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Jusqu'à ce que les vagues cessent de nous bercer de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 17/01/2023 à 07:34
» Dernière mise à jour le 19/01/2023 à 16:49

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 18 : Comme un Démon dans l’eau
Elle n’avait plus de suc de Tadmorv.

Elle attrapa sur l’étagère son bocal de fraives à la lajanne, versa les baies dans une petite assiette et la déposa sur le rebord de la fenêtre, sous les yeux intrigués du Flambusard qui attendait sur son toit.

« Je ne peux pas répondre tout de suite, s’excusa Alika. J’espère que ce n’est pas pressé. »

L’Oiseau de proie la regarda, une étincelle d’intelligence pétillant dans son regard. Elle se pencha vers la rue : personne ne levait la tête. Alors elle tendit la main et cajola la tête du Flambusard. Il s’aplatit contre les ardoises, conscient qu’il valait toujours mieux que les passants ne le voient pas. On ne l’aurait pas chassé, mais un type Feu en ville était toujours une nouvelle inquiétante. Et Alika n’avait pas vraiment besoin de cette mauvaise pub.

Au bout d’un moment, le messager accepta le délai inévitable, et tendit le bec pour picorer dans l’assiette. Alors la cultiste rousse le laissa en paix.

Elle enfila une vieille paire de bottes, un manteau rapiécé, fourra ses gants en cuir de Bourrinos dans ses poches, et sortit. D’en bas, la silhouette de l’Oiseau était indiscernable : il était bien entraîné. Ou bien peut-être était-il déjà parti. Alika espérait qu’il ne l’ait pas fait. Siebtze apprécierait moyennement qu’Avandras apprenne qu’elle avait tenté de l’éliminer : le vieux général la taquinerait sur son échec et se vanterait d’avoir encore deux ou trois tours à lui apprendre, quand bien même seule la chance l’aurait épargné. Bah.

Alika remonta rapidement la rue, entre les façades de pierre. Elle savait où trouver un autre Tadmorv à distiller : la tour de garde la plus proche était bâtie au-dessus d’un collecteur d’égout pas très propre. Cela faisait des années que la mairie aurait dû le remplacer : l’odeur des petits types Poison remontait jusqu’aux plates-formes des balistes et aux tourelles des arbalétriers, et leur précision en souffrait. Tout le quartier avait appris à se barricader quand un Bruyverne venait chercher un casse-croûte en ville.

C’était une plaie, mais cela l’arrangeait bien. Elle pouvait se procurer des poisons violents, et le Flambusard qui allait probablement s’établir dans le coin pendant les quelques prochains jours ne risquait pas de se prendre un carreau dans l’aile.

Quand elle serait rentrée, elle inviterait l’Oiseau dans son petit appartement. Les fraives l’auraient peut-être assez amadoué, et elle préférait qu’il n’ait pas à chercher d’abri s’il se mettait à pleuvoir.

***
Onis sentit se tendre le lien qu’il avait tissé entre leurs épées. Il n’y prêta pas la moindre attention. Il ne pouvait pas quitter du regard les sept cadavres plantés sur leurs piques.

Qui pouvait avoir fait ça ?

C’étaient des côtiers, peut-être des gens sans histoire. Il ne parvenait pas à se les imaginer en criminels. Alors pourquoi avaient-ils fini suspendus comme ça ? Et qui cherchaient-ils à avertir, à l’entrée du désert ? Les Guerriers qui ne s’aventureraient jamais aussi loin, les villageois fuyant le désert ? Ou peut-être les côtiers eux-mêmes ?

Ça n’avait aucun sens. Ce message ne pouvait s’adresser à personne. Il était trop sidéré pour se soucier de Margar qui avait progressé jusque derrière le tournant suivant du sentier, ni la surprise d’Aixed que son épée percevait, pas si éloignée et pourtant impossible à rattraper.

Il comprenait mieux l’incrédulité qu’elle avait ressentie, une poignée de jours plus tôt. Il espérait seulement que ce à quoi elle était confrontée maintenant s’avérerait moins macabre quand ce serait son tour de le rencontrer.

***
Le bruit était inqualifiable. Innommable. Elle n’avait jamais rien rencontré de pareil, et ses pensées restaient bloquées sur cette… chose.

Il y avait eu de l’eau, dans les profondeurs de la Forteresse. Comme les Arbres à contes, ses racines plongeaient assez profond pour ramener quelques minces filets. Mais cette eau suintait, coulait lentement et sans bruit, s’accumulait en mares tranquilles. Ici, elle courrait librement, sous le ciel, et Aixed n’aurait jamais imaginé que l’eau pouvait être aussi bruyante.

Ils avaient établi le campement au bord de la chose. Le soir tombait, et ils n’avaient pas voulu marcher aussi longtemps que d’habitude. Le soldat et la tueuse avaient monté leur tente, laissant leur petite caravane batifoler comme elle le voulait ; le Lapin-Sapeur broutait avec ravissement les feuilles qui poussaient à même le sol, et les Démons se défiaient de plonger la tête dans l’eau.

Aixed était restée là, figée. Devant le cours d’eau qui chantait dans une langue étrangère, et les paroles que le soldat et la tueuse semblaient faire tellement plus de sens maintenant qu’elle entendait le bruit de l’eau, le bruit de la côte.

Ici, les feuilles poussaient par terre, couvrant de verdure des collines de terre rugueuse, et l’eau dévalait les pentes des montagnes. Un pays de richesse, d’abondance. Un pays généreux qui avait engendré des enfants cruels. Était-ce parce que le désert ne pardonnait rien à ses habitants qu’ils avaient su vivre en paix depuis des millénaires, quand les royaumes côtiers étaient en peine de passer un siècle sans envoyer une armée mourir dans le sable ?

Un Démon tomba dans l’eau dans un fracas grondant, décuplant le bruit de l’eau et le transformant en quelque chose de plus craquant et plus violent. L’eau, comme le sable, avait mille facettes. Sur la berge, ses congénères le raillèrent copieusement, et il se précipita à l’air libre avec un couinement étonné. Il avait froid.

Le soldat l’entendit, et sortit un large pan de toile d’un des paquetages qu’ils avaient récupérés dans les montagnes. Il s’avança vers le Démon, et s’attela à le frictionner avec le tissu. Et le dragon ne fit pas un geste pour le repousser ; la présence imposante et bleutée du serpent le toisait d’un air revêche depuis l’eau, menaçant.

La tueuse rejoignit à son tour la rivière, deux outres sous le bras, jetant un regard amusé au soldat s’occupant des Démons. Elle s’arrêta un bref instant devant la Guerrière, et Aixed sentit sa paupière tressailler ; la femme à la peau ocre la dérangeait. Elle revoyait encore cette gifle que l’autre lui avait assénée si facilement, et l’œil de roche qu’elle l’avait forcée à laisser dans le sable. Mais la tueuse ne fit pas un mouvement pour la faire bouger. Elle haussa les épaules et se baissa pour remplir ses outres.

Ils buvaient de l’eau. Aixed avait fini par accepter l’idée — le serpent s’occupait de remplir les outres, dans le désert, et elle avait bien dû surmonter son dégoût pour le breuvage fade et inconstant. Pourtant, la joie simple avec laquelle la tueuse rejeta la tête en arrière et avala une longue gorgée d’eau, indifférente à sa morsure glaciale, l’étonna encore.

Ici, rien n’allait correctement. Elle était prisonnière, elle pouvait bien être une criminelle, et c’était l’eau qui façonnait le paysage. Un dieu folâtre et froid, dont elle ne parvenait pas à détacher son regard. Elle ne sut pas bien ce qui la poussa à dénouer les liens de son habit ; avant d’avoir réfléchi à ce qu’elle pouvait risquer, elle s’avançait dans l’eau.

Le froid la surprit, frappant et intense. Ce n’était pas le baiser mordant du vent, ni la lourdeur pressante du sable la nuit. Cela ne ressemblait à rien, et elle plongea la tête sous l’eau.

Elle n’était pas différente quand elle émergea. Elle avait encore l’esprit encombré de souvenirs brûlants et honteux, de peur et d’appréhension. Mais un peu de l’apathie qui l’emprisonnait depuis qu’ils avaient marché, marché sans fin dans le désert immense, s’allégea.

Derrière elle, le soldat et la tueuse s’interpellaient d’une voix forte, assurée, et elle se doutait bien qu’ils devaient se moquer d’elle. Cela ne lui faisait rien. Avec les doutes qui encombraient son esprit, il faudrait plus que quelques remarques graveleuses pour l’énerver.

Elle se retourna, et le soldat lui lança un autre pan de tissu quand elle ressortit. Elle l’attrapa sans un mot.

***
Ils suivirent, à distance, la lutte de la carchacrok contre la bestiole.

C’était évidemment une proie, malgré sa couleur rose pastel et les courtes pattes affleurant sous le sac de cuir de sa peau. Elle s’était enfuie aussitôt qu’elle avait vu la dragonne, laquelle se jeta à sa poursuite sans une seule seconde d’hésitation. Mais sans sable sur lequel courir, elle ne pouvait que bondir sur ses pattes arrière, se réceptionnant avec des appuis maladroits sur ses bras.

Et lorsqu’elle parvint enfin à coincer le pokémon, ce dernier ignora complètement le large coup de griffe qu’elle lui asséna. Margar ne vit pas bien ce qu’il s’était passé, si la bestiole s’était contentée d’esquiver ou si elle avait levé une protection quelconque ; en tout cas elle échappa à la poigne de son adversaire et prit la fuite de plus belle.

Elle n’avait fait que troquer une carchacrok affamée contre une carchacrok irritée. Lorsque la dragonne rattrapa sa proie, la mise à mort fut brève et violente. Elle releva la tête en arrière pour avaler les morceaux de crânes broyés dans sa mâchoire, avant de lancer un feulement rauque.

Onis s’agenouilla devant le corps à demi décapité et sortit un couteau en os sans que sa monture ne lui conteste le droit de se servir. Quelques gestes issus d’une longue pratique eurent tôt fait de découper les muscles en lanières et de récupérer la plus grande partie du sang dans une outre, et la dragonne patienta calmement le temps que son maître l’autorise à nouveau à s’occuper de la carcasse.

La chasse ne changeait jamais, au moins. Quand ils partagèrent leur repas frugal au son d’une dragonne occupée à briser des os, Margar eut la satisfaction de voir le Renégat faire la moue.

« Ça n’a même pas bon goût, râla-t-il.

— On a déjà mangé quelque chose de bon ? »

Onis ricana. La scientiste ne s’était toujours pas habituée à consommer autre chose que le lait d’excavarenne qui servait de base à l’alimentation des villages. Elle restait persuadée que le régime carné (et surtout, sanguin) des Guerriers hors d’atteinte d’un village ne pouvait pas être sans danger.

D’un autre côté, ses difficultés avaient été un bon prétexte pour briser la gêne des premiers jours de leur cavale. Lorsqu’Onis avait compris qu’elle était la première à se moquer d’elle-même, il n’avait pas été long à la charrier.

Et quelque chose disait à Margar qu’ils devraient rester soudés s’ils voulaient survivre à leur affrontement avec ce pays inconnu, étranger.

***
Un bruit d’éclaboussure attira l’attention d’Omani, et il tourna son regard vers la berge. Un gang de Mustébouée sautait dans l’eau depuis la rive, et les cinq Mustéflott à sa tête se dirigeaient très visiblement vers lui. Le pêcheur sourit, et flatta doucement l’encolure de Saïyenn pour attirer son attention.

Un instant plus tard, la Léviator se dressait de toute sa hauteur et déployant ses collerettes et ses barbillons, et elle jeta sur les mustélidés un regard hautain et silencieux. Un frisson d’hésitation parcourut la bande de nageurs, et il ne fallut pas très longtemps pour qu’ils fassent demi-tour avec plus de confusion qu’une attaque de Castorno en patrouille ne pouvait en semer sur un Fleuve de Bois.

Saïyenn reprit sa nage avec une petite ondulation supplémentaire qui trahissait son ravissement. C’était bon d’être au sommet de la chaîne alimentaire.

Elle appréciait la présence des quatre Carchacrok qui nageaient à ses côtés, c’était visible. Ils la ralentissaient, peut-être, mais ils se raidissaient dès qu’elle leur lançait le moindre regard, et obéissaient au moindre grognement. Quoi de plus naturel ? Elle les avait écrasés dans le désert, au cœur de leur pouvoir, et elle était maintenant dans son élément. Les dragons ne poseraient pas problèmes d’ici à l’arrivée à Taezïoud, et Omani était bien content que Siebtze n’ait plus à gérer ces bandits.

Ils n’étaient pas si éloignés des Mustébouée, en un sens. Toujours à défier l’autorité la plus proche, que ce soient les Humains dans leurs cités de pierre, ou les Castorno sur leurs Fleuves de Bois. Prêts à attaquer à la moindre occasion, à piller la nourriture des autres et à retourner se goberger dans leurs terriers. Les Carchacrok n’avaient aucun besoin de voler leur pitance, ils l’avaient bien démontré en rapportant au groupe le surplus de proies qu’ils avaient chassées dans les collines, mais ils n’en guettaient pas moins la moindre faille dans l’autorité de Siebtze.

Eh bien, maintenant, c’était Saïyenn qui imposait sa loi, et il n’y avait qu’une poignée de prédateurs qui auraient pu défier un Léviator dans un fleuve. Siebtze passait ses journées à faire semblant de se reposer en surveillant la Guerrière d’un œil torve.

Omani devait l’admettre, il s’inquiétait un peu pour leur captive. Aixed s’était enfermée dans un mutisme serein sur lequel les quelques tentatives de conversation de Siebtze avaient glissé souplement. Ce n’était plus l’apathie choquée qui l’avait portée dans le désert, mais quelque chose de plus sombre, plus déterminé. Serait-il seulement possible de l’interroger, une fois de retour à Taezïoud ? Ou bien faudrait-il que les plans de l’état-major ne reposent que sur l’expérience d’un seul Garde Royal, et les combats qui seraient organisés si on parvenait à enfermer les dragons dans une arène ?

Bah. Ce serait un problème pour Avandras et les autres généraux. Omani avait rempli sa mission, et pourrait même leur fournir quelques renseignements sur les Guerriers ; les Exagide trop lourds, trop rapides et capables d’utiliser leurs attaques habituelles, le peu d’escrime qu’il avait pu voir. S’il fallait fournir une hache à tous les soldats mazakins et les entraîner à la manier, ce serait déjà un progrès par rapport aux invasions du passé.

Oui, la mission était un succès. Elle s’était mal passée, et Omani ne savait pas bien ce qu’il devait penser de Siebtze, de sa quête de vengeance et de son sens des responsabilités… Mais au final, ils étaient encore en vie, et ils avaient leur captive.

Sur la berge, les Mustébouée et leurs chefs leur lancèrent un dernier regard inquisiteur, hésitants à les suivre. Il faudrait qu’il les signale au maire du village où ils feraient halte pour déposer l’Excavarenne perché sur la tête de Saïyenn et qui regardait les plaines désolées de Tifida en se languissant de leur herbe sèche.

***
L’eau frappait les feuilles dans une cacophonie de petits claquements répétés en permanence, dégoulinant le long des troncs étroits, se faufilant tant bien que mal jusqu’au sol couvert de racines et de mousse. La forêt buvait cette averse avec ravissement, et sous un vieux chêne qui ne les impressionnait en rien, deux humains et un Démon se recroquevillaient, frigorifiés.

« Ce n’est pas dangereux, répéta Margar pour la douzième fois.

— C’est de l’eau qui tombe du ciel, rétorqua encore Onis. C’est absurde et désagréable, mais ce n’est pas parce que j’ai peur que je me tais. »

La scientiste éternua.

Ils avaient descendu la rivière, jour après jour. Ils savaient que leurs ennemis avançaient bien plus vite depuis qu’ils l’avaient trouvée ; ils s’étaient déjà arrêtés, à bonne distance au sud-est, mais qui savait combien de temps cela durerait ?

Sur l’eau, à quelques mètres devant eux, la barque tanguait paisiblement. Ils l’avaient trouvée dans un village abandonné le long de la rivière. Margar avait émis des doutes répétés sur sa capacité à flotter, mais il fallait qu’ils avancent, et ils avaient pris le risque. À leur grande surprise, le Démon avait préféré nager, malgré le froid mordant de l’eau. Mais puisqu’il le voulait bien, ils lui avaient tendu les amarres de l’embarcation, et il les avait tirés dans le courant. Ce n’était pas aussi rapide que ce qui transportait Aixed, mais cela battait la marche.

Maintenant, ils grelottaient en plein jour, sous un ciel grisâtre dans lequel le soleil ne s’était pas levé. Ce n’était pas normal, et aucune explication de Margar ne pourrait pousser Onis à penser le contraire. Mais il n’y avait rien à faire. La forêt ne leur procurait qu’un abri sommaire, et ils étaient prêts à s’en contenter.

Un bruissement, différent, attira l’attention du Renégat.

Une silhouette trapue se tenait entre deux arbres. La chose était un peu plus haute qu’un homme, un peu plus basse qu’un Démon, et Onis ne parvint pas à faire sens de ses formes dans la pénombre. Il recula doucement un bras pour poser la main sur la garde de son épée.

L’intrus gronda, et il sut qu’ils avaient des ennuis.

Son Démon se redressa brusquement et cracha en guise d’avertissement, et avant qu’Onis n’ait eu le temps de s’interposer, les deux dragons s’étaient jetés l’un sur l’autre et avaient entrepris de s’écharper.

« Margar ! On s’arrache ! »

Elle était déjà en train de prendre ses jambes à son cou. Le Renégat ramena son attention aux combattants — l’intrus allongea un coup de tête dans le ventre du Démon, et le projeta contre un tronc d’arbre qui vibra sous le choc. Onis retint une exclamation de surprise ; la tête de l’autre dragon était ornée de deux crocs démesurés aux bords tranchants, et il se rappela l’espace d’un instant l’arme étrange du soldat côtier.

L’intrus rugit brutalement et s’élança sur l’Humain. Onis abattit son épée aussi fort qu’il le put et parvint à projeter le monstre au sol — mais sa dent aurait dû se briser sous le choc, et il se relevait déjà avec un grognement courroucé, sans une seule éraflure. Derrière lui, Margar hurla quelque chose.

Il ne restait qu’à prier qu’elle ait déjà écarté la barque. Onis plongea sur son Démon, évitant de justesse le bec noir qui claqua là où sa gorge s’était trouvée, et s’abandonna volontiers au vortex d’ombres familier.

***
Bassari était un village plutôt prospère, si près de l’eau soit-il. Omani n’avait pas hésité en le voyant depuis le centre du fleuve… et il le regrettait un peu, maintenant. Le maire insistait absolument pour honorer ce Garde Royal qui faisait escale chez lui et dresser un banquet. Rondouillard comme il était, il était sans doute plus intéressé par le banquet que par l’envoyé de la reine.

Un peu à l’écart, sous le regard des arbalétriers de ronde sur les remparts, Siebtze cajolait l’Excavarenne. Pour lui, c’était la fin du voyage, et Omani était confiant qu’il ne le regretterait pas. Bassari saurait l’occuper : il aurait autant d’herbe verte qu’il le voudrait, et tous les pentains, il tirerait les carrioles des marchands à Taezïoud pour emmener leurs biens au marché de l’hexain. Ou bien, plus probablement, il transporterait l’impôt et aiderait à nourrir la capitale.

Le lapin ne semblait pas très réceptif aux intentions de la cultiste. D’un autre côté, vu comment elle lui avait imposé ses ordres et sa protection, Omani comprenait qu’il ne veuille pas la quitter. La vie devait être facile, pour un lapin. Plus que pour un Garde Royal ; ou pour un villageois vivant sur une parcelle attribuée par Taezïoud en récompense du service militaire d’un ancêtre, et cultivant les champs en espérant ne pas avoir à sauter dans le bocage pour se défendre d’un Bruyverne. Il n’avait qu’à brouter son herbe, à écouter les humains et à tirer leurs fardeaux.

Son propre village lui manquait. Il avait été heureux, là-bas, loin de l’agitation, de la puanteur et des dangers de la capitale.

Le soldat se rendit compte avec un temps de retard que le maire le regardait d’un air gêné, attendant visiblement une réponse. Il sourit doucement.

« Veuillez m’excuser, annonça-t-il avec l’hypocrisie que méritait l’homme. Je suis assez pressé, je le crains. »

L’autre laissa voir une déception intense. Il n’avait qu’à éviter de manger autant de l’impôt de son village, s’il voulait que les Gardes Royaux le prennent pour un type fiable. Omani le planta là et alla voir comment Siebtze se débrouillait.

***
« Tu penses que ça va marcher ?

— Nous n’avons rien de mieux à faire en attendant la nuit… »

Margar se renfrogna, guère convaincue par l’argument, et Onis reporta son attention sur l’épée.

Ils avaient franchi l’espace étranger où résidait son esprit pour ressurgir dans le monde des vivants, des centaines de fois. Ils avaient tranché la roche et cogné la chair, ils avaient fait briller leur présence comme un second soleil, et pourtant il semblait au Renégat qu’il n’avait jamais rien tenté d’aussi difficile. L’esprit lent et froid de l’épée s’habituait lentement à l’idée qu’il tentait d’imprimer dessus, et déliait de vieux muscles oubliés, mais Onis n’aurait certainement pas juré qu’il comprenait.

La scientiste regardait à l’horizon, vers la ville qui s’étalait le long de la côte. Les plages de sable laissaient la place à des quais de pierre, une architecture grise et massive à sa façon plus morne encore que la Cité d’Antan. Ses rues grouillaient littéralement de monde, comme la campagne environnante, et Onis s’attendait ce que quelqu’un finisse par les trouver dans leur petit bosquet. Mais il s’en inquiéterait plus tard.

Parlez-nous la langue de ces terres.

Les épées, celle qui le suivait et celle qui le connaissait, cherchaient encore ce qu’elles pouvaient faire de cette idée bizarre.