Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

L'Archange de MissDibule



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 13/03/2023 à 19:33
» Dernière mise à jour le 13/03/2023 à 19:33

» Mots-clés :   Aventure   Famille   Mythologie   Sinnoh   Suspense

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 8 – Histoires enfouies
2 août 1819, région de Sinnoh
Malicia contemplait le lac placide avec sérénité. Légère comme une plume de Lakmécygne, la jeune fille posa délicatement le pied sur la surface parfaitement lisse de l’eau. Elle ne ploya pas. Aucune onde, pas même une ridule, ne marqua le passage de Malicia sur le lac immaculé. Enivrée, Malicia se mit à danser. Tout d’abord timides et gauches, ses pas se firent bientôt francs et assurés. Chaque mouvement nourrissait en elle une allégresse libératrice.

Puis le limpide lac commença à se transformer en une mer d’encre. Anxieuse, Malicia observa le ciel : il s’était obscurci. Une douleur oppressante lui paralysa soudain la poitrine. Les nuages s’amoncelaient dans le ciel. Le noir du lac se propagea dans le ciel. Malicia sentit ses pieds céder sous son poids et pénétrer la surface sombre. L’eau froide lui électrisa la peau. Le lac l’engloutit tout entière. Elle se sentait irrésistiblement attirée au fond. L’eau lui explosa les poumons.

Malicia prit une immense bouffée d’air en se réveillant. Noyée dans sa propre sueur, elle respirait bruyamment, encore sous le choc. Elle était chez elle. Dans sa chambre. Dans un calme effroyable. Vérité dormait encore dans son panier. Elle tenta vainement de calmer sa respiration saccadée, mais rien n’y fit : le souvenir de sa noyade rêvée était si vif qu’il lui enserrait toujours la gorge. Puis, brusquement, elle prit conscience de quelque chose : la lumière qui perçait les carreaux de sa fenêtre.

Quelle heure était-il ? La panique s’empara d’elle. Pourquoi sa grand-mère ne l’avait-elle pas réveillée ? Lui était-il arrivé quelque chose ? Affolée, elle se précipita hors de son lit et courut à perdre haleine dans le couloir. Elle atteignit rapidement la pièce de vie ensoleillée, où le morbide calme ambiant était zébré de sanglots. Le cœur battant, la jeune fille s’approcha prudemment : sa grand-mère était effondrée sur la table de la cuisine. Chignon défait, dos courbé, cernes noirs : elle avait perdu de sa superbe.

La Doyenne serrait contre elle ce qui semblait être un bout de papier, que ses yeux inondaient abondamment. Elle mit quelques secondes à s’apercevoir de la présence de Malicia. Lorsqu’elle la vit, elle lui lança un regard brillant de larmes. Malicia voulut l’interroger mais sa grand-mère ne lui en laissa pas l’occasion : elle se leva et l’enserra dans ses bras.

« Oh, ma chérie… » murmura-t-elle doucement.

La concernée était abasourdie. Était-ce bien sa grand-mère qu’elle avait en face d’elle ? Elle en doutait de plus en plus.

— Grand-Mère, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi n’es-tu pas venue me réveiller ? demanda-t-elle en se dégageant de l’étreinte. Les gens doivent m’attendre…

— Eh bien qu’ils attendent donc. Il y a des choses plus importantes, affirma-t-elle en se rasseyant.

Sa voix mêlait tristesse et colère. Malicia commençait vraiment à se demander si sa grand-mère n’était pas tombée sur la tête. Puis elle se remémora les événement de la veille : la visite nocturne d’Elio semblait avoir ébranlé la Doyenne. Malicia aussi. Sa grand-mère lui montrait-elle enfin ses vrais sentiments ? Troublée, elle s’assit à la table, aux côtés de la Doyenne, et jeta un œil au papier qu’elle serrait de nouveau entre ses mains ridées. On aurait dit… une lettre.

La Doyenne suivit le regard de sa petite-fille et s’empressa de plaquer la main sur le bout de papier d’un geste nerveux. Malicia sursauta sous l’effet de la surprise. Consciente de la violence de sa réaction, la Doyenne détendit sa main et déclara d’une voix éteinte :

— Finalement… L’heure est peut-être venue de te révéler la vérité…

Malicia la regarda droit dans les yeux sans comprendre. Quelle vérité ? Celle qui lui était apparue deux ans auparavant, lorsqu’elle avait compris que sa grand-mère avait fait d’elle une Prêtresse uniquement par appât du gain ? Ou s’agissait-il de tout autre chose ? Intriguée, la jeune fille incita doucement sa grand-mère à poursuivre :

— Quelle vérité, Grand-Mère ?

Cette dernière soupira et fit glisser vers sa petite-fille le papier qu’elle avait tenté de dissimuler quelques secondes plus tôt.

— Lis, lui intima-t-elle.

Malicia ne se fit pas prier et commença à lire le papier, qui se trouvait être, comme elle l’avait deviné, une lettre. Une lettre amère, pleine de regrets, dans laquelle un homme s’excusait auprès de sa mère de l’avoir abandonnée. Sa femme ayant mis au monde non pas une enfant, mais bien deux, il avait fait le choix de laisser l’une de ses filles avec sa mère, tandis que sa femme et lui avaient emmené leur autre fille, Marika, avec eux.

Selon la signature, il s’appelait Oku. Oku Yasakani. Le nom de son père. Malicia accusa le choc. Son père avait écrit cette lettre en 1803, l’année de sa naissance. Il n’était donc pas mort, pas plus que sa mère, contrairement à ce que lui avait toujours raconté sa grand-mère.

Non, ses parents l’avaient abandonnée. Ils lui avaient préféré sa sœur. C’était peut-être la vérité la plus troublante de toutes… Elle possédait une sœur. Une sœur jumelle qu’elle ne connaîtrait probablement jamais. Pas plus que ses parents.

Pourquoi ? Pourquoi Marika plutôt qu’elle ? Était-ce le hasard ? Ou Marika avait-elle été choisie pour une raison particulière ? Une vive souffrance lui lacéra soudain le cœur. Elle aurait presque préféré que ses parents soient vraiment morts, tout compte fait. Cela lui aurait évité de subir cette sensation de rejet si douloureuse.

Elle releva des yeux brillants de colère vers sa grand-mère.

— Je sais ce que tu penses, Malicia… Et je suis vraiment désolée. Mais… parfois, la vérité fait plus mal que le mensonge. C’est pour cela que je t’ai toujours fait croire que tes parents n’étaient plus de ce monde…

— Pourquoi ? demanda la jeune fille avec colère. Pourquoi m’ont-ils abandonnée, moi, et pas elle ?

— Je l’ignore, je te le jure... Ils sont partis sans même me dire au revoir, en cachette. Mon lâche de fils n’a même pas eu le courage de me dire adieu en face. À partir de cet instant, il était comme mort à mes yeux. J’espère cela dit que ta mère et la petite vont bien… Ma petite Marika, que je n’ai même pas eu l’occasion de connaître…

— Toi aussi, tu aurais préféré l’avoir elle, plutôt que moi ? demanda alors violemment Malicia.

Elle le sentait : ce qu’elle avait enfoui en elle toutes ces années était en train de revenir à la surface, et menaçait d’éclater au visage de sa grand-mère.

— Mais non ma chérie, bien sûr que non… Je suis infiniment heureuse de t’avoir avec moi. Ma vie serait bien triste sans toi…

— C’est sûr, tu n’aurais pas un sou sans ma position de Prêtresse, assena Malicia sans une once de compassion.

Sa grand-mère allait se mettre en colère. Peut-être irait-elle même jusqu’à la frapper pour son insolence. Mais Malicia s’en moquait éperdument. Pour la première fois depuis des années, elle avait eu le courage de dire ce qu’elle avait sur le cœur. Elle ferma les yeux : elle se disait que cela atténuerait peut-être la violence du coup.

Mais ce dernier ne vint jamais. Lorsque Malicia rouvrit les yeux, tout ce qu’elle vit fut le visage contrit et profondément désolé de sa grand-mère, qui la fixait de ses yeux tristes. La jeune fille se mordit la lèvre : elle s’en voulait presque, tant la Doyenne semblait abattue. Puis elle songea que ce n’était que justice. Elle estimait avoir bien plus souffert de cette situation que sa grand-mère.

— En effet… admit enfin la Doyenne après un long silence. Je suis désolée, Malicia. Pour tout.

La concernée ne répondit rien. Elle se sentait vide à l’intérieur. Comme si les vives émotions qu’elle venait de ressentir s’étaient évaporées dans l’atmosphère.

— Va te recoucher, si tu veux. Je vais accrocher le foulard rouge dehors.

Sa petite-fille la fixa d’un œil ébahi. Le foulard rouge. Celui que les Prêtresses doivent accrocher devant leur demeure pour prévenir les habitants qu’elles ne sont pas en état de les recevoir. Elle était certaine qu’il ne flotterait jamais à l’entrée de leur maison. Qu’elle n’aurait jamais droit à un jour de repos de sa vie avant d’avoir atteint l’âge de seize ans.

Mais ces derniers jours, ses convictions étaient mises à rude épreuve, les unes après les autres. Abasourdie, la jeune prêtresse quitta donc la table sans un regard pour sa grand-mère. Elle consentit à se retourner seulement lorsque la porte coulissante de la cuisine se referma derrière elle. Elle murmura alors :

« Merci ».

Ce petit mot à peine audible suffit à faire sangloter la Doyenne. Puis Malicia disparut sans demander son reste. Elle avait besoin d’être seule. Elles en avaient toutes les deux désespérément besoin.

Lorsqu’elle regagna sa chambre, Malicia explosa. Toutes les émotions qui semblaient s’être envolées quelques minutes plus tôt revinrent la hanter avec une violence décuplée. Vérité, qui s’était approchée d’elle à son arrivée dans la pièce, recula vivement devant ce déferlement d’émotions qu’elle reçut de plein fouet.

La jeune fille se prit la tête dans les mains et se mit à hurler à pleins poumons. Elle expulsa d’incompréhensibles cris de sa cage thoracique, au point d’en avoir mal à la gorge. Des larmes de colère s’écrasèrent au sol avec fracas. Malicia ne reprit ses esprits qu’une fois l’assourdissant orage passé.

Sa frénésie calmée, elle s’écroula sur le sol et tendit une main tremblante vers la Tarsal effrayée, qui s’était recroquevillée dans un coin de la chambre, la tête entre ses petites pattes.

« Je suis vraiment désolée Vérité… Je ne voulais pas te faire peur. Je… Je… Ça ne va pas bien. J’avais besoin de crier. Mais ça va mieux maintenant. Tu veux bien me pardonner ? »

La petite créature fixa la main tendue – qui tremblait de plus en plus – quelques secondes avant de se précipiter vers Malicia pour l’enlacer. Son amie lui rendit son embrassade alors que des larmes continuaient de couler sur ses joues.

« Tu es merveilleuse, ma petite Vérité… Merci d’être à mes côtés… » sanglota Malicia.

Elle était perdue. Elle ne savait plus que croire. Toute son existence se résumait-elle à des mensonges ? Non. Vérité en était la preuve : le lien qui les unissait était réel. Ce simple fait poussait Malicia à continuer de croire en Dieu. Le dieu Arceus était toujours là pour la guider, elle en était persuadée.

Inspirée par cette pensée, Malicia relâcha l’étreinte autour de Vérité, sécha ses larmes et se dirigea vers sa commode. Elle ouvrit alors le dernier tiroir : le seul qui ne contenait non pas des vêtements, mais bien des ouvrages. La collection complète des mythes de Sinnoh.

Si les réponses qu’elle cherchait se trouvaient quelque part, c’était forcément ici : au cœur de la parole divine. Elle avisa les différents volumes avant de porter son choix sur le tome qui l’avait toujours le plus fascinée. Elle entama alors une énième lecture du mythe que les anciens avaient nommé « Un Mythe Terrifiant ».

« Ne regardez jamais ce Pokémon droit dans les yeux.

Il suffirait d'un instant pour oublier votre identité.

Comment faire pour rentrer chez soi quand il n'y a rien dont on se souvient ?

Évitez tout contact avec ce Pokémon. Il suffirait de trois jours pour perdre vos émotions.

Et surtout, surtout, ne portez jamais la main sur ce Pokémon.

Au bout de cinq jours, l'agresseur serait paralysé pour l'éternité. »

Voilà ce que disait la première partie du livre. Les historiens s’accordaient tous à dire que la créature évoquée dans ce mythe était une fusion maléfique des trois dieux de la Création : Créfollet, Créfadet et Créhelf. Malicia peinait à croire que ces bienveillants dieux, qui avaient fait don à l’humanité des émotions, de la volonté et du savoir avaient pu un jour devenir un tel monstre.

La théorie la plus répandue pour justifier la corruption des trois dieux disait que l’abominable Giratina, à sa naissance, les aurait pervertis. Ils auraient alors fusionné en cette infâme créature. Heureusement, Malicia se consolait en se disant que les dieux avaient finalement pu être sauvés, comme le racontait la suite de l’ouvrage, dans une histoire intitulée « Le Mythe du Guerrier ».

« Le terrifiant Pokémon semait la destruction sur son passage.

Tous ceux qui osaient le défier finissaient toujours par périr.

Plus personne n’essaya de l’arrêter pendant des années.

Puis, un jour, un guerrier confectionna trois trésors : une épée, un miroir, et un magatama.

Le courageux guerrier décida alors de défier le mal muni de ses trois trésors.

Grâce au miroir, il aveugla le Pokémon avec son propre regard.

Avec l’épée, il découpa l’entité en trois, rendant ainsi à la créature sa forme originelle.

Enfin, il scella le mal à tout jamais dans le magatama.

Le guerrier périt, mais son entreprise réussit.

Libérés du mal, les trois Pokémon s’enfuirent chacun dans leur antre.

Les trois fils du guerrier héritèrent chacun de l’un des trésors.

L’aîné obtint l’épée, le cadet le miroir, et le benjamin le magatama.

Fils de héros, l’aîné devint alors le premier Empereur de Sinnoh, et institua les reliques en trésor impérial, en mémoire de son père. »

Malicia avait relu maintes et maintes fois ce mythe avec attention. Et pour cause : il était à l’origine de sa position de Prêtresse. En effet, la libération des dieux de la Création n’avait pas été sans conséquence. L’épée du guerrier légendaire avait certes rétabli leurs corps, mais elle les avait également grandement affaiblis. Leurs enveloppes charnelles étaient devenues trop fragiles pour continuer d’accueillir leurs esprits. Le seul moyen de les guérir était de créer une nouvelle chaîne rouge, empreinte de Créessence. Sans cela, ils mourraient.

Voilà pour quelle raison l’Ordre des Prêtres et leurs rites avaient été créés : pour sauver les légendaires dieux de la Création d’une mort certaine. C’était cette conviction qui avait toujours motivé Malicia à accomplir ses devoirs de prêtresse avec rigueur. Grâce à ses efforts, le légendaire Créfollet survivrait. Une telle pensée donnait un sens à sa vie.

Mais…

Comme toujours depuis quelque temps, les convictions religieuses de Malicia se voyaient toujours contrariées par des réflexions hérétiques. En l’occurrence… Elle ne comprenait pas comment le rite final qu’elle allait accomplir pouvait permettre à Créfollet de se rétablir. Ce rite consistait à faire couler une goutte de son sang sur l’une des trois reliques de la légende.

Malicia était la Prêtresse en charge du magatama. Ainsi, lors de l’ultime cérémonie, durant laquelle elle serait réunie avec les deux autres prêtresses, elle devrait apposer une goutte de son sang sur le magatama. La Prêtresse de la Volonté en ferait de même avec l’épée, tout comme la Prêtresse du Savoir avec le miroir. Mais comment un tel rituel pouvait bien soigner un Pokémon légendaire ? Et pourquoi la récolte de la Créessence durait-elle seize longues années ? Elle n’arrivait pas à comprendre.

Une part d’elle se rassurait en songeant que les créatures légendaires possédaient des règles différentes de celles des humains, et que ce rituel échappait tout simplement à sa raison. Les Pokémon étaient des créatures fantastiques, aux facultés hors du commun. Si le simple Vœu d’un Pokémon pouvait en soigner un autre, alors pourquoi une goutte de sang humain ne le pourrait-elle pas ?

D’autant plus que les Pokémon légendaires étaient encore plus exceptionnels. Il était difficile pour une simple humaine comme elle de concevoir qu’ils étaient garants de tout ce qui définissait la vie humaine, de l’existence à l’essence.

Cependant, l’autre part d’elle-même, plus insidieuse, lui soufflait qu’on ne lui révélait peut-être pas tout dans l’histoire. Et cette petite voix réveillait en elle l’angoisse existentielle qu’elle ne parvenait plus à dissimuler.

Malicia était en proie à une nouvelle crise de panique. Tous ses doutes, toutes les questions tapies au fond d’elle ne cessaient de refaire surface sans qu’elle puisse les contrôler. Sa respiration se fit plus saccadée, son cœur s’emballa. Des sueurs froides lui perlèrent le front. Un puissant mal-être souleva ses entrailles. Désespérée, elle se précipita vers son exutoire : son journal intime.

Elle y consigna toutes ses réflexions, ses peurs, ses questions… Chaque mot apposé sur le parchemin où dansait la plume allégeait le trouble de son âme. Finalement, le jeune esprit tourmenté de Malicia s’endormit au détour d’une question, un peu plus apaisé qu’à son réveil. Une grande tache d’encre souillait la fin de la question. Elle n’était qu’une goutte d’eau dans l’océan de mystères que constituait son existence, mais elle lui tenait à cœur :

« Pourquoi les Prêtresses n’ont-elles pas le droit d’écrire ? »