Chapitre 26 - Colère Foudroyante
Les dernières teintes orangées du crépuscule avaient complètement disparu, remplacées par la masse grise opaque des nuages d’orage déversant leur pluie sur Dirindel au son d’un grondement menaçant.
Wozza n’était pas mécontent de l’effet produit, même s’il aurait souhaité ne pas en arriver là. Le chaos généré par cette tempête - bien que particulièrement enivrant - risquait néanmoins d’engendrer des pertes supplémentaires pour un camp comme pour l’autre ; or l’ermite n’était pas ici dans le but de répandre le malheur, bien au contraire.
Cependant, cette vile Malamandre répondant au nom de Rizza ne lui avait pas laissé le choix. En ordonnant la destruction partielle du village auprès de ce Camérupt, la Commandante d’Andor avait clairement manifesté son désir de nuire bien au-delà de ce qu’il avait imaginé ; et il avait réalisé qu’il lui fallait entraver la progression d’Andor au plus vite s’il souhaitait sauver Dirindel en limitant dans la mesure du possible des dommages supplémentaires.
Bien sûr, Wozza était dès le début de l’affrontement confiant quant aux chances de succès du Peuple Fleuri dans cette bataille. Ce dernier avait impressionné le pokémon spectre de par un courage et une détermination qu’il n’aurait pourtant pas cru possibles : bien qu’en infériorité numérique, les guerriers Fleuris ne s’étaient nullement laissés intimider et faisaient face sans montrer d’hésitation.
À contrario, l’Esprit de la Forêt percevait dans les rangs ennemis du doute, de l’incertitude, et même chez certains pokémon une part de culpabilité, sans doute en partie refoulée. Ces émotions n’étaient pas compatibles avec une bataille de cette envergure, puisqu’engendrant des prises de décision trop souvent lentes et malhabiles. Ainsi, si certains guerriers d’Andor se jetaient dans la mêlée sans attendre, d’autres restaient étrangement en retrait, ou se repliaient à la moindre égratignure ou adversaire un tant soit peu imposant.
À cela il fallait ajouter la présence de Velvet qui, à elle seule, avait dû se défaire d’un bon tiers des plus féroces guerriers d’Andor de manière presque aisée. La Gardienne ne l’avait pas déçu et faisait preuve d’un talent à la hauteur de sa réputation et de celle de ses semblables ; Wozza comprenait à présent pourquoi le Peuple Fleuri pouvait dormir sur ses deux oreilles avec de tels pokémon à ses côtés.
Et bien sûr, il y avait Grimsy. L’implacable Commandante de Sylis, toujours sur le qui-vive, alimentait le moral de ses troupes en donnant sans relâche de nouvelles directives, toutes plus éclairées les unes que les autres, afin de contrôler le champ de bataille en repoussant progressivement leurs opposants. Les guerriers Fleuris semblaient accorder une confiance totale à leur meneuse ce qui, là encore, contrastait avec le peuple d’Andor - lequel avait l’air d’obéir à leur supérieur par crainte pour les uns, opportunisme pour d’autres, et fanatisme pour les plus fidèles.
Pourtant, le Royaume de l’Ombre était historiquement réputé pour son efficacité hors pair lorsqu’il s’agissait de livrer bataille. Que s’était-il passé pour que celle-ci se transforme, pour les féroces guerriers des cavernes, en un véritable fiasco ? C’était un énième mystère qu’il faudrait éclaircir en temps voulu, mais il était pour l’heure préférable de rester concentré sur les péripéties en cours.
Et de la concentration, Wozza en avait eu besoin : à l’instant où il avait compris la manœuvre démentielle de la Malamandre, il avait sans hésiter fait appel à des pouvoirs autrement plus impactants.
Cessant d’intervenir de manière localisée près de la zone à laquelle Arya et lui avaient été assignés, il avait entonné le chant d’incantation de la pluie, le rituel s’accompagnant de mouvements précis qu’il devait effectuer à la lettre.
Il aurait voulu prévenir sa compagne mais cette dernière, fidèle à elle-même, s’était déjà jetée au-devant du danger et il était nettement plus prolifique pour Wozza d’initier la Danse Pluie le plus tôt possible puis la maintenir, que de voler à la rescousse de la Princesse exploratrice ; sachant que chaque seconde pouvait être décisive dans ce genre de situation.
De toute façon, le pokémon spectre faisait confiance à la Feunard : cette dernière serait plus à son aise et moins en danger dans les ruelles du village en tant que sauveteuse, qu’au milieu du champ de bataille où elle était bien plus exposée, même sous sa surveillance.
Lors du puissant rituel, tout devenait flou autour de d’ermite : celui-ci ne percevait que des mouvements et des formes, tout au plus restait-il prêt à agir en cas de danger trop imminent. Mais ce ne fut pas nécessaire : l’averse torrentielle qui découla de son incantation eut tôt fait de permettre au Peuple Fleuri d’accroitre son avantage en mettant en déroute ses opposants.
Lorsque Wozza relâcha enfin sa concentration, il put constater le succès de sa manœuvre en observant les derniers guerriers encore debout du Royaume de l’Ombre se rassembler derrière leur Commandante devant la sortie du village. Le déluge faisait toujours rage : libre à la pluie, une fois invoquée, de se poursuivre comme bon lui chante.
Alors qu’il s’apprêtait à partir à la recherche d’Arya, qui n’était nulle part en vue, une scène attira son attention : Grimsy, qui s’était avancée vers ce qu’il restait des forces d’Andor, lança d’une voix forte :
« Cette bataille est terminée ! Emmenez vos blessez, enterrez dignement vos défunts, et ne remettez plus jamais vos sales pattes ici ! »
Elle fut acclamée par les pokémon du Royaume Fleuri à ses côtés. Ces derniers, à présent deux fois plus nombreux que leurs opposants, se positionnèrent autour d’eux en arc de cercle.
Les combattants des cavernes reculèrent d’un pas, incertains. Le doute et la peur se lisaient à présent sur leur visage, à l’exception de celui de Rizza, dont la haine semblait déformer les traits lorsque celle-ci s’écria :
« Jamais je n’abandonnerai, tu m’entends ? Gloire au Seigneur Van ! Meurs, vermine ! »
Et tout en prononçant ces mots, elle se rua sur la Feuiloutan, toutes griffes dehors.
La Commandante Fleurie sursauta, surprise ; puis se ressaisit immédiatement et para une première attaque avec assurance. Elle esquiva la seconde d’un bond en arrière tandis que les pokémon des deux camps se jetèrent les uns sur les autres, malgré l’épuisement qui semblait les gagner tous et toutes.
« Ça ne peut plus durer, songea Wozza. Il est temps d’arrêter cet effluve de violence. »
Son corps se mit à frissonner et ses yeux s’illuminèrent : le pokémon spectre rassembla une énergie à laquelle il n’avait pas eu recours depuis maintenant fort longtemps. Le tonnerre, au-dessus de la mêlée, s’intensifia dans un grondement presque assourdissant.
La plupart des combattants levèrent les yeux au ciel, apeurés, puis s’entre-regardèrent ; à l’exception des deux Commandantes qui, indifférentes, continuaient à se rendre coup pour coup.
La Malamandre cherchait à atteindre son adversaire de ses griffes et ses crocs empoisonnés, mais Grimsy esquivait habilement ses attaques, attendant le bon moment pour frapper. Soudain, entrevoyant une ouverture, elle bondit en avant, le poing illuminé, et atteignit de plein fouet la pokémon feu qui fut projetée au sol. Mais Rizza se redressa immédiatement et lui cracha un jet de poison, que la pokémon plante esquiva d’un saut prodigieux avant de plonger sur son opposante et la lacérer d’un puissant coup de griffe.
La Malamandre siffla, du sang perlant de la blessure causée par la Commandante Fleurie, et posa une patte à terre.
« Partez, c’est ma dernière sommation », déclara froidement Grimsy.
Le silence régnait à présent dans la clairière, seulement troublé par le tonnerre et son murmure inquiétant.
D’interminables secondes s’écoulèrent, pendant lesquels aucun pokémon n’osa le moindre geste. La tension, plus palpable que jamais, semblait étouffer l’assistance de son étreinte.
Finalement, la Malamandre baissa les yeux et esquissa un mouvement, comme pour se détourner…
…Puis se jeta griffes en avant sur la Commandante Fleurie, avec une vivacité que ses blessures semblaient rendre impensable, et l’atteignit à la gorge.
Le sang gicla sous l’impact et un hoquet de stupeur s’échappa de l’ensemble de l’assistance, mêlé à des cris d’effroi.
Rizza recula, sa gueule formant un large rictus ; tandis que Grimsy, sous le choc, tituba avant de s’effondrer dans une flaque boueuse.
C’est alors que tous les regards convergèrent vers le ciel, qui venait de s’illuminer ; comme si le monde lui-même semblait sur le point d’imploser.
L’instant d’après, un éclair jaillit de la masse nuageuse et frappa de plein fouet la Malamandre, dont le corps se pétrifia, comme suspendu dans le temps. Puis elle tomba au sol, raide morte, le regard figé dans une expression de terreur et de surprise.
Wozza vit plusieurs têtes se tourner dans sa direction alors qu’il se laissait choir dans l’herbe, à bout de souffle.
Sous une pluie toujours battante, sans un mot, les rescapés d’Andor tournèrent les talons et s’enfuirent pendant que les guerriers Fleuris, sous le choc, se rassemblaient autour de leur meneuse agonisante.
« Ecartez-vous ! » s’exclama soudain une voix épuisée mais assurée.
Les pokémon amassés obéirent afin de laisser place à Velvet, qui s’agenouilla auprès de Grimsy. Le sang s’écoulait à flot de la plaie de cette dernière, et se mêlait à la boue et aux épaisses gouttes d’eau venant s’écraser sur son visage.
Les yeux vitreux et le corps tremblant, la Commandante parvint tout de même à redresser légèrement la tête vers la Gardienne.
« Velvet… C’était… Une bonne bataille…
- Tu as été une Commandante formidable. »
La Sucreine parlait d’un ton grave que Wozza ne lui connaissait pas. Elle s’efforçait de ne pas le laisser paraître, mais la tristesse voilait son regard.
- Vous l’avez… Tous et toutes été… Je suis si fière de mon peuple… »
La voix de Grimsy s’étrangla. Elle saisit Velvet par le bras et reprit dans un souffle :
« Promets-moi… De continuer à le protéger…
- J’y veillerai. Tu as ma parole, comme toujours.
- Bien… »
La Feuiloutan hocha la tête, un faible sourire éclairant son visage.
« Je peux… Partir… En paix… »
Puis elle ferma les yeux, et ses membres se relâchèrent dans un dernier soupir.