7 | l'heure de vérité.
Il faisait nuit noire lorsque Kiawe arriva en pyjama, écouteurs enfoncés dans les oreilles, dans la salle communautaire.
Malgré la lumière éteinte, Kiawe contourna un des nombreux canapés disséminés à travers la pièce, enjamba une des tables basses sur lesquelles avait été oublié un jeu de cartes, à côté d’une canette vide.
Les yeux rivés sur la vidéo que lisait sur son téléphone, Kiawe traça vers la machine à boissons pour en obtenir une canette de jus de fruit. Un sourire provoqué par le petit écran aux lèvres, Kiawe se retourna.
Son cœur rata un battement. Un fantôme, assis à la table quelques mètres plus loin, le fixait, son visage dégageant une lumière pâle.
« Non ! Pas maintenant, pas aujourd’hui ! » s’effondra Kiawe, en larmes, s’accrochant à son téléphone et sa cannette, s’accrochant à sa vie.
Le fantôme leva un sourcil.
« Heeey- Des gens dooorment, tu sais ?- »
Le jeune homme cessa ses suppliques, leva la tête.
« Oléa ? » questionna-t-il.
Son carnet d’un côté, et une tasse de l’autre, elle l’observait de son regard éternellement ensommeillé, à la lumière de l’écran de son téléphone. Elle lui adressa un signe de main.
« T’es encooore debout ? demanda-t-elle.
-Je te retourne la question, dit-il, tandis qu’il retraversait la pièce pour la rejoindre.
Oléa haussa les épaules, se remettant à crayonner sur son carnet.
Il se posa en face d’elle, poussa un bâillement.
-J’ai l’habitude. Tu devrais le savoir, c’est à côté de toi que je dors, en classe.
-Maintenant que tu le dis… admit Kiawe en se frottant le menton. En vrai, j’aimerais bien dormir mais…
Sa main tremblait. Son pied battait le carreau.
-…ça va pas trop être possible.
Oléa leva un sourcil.
-Parce que ? Tu as fais un cauchemar ? J’ai des bonbons mushanna si tu veux, demanda-t-elle.
-Des bonbons mush- hein ? non. C’est juste que, ça faisait longtemps que j’avais pas dansé. Fin, pas avec cette énergie...
-Pourquoi tu as arrêté ?
-Mmh, c’est un peu bête comme raison, avoua Kiawe en se grattant la joue. C’est juste que, danser, ça fait bizarre… maintenant.
Il tourna le téléphone, révélant la photo rangée sous la coque : Kiawe, son grand-père ; poussa un soupire à la dérive, que les flots de ses espoirs poussaient vers le chaînon manquant.
Oléa leva les yeux vers lui, se mit à fouiller les siens. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres.
-Je suis une peintre. Souveent, j’ai l’impression que tout ce que je fais m’y ramène, et que ça fait partie de touut ce que je fais. Je ne sais pas si c’est pareil pour la danse…
Kiawe se désintéressa de sa coque, observant sa camarade comme si le sens de sa parabole se cachait sous son visage. Elle sourit de plus belle, amusée.
-Aprèèès, ça, c’est si tu te considères comme un « danseur », bien sûr, ajouta-t-elle en se repenchant sur son ouvrage.
Kiawe baissa les yeux vers la canette qu’il tenait entre ses deux mains, comme si les réponses avaient couru se cacher dans le petit trou.
-Mais, tu veux quand même devenir un dresseur professionnel, non ? Je veux dire, tu n’as… jamais... l’impression de devoir choisir entre les deux ?
-Je vieens de te le dire, déclara-t-elle en levant les yeux. La peinture, le dessin, ça fait partie de touut ce que je fais.
Kiawe l’observa continuer à dessiner un instant.
Assez. Il plongea les mains dans ses cheveux et se mit à les ébouriffer, essayant d’enfin en expulser les idées, ou juste le brouillard qui voilait la réponse.
Inutile, il s’affala dans sa chaise.
-J’y comprends pas grand-chose haha, admit-il. Mais j’imagine que tu t’en sors mieux que moi.
-Sans doute.
Kiawe se coupa une gorgée de sa canette.
-M’ enfin ! Et pour la mêlée printannière ? Comment va ta campagne ?
-J’me débrouille.
-Tant mieux. Jusque-là, j’ai commencé avec une défaite, et je viens de perdre un jour de préparation parce que je suis un idiot.
Il ponctua cette déclaration d’un rire nerveux.
-J’espère juste ne pas tomber contre un autre monstre pour mon prochain match… poursuivit Kiawe, levant les yeux vers le plafond.
Sourcils froncés, Oléa lui adressa un regard confus.
-Atteeends. Tu ne le connais pas encore ?
-Nope. Mon portable était à plat quand je l’ai retrouvé. Pas pu jeter un coup d’œil. »
Sur ces mots, Oléa souleva son carnet et l’orienta vers lui. Kiawe fronça les sourcils.
Un queulorior, secondé par trois larges silhouettes, incertaines encore mais imposantes, surplombaient un ossatueur, d’alola. Terrassé.
Oléa leva un sourcil.
« Néphie, tu es certaine qu’il y a aucune flaque ici ?! » s’enquit Chris.
L’éleveuse en herbe pivota pour lui adresser un regard ennuyé, puis dédaigneux à l’égard de ses baskets protégées par des sacs plastiques. Le sol déjà spongieux, y ajouter le son de sachet se froissant n’aidait pas.
Sans lui répondre, elle poussa une liane pendante et arriva sur une aire dégagée qui, surtout, donnait sur le terrain quelques mètres plus loin, et plus bas. Sans plus d’hésitation, elle planta sa chaise pliable dans la terre humide, bientôt imitée par Barbara.
« L’aire marécageuse, quelle plaie, bougonna Chris en s’installant un siège à son tour. Kiawe a intérêt à gagner vite.
-Il a intérêt à gagner tout court.
Tous pivotèrent pour constater l’arrivée parmi eux de Bleu.
-Bonjour tout le monde, se rattrapa-t-il en prenant place sur un rocher rongé par la moisissure.
Barbara ne put s’empêcher de froncer les sourcils, incertaine de son confort. Lui, ne bronchait pas.
-Ce match est si crucial que ça ? demanda-t-elle.
-Un peu que ça l’est, renchérit Chris. Si Kiawe le perd, ou n’importe quel autre, ses chances sont sérieusement compromises.
-Comment ça, il sera éliminé ?
-Non, la mêlée ne marche pas comme ça, reprit Bleu. Mais sur les équipes des treize dernières promotions, aucun élève ne s’est qualifié avec un taux de victoire inférieur à quatre-vingt pourcent.
-Et sur la même période de temps, le nombre de matchs, par élève, durant la mêlée, n’a jamais dépassé sept, ajouta Chris.
Bleu acquiesça.
Barbara se mit à compter sur ses doigts, jusqu’à ce que Néphie la fusille du regard.
-Ne me dit pas que-
-Doucement ! C’était une blague, plaida Barbara en bondissant loin d’elle. Mais donc, il n’a plus droit à l’erreur…
-Pas s’il veut combattre durant le clash cardinal, » compléta Chris.
Aussitôt, Barbara se saisit du col de Bleu.
« S’il te plaît ! Dis-moi qu’il est prêt ! »
Même malmené, Bleu ne cilla pas.
-Pour ce qui est des trous de mémoires, je crois que c’est réglé. Le reste est entre ses mains. »
« Hé ! Alors, où qu’elle est, cette baston ?! »
Un soubresaut général secoua le groupe au surgissement de cette voix, tristement familière.
« Merci d’être venus, accueillit Bleu.
-Un peu qu’on est venus ! retorqua Boo McGee, un grand sourire aux lèvres. Faut bien que j’voie mon disciple voler de ses propres ailes !
-Je m’assure juste qu’elle cause aucun problème, déclara Toni.
-J’étais curieuse, avoua Marceline.
Tous trois se tenaient là, un badge d’invité autour de leur cou, munis de chaises pliantes, devant les yeux ronds des étudiants.
-Qu’est-ce qu’il se passe, Bleu ? demanda Néphie.
-Ils nous ont beaucoup aidé, ces trois derniers jours. Je me suis dit qu’ils voudraient voir.
-Toni, oublie pas, si Kiawe perd, on le bannit du café ! déclara Boo en s’installant. On entraîne pas les perdants, nous. »
Le gérant du « Zumba Café » roula des yeux en s’asseyant avec Marceline, qui sortait déjà le popcorn de la maison.
« Du popcorn, trop bien ! » se réjouit Barbara, juste à côté d’elle.
En lui souriant, Marceline tint le paquet à mi-chemin entre elles.
« J’espère qu’on est pas en retard, s’enquit Toni.
-Non, répondit Bleu. Vous arrivez juste à temps. »
Plus loin, sur le terrain, qui consistait d’un espace vaguement rectangulaire, embourbé, quelques rochers pointaient le bout de leur nez çà et là.
C’est dans ces conditions à l’hygiène douteuse que Kiawe s’avança, se dirigeant vers l’arbitre, en symétrie avec Oléa.
« Tu as touuut un fan club pour toi tout seul, quelle chance, déclara-t-elle, tandis qu’ils remettaient les capsules qu’ils n’utiliseraient pas à l’arbitre.
Kiawe tourna la tête vers le campement improvisé, ses yeux s’illuminant à la vue de l’ex-championne de Dance Juste.
Revenant à Oléa, il se frotta la nuque, un petit sourire aux lèvres.
-Tu as raison, mais en fin de compte…
Son sourire s’évanouit, congédié par l’esprit de compétition. Par le mur auquel il était dos.
-C’est toi, moi, et quatre capsules chacun, non ?
Ses yeux glissèrent hors de leur torpeur pour la première fois en une éternité. Oléa répondit par un grand sourire.
-Que le meilleur gagne. »
Des canines plus pointues que Kiawe ne les avait jamais remarquées brillaient sous son nez.
Tous deux se dirigèrent vers de petits cercles de terre relativement sèche et stable leur étant dédié, et dégainèrent leurs deux premières capsules tandis que l’officiel énonçait les règles.
« Commencez ! »
Leurs armes respectives en mains, Marc et Roy apparurent du côté de Kiawe. En face d’eux, un kokiyas dentu agrippé à sa queue, le ramoloss, plus techniquement flagadoss, s’assit dans la boue. À côté de lui, un simularbre boxait l’air, le terrain peu pratique n’enlevant rien à son jeu de jambe.
Néphie se tourna vers Bleu, sourcils froncés.
« Ne me dis pas qu’il a encore sélectionné ses pokémons sans réfléchir. »
Bleu demeura muet, les bras croisés.
« La 'distorsion' ? répéta Kiawe, attablé avec Bleu, dans la salle d’étude. Tu penses qu’elle s’en sert ?
-Je ne peux pas le garantir, mais ça m’en a tout l’air, vu les membres de son équipe. Elle a trois installeurs potentiels.
Kiawe saisit son portable et dévala de nouveau la liste de pokémons sous le profil de son adversaire suivant
-C’est vrai que son équipe à le profil…
-Tu te souviens de ce que Mme Lorelei a dit ? »
« La manière idéale de combattre la distorsion, c’est de l’empêcher ! réitéra Kiawe à haute voix. Les gars, comme à l’entraînement !
Roy et Marc hochèrent la tête en chœur. Un ricanement lugubre s’éleva des feux follets aux extrémités de la mass’os de ce-dernier, tandis qu’il la faisait tourner par-dessus sa tête. Les lames hydrauliques jaillirent des coupillages de son coéquipier.
« La 'distorsion', une capacité qui met beaucoup de temps à se mettre en place, se remémorait Chris, fixant du regard le flagadoss.
Un voile de nuances de violet scintillait autour de ce-dernier, tandis qu’il joignait les pattes, enfoui dans une méditation. Ses yeux, dénués de pupilles, trahissaient son état second.
-Mais pendant cette fenêtre de temps, le pokémon est complètement vulnérable ! s’exclama Barbara, bondissant de son siège.
-Cognez-le ! » renchérit Boo, poings levés.
« Cooomme si je m’y attendais pas, » murmura Oléa.
Alors que Marc s’apprêtait à lancer son 'os’sombre', trois sphères vertes jaillirent de la boue sous ses pieds, connectant en un uppercut qui l’envoya voler quelques mètres plus loin, sa mass’os retombant lamentablement.
« Un 'coup bas', constata Chris, les dents serrés.
Il dirigea la tête vers le simularbre, accroupi, son bras enfoui dans la boue, à quelques mètres du ossatueur.
-Et Roy ne pourra pas se débarrasser du flagadoss seul, poursuivit-il.
-Mais ce n’est pas son but… soupira Bleu. »
Tandis que tous se tournaient vers Bleu, Roy, démarqué, se posta en face du flagadoss toujours en trance. Alors, il rangea ses coupillages, puis tendit sa patte avant devant lui.
Il lui fit un doigt d’honneur.
Une onde écarlate jaillit se propagea depuis celui-ci pour atteindre le pokémon symbiose.
« 'Provoc' ! se réjouit Chris. »
À côté de lui mais à l’opposé, Bleu rendait l'âme, se cacha le visage.
Les pupilles du flagadoss réapparurent, convergeant vers le pokémon eau. Il cligna deux fois des yeux.
« Doss ? »
Sur cette syllabe fatidique, le voile qui l’entourait dégénéra en une véritable tempête violâtre qui engouffra le terrain dans un dôme de courants psychiques.
« Je l’avais pourtant prévenu, déclara Bleu. Des trois, le flagadoss serait le seul contre qui ça ne servirait à rien… »
Kiawe se saisit la tête, mortifié, en tombant à genoux.
« Je savais ! Je savais ! Il m’l’a dit ! » s’effondrait-t-il.
« Pourquoi ça n’a pas marché ? demanda Toni, perplexe. Il l’a provoqué, pourtant.
Néphie poussa un soupir, le visage dans ses mains.
-Parce que c’est un flagadoss. Et comme la plupart d’entre eux, c’est un irrécupérable 'benêt'.
Elle se tourna vers Bleu, à qui elle adressa un regard de défi.
-Tu disais quoi à propos des trous de mémoires de Kiawe ?
-Ce n’est que maintenant qu’on pourra en juger, retorqua ce-dernier, impassible.
Boo sursauta.
-Il va enfin utiliser ce qu’on lui a appris ? demanda-t-elle, un grand sourire aux lèvres.
Bleu acquiesça.