Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Jusqu'à ce que les vagues cessent de nous bercer de Ramius



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 07/02/2023 à 14:07
» Dernière mise à jour le 07/02/2023 à 14:07

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 22 : Aube noire
Le soldat tenait sa hache légèrement trop haute. Cela alourdissait le poids sur son poignet, entraînait ses coups vers le bas, et augmentait sa difficulté à parer. Omani fit signe au groupe de se figer et passa dans leurs rangs pour corriger les positions. Beaucoup avaient des défauts, un peu plus que ce à quoi le pêcheur s’était attendu. Mais ça ne l’étonnait pas vraiment. Ces hommes et ces femmes avaient été entraînés à la lance, ils avaient l’habitude d’adapter leur allonge à la proximité de leur adversaire et de frapper d’estoc, vivement et en profitant d’une opportunité.

Pour eux, la hache était un outil grossier et brutal, quelque chose que les barbares de Bajazel seraient capables d’utiliser. Une vulgaire cognée qui n’exigeait que de la force et de l’acharnement, qui n’avait pas sa place dans une salle d’armes mazakine. Et ils n’avaient pas entièrement tort, puisque cette approche exploitait efficacement et facilement les avantages de la hache.

Mais un Guerrier des Sables pouvait briser une lance aussi facilement qu’une brindille, et la force brute ne suffirait pas contre eux. Omani ne se faisait guère d’illusions sur les chances de ces soldats. Les premiers que la Ministre Zalan ait rassemblés, et elle avait choisi judicieusement : ils étaient bons et acceptaient de ne pas maîtriser leurs nouvelles techniques. Si on leur donnait un peu de temps, ils apprendraient comment se servir de la hache pour amplifier leur force, au lieu de se reposer sur la force pour se servir de l’arme. Ils pourraient saisir l’escrime simple et pourtant contre-intuitive qui rendait une hache de bois aux lames de fer capable de tenir en respect les épées affreuses des Guerriers.

Omani n’avait pas foi en eux, parce qu’ils n’étaient que vingt, et parce que Zalan avait pris la crème des gardes municipaux. Des hommes et des femmes habitués au danger, capables de se précipiter devant la gueule d’un Bruyverne avec leur lance pour seule protection, sous la menace d’un arbalétrier qui raterait sa cible. Bien sûr qu’ils apprendraient à changer de point de vue et à agiter une hache sous le museau d’un Carchacrok. Et quant à trouver vingt mille soldats aussi capables dans l’armée de Mazaïkan, Omani souhaitait bonne chance aux reines si elles voulaient tenter le coup.

Le soldat prenait maintenant ses marques d’un œil expert, vérifiant où se posait son pouce sur le manche de bois, comment son index et son majeur se repliaient, comment son poignet se pliait. Il savait visiblement qu’une griffe de dragon avait vite fait de trancher un annulaire ou un auriculaire et se préparait d’ores et déjà à se battre sans eux, il avait l’habitude de protéger son pouce à tout prix. En trouver mille autres comme lui dans les garnisons lascives et ennuyées de Winaï et Eleyo tiendrait du miracle, et quant à attaquer le désert avec une armée de gardes municipaux, cela relevait de la blague. Omani avait vu ce dont les Carchacrok étaient capables. Bientôt, ces vingt hommes et femmes en défieraient un, côte à côte, dans l’arène dont les murs antisismiques élevaient chaque jour un peu plus haut leur entrelac complexe de pierre, de bois et de terre, sur un champ réaménagé pour l’occasion à l’extérieur de la ville. Vingt haches sans lames, et une gueule aux crocs longs comme un doigt qui réclameraient forcément une victime.

Zalan lui avait ordonné d’entraîner ses soldats à faire face aux Guerriers et à leurs montures infernales. Elle ne lui avait jamais demandé de minimiser les pertes. Ils savaient tous que ce n’était pas une option ; cela faisait des siècles que minimiser les pertes faisait partie des objectifs que les généraux cherchaient à éviter, à chaque guerre, dans l’espoir de contrôler la surpopulation étouffante.

Il reprit sa position en face de ses élèves, et poursuivit l’enchaînement. Un assaut exubérant contre un ennemi imaginaire, pour démontrer toutes les possibilités de l’arme utilisée. Lorsqu’ils auraient inscrit ces mouvements jusque dans leurs os, ces vingt soldats seraient capables d’enseigner à leur tour, à quatre cents nouvelles recrues un peu moins bonnes qui viendraient rejoindre la longue liste de noms affectés à l’arène et voués au désert.

Le soldat qui avait enseigné à Omani lui avait offert de s’en charger, et il avait refusé. Il ne pouvait pas les regarder dans les yeux, mais c’était sa responsabilité d’apprendre à ces soldats tout ce qu’il retenait de son combat contre Onis et de leur donner toutes les chances possibles de survivre à leur devoir.

Ils poursuivirent l’entraînement, dans la lumière matinale qui filtrait par les hautes fenêtres, introduisant de plus en plus de réalité dans les enchaînements, de duels avec un partenaire, et de coups qui signifiaient chacun une blessure.

***
Onis ne savait guère trop que penser des geôles de Taezïoud. Il n’était pas Maître des Sables, il n’avait aucune idée des procédures qui avaient autrefois été utilisées à la Forteresse. Était-ce une bonne idée de les garder, Aixed et lui, dans le même bloc ?

Certes, leurs épées étaient rangées ailleurs dans le palais, et les Démons avaient purement et simplement été entraînés hors de la ville. Tout de même. Il entendait la respiration hachée d’Aixed, dans la cellule d’à côté, impossible à voir derrière le mur de briques ocre sombre, pourtant bien plus présente que la discrète Margar. Elle n’était pas calme ; elle montait et descendait lentement, mais avec force, menaçant parfois de tourner au grognement, lâchant parfois un soupir exaspéré.

De nuit dans le désert, le vent aurait emporté ce chant humain et l’aurait noyé dans celui des dunes. Dans la pénombre silencieuse qu’une lanterne projetait avec des crépitements difficiles, c’était un ressac impossible à ignorer.

Lui-même respirait. Bruyamment, sous son crâne trop dur. Il s’entendait, il pouvait comparer ce calme de chasseur avec l’irritation inépuisable de sa sœur d’arme. Aixed était prisonnière depuis un bon mois, et continuait de tirer sur ses liens ; lui s’était fait à cette impression d’être un nuage dérivant dans le vent, privé de tout contrôle. Peut-être était-ce cela, d’être un Renégat. Ou bien peut-être ne faisait-il que suivre les pas de son maître. Il n’avait jamais écouté le souffle de Gorbak, et il n’y avait pas besoin d’être un génie pour se douter qu’il était calme et paisible.

Il n’aurait eu qu’un souffle à prendre pour parler, et pourquoi pas concocter un plan d’évasion. Aixed aurait marché. S’il avait pu servir à la sortir d’ici, elle se serait retenue de l’étriper jusqu’à ce que ce soit chose faite. Mais entre les lourdes grilles de chêne qui donnaient sur le couloir du bloc, le garde assis dans le vestibule, et tout le palais labyrinthique, il y avait peu de chances.

C’était ce garde qui embêtait Onis. Il ne le voyait pas, il savait seulement qu’il y avait une quatrième personne avec eux dans le bloc de geôles. Comprenait-elle le langage du désert ? Le ferait-elle taire s’il parlait ? Qu’est-ce qu’un garde étranger pouvait en avoir à foutre, hein ?

Il aurait suffi d’un souffle, mais il était si difficile de le prendre, de forcer l’air à s’infiltrer entre des côtes gourdes, frissonnantes d’une peur déraisonnable.

Bah. Il était peut-être un Renégat, mais il restait un homme, et libre. Peut-être qu’Aixed non plus n’en avait rien à foutre, peut-être qu’il s’était résigné à son parjure, mais il n’en était pas encore à se laisser dicter sa conduite par la peur ; il n’était pas tombé aussi bas.

« Je me demandais, lança-t-il calmement. Pourquoi m’avoir laissé l’œil ? »

Un silence, une respiration coupée dans son élan. La surprise. La colère, une inspiration lente et dont il pouvait presque sentir la hargne. C’est vrai, ça, comment osait-il lui adresser la parole, ce vaurien, ce traître, comment osait-il seulement penser à la personne à laquelle il avait fait le plus de mal ? Et puis elle soupira, lasse, faible. Il pouvait presque la voir secouer la tête, les yeux fermés. Refuser, nier que tout ça soit arrivé, qu’ils soient piégés ici et qu’elle n’ait rien d’autre à faire que lui répondre. Quitte à ne pas arriver à méditer, autant parler à la pourriture, n’est-ce pas ?

« La sang-mêlé m’a vue faire, murmura-t-elle tristement. Elle l’a vu tout de suite quand je l’ai sorti de ma poche, et au lieu de me casser la gueule ou… je ne sais pas. Elle l’a juste pris, et posé dans le sable, là où je l’aurais mis. Elle t’a piégé. »

Il se gratta le menton, pensif, se rendant à peine compte qu’elle aussi devrait entendre ce geste au lieu de le voir. Le garde ne disait rien, il n’avait même pas bougé. Le Renégat ne savait guère que penser des mots de la Guerrière.

Pour commencer, qui était responsable ? La naïve qui avait voulu laisser un signe ? L’imbécile qui l’avait suivi ? La tricheuse qui l’avait laissée faire et s’était assurée que ce soit clair ? Un piège influençait une proie pour l’attraper. Cela ressemblait plutôt à une embuscade.

Et puis Aixed donnait l’impression d’être épuisée. Quelle surprise, après tout ce qui lui était tombé dessus.

« Je suppose que j’ai été assez simplet pour le ramasser. »

Il l’avait encore, d’ailleurs. Il le sortit sans trop y penser. Aixed les regardait de temps en temps, le soir. Ils n’avaient pas été longs à épuiser le peu de contes qu’ils n’avaient pas en commun, alors ils passaient souvent ces moments en silence. Il n’y avait pas vraiment besoin de mots pour savoir que quelqu’un qui avait combattu une montagne avec vous ne vous ferait pas défaut. Ne vous trahirait pas et ne vous abandonnerait pas à votre ridicule au milieu d’une école où personne ne savait se battre. Dans ces moments, Aixed jouait avec les reflets des étoiles au travers d’un œil ou un autre. Il y avait une certaine qualité au matériau dont étaient faits les yeux, et chaque piquet sur la voûte céleste se retrouvait projeté sur un petit carré de sable.

« Ça n’était pas la question, » grogna la Guerrière.

Ce qui était une façon de formuler la chose. Elle n’aurait pas dû jeter cette pierre dans le sable, et lui n’aurait pas dû la remarquer ni la récupérer. La métisse, en fin de compte, n’avait pas grand mérite.

« Et je n’ai pas envie d’y répondre. »

Abrupt, direct, lui coupant presque la parole alors qu’il inspirait. Il resta silencieux. Le moment de répit accordé au vaurien avait assez duré, qu’il se rappelle de sa place. Elle avait parlé avec l’autorité d’une Maîtresse et il n’était pas assez idiot pour la lui contester.

Il s’adossa au mur qui la séparait d’elle, assis sur son banc de bois, avec un rictus peiné sur les lèvres. Il aurait peut-être dû lui parler de l’audience dont il était revenu un peu plus tôt. Ce que la reine avait demandé, ce qu’il avait promis. Les menaces. Le parjure.

Peut-être était-ce une bonne chose qu’il ne l’ait pas fait. Si elle l’avait appris, Aixed aurait brisé ses liens d’une façon ou d’une autre, défoncé les grilles de bois les séparant, et l’aurait étranglé. Et il ne pourrait pas garder le silence éternellement — un jour viendrait forcément où elle saurait, elle serait mise devant le fait accompli.

Il soupira doucement, en silence. Il n’osait même pas montrer ce dont il venait de se rendre compte. Que tôt ou tard, il devrait rendre des comptes à la sœur pour laquelle il avait offert sa famille en sacrifice.

***
Deux soldats s’affrontaient au centre de la salle d’armes, sans lames sur leurs haches. Pour le peu que Siebtze connaissait de cette forme d’escrime, ils s’en sortaient bien. On n’aurait pas dit qu’ils avaient commencé le matin même.

Elle s’adossa contre la porte et nota qu’Omani avait un certain talent de professeur, en attendant qu’il la remarque. Il lui fallut une petite poignée de secondes, et il ne se laissa pas distraire du duel qu’il arbitrait ; bien. Il y avait peut-être un espoir de faire de lui un Attentif un jour. Ou peut-être ne serait-il pas intéressé.

L’escrime à la hache était une chose malcommode et grossière, sacrifiant la précision au profit de la force. Certes, les deux soldats faisaient preuve d’un peu de bon sens dans leurs mouvements, ils cherchaient un équilibre utilisable entre la rapidité de leur jeu de jambes et des appuis assez puissants, ils arrivaient à obtenir une force sèche qu’elle-même n’aurait pas su comment déployer… mais ça ne l’aurait pas empêchée de nettoyer cette salle.

Peut-être en prenant quelques bleus au passage. Bah. Elle pouvait s’occuper d’un Guerrier des Sables avec une paire de dagues, mais la hache était une alternative décente pour quelqu’un ne pouvant pas faire confiance à ses réflexes.

« Suffit. »

Les deux hommes se désengagèrent sans un mouvement d’hésitation et se tournèrent vers leur professeur. Ils étaient habitués à exceller, ce qui suggérait des gardes municipaux. Difficile de dire sans l’uniforme et pendant qu’ils essayaient de nouvelles armes.

Omani fit quelques commentaires que Siebtze n’écouta pas, puis laissa à la salle cinq minutes de pause avant le duel suivant. Certains soldats mirent les poings au sol pour faire jouer leurs muscles, d’autres tordirent leurs corps pour les étirer. Une poignée adopta un pas de course modéré le long des murs, estimant que trop de temps avait passé depuis leur échauffement. Il n’y avait pas besoin d’être un génie pour deviner qu’elle avait bel et bien sous les yeux la crème de la soldatesque de Taezïoud, la garde municipale. Des durs à cuire habitués à ordonner à des Dragons d’aller réclamer leur territoire ailleurs. Eh bien, peut-être aurait-elle passé un sale quart d’heure à nettoyer la salle, mais tout de même, rien de vraiment hors du commun.

Il était toujours bon d’avoir une idée des compétences de l’armée. Avandras avait fait du bon boulot pour en faire une machine bien huilée, et Siebtze ne doutait pas que les failles nécessaires à son plan soient aussi en place. Elle les verrait bien assez tôt.

« Quelque chose ? demanda le pêcheur en arrivant à sa hauteur.

— Tu les entraînes à défier un Carchacrok, » pointa-t-elle.

Il s’adossa à côté d’elle — pas trop près — et passa son regard sur la salle. Il n’était pas très dur de deviner ses pensées. Ceux-là y arriveraient ; la prochaine troupe…

« Je sais que mon statut dans la hiérarchie n’est pas toujours très clair, persifla la contrebandière. Et ça ne doit pas être plus évident pour eux. Mais si tu le veux, je peux leur apprendre quelques tours.

— Une initiation, je suppose.

— Eh bien, comme je l’ai déjà mentionné, nous ne serions pas allés nous balader dans ce désert si j’avais pu amener des gens à mon niveau. »

Et si elle n’avait pas eu une vengeance à livrer, sans parler de tous les petits détails amusants auxquels cette charmante conversation renvoyait. Elle dépensait le peu de crédit qu’Omani lui accordait en ramenant à la surface le sujet de Kiktase, mais le risque valait d’être couru.

« Je suis au courant que la décision ne t’appartient pas, poursuivit-elle sans pause. Je tenais juste à préciser. Si la reine veut bien du peu que j’ai à apporter… ça pourra peut-être sauver une ou deux vies. »

Le Garde Royal hocha sombrement la tête. Alors comme ça il n’était pas très à l’aise avec l’idée d’enseigner les rudiments d’un culte à la force à ses soldats, même sans la doctrine derrière ? Oh tiens. Mais Siebtze savait que son argument porterait. Les objectifs stratégiques à long terme des guerres modernes n’étaient pas exactement clamés sur tous les toits, mais c’était évident pour quiconque savait se servir de sa tête et d’un livre d’histoire. Les pertes militaires aidaient à contrôler la surpopulation.

L’Ordre avait prouvé assez spectaculairement qu’il jouait le jeu un peu trop bien, trente ans plus tôt. L’armée esseranne n’avait même pas été particulièrement importante par rapport à la population du continent, mais la débâcle indescriptible qu’elle avait subie parlait d’elle-même. Le désert n’était que trop prompt à boire le sang de la côte.

« Je lui en toucherai un mot, conclut Omani.

— Merci, sourit Siebtze. Ça ne t’étonnera pas si je prétends que je n’ai moi-même pas énormément de… appelons-ça de l’influence politique, par ici. »

Il eut un sourire en demi-lune, amusé par l’euphémisme. Elle hocha la tête et prit congé sans un mot, le laissant à ses élèves. Comme prévu, le pêcheur s’était laissé faire. Étape suivante. Elle l’aurait méritée, cette vengeance.

***
« Eh, debout ! »

La soldate fit tinter ses clés contre la grille de bois, sans arracher plus de réaction à Onis. Il était réveillé. Difficile de dire si c’était le matin ou encore la nuit ; le soleil n’arrivait pas dans les cellules. On avait changé de garde trois fois, mais ça ne l’avançait pas.

La porte s’ouvrit avec un son rauque de pierre frottant contre le bois. Le Renégat se leva lentement, présentant ses paumes. Inutile de donner des idées à cette garde un peu trop énervée. D’un autre côté, le regard furibond qu’elle lui lança quand il sortit de sa cellule était un peu trop personnel, alors peut-être lui avait-il tapé dessus en s’infiltrant dans le palais, deux nuits plus tôt. Il ne s’en souciait pas particulièrement, malgré ses cheveux d’une teinte orange qu’il n’avait pas vu sur beaucoup de têtes.

« La reine va te recevoir, » lança la soldate en le conduisant hors du bloc.

Elle ne lui donnait pas spécialement envie de répondre.

Il avait cru que le palais était labyrinthique lorsqu’il y avait cherché Aixed et lorsqu’on l’avait conduit à la salle d’audience, mais apparemment, on lui réservait encore des surprises. Deux étages et une poignée de couloirs plus loin, la soldate l’entraîna dans une alcôve cachée derrière une tapisserie, guère différente du bloc dont il sortait. Celle-ci, cependant, donnait accès à une enfilade de passages étroits et éclairés à intervalles réguliers. Onis nota mentalement de ne jamais amener une armée dans ce palais : la Forteresse aussi avait eu ce genre de couloirs. Pas qu’il ait une armée sous la main, mais qui pouvait savoir comment tournerait le futur ?

Le couloir dans lequel ils débouchèrent était plus luxueux que celui où ils avaient disparu : un tapis interminable couvrait le parquet, et les torches accrochées aux murs avaient été remplacées par de larges fenêtres. Ce qui contredisait un peu l’idée d’un édifice défensif, mais l’architecte avait certainement compensé ça d’une façon ou d’une autre. Et on était en effet au matin, peu après l’aube.

La soldate l’arrêta devant une porte de chêne devant laquelle même la grille de sa cellule semblait bien maigre. Au centre, protégeant probablement le loquet, un disque de métal anthracite était gravé d’un symbole que le Renégat ne connaissait pas. Ce n’était pas le phare que les serviteurs de la reine portaient sur leur cœur, ni les diverses armes des soldats, mais quelque chose de plus épuré, plus simple.

« Entre et attends qu’on t’appelle. »

Elle referma la porte derrière lui. Le salon d’apparat dans lequel il était entré n’était pas sans lui rappeler le soldat immobile devant la porte de la salle d’audience, une démonstration de puissance visant à l’impressionner. Les côtiers ne réalisaient sans doute pas que ces étoffes soyeuses et ces meubles ornementés étaient gâchés sur un enfant du désert ; Onis était conscient de ne pas sentir la fleur, et c’était plus raisonnablement la faute de la personne qui l’avait gardé dans une cellule pendant deux jours que la sienne.

Il n’eut guère de temps de détailler la pièce, ceci dit. Une porte intérieure, elle aussi en bois massif, s’ouvrit sur la métisse. Il ne l’avait vue que dans la pénombre d’un bloc de cellule où elle lui avait agrippé les chevilles pour l’empêcher de lancer une Hantise, et maintenant qu’elle se tenait dans la lumière, son visage avait quelque chose de familier. Il n’aurait pas su mettre le doigt sur ce qu’il reconnaissait ; il se trompait sans doute. La broche en forme de phare sur sa poitrine était tout ce dont il avait besoin.

« La reine va vous recevoir dans un instant, affirma-t-elle dans le langage du désert. Vous pouvez attendre ici. »

Il hocha la tête sans un mot et dédaigna les sièges. Debout serait très bien.

L’autre s’éclipsa dans le couloir, sans donner plus de précision. Le Renégat s’attendait à ce que cet instant se prolonge un bon moment, mais que la reine et son protocole aillent se faire voir. Cette manie de faire attendre les visiteurs visait probablement à les irriter et à les impatienter, eh bien elle aurait de l’impatience. Il n’attendrait pas plus d’une nute.

Ce qui laissait tout de même quelques douzaines de battements de cœur à compter. Onis s’appuya au rebord de la fenêtre, entre les rideaux de brocart. D’ici, on voyait la ville, les rues de pierre grouillant de gens empressés. Des tours de garde dominaient les toits, çà et là, une organisation agressive et rugueuse. Elles n’étaient pas forcément destinées à des envahisseurs, cependant. Certaines des armes pointaient nettement vers le ciel, s'il comprenait bien ce qu'il voyait. La ville défendait ses habitants contre les monstres sauvages, comme un Guerrier défendant son village.

Peut-être était-ce ainsi que les côtiers se sentaient en sécurité. Ensemble, derrière des murs épais, cachés au soleil et à l’air. Peut-être n’étaient-ils pas si différents des gens du désert.

Il se détourna et fit jouer la poignée de la porte intérieure. Ce n’était pas fermé. Au-delà, un corridor étrangement court l’écrasait. Les murs n’étaient pas droits : il y avait plus d’espace là où il se tenait qu’à l’autre bout. Deux portes de bois perçaient les murs, mais c’étaient encore des défenses. La porte la plus importante, celle du fond, était entièrement plaquée de ce même métal noir, d’un bloc. Elle était entrouverte.

« Votre Majesté, s'annonça Onis. Vous m'avez fait appeler. »

Aucune réponse. Il patienta un instant de plus, puis s’avança vers le fond du couloir, tirant la porte à lui en se retenant poliment de lâcher un grognement.

La chambre de la reine était aussi large que le salon, mais principalement occupée par un lit immense, débordant de rideaux et de couvertures blanches et rouges. Zalan II reposait face à la porte, un rictus triste sur son jeune visage, les mains pressées en vain sur sa gorge déchiquetée.