Eclat de Glace de Princess Leaf

Les étoiles scintillaient dans un ciel tacheté de quelques nuages portés par une douce brise.

Wozza traversa le mur de la demeure d’Anita, afin de ne pas déranger ses occupantes en s’aventurant par la porte d’entrée. Après avoir traversé le parc – désert à cette heure – le Pokémon Spectre se laissa planer vers l’étage inférieur de Sylis, en direction de la place principale.

Si la compagnie d’Arya ainsi que les péripéties vécues jusqu’alors ne s’étaient pas montrées déplaisantes, la solitude lui manquait ; aussi profitait-il des nuits paisibles pour la laisser s’immiscer en lui et ressourcer son esprit. Il trouvait en ces instants de quoi faire vagabonder ses idées, les laissant ainsi se développer et s’épanouir librement, loin de tout désagrément.
Bien sûr, l’Ermite était libre de retourner se terrer dans sa demeure s’il le souhaitait. Lui n’était pas lié à toutes ces histoires, finalement. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison qu’il lui était aussi aisé de prendre du recul et de garder la tête froide : il ne craignait pas de conséquences vis-à-vis des évènements. Il n’avait rien à perdre.
Et cela lui convenait très bien ainsi.

Appréciant le contact du feuillage en glissant sous une branche, il se remémora la bataille de Dirindel et son terrible dénouement. Le regard des Pokémon présents lorsque la foudre s’était abattue sur la Commandante de l’Ombre occupait ses pensées. Ils avaient compris qui en était l’auteur. Bien sûr, en temps normal, il aurait accusé les caprices de la nature, mais pas cette fois.

Lorsqu’il prenait la vie, le Pokémon Spectre n’était pas d’humeur à plaisanter.

Jusqu’au dernier instant, il avait espéré que le conflit cesse de lui-même. Il avait également pris soin d’intimider les guerriers, dans le but d’interrompre passivement les affrontements. Mais Rizza s’était montrée déterminée dans sa tâche, et seule la mort fut apte à dompter ses cruelles intentions.
Wozza soupira. Qui était-il, en somme, pour décider de la sorte du destin d’autrui ? Rien qu’un Pokémon comme un autre, avec ses sentiments, ses choix, ses convictions. La Malamandre n’était pas différente de lui. Qu’il le veuille ou non, s’il avait agi de la sorte, c’est qu’il avait choisi sa voie, lui aussi. Une voie qui l’avait amené à ressentir de la colère devant l’assaut du Royaume de l’Ombre. Une voie qui, à l’instant où le sang s’était échappé du corps de Grimsy, lui avait soufflé de déchainer ses pouvoirs sur une autre Pokémon.
Peut-être avait-il quelque chose à perdre, après tout ? Pour quelle autre raison, lui, pourtant pacifiste par nature, s’était-il senti obligé d’agir de la sorte ?

Wozza secoua la tête. Inutile de s’appesantir là-dessus. Le passé constituait un puits de savoir d’une grande profondeur dans lequel se plonger pouvait s’avérer bénéfique, mais il s’agissait de ne pas s’y noyer. Le présent, comme l’avenir, étaient trop précieux pour être perdus de vue.
Ce qu’il avait justement perdu de vue, ce soir-là, c’était Arya. Sitôt qu’il eut les yeux tournés, la Feunard s’était retrouvée dans une situation délicate, de laquelle elle n’était sortie indemne que grâce à l’intervention d’un Pyroli renégat. Bien sûr, Wozza aurait pu la secourir par la suite, mais cela lui insufflait le doute quant à la capacité de la Princesse déchue à surmonter les épreuves qui se dressaient devant elle. La fuite n’avait probablement été qu’un avant-goût de ce qui l’attendait pour récupérer son trône. Et elle ne semblait absolument pas y être préparée.
« Si je la laisse tomber maintenant, elle est fichue », songea-t-il.
Aussi s’était-il décidé à poursuivre son périple avec elle jusqu’à Rimdall. La Feunard s’endurcirait au fil des épreuves, jusqu’au jour où elle n’aurait plus besoin de lui. Alors, il pourra se retirer sereinement. Pour l’heure, sa place était à ses côtés.

Dérivant aussi bien au gré du vent qu’au fil de ses pensées, Wozza parvenait vers la place où trônait la fontaine représentant la Reine Aylee lorsqu’un petit Pokémon fila près de lui en direction du château. Il le reconnut après un battement de cil et le héla :
« Salutations, Virdi ! »
Le Rubombelle poussa un cri de surprise et manqua de peu de s’écraser contre une branche après avoir effectué une embardée. Il se tourna vers son interlocuteur, tout tremblant :
« C… C’est vous, W… Wozza ! V… Vous m’avez f… Fait une frayeur !
- C’est mon rôle, non ? S’amusa le Pokémon Spectre. Et d’abord, de quoi auriez-vous peur à l’intérieur de Sylis ?
- Je… Oui… Je suis un peu nerveux, c’est tout. Veuillez me pardonner ! »
Wozza pencha la tête, interloqué. Il avait compris que le diplomate était de nature craintive, mais sa réaction lui semblait tout de même excessive. Et pourquoi avait-il l’air si pressé ?
« Y a-t-il une raison à cela ? Le questionna-t-il. Vous semblez en pleine mission urgente, bien que l’heure ne s’y prête pas !
- Oh, non ! Je souhaitais simplement me détendre, justement. Voyez-vous, j’ai beaucoup de travail en ce moment ! Alors, j’ai ressenti l’envie de passer du bon temps à La Baie Dorée. Mais à présent, il se fait tard et je dois me hâter, au risque d’être épuisé à mon réveil !
- Je comprends. Avez-vous des nouvelles du Royaume de l’Ombre ? »
Le Rubombelle secoua négativement la tête, attristé.
« Non, à mon grand regret. Je crains qu’il ne continue de se terrer dans les cavernes d’Andor, en préparant sans doute je ne sais quel mauvais coup. Je vais justement tâcher de rentrer à nouveau en contact avec ses dirigeants.
- Advienne que pourra ! De notre côté, nous souhaiterions nous entretenir avec la Reine Aylee, sera-t-il possible de la consulter sous peu ?
- Bien sûr ! La Princesse Arya n’a qu’à se rendre au château pour cela. Notre Souveraine sera ravie de la recevoir !
- Parfait. Dans ce cas, je ne vais pas retarder plus longtemps votre sommeil, et vous souhaite de bons rêves, Virdi.
- Je vous en remercie ! »
Après l’avoir salué, le Pokémon Insecte se détourna et reprit sa course vers les quartiers royaux.

Songeur, Wozza s’avança vers la place et s’arrêta devant la fontaine. Épris d’un doute, il se dirigea vers La Baie Dorée, d’où émanait une musique dansante.
En ouvrant la porte, il constata que les lieux étaient toujours bien animés, malgré l’heure tardive au point d’en devenir presque matinale.
La Lumivole qui s’occupait du service remarqua son arrivée et vint gaiement l’accueillir.
« Bienvenue, visiteur nocturne ! Souhaitez-vous vous installer à une table ? Ou bien désirez-vous une chambre pour ce qu’il reste de la nuit ?
- Ni l’un, ni l’autre, merci ! Je souhaiterais juste savoir si un Rubombelle du nom de Virdi est ici. J’ai besoin de le voir au plus vite, et on m’a informé que je pourrais le trouver là. »
La serveuse écarquilla les yeux, surprise.
« Vous voulez dire, le diplomate de Sa Majesté ?
- Lui-même, acquiesça Wozza. Est-il déjà reparti ?
- Je suis navrée, mais nous n’avons jusqu’à présent jamais eu l’honneur de le voir dans notre établissement ! Quand vous le trouverez, dites-lui que nous serions ravis de l’y voir de temps en temps, cela pourrait l’aider à se détendre un peu !
- Vous ne croyez pas si bien dire, souffla le Magirêve en grimaçant. Eh bien, je vous remercie pour cette information, et vais de ce pas prendre congé !
- Je vous en prie ! Bonne chance, en souhaitant vous compter parmi notre clientèle une prochaine fois !
- Je n’y manquerai pas », répondit poliment le visiteur - bien qu’il n’était pas adepte de l’agitation en général, quand bien même cette taverne semblait particulièrement charmante.

Troublé par ce qu’il venait d’apprendre, le Pokémon Spectre s’éloigna de la place et prit la direction de l’observatoire où il avait récemment discuté avec Velvet. Il avait besoin d’un lieu isolé pour méditer sur l’étrange attitude du Rubombelle, qui venait de lui mentir sans raison apparente.
« Surprenant, de la part d’un diplomate », maugréa-t-il.
En approchant du promontoire, il fut surpris de voir une silhouette s’y tenir et observer fixement la lune.
Ne souhaitant pas déranger l’individu, il s’apprêtait à rebrousser chemin lorsque celui-ci, sans même se retourner, lança d’une voix grave et claire à la fois :
« Si le ciel était un royaume, la lune serait son souverain, et les étoiles son peuple. »

Wozza s’approcha, interloqué. Il ignorait si le Pokémon s’adressait à lui ou non ; l’ermite était lui-même plongé dans l’ombre, et se mouvait dans l’air sans provoquer de bruit.
« Pourtant, même lorsque la lune se retrouve voilée, les étoiles, elles, ne cessent de briller. »
Comme pour accompagner ses paroles, l’un des rares nuages présents dans le ciel s’immisça devant l’astre lunaire pendant quelques instants. Puis il se volatilisa presque aussitôt, et la lumière permit à Wozza d’identifier un Gardevoir, dont la couleur azur inhabituelle sauta immédiatement aux yeux de l’ermite.
« Un chromatique. »
Seul un Pokémon sur un peu plus de quatre mille avait la « chance » de venir au monde avec des couleurs différentes de ses semblables. Cela ne passait donc pas inaperçu.
Le Pokémon Psy poursuivit :
« En ce cas, pourquoi le peuple tend-t-il à s’éteindre avec son souverain ? »
Et, se tournant enfin lentement vers l’Esprit de la Forêt, conclut :
« Suffit-il donc d’une unique intempérie pour faire s’effondrer tout un domaine ? »
Wozza ne sut si le Gardevoir attendait ou non une réponse, mais préféra briser le silence avant qu’il ne devienne durable :
« Et si on décroche la lune, on s’empare des étoiles !
- Très exactement. »

Le Pokémon Spectre avait parlé sur le ton de la plaisanterie, mais son interlocuteur ne cilla pas, ses grands yeux orange fixés sur lui.
L’attitude austère de l’individu et son étrange monologue laissaient croire à Wozza qu’il ne s’agissait pas d’un habitant du Royaume Fleuri.
« Vous venez du Royaume des Brumes, n’est-ce pas ? »
Le Peuple des Brumes habitait dans les montagnes au-delà d’Andor et de Sylis. Ces Pokémon quittaient rarement leurs frontières, préférant s’isoler loin des problématiques du monde.
L’intéressé hocha imperceptiblement la tête, puis déclara :
« Il est surprenant qu’un de mes semblables chemine aux côtés de la Princesse du Royaume Cristallin. Vous souhaitez donc briller dans un ciel qui n’est pas le vôtre. »

Pris au dépourvu, le Magirêve eut un mouvement de recul, puis se ressaisit :
« J’ai choisi ma voie il y a bien longtemps. La différence entre les astres et les Pokémon, c’est que les premiers ne choisissent pas leur emplacement dans les cieux, tandis que les seconds sont libres de fouler la terre comme bon leur semble. Mais si vous tenez vraiment à votre métaphore, considérez-moi comme une étoile filante, et faites un vœu. »

Le Gardevoir soutint son regard, imperturbable, puis déclara :

« Je souhaite qu’une nouvelle aube se lève sur ce monde. »

Alors que les premières lueurs du jour semblaient poindre à l’horizon, il y eut un soubresaut dans l’air accompagné d’un éclat de lumière à l’endroit où se trouvait le Pokémon chromatique.

L’instant d’après, il avait disparu.