Chapitre 28 - La Fleur de Vie
La journée était déjà bien avancée lorsque Velvet quitta le château de Sylis, où elle venait de faire son rapport à la Reine Aylee concernant la bataille de la veille.
La plupart des pokémon avaient attendu la matinée pour lever le camp et revenir à la capitale, préférant rester à Dirindel durant la nuit afin de se reposer, aider les blessés, et fouiller les décombres en vue d’éventuels survivants. La Gardienne était restée parmi eux pour pouvoir assurer la supervision des opérations après la disparition de leur Commandante.
Shido et Pétra avaient chargé leurs Guildes respectives d’apporter tout leur soutien au village qui était devenu en partie méconnaissable. Les Marchands s’occupaient de l’approvisionnement des objets et matériaux divers, tandis que les Explorateurs s’étaient mis en quête de pokémon disparus et patrouillaient dans les zones alentours afin de sécuriser les lieux.
Un cimetière avait été aménagé près de l’entrée du village, au pied de la falaise, où on avait enterré les corps des pokémon défunts, y compris ceux du Royaume de l’Ombre. Un hommage à Grimsy pour qui « dans la mort, il n’y a plus ni alliés ni ennemis » et qui, de toute manière, aurait respecté la mémoire de ses opposants.
Les guerriers de l’Ombre blessés furent, quant à eux, escortés jusqu’au Tunnel de Ladon. Quelques-uns, dans un état critique, avaient été pris en charge dans la tente de soin de Dirindel le temps de pouvoir rejoindre leur Royaume. Velvet avait hésité sur la marche à suivre, puis avait vite réalisé que faire des prisonniers apporterait plus de complications qu’autre chose.
La Sucreine avait tout de même choisi d’interroger plusieurs guerriers ennemis capturés avant de les renvoyer à Andor, mais ces derniers ne lui livrèrent aucune information qu’elle ne savait déjà.
L’attaque avait été ordonnée par ce fameux Seigneur Van, un Jungko qui s’exprimait au nom du Roi Xeno ; que personne cependant ne semblait avoir aperçu récemment.
Par ailleurs, la Sucreine se souvenait très bien des paroles proférées par Rizza, la Commandante ennemie qui avait refusé de se rendre : elle avait parlé de Van, non du Roi. C’est à ce moment qu’elle avait réalisé que quelque chose ne tournait pas rond, mais au moins les pokémon interrogés avaient-ils pu le lui confirmer.
Elle avait cependant retenu deux choses essentielles : la première était que les Guerriers d’Andor avaient, pour certains, obéi par crainte plus que par réelle confiance.
La seconde, que la plupart ignoraient qui était vraiment Van. Il était respecté et parfois admiré, principalement en raison de sa proximité avec le Roi Xeno, et semblait très porté sur la sécurité du Royaume de l’Ombre. C’était un Seigneur présent, engagé, et qui semblait exercer un contrôle sur tout ce qui se passait à Andor, y compris la Guilde des Roches Ardentes, ce qui expliquait la présence d’équipes d’exploration lors de cette bataille. Un fait qui avait surpris Velvet : si la Reine Aylee dirigeait l’ensemble du Royaume, elle déléguait les tâches à des pokémon experts de chaque secteur, qui pouvaient ainsi dialoguer entre eux et apporter leurs différents points de vue. Van semblait être l’unique proche du Roi Xeno, et s’occupait de tout à la fois.
Un autre constat avait frappé la Gardienne : en-dehors de quelques vétérans qui semblaient accorder une grande confiance en Van, la plupart des pokémon de l’Ombre étaient relativement jeunes. Cela expliquait leur inexpérience, mais également le fait qu’ils ignorent en grande partie le passé du Jungko.
« Dans ce Royaume, il ne reste que des fanatiques et des ignorants » s’était-elle dite.
Sauf un. Un certain Fynn.
Le Pyroli qui avait prêté main forte à la Princesse Arya lors de la bataille avait été grièvement blessé par un éboulement, aussi avait-il été transporté d’urgence à dos de Tropius en direction de la Fleur de Vie, le centre de soins de Sylis, réputé pour ses médecins hors-pairs.
Velvet espérait que l’explorateur s’en tirerait, car il pourrait bien leur être d’une grande aide pour la suite. Et puis, c’était en partie grâce à lui si la Princesse Arya s’en était tirée.
Un sujet sur lequel sa Reine s’était d’ailleurs montrée folle de rage.
« Tu as laissé la Princesse sans surveillance ?! Tu m’avais pourtant certifiée que tu la tiendrais à l’œil, Velvet !
- Cette Bétochef aurait réduit l’intégralité de Dirindel en ruines, Votre Majesté. Je ne pouvais pas la laisser agir.
- Et ce faisant, tu as mis en péril sa vie, ainsi que celle de la Capitaine Nubia et la tienne par la même occasion !
- Ne vous en faites pas pour la mienne, Votre Altesse, avait répondu la Sucreine en faisant la moue. Et puis, je pensais que Wozza veillerait sur la Princesse Arya.
- Tu « pensais » ?! Avait tempêté la Reine. Je t’assure, Velvet, que si la Princesse avait été tuée ou capturée par ta faute, tu aurais été radiée sur-le-champ de ton poste de Gardienne. Et même si tout cela s’est bien terminé pour notre protégée, tu ne dois ton salut qu’au fait de tes indéniables compétences, mais sache qu’en cet instant je suis très en colère à ton égard ! »
La Sucreine s’était inclinée en s’excusant. Elle avait l’habitude de ce genre de remontrances : ce n’était pas la première fois qu’elle prenait des initiatives de ce genre, et ce ne serait certainement pas la dernière.
Elle devait pourtant admettre que sa Reine avait raison : sans l’intervention de Fynn, la situation aurait pu très mal tourner. Si la Princesse Arya avait été prise en otage, les conséquences auraient pu être catastrophiques : les guerriers de l’Ombre auraient pu exiger une reddition du Royaume Fleuri, et il n’aurait pas été chose aisée de négocier la libération de la Feunard dans de telles circonstances.
Si Velvet avait effectivement fait preuve de négligence, elle ne regrettait cependant pas sa décision : la Princesse était saine et sauve, une partie du village avait été protégé, et la bataille remportée, malgré les pertes. Il était inutile de plus s’attarder sur ce qui aurait pu se produire ou non.
Le ton de la Souveraine Fleurie s’était radouci lorsqu’elle avait abordé le sujet de la défunte Feuiloutan :
« Je suis profondément navrée pour la Commandante Grimsy. Je sais à quel point elle et toi étiez proches. C’était une meneuse d’exception. Je ne sais comment honorer convenablement sa mémoire.
- Grimsy était une pokémon simple, Votre Majesté. Son souhait aurait sans doute été que nous allions de l’avant, afin que cette bataille n’ait pas été menée en vain. »
La Reine Aylee avait hoché la tête, puis demandé :
« As-tu une idée quant à une personne capable de succéder à ses fonctions ?
- Nubia est jeune et manque peut-être encore un peu d’expérience, mais c’est une guerrière courageuse, impliquée, et qui ne manquera jamais de considération à l’égard de ses subordonnés, comme elle en a fait la démonstration en tant que Capitaine des Ailes Fleurie. Elle sera tout à fait digne de ce poste et apprendra vite, surtout avec le soutien des Gardiens pour la conseiller.
- Si cette Altaria a gagné ta confiance, elle bénéficiera donc de la mienne. Qu’il en soit ainsi, je m’entretiendrai avec elle plus tard. »
Sur ces mots, la Souveraine avait congédié Velvet, en lui suggérant de se rendre à la Fleur de Vie avec l’espérance que le Pyroli se porte mieux et soit enclin à discuter.
La Sucreine descendit donc aux étages inférieurs de Sylis et se dirigea vers le centre de soin, qui était situé non loin de la Guilde des Pétales d’Argent, dans le creux d’un arbre géant. La proximité de la Guilde permettait ainsi aux explorateurs de s’y rendre en cas de besoin, ou d’y amener des blessés ; les lieux étant aisément accessibles depuis les deux entrées de la cité. Il était difficile de manquer l’entrée, indiquée par une arche sur laquelle trônait d’immenses fleurs de lys blanches.
La Fleur de Vie s’étendait sur plusieurs étages, aménagés pour apporter le plus de confort et de sérénité possible : la lumière qui filtrait par les ouvertures y était douce, et les murs étaient tapissés de couronnes de fleurs dégageant un odorat particulièrement agréable.
De nombreux lits de plumes aux dimensions variées étaient disposés aux étages supérieurs, permettant d’héberger de nombreux individus aux espèces diverses en s’y adaptant au mieux. De par l’expérience de ses soigneurs, il était très rare en ce lieu de ne pouvoir répondre aux besoins d’un pokémon malade ou blessé.
Velvet fut accueillie par une Olivado au rez-de-chaussée, qui lui adressa un sourire depuis son comptoir :
« Bonsoir ! Que pouvons-nous faire pour vous ?
- Je souhaiterais rendre visite à un explorateur du Royaume de l’Ombre du nom de Fynn, qui a été amené ici cette nuit. Est-ce possible ? »
La secrétaire consulta un registre sur un tableau en bois derrière elle, puis hocha la tête :
« Il est au troisième étage. Vous pouvez vous y rendre, mais j’ignore s’il sera en état de vous parler ou non.
- Advienne que pourra. Je vous remercie. »
Le rez-de-chaussée était vide, mais lorsque la Sucreine emprunta l’ascenseur, elle put constater à quel point les étages supérieurs grouillaient d’activité, ce qui était habituel après une bataille.
À chaque niveau, la salle était remplie et les soigneurs s’affairaient. Fort heureusement, la majorité des cas étaient bénins : les pokémon les plus grièvement touchés étaient de toute façon restés à Dirindel pour le moment.
Le troisième étage était le dernier à accueillir des protégés avant les bureaux et la réserve, situés plus haut. Il était moins peuplé que les précédents, mais les pokémon présents semblaient plus affectés.
Un Guérilande et une Nanméouïe s’affairaient autour d’une imposante Haydaim couchée sur un lit pouvant aisément accueillir trois guerriers plus petits, et d’une Roucarnage dont l’une des ailes était maintenue à son corps par un bandage.
La Sucreine aperçut le Pyroli au fond de la pièce, et son regard s’assombrit.
« Il a vraiment l’air dans un sale état », se dit-elle.
L’explorateur était étendu dans son lit et semblait endormi. Son corps était parcouru de cicatrices, et il tremblait légèrement dans son sommeil.
Un Parasect était penché sur lui. Lorsqu’il remarqua la pokémon plante, il la salua tout en se dirigeant vers elle.
« Ah, Velvet ! Ne me dites pas qu’une guerrière telle que vous s’est faite blesser pendant cette bataille, tout de même ? Voilà qui serait fort fâcheux !
- Ne dites pas de telles sottises, Docteur Vongus », soupira l’intéressée.
Le Docteur Vongus était le médecin en chef de la Fleur de Vie. Sous ses airs de pokémon louche prêt à vous jouer un mauvais tour se cachait un soigneur hors du commun réputé par-delà le Royaume.
Il avait la capacité de générer des spores empoisonnées qui, une fois traitées correctement, pouvaient servir de puissants remèdes. En outre, c’était un expert dans son domaine, capable de sauver des griffes de la mort des pokémon jugés condamnés par ses compères.
« Trêve de plaisanteries, reprit Velvet en inclinant la tête vers Fynn. Je viens m’entretenir avec ce Pyroli. Comment va-t-il ?
- D’un côté il se porte à merveille, de l’autre ça va très mal. Oh, il s’en sortira ! Ajouta le Parasect en voyant son interlocutrice hausser un sourcil. Mais j’ai quelques inquiétudes concernant ses capacités à encaisser le puissant choc émotionnel qu’il vient de subir.
- Qu’entendez-vous par là ? »
Vongus éclata de rire.
« Typique d’une Gardienne, ça ! ‘Pouvez pas comprendre, insensibles que vous êtes !
- Je ne suis pas… » Voulut rétorquer Velvet, mais le pokémon insecte la coupa aussitôt :
« J’exagère, bien sûr ! Cessez de rougir comme ça, je vais croire que vous avez de la fièvre ! Plus sérieusement, du peu qu’il a pu m’en dire, cet explorateur semble très affecté par la mort de ses anciens équipiers, et amis. Et là, il vient tout juste de trahir sa nouvelle équipe et de tuer son meneur ! Par accident, bien sûr, il ne voulait pas mal faire. Mais tout de même, ça fait beaucoup pour un esprit déjà fragilisé. Ça pèse très fortement sur sa conscience, et ça draine ses forces.
- J’imagine, maugréa la Sucreine. Et pouvez-vous faire quelque chose pour lui ? »
Son interlocuteur fronça les sourcils, avant de répliquer :
« Vous me demandez, à moi, si je peux résoudre son problème ? »
Puis il partit de nouveau d’un grand rire qui résonna dans la pièce. Ses collègues ne semblèrent pas s’en formaliser, étant probablement habitués au caractère de leur supérieur.
« Evidemment que je vais l’aider ! Pour qui me prenez-vous ? Pour compter les pokémon que j’ai croisés dans son cas, il faudrait décupler mes pattes ! Je ne manque pas de plantes médicinales ni de mots pour lui remonter le moral. Seulement, il lui faut un peu de temps, et surtout beaucoup de soutien. Un individu qui a tout perdu ne peut être en bonne santé. Mais tout perdre ne signifie pas qu’on n’aura jamais plus rien ! »
Vongus pointa sa patte vers le Pyroli, puis poursuivit :
« Il devrait s’en remettre, mais je doute fort qu’il y parvienne seul. Gardez ça en tête lorsqu’il sera apte à coopérer avec vous ! Pour l’heure, il doit se reposer. Revenez demain, et pas de discussion ! » Trancha-t-il, avant que Velvet ne puisse protester.
Résignée, cette dernière remercia le Parasect, fit volte-face, puis se dirigea vers la sortie.
« Du soutien ? Songea-t-elle. Je pense savoir qui pourra lui en apporter… »