigeais toujours l’instituteur quand il se trompait sur les Pokémon. J’aidai même les autres élèves dans leurs devoirs quand ils avaient du mal avec les questions, surtout sur les Pokémon.
Je fus rapidement convoqué avec mes parents après la journée des sports. Apparemment, j’avais triché dans plusieurs épreuves, surtout la course à pied ; c’était pas vrai.
Si j’avais triché parce que la course se fait sur deux pattes et pas quatre, pourquoi c’était pas écrit dans les règles ? Ça peut pas être de la triche avant qu’on décide que c’est de la triche en le mettant dans les règles.
J’entendis ma mère dire que ça ressemblait beaucoup à de la jalousie, vu que j’avais été très bon aux sports ; le directeur cria que jalousie ou non, « un enfant ne se comporte pas comme un Pokémon mal élevé à sept ans ».
Je crois qu’il avait jamais eu de Pokémon, malgré la jolie photo qu’il avait d’un Snubbull sur son bureau, parce qu’il pouvait même pas dire que je me comportais comme un Pokémon très bien élevé. Si c’était pas le cas j’aurai déjà griffé mes camarades plein de fois en jouant à Miaouss.
Le soir venu, mes parents m’ont annoncé qu’ils devaient à nouveau partir pour une nouvelle mission. Ce qui voulait dire que moi aussi, j’allais partir.
Et pour la première fois, j’étais triste de partir.
J’eus juste l’occasion d’emmener Arcky avec moi une dernière fois pour dire au revoir, juste avant que commence les classes. Je me sentais un peu coupable, parce que j’étais parti le faire sans le dire à mes parents ; mais je voulais pas encore partir sans le dire.
Je pus juste rentrer dans la cour avec elle, et dire à ma classe qui jouait que je partais et que je disais au revoir, et qu’ils pouvaient aussi dire au revoir à Arcky.
Cette fois-ci, quelques uns acceptèrent de la caresser une dernière fois.
Ma nouvelle école permettait aux Pokémon des enfants (et des parents, s’ils devaient garder leurs petits) de rester dans l’enceinte et d’interagir avec eux en dehors des classes. Je n’eus donc pas à présenter Arcky aux élèves. Par contre, je dû lui dire de ne pas rester en classe.
Je continuais de parler aux autres enfants sur tout ce que je savais, comment reconnaître les traces d’un Roucool d’un Piafabec, imiter le cri du Keunotor, si les Canarticho évoluaient avec leur bâton. Je continuais de répondre de mon mieux quand l’enseignant racontait que les Magikarpe n’évoluaient que pour remonter les rivières. Je continuais d’apprendre tout ce que je pouvais pour qu’on ne me dise pas que j’étais un mauvais élève.
L’instituteur continua de me dire que j’étais un mal élevé.
Plus tard dans l’année, la classe pu participer à une sortie scolaire. Je sais plus de quoi ça parlais, juste qu’on allait voir plein de Pokémon dans un joli coin en forêt. Ce qui voulait dire que je pouvais encore plus montrer ce que moi je savais aux autres.
Je n’en eus pas l’occasion, car il se passa quelque chose d’autre. Quelque chose qui me fit comprendre ce que j’avais sous les yeux depuis longtemps.
L’institutrice responsable de nous ce jour-là nous avais laissé jouer dans la clairière où on s’était arrêté pour le déjeuner. On pouvait aller où on voulait tant qu’on ne quittait pas la clairière des yeux.
Et comme je savais comment avancer sans jamais perdre mon chemin en grimpant dans les arbres, j’étais parti un peu plus loin, vers l’étang qu’on voyait en montant sur le grand platane à côté.
C’est là que je l’ai vu.
Un mec avec un filet qui faisait des éclairs, traînant des Pokémon dans une cage très grande où ils avaient tous l’air terrifiés.
Je n’aime pas qu’on me fasse du mal. Mais je déteste encore plus quand on fait du mal aux autres.
J’avoue que j’ai pas exactement réfléchi ce moment-là ; enfin si, j’ai réfléchi. L’homme était occupé à pêcher avec son filet d’un côté de l’étang ; avec lui, un Cacturne qui n’hésitait pas à envoyer des dards sur les pauvres Pokémon Eau qui essayaient de s’échapper ; et plus loin derrière eux, la cage toute seule. Je savais que le Cacturne était assez rapide pour atteindre la cage plus vite que moi, mais qu’il l’était beaucoup moins pour nager jusque là une fois dans l’eau. Quant à l’homme, encore moins. Il fallait juste qu’ils soient dérangés pour que j’aille ouvrir la cage, ou qu’ils tombent dans l’eau.
Et heureusement pour moi, c’était pas les Doudouvet qui manquaient dans l’arbre juste à côté.
J’eus juste à lancer un caillou bien placé sur la branche juste au dessus pour les réveiller en une nuée de Spore Coton en plein sur le mec et son Cacturne ; l’homme lâcha son filet et tout les Pokémon Eau qu’il y avait dedans, qui filèrent sans demander leur reste pendant que moi je m’approchais de la cage sans bruit. Occupés comme ils étaient à nager et à se débarrasser des Spores Cotons, ils mettraient beaucoup trop de temps à nous rejoindre, et puis ils avaient plutôt l’air de vouloir castagner les Doudouvet qui déjà s’envolaient comme des Cotovol dans le vent.
Les Pokémon Eau s’affolèrent un peu à ma présence, mais je couina doucement pour les rassurer :
« Shh, je viens aider, je vous sors de là, n’ayez pas peur ! »
Il y avait un gros cadenas sur la cage, mais j’avais mon petit canif ; et surtout je savais comment ouvrir les serrures sans clé. Juste quelques petits tours plus tard, et les Pokémon déguerpissaient sans plus attendre, pendant que je profitais du mouvement pour me glisser moi aussi hors de la portée de l’homme au Cacturne, et retrouver vite l’institutrice.
Je n’avais pas anticipé que l’homme irait aussi vite.
Une poigne puissante me tira brusquement en arrière et me secoua tel un Trépignement :
« Hé toi ! Tu crois aller où comme ça ? » gueula l’homme en serrant si fort mon bras que je ne sentais plus rien.
À ce moment-là, ce fut ma peur qui prit le dessus. Elle hurla, hurla en un son strident et désespéré par delà la forêt et la plaine.
Ce qui ne fit qu’énerver l’homme encore plus.
« Boucle-la ou je te- »
Il cria à son tour quand mon auto-préservation se réveilla à son tour pour lui griffer les bras et lui mordre bien proprement la main sans jamais la lâcher. J’étais petit, mais jamais il ne fallait sous-estimer un Pokémon acculé et en détresse. Même Arcky le savait et même en sachant ça je la battais tout seul parfois. Et surtout, Arcky savais parfaitement reconnaître un cri d’un petit de détresse, même à des kilomètres à la ronde.
L’homme qui continuait de crier et de gesticuler pour libérer sa main mordue le compris bien vite, quand une ombre géante lui sauta dessus sans pitié :
«Je vais t’apprendre sale gosse ! Cacturne, dard nue-moi c… AAAAAAAH ! »
Le Dard-Nuée explosa avant même de faire un mètre, le Cacturne vola dans les airs, et je lâchais la main de l’homme plaqué par Arcky et courut sans me retourner vers la clairière de notre classe.
J’étais hors d’haleine en arrivant. Mes main tremblaient toutes seules. Pourtant, quand l’institutrice vint vers moi et s’inquiéta immédiatement de mon état, je ne sentis qu’un immense calme en moi alors que je lui disais ces dix mots.
« Madame, il y a un braconnier à l’étang à l’ouest. »
Le reste de la journée ne m’a pas plus marqué. Je sais que l’institutrice avait l’air d’hésiter, que les explosions que faisait Arcky lui ont fait appeler la police, que tout les parents se sont rués pour chercher leurs enfants, que papa et maman m’ont serré très fort contre eux, que Arcky n’est revenue qu’une fois les policiers revenus avec elle, et que la police m’a emmené avec elle pour que j’explique ce qu’il s’était passé.
Ce que je ne compris pas, c’était pourquoi ils avaient l’air si interloqués un fois que j’eus fini, ni pourquoi mes parents avaient l’air si choqués.
Une fois que l’interrogation fut terminée, papa et maman me prirent à part ; je sentais qu’ils voulaient hurler, crier, mais ils me dirent, le plus doucement du monde en retenant leurs larmes :
« Qu’est-ce qui t’a pris de faire ça, c’était beaucoup trop dangereux ! Ne refais plus jamais, plus jamais une chose aussi dangereuse tout seul ! »
Je les regardais. Je comprenais ce qu’ils voulaient dire, mais je ne pouvais pas leur dire que c’était impossible. Quand quelqu’un est en danger, c’est le rôle des autres de l’aider à s’en sortir s’il ne peut rien faire tout seul. Si ça recommençait, je devais aller aider.
Je pris une respiration. Puis promis de ne plus refaire de chose dangereuse tout seul.
Mes parents parurent me jauger, comme pour voir si je mentais, puis me serrèrent encore très fort contre leur cœur. Je ne mentais pas.
La prochaine fois, je n’étais pas tout seul.
Je ne sus pas vraiment pourquoi tout le monde me regarda si bizarrement en sortant du commissariat ce soir-là. Mais ce que je sus par la suite, c’était que l’institutrice qui nous accompagnait ce jour-là était la partenaire de l’homme au Cacturne. Et qu’il avait été relâché faute de preuve, parce que le témoignage d’un enfant revenu en courant d’un lieu supposé de crime et une Arcanin tenant en respect l’homme prétendument responsable de tout ça n’avaient pas de valeur aux yeux de la loi humaine.
L’institutrice avait apparemment confié qu’elle avait du mal à croire qu’un si petit enfant ait pu empêcher qui que ce soit de plus grand de braconner. Et qu’elle pensait encore moins son petit copain responsable d’une histoire aussi inquiétante.
Dans le fond, je comprends. Je ne veux pas que ceux que j’aime soient des gens méchants.
Mais je veux encore moins que les gens fassent du mal à qui que ce soit, qu’ils s’aiment ou pas.
Arcky avait l’air extrêmement furieuse que l’homme parte sans être inquiété par la police, mais je lui dis de laisser passer. Chez les humains, on voit ça très mal qu’un Pokémon tue quelqu’un. Même quand ce quelqu’un a menacé son petit sous ses propres yeux.
Les jours suivants, la classe semblait agitée. Je croyais que c’était parce qu’ils avaient peur eux aussi du braconnier ; mais je compris que c’était parce qu’ils allaient tous de leur petite théorie sur ce qu’il s’était passé.
Et beaucoup pensaient que, que j’ai réussi ou non à arrêter tout seul un braconnier en pleine chasse, j’avais quand même un peu gâché leur sortie scolaire qui allait si bien avant tout ça.
S’ils ne pensaient pas que j’avais fait tout ça pour les embêter exprès.
À ce moment, je compris.
Je compris enfin.
Quel que soit leur différence, à leur yeux…
C’était moi le différent. Moi et moi seul.
Je ne comprenais pas pourquoi. Mais je comprenais ce que j’étais pour eux. Comment j’étais considéré par eux, par les autres, les enfants, les parents, les grands, les adultes.
J’étais le différent.
J’étais l’anomalie.
Dans un groupe de Pokémon, si un se démarque trop, par son pelage voyant, ses cris, son comportement indiscret, il met en danger les autres, car tous le remarquent, prédateurs y compris ; et être vu quand on veut échapper à un autre qui veut vous manger, c’était souvent une sentence de mort. Alors c’était normal d’évincer le Pokémon concerné, s’il ne pouvait pas changer.
Alors c’était normal aussi pour les humains d’évincer une anomalie, sans doute…
Je ne sais pas pourquoi je sortais du groupe, ce qui me rendait différent ; mais je comprenais que malgré ce que j’avais fait, je n’avais pas supprimé cette anomalie qui m’excluait. Et tout ce que je pouvais conclure, c’était que j’avais quelque chose en moi qu’on ne pouvait pas changer.
Ce n’étais pas grave.
Ce n’était pas grave car un Pokémon différent n’est pas forcément condamné une fois hors du groupe. Tant qu’il est assez fort pour survivre, qu’il savait comment combattre ou fuir les dangers, il avait une chance de rester en vie. Et parfois, il trouvait un groupe où il n’était plus différent, où il pouvait survivre avec les autres comme avant son ancienne meute.
Et c’était ce que j’allais faire.
Dorénavant, je continuerai ma route. Je voyagerais de groupe en groupe, chercherais comment m’insérer parmi eux, chercherais un groupe sans arrêt.
Et peut-être un jour, je trouverais un groupe qui sera comme moi.