Chapitre 29 - Missive Troublante
Arya sentit son pouls s’accélérer tandis qu’elle approchait sa patte de la lettre posée sur la petite table en forme de marguerite devant elle.
La Princesse déchue se trouvait dans la chambre d’invités de la somptueuse demeure d’Anita, où elle séjournerait jusqu’à nouvel ordre. Wozza se trouvait non loin, près de la fontaine d’intérieur, s’amusant à modifier la trajectoire du jet d’eau de façon surnaturelle de manière à lui faire dessiner diverses formes : tantôt une flamme, tantôt une fleur, tantôt un flocon.
Il en était à finaliser un croissant de lune lorsqu’Arya reporta son attention sur le courrier marqué du Sceau Royal de Freljörd qui lui était destiné.
Le symbole, un diadème de glace blanc et bleu, témoignait de la provenance du message : la Famille Royale Cristalline. Or, il ne restait qu’un seul de ses membres dans le Royaume : Belgor, le frère cadet de la Feunard d’Alola. Ce dernier lui avait donc, semblait-il, répondu.
L’Hélédelle messager était revenu au Château Fleuri aux premières lueurs de l’aube, mais Anita n’avait pas souhaité la réveiller, alors que la Princesse venait de s’effondrer dans son lit, épuisée par les évènements de la veille.
Après avoir longuement dormi, la Pokémon Glace avait pris le temps de se promener dans Sylis afin de s’éclaircir les idées et prendre des nouvelles au gré des conversations animées de la capitale, avant de revenir chez son hôte pour se focaliser - au calme et l’esprit reposé - sur la missive.
Cependant, la crainte s’était emparée d’elle, chassant vite l’excitation au premier abord suscitée par la nouvelle. Elle ignorait totalement ce qu’elle s’apprêtait à découvrir, mais un mauvais pressentiment terrible l’envahissait.
Ouvrant avec précaution l’enveloppe, elle se mit à lire à voix haute, afin d’informer Wozza de son contenu. Arya avait insisté pour que le Pokémon Spectre soit présent, souhaitant bénéficier une nouvelle fois de son recul et de sa sagesse.
« Salutations, ma très chère Sœur.
Ta lettre m’est parvenue, et tu me vois ravi de te savoir saine et sauve. Je comprends pleinement tes interrogations, ainsi que ton appréhension concernant la situation actuelle.
Je puis d’ores et déjà te rassurer : tout ceci est une vaste méprise. Tu peux revenir au Royaume Cristallin en toute quiétude : notre peuple et moi-même t’attendons avec impatience.
Une fois que tu seras de nouveau parmi nous, je pourrai t’expliquer précisément ce qu’il s’est passé.
En espérant que ces écrits suivent leur chemin jusqu’à toi sans encombre, et que tu puisses emprunter le tien vers Freljörd et son trône qui t’est du.
Ton bien-aimé frère cadet et Souverain – provisoire – du Royaume Cristallin,
Belgor »
Arya fixait le parchemin, perplexe. Elle aurait dû éprouver du soulagement, mais ne ressentait qu’une incompréhension totale devant ce qu’elle venait de découvrir.
Elle croisa le regard de Wozza qui haussait un sourcil, amusé.
« C’est un piège si gros qu’il donne envie de s’y jeter ! C’est ce que tu rêverais de faire en cet instant, n’est-ce pas ?
- Je… Je ne sais quoi en penser…
- Je peux penser pour deux, dans ce cas ! S’esclaffa le spectre. Pour commencer, reconnais-tu là l’écriture de ton "bien-aimé" frangin ? »
Il insista sur la formulation avec un ton suave et un grand sourire sur le visage.
« Je discerne autant son écriture que son style. Je pense que c’est bien lui qui a rédigé ce texte.
- C’est un premier point, reste à voir maintenant si c’est de sa propre initiative ou sous la contrainte, physique comme mentale. En tout cas, deux éléments se dégagent de cette paperasse : le premier, qu’il souhaite ardemment ton retour ; le second, qu’il te laissera dans le flou jusque-là. Pour quelqu’un cherchant à te rassurer, c’est quand même fort dommage de ne rien te dévoiler au préalable ; ce n’est pas le temps qui lui manquait, étant donné le soin apporté à ses bonnes manières.
- Peut-être que… Peut-être voulait-il éviter que cette missive tombe entre de mauvaises mains ? Supposa la Feunard.
- Ha ! Elle est bien bonne ! Ta naïveté dépasse l’entendement. Si vraiment tout allait bien, pourquoi prendre autant de précautions ? Il aurait pu au moins développer le sujet en surface. »
Wozza secoua la tête, puis fit signe à la Princesse de lui tendre le parchemin. Cette dernière s’exécuta en soupirant :
« L’espace d’un instant, en parcourant les premières lignes, je me suis dit… Enfin, j’ai repris espoir, mais…
- Ton frère te connaît sans doute suffisamment bien, il a conscience que ça suffira à t’attirer dans la gueule du loup.
- Tu es donc persuadé qu’il me veut du mal ?
- Absolument pas ! »
L’ermite leva les yeux au ciel puis soupira :
« On ne peut être persuadé de rien, avec si peu d’informations ! Tout ce que ce message dit c’est « reviens vite, ne t’inquiète pas, tout va bien ! » Le Royaume de l’Ombre a essayé de te tuer, Arya. Ce n’est pas anodin. Il ne s’agit en rien d’une simple « méprise ». Souviens-toi du Capitaine Guldan et de son attitude : avais-tu le sentiment d’avoir le choix ?
- Mais…
- Si vraiment « quiétude » il y avait, penses-tu que le Royaume Cristallin fermerait ses portes et couperait toute communication ? Non, franchement, rien ne va. Ce message est aussi crédible que si tu m’annonçais, là, tout de suite, que tu seras prudente à l’avenir et ne prendras aucune décision irréfléchie ! »
Arya détourna la tête, vexée.
Au fond, elle savait que son compagnon avait raison, comme toujours. Elle était incapable de détacher ses émotions de son raisonnement, et cela faussait trop souvent son verdict.
« Allons, ne fais pas cette tête, reprit Wozza. La bonne nouvelle, c’est qu’on va s’y rendre, au Royaume Cristallin.
- Que… Quoi ? »
La Pokémon Glace écarquilla les yeux et hoqueta de stupeur. Que voulait-il dire par là ?
« Eh bien oui, ça me semble évident ! Réfléchis : quels sont tes deux choix les plus probables à la réception de ce courrier ?
- Hum… Ne pas y croire et rester ici, ou bien prendre immédiatement la direction de Freljörd ?
- Je les aurais cités dans l’autre sens, mais oui, précisément. Donc, nous n’allons opter pour aucune de ces deux options, et jouer la carte de la surprise. Ma préférée, si tu veux mon avis ! »
Lorsque son rire habituel fut terminé, Wozza reprit un air sérieux puis baissa d’un ton :
« Nous allons nous rendre au Royaume Cristallin, mais en toute discrétion, et en restant sur nos gardes. Sans mauvais jeux de mots, je pense qu’une avalanche de secrets nous attend là-bas, et nous n’en apprendrons pas plus en restant plantés ici !
- Pourquoi ne pas simplement demander au Royaume Fleuri d’envoyer des diplomates ou des espions, dans ce cas ? Questionna Arya. Ne dirais-tu pas toi-même que c’est trop dangereux que je m’y rende en personne ?
- Le Peuple Cristallin ne réagira pas de la même manière selon qu’il se trouve en présence d’étrangers, ou de leur Souveraine légitime. Nous savons dorénavant que nous pouvons nous fier au Royaume Fleuri et à la Reine Aylee ; mais ce n’est pas le cas de tes sujets qui, en ce moment-même, ne savent probablement rien de ce qui se passe, et encore moins à qui faire confiance. En revanche, toi, tu es leur Princesse "bien-aimée" et, crois-moi, de par ta réputation, s’il y a bien une personne auprès de qui ils se rallieront, c’est toi. »
Arya fit la moue. Un doute l’envahissait soudain :
« Et si ils me considèrent comme une traitresse ? »
Wozza éclata de rire, une fois de plus.
« Toi, une traitresse ? Peut-être que ça passe auprès des Royaumes voisins, mais les Pokémon qui t’entourent te connaissent trop bien. Si tu veux mon avis, tu es bien trop naïve et bienveillante pour fomenter de nébuleux desseins. Et ça, ton peuple en est persuadé depuis le début. Pas grâce à tes discours, mais avec tout le temps que tu as passé auprès de lui. »
Arya se sentit touchée par les paroles de l’ermite. Des larmes perlèrent dans ses yeux, tandis qu’elle se remémorait les moments passés dans son château, dans les rues de Freljörd, ou aux côtés des explorateurs de la Guilde des Flocons de la Nuit. Sa place était là-bas ; elle en avait assez de se cacher et de fuir, elle voulait faire face.
Soudain, une confiance nouvelle s’alluma en elle. Clignant des yeux pour en chasser l’humidité, elle déclara :
« Tu as raison. Mon peuple a déjà par trop souffert ; ma présence sur les terres Cristallines lui redonnera espoir. Nous devrions nous mettre en route dès que possible ! »
Wozza s’exprima à la suite d’une mimique exaspérée :
« Pas si vite ! D’abord, il nous faut un plan. Ensuite, nous en informerons la Reine Aylee. Maintenant que tu t’es faite des alliés, ce serait bête de s’éclipser en douce de chez eux !
- Un plan ? Rétorqua Arya, déconcertée.
- Economise ta salive : j’en ai déjà un ! Et, ne le prends pas mal, je doute fort que tu proposes mieux dans l’immédiat ! »
La Feunard rougit et voulut protester, mais se rendit compte qu’une fois de plus, le Magirêve avait raison. Aussi agaçant soit-il par moments, elle devait admettre qu’il avait toujours un temps d’avance sur elle.
La Princesse prit soudain conscience de son manque d’expérience dans la vie et sur le monde en général, malgré l’ouverture et la curiosité dont elle faisait preuve vis-à-vis de son peuple et des territoires au-delà du sien. Toutefois, elle réalisa que cheminer aux côtés de Wozza et vivre toutes ces péripéties lui apportaient beaucoup de maturité. Cela lui sera utile si elle parvenait, un jour, à monter enfin sur son trône.
« Arya, tu m’écoutes ? Tu sembles perdue dans tes pensées ! »
La concernée sursauta : elle avait perdu le fil de l’explication de Wozza au cours de son escapade au cœur de ses réflexions. Elle s’excusa et reporta son attention sur son interlocuteur, qui reprit :
« Je disais donc : nous pourrions nous rendre à Rimdall. Ce village est suffisamment éloigné de Freljörd et ne représente sans doute ni un point stratégique, ni une menace pour le Royaume de l’Ombre. Il n’est pas impossible, d’après ce que tu m’avais décrit de l’attaque du Seigneur Van, que des habitants de la Capitale aient eu le temps de fuir et de s’y rendre. »
Wozza venait de former une étoile avec la fontaine. Laissant son clapotis s’exprimer durant quelques instants, il conclut :
« Ce serait un bon début. »
Arya étudia la proposition du Pokémon Spectre. Rimdall était une charmante petite bourgade située à flanc d’une colline, au Nord-Est de Freljörd. Bien qu’appartenant au Royaume Cristallin, c’était un lieu isolé, dans lequel la Princesse s’était assez peu rendu, en raison de la distance qui le séparait de la capitale. Elle ignorait quel soutien elle trouverait là-bas, mais l’idée lui convenait.
Elle hocha la tête avec entrain :
« Avec un peu de chance, je pourrai y retrouver des membres des Flocons de la Nuit, d’autant que certains se trouvaient probablement en mission là-bas au moment de l’assaut du Royaume de l’Ombre. Peut-être même que Mira nous y attendra, si elle est parvenue à quitter Freljörd à temps !
- Ne t’emballe pas trop non plus, tempéra Wozza d’un air sombre. Peut-être aurons-nous une mauvaise surprise en guise de comité d’accueil. Mais si nous sommes prudents, nous devrions avoir plus à y gagner qu’autre chose.
- Très bien, approuva Arya. Dans ce cas, je vais de ce pas en discuter avec la Reine Aylee. »
Elle allait se diriger vers la sortie, quand Wozza l’arrêta d’un geste :
« Il est tard, et Sa Majesté a déjà eu une journée bien remplie. Nous verrons cela demain en toute tranquillité. Pour l’heure, repose-toi ! Tu en as besoin dans l’immédiat, et encore plus pour les nouvelles aventures qui se profilent !
- Tu as raison, soupira la Feunard. Très bien, je patienterai.
- Voilà qui est raisonnable », sourit l’ermite.
Alors que la Pokémon Glace s’apprêtait à se rasseoir, on toqua à la porte et la voix d’Anita s’éleva depuis le couloir :
« Arya ? Je peux rentrer ?
- Bien sûr ! » S’exclama cette dernière.
Le battant s’ouvrit et la Blancoton pénétra dans la pièce en émettant un sifflement d’admiration devant le magnifique tournesol que Wozza venait de former avec l’eau de la fontaine.
« J’espère que je ne vous dérange pas ? S’excusa-t-elle.
- Du tout, la rassura l’Esprit de la Forêt. Au contraire, nous venions justement de clore notre précédente discussion.
- Tant mieux. C’est Velvet qui m’envoie : elle vous attend au rez-de-chaussée, et souhaiterait vous parler à tous les deux.
- Velvet ? Demanda Arya, surprise. J’espère qu’il ne s’agit pas de quelque grave nouvelle.
- Je suppose que non, car elle ne s’est pas montrée pressante. Mais elle est souvent assez occupée, donc vous ne devriez pas la faire attendre trop longtemps. »
La Feunard et le Magirêve se rendirent donc à l’étage inférieur, où la Gardienne patientait.
Celle-ci les salua en les apercevant :
« Bonsoir, Votre Altesse. Si je viens vous rendre visite en cette heure tardive, c’est pour vous soumettre une requête.
- De quelle nature ? S’enquit Arya.
- Je viens de rendre visite à Fynn, le Pyroli qui vous a tiré du mauvais pas de la veille. Il n’était pas en état de me parler, mais j’ai pu obtenir un compte-rendu du médecin en chef de la Fleur de Vie, notre centre de soin. Il devrait se remettre vite de ses blessures, mais semble en état de choc. Je reviendrai le voir dès demain, seulement, il va nous falloir trouver les bons mots afin qu’il se ressaisisse et puisse s’impliquer pour notre cause ; toute aide de la part d’un explorateur vétéran d’Andor étant très précieuse en cette période. »
Un sourire se dessina sur le visage de Wozza.
« N’en dis pas plus, j’ai compris. Tu souhaites qu’une Princesse bienveillante et un esprit farceur viennent lui remonter le moral, c’est ça ? »
Velvet leur adressa un clin d’œil.
« Très juste. »