6 | Panique ! au café.
Une feuille de papier vierge d’un côté de la table, ronde, de verre, et son portable scolaire d’un côté, Bleu prit une nouvelle gorgée de thé en profitant de la sérénité de la salle d’étude.
La moquette, aussi bleu qu’un ciel paisible, se tenait prête à amortir tous bruits de pas – qu’il n’y avait pas, étant donné que tous demeuraient tranquillement assis à une des tables, penchés sur leurs devoirs, seuls ou à plusieurs.
La baie vitrée en face de lui donnait sur une petite baie, sur le large de laquelle se prélassaient des ramolosses, bercés par le doux son de la cascade qui massait le lac.
Bleu poussa un soupir apaisé. Il n’y avait pas meilleur lieu dans cette académie.
Boom.
Kiawe poussa la porte, déjà ouverte, du petit havre de paix, un sourire déchaîné aux lèvres.
Moult regards se mobilisèrent pour le tenir en joue. Inarrêtable, le jeune homme fusa à enjambée déterminée vers la table de Bleu et abattit sur celle-ci ses mains.
« Je suis prêt, Bleu ! »
Même un des ramolosses se ramassa pour s’éloigner de la vitre, effrayé par une telle intensité.
Opposant un regard polaire aux yeux ardents de son camarade, Bleu ne cilla pas.
« On a fait de la théorie hier ! Et avant-hier ! Faut bien que je fasse de la pratique, tu sais, pour garder la main, argumenta Kiawe, moulinant de la celle-ci.
Impitoyable, Bleu se contenta de glisser la feuille vierge vers lui.
-Je te l’ai déjà dit. Nous passerons à la pratique seulement quand tu maîtriseras les profils de ta composition.
-Mais…
-J’entends, au-delà de Marc.
Les joues gonflées, Kiawe se saisit de la feuille, se vissant sur la chaise la plus proche.
-C’est quand tu veux, grinça-t-il.
-Comme hier, je veux le talent, au moins de signatures, un point fort et un point faible de chacun des membres de ta composition. Tu as quinze minutes.
Sur ces mots, Bleu sortit une autre feuille blanche et s’attela à ses propres tâches, tandis que Kiawe grimaçait face au vide que la feuille reflétait de son esprit.
Quinze minutes plus tard, Bleu dévalait du regard la feuille que venait de remplir son disciple. Il poussa un soupir, avant de la poser.
« Par où commencer ? demanda-t-il à un Kiawe désemparé.
Mortifié par sa propre mémoire, le jeune homme haussa les épaules.
-De haut en bas, alors, conclut Bleu. « La danse » n’est pas un point fort et « Glissade » n’est pas une capacité, mais un talent. Quand tu écris « épées des coquillages », je suis sensé comprendre « coquilames » ?
-Ah ! Je l’avais sur le bout de la langue, déclara Kiawe en sursautant.
Bleu leva un sourcil perplexe, avant d’y retourner.
-Non, le talent de ton farfaduvet n’est pas « chlorophylle », c’est celui d’Herbert.
-J’ai confondu, avoua Kiawe en haussant les épaules.
-Je ne pense pas que « Tranche » soit une capacité signature de ton mélokrik. Ce serait un choix d’élevage terrible. Et tu n’as rien mis pour le batracné…
-Beh, il est pas très coopératif donc j’ai pas tellement eu l’occasion de voir ce qu’il sait faire…
Bleu voyait bien les gouttes de sueur perlant sur le front de son camarade, malgré l’agréable température de la salle. Il décida d’interrompre son calvaire.
Efficace, il froissa la feuille et effectua un magnifique tir à destination de la poubelle la plus proche.
Kiawe se tapait presque la tête contre la table, mais s’interrompit lorsqu’il vit son reflet, réalisant la matière de celle-ci.
-Désolé. Je suis vraiment pas un cadeau. C’est certainement pas à ça que tu pensais quand tu m’as proposé de m’entraîner avec toi.
Bleu hocha les épaules, déjà de retour à son propre chantier.
-À vrai dire, je me doutais un peu que cette étape serait nécessaire. J’ai l’habitude de tout ça parce que j’ai grandi dans un laboratoire. Mais il doit y avoir un tas de gens comme toi dans notre filière.
Un faible sourire se dessina sur les lèvres de Kiawe.
-Sinon, reprit l’élève modèle, j’ai reçu l’identité de mon prochain adversaire et de sa composition aujourd’hui. Ça doit aussi être le cas pour toi. Je peux te montrer comment l’analyser, si tu veux.
-Vraiment ? Ce serait top, attends que je sorte mon portable.
Kiawe se mit à fouiller ses poches.
Rien.
Il fronça les sourcils, puis se saisit de son sac à dos, dont il se mit à frotter les parois avec la fureur et l’énergie d’un troupeau de tauros.
Rien.
Le contenu du sac se déversa sur la table.
Cahiers, manuels, autres livres qu’il ne lirait sans doute jamais. Pas de portable scolaire.
« Tout va bien ? s’enquit Bleu.
-Absolument ! lui assura Kiawe, tout aussi convaincant que calme. J’ai l’habitude d’égaré mon portable scolaire, haha.
Bleu leva un sourcil dubitatif, avant de retourner à son schéma.
-Si tu as besoin d’un coup de main, tu peux me demander.
-Ça ira ! répondit Kiawe, presque trop vite. Je ne veux pas te déranger plus que ça, haha. J’arrive !
Sur ces mots, il versa ses affaires dans son sac et prit la sortie de la salle d’étude. Bleu laissa quelques secondes son regards sur la porte laissée battante, puis retourna à son schéma.
« Si seulement tous les lundis, les mardis, les jeudis et… aussi les vendredis pouvaient tous être des mercredis….
Assise devant son ordinateur portable, Néphie adressa un œil mi-amusé, mi-exaspéré à sa co-chambrière, enfouie sous une montagne de peluches de bébés pokémons.
-Après, poursuivit cette-dernière, ptet que le vendredi peut rester le vendredi vu qu’il vient avant le week-end…
-Et le jeudi alors ? nota Néphie, un sourire en coin. Tu fais quoi des cours pratiques ?
-Mmh, tu marques un point, » admis Barbara en dévisageant le pichu rembourré.
Sur ces mots, la porte de leur chambre s’envola presque, révélant Kiawe dans son encadrure, les yeux larges ouverts pour mieux scanner, et des mains prêtes à tout retourner.
Une trousse pleine lui vola à la figure, l’envoyant au tapis et coupant court son élan.
Des revolvers pour yeux, Néphie l’aida à se relever. Par le col.
« La politesse, tu connais ? » le questionna-t-elle.
Quelques secondes plus tard, assis sur la chaise du bureau, une bouteille d’eau fraîche contre son front meurtri, Kiawe faisait face aux deux co-chambrières, côte-à-côte sur le lit du bas.
« Alors ? s’inquiétait Barbara.
Malgré ses bras croisés, les sourcils froncés de Néphie n’impliquaient pas que de la sévérité.
-C’est que, j’ai égaré mon portable scolaire… expliqua Kiawe, déjà plus calme.
-Encore ? s’étonna Néphie. Où cette fois ? La cafet’ ? Les toilettes ? Une arène ?
Kiawe rougit davantage à chaque lieu évoqué, incapable de regarder les deux filles dans les yeux.
-J’ai déjà cherché là-bas. Chris m’a dit que je l’ai pas oublié dans notre chambre non plus. Et comme y a pas beaucoup d’autres coins où j’ai été récemment-
-Tu parles de quand t’es venu pleurer à Néphie que l’entraînement avec Bleu est un enfer ? demanda Barbara.
-J’ai pas dit que c’était un enfer !
-Tu as dit que c’était un « enfer de mots et de schémas », lui rappela Néphie.
-Bref, c’est pas le sujet ! coupa Kiawe. Je suis venu voir s’il est ici….
Les deux filles échangèrent un regard dubitatif, avant de balayer leur propre chambre du regard.
-Emm… On est pas tombées dessus ce matin, l’informa Barbara. Donc je doute qu’il soit ici.
Kiawe s’affaissa.
-Mais, intervint Néphie, allons voir la vie scolaire ! Je crois qu’ils ont une mesure pour ce genre de cas !
La flammèche dans ses yeux ressuscitée, Kiawe se dressa.
-Vraiment ?
Néphie hocha la tête, se levant à son tour.
-Je vais t’accompagner.
-Moi aussi ! s’ajouta Barbara. Vous allez pas me laisser seule, quand même.
Néphie roula des yeux malgré son sourire.
La petite troupe chemina à travers le bâtiment principal, jusqu’au bureau de la vie scolaire. Clopinant jusqu’à la porte de celui-ci, Barbara tapa trois joyeux coups sur la porte avant de l’ouvrir.
Son optimisme se heurta à Dan. Il baissa son visage livide et creusé vers elle, la dépassant d’une bonne tête malgré sa silhouette affaissée, et lui imposa son regard dénué de vie.
Avant de le réaliser, Barbara avait reculé d’un pas, peinant à s’autoriser même un souffle lorsque le regard du vice-surveillant en chef se posait sur elle.
« Un problème, les enfants ?
Comme le soleil apparaît derrière un nuage, Erika apparut par-dessus l’épaule de Dan, son éternel sourire aux lèvres.
-Bonjour, nous sommes là pour Kiawe, » déclara Néphie, pointant le concerné du doigt.
Se désintéressant de Barbara, Dan dirigea son regard vers Kiawe, avant de se tourner vers sa supérieure.
« Je te laisse gérer ça. Je prends ma pause.
-D’accord, Dan. Bon appétit, lui souhaita Erika.
Sur ces mots, sans plus un regard vers eux, Dan chemina à travers les trois élèves et s’éloigna.
« Donc, de quoi s’agit-il ? demanda la surveillante en chef, une fois les trois élèves devant son bureau.
Plusieurs pots de fleurs décoraient ce-dernier, tandis qu’un petit arrosoir attendait dans un coin de la pièce.
Sur les étagères derrière elle brillaient des trophées de concours de tir à l’arc. Sur la cible accrochée au dos de la porte, les fléchettes se superposaient presque au centre.
Les trois élèves avaient pris place en face d’elle.
-Alors, commença Kiawe, c’est que j’ai, comme qui dirait, euh, égaré… ?-
-En gros, il a perdu son portable scolaire, écourta Néphie. Vous pouvez nous aider ?
Un doigt sur son menton, Erika se tourna vers le moniteur sur son bureau, et se mit à pianoter sur le clavier.
-Alors, tant que tu as ton code élève et le mot de passe de ton portable, c’est possible de le localiser.
Kiawe s’enfonça dans sa chaise, serrant un poing triomphant, tandis que Barbara lui agrippait le bras, un grand sourire aux lèvres.
Le jeune homme passa derrière le bureau et se mit à rentrer les informations nécessaires. Ceci fait, une carte du campus se dessina sur l’écran, sondée par des ondes.
Une seconde passa.
Puis trois.
Puis cinq.
Puis dix.
« Aucun résultat »
Erika fronça les sourcils, aussi déboussolée que les élèves.
« Réessaie, tu veux bien ? » proposa-t-elle à Kiawe.
Hochant la tête, ce-dernier répéta le processus.
Une seconde passa.
Puis trois.
Puis cinq.
Puis dix.
« Aucun résultat »
La confusion se muait en inquiétude, tandis que des regards d’autant plus anxieux convergeaient vers la surveillante.
« Qu’est-ce que ça veut dire, madame ? demanda Kiawe.
-La portée de l’outil de recherche se limite au campus. En toute logique, cela signifierait que ton portable est en dehors de celui-ci.
Les regards se redirigèrent vers Kiawe.
-T’es sorti, récemment ? questionna Barbara.
Le concerné s’autorisa un instant de réflexion puis ses yeux s’illuminèrent.
-Il peut totalement être là-bas ! Merci madame, je vais l’y chercher de ce pas !
Sous les regards déboussolés des autres occupants de la salle, Kiawe quitta son siège et le bureau.
-Merci madame, répéta Barbara, en se levant à son tour.
-Désolé du dérangement, renchérit Néphie en suivant le mouvement.
-Il n’y a aucun souci, bonne chance à vous, » les rassura la surveillante.
À la sortie du bâtiment principal, les deux jeunes filles rattrapaient enfin Kiawe.
« Enfin, tu vas où ? l’interrogea Néphie, à bout de souffle.
-Il y a ce café où j’ai fait un tour hier soir, après les cours. Je pense que mon port-
-Tout va bien, Kiawe ?
La petite clique se tourna vers Bleu. Son sac sur son épaule et son carnet sous le bras, il salua Néphie et Barbara de la main.
-Oui, t’inquiètes pas. Je crois que je sais où mon portable est !
-Fantastique.
Bleu leva la tête vers le ciel, teinté d’orange.
-Je vous accompagne ?
-Oh, je veux pas te déranger, tu dois avoir mieux à faire, supposa Kiawe, ses mains devant lui.
-J’ai assez avancé. Je veux me changer les idées de me changer les idées, déclara Bleu en haussant les épaules.
-On peut y aller maintenant ? proposa Néphie. Ce serait bien d’être rentrés avant le couvre-feu.
-Elle a raison, pointa Bleu.
Kiawe passa son regard sur chacun d’eux, puis tapa dans ses mains, sourire aux lèvres.
-En route, alors. »
« Un Chocolat Skitty pour monsieur, et un Café Granbull pour madame ! annonça le serveur en déposant les boissons devant le jeune couple. Profitez ! »
Le logo du « Zumba Café » de Jadielle au centre de son tablier, le serveur s’éclipsa, quelques pas de danses mêlées à sa démarche, insufflés par l’air de jazz qui régalait la salle.
« Et nous voilà, déclara Kiawe en poussant les portes du café.
-Rien à voir avec Staribucks, constata Néphie.
Les yeux levés, elle observait le spectacle des plumelines dansant sur le balcon leur étant réservé. Leurs robes, loin des couleurs criardes d’Alola, se contentaient de brun, beige et blanc, s’accordant aux nuances du lieux et des boissons servies.
-Je me demande de quels nectars viennent ces couleurs, s’émerveillait Barbara.
-J’ai entendu Grand-père et son cousin en parler une fois, intervint Bleu. Apparemment, il est possible de créer des variations des nectars de manière artificielle.
Ça pourrait en faire partie. Même si ça pourrait tout aussi de simples variations régionales.
-Vraiment ? c’est possible de faire un arc-en-ciel de plumeline, alors ! »
Kiawe, de son côté, traça vers le comptoir.
« Tiens, si c’est pas le p’tit Kiawe, ça jazz ? le salua Toni dit « Tektonich », maître des lieux.
Déposant le verre qu’il essuyait, il se lissa sa moustache, blanche et légère comme un nuage de lait, en se penchant vers l’habitué.
-Ça dépend ! Dis, en nettoyant, hier soir, vous êtes pas tombé sur un portable oublié ?
-Laisse-moi voir, répondit le patron en se tournant vers la cuisine. Marceline ! Z’avez trouvé un portable hier soir ?!
La concernée, une jeune femme aux cheveux couleur crème, pointa le bout de son nez.
-De quelle couleur ? s’enquit-elle.
-De quelle couleur ? relaya Toni.
-Vert et brun.
-Vert et brun comme celui-ci ? »
Tous les regards convergèrent vers la table juste derrière Kiawe. Installée seule, son café dans une main, elle tenait dans l’autre un portable affublé du logo du LEPJ. Le sticker de crâne d’ossatueur trahissait son appartenance.
-Exactement ! s’exclama Kiawe en bondissant vers le portable…
…qui fut aussitôt écarté de sa portée par la femme. Elle baissa ses lunettes de soleil, révélant des yeux aussi fins et pointus que son nez, pliés en un rictus supérieur.
« Pas si vite. »
Kiawe lui adressa un regard déboussolé, tandis que ses camarades rappliquaient.
« Tu l’as trouvé, Kiawe ? demanda Barbara.
-Je l’ai trouvé, corrigea la femme.
-Boo, s’il te plaît, ce n’est pas le moment de faire des caprices, intervint Toni, depuis son comptoir.
-Tu oublies à qui tu parles, boss ?
-Attendez, les interrompit Kiawe, les yeux écarquillés. Vous êtes « Boo » comme dans « Boo McGee » ?
Barbara et Néphie tiraient des regards confus dans toutes les directions.
-Tu la connais ? demanda cette-dernière.
-Bien sûr qu’il me connaît, bibiche. J’ai été championne nationale de "Dance Juste" ! renchérit la concernée en se levant, poitrine bombée.
-Elle parle du jeu vidéo là ? murmura Néphie à l’oreille de Barbara.
-Je crois bien, hein, acquiesça-t-elle, pas moins perdue pour autant.
-C’est bien beau, intervint Bleu, mais pourriez-vous lui rendre son portable, s’il vous plaît ?
Boo se rassit, s’accouda à la table, se mirant dans l’écran éteint de l’objet, l’air hésitante.
-Ce serait possible… admit-elle, un sourire se formant au coin de ses lèvres.
Toni fronça les sourcils.
-Voyons, Boo, pas encore.
-Oh que si, boss. Encore. »
Son rictus dégénérant en un sourire carnassier, Boo se dirigea vers les étudiants, pour se planter devant Kiawe.
« On peut le parier, si tu veux. »
Un halètement dramatique s’éleva du reste de la clientèle, qui assistait désormais religieusement à la scène.
« Vous avez du pop corn ? demanda un client.
-Je vous apporte ça tout de suite. » promis Marceline.
« Le parier ? répéta Kiawe.
-Oui, dans un duel de Danse Juste, précisa Boo en indiquant la station qui attendait dans un coin de la pièce : une borne d’arcade face à deux tapis distincts. Mais tu dois parier quelques chose de pareille valeur, pour que ce soit équitable, tu comprends ?
Tout en disant cela, elle s’était penchée d’autant plus par-dessus lui, son rictus se faisant de plus en plus menaçant. Sous pression, Kiawe se tourna vers les autres, Barbara secoua la tête avec vigueur et Toni arborait un air réprobateur. Bleu demeurait interdit.
-Mais, commença Kiawe en se grattant la nuque, évitant le regard de Boo. Je n’ai rien de « pareille valeur ».
-Mais moi si. »
Sous le regard sidéré de Kiawe, Néphie tendait son propre portable à la championne, qui s’était détournée de Kiawe. D’abord prise de court, elle retourna très vite à son rictus.
« Deal !
-Non ! Non ! Aucun deal ! intervint Kiawe en saisissant sa camarade par les épaules pour la prendre à part.
-Tu es folle ou quoi ? Tu penses vraiment que je peux la battre.
-Et bien maintenant, tu as deux fois plus intérêt, déclara Néphie, sans ciller. Et d’un côté, moi, je n’ai pas besoin du mien pour remporter mon prochain match. J’ai le temps d’en attendre un nouveau.
Elle ponctua sa phrase d’un sourire mesquin. Kiawe soupira, avant de répondre par un sourire, lui aussi.
-Tu es vraiment folle, alors.
Il se tourna vers Boo, qui les attendait, les mains sur les hanches, dans sa combinaison, la veste qui la surmontait déposée sur la table.
-Deal. » formulèrent Kiawe et Néphie en chœur.
« J’ai de sérieux doutes, avoua Bleu en prenant place sur les quelques chaises installées devant la station de jeu.
Les deux compétiteurs s’échauffaient, tandis que Toni, assisté par Marceline, mettaient la station en marche.
S’asseyant à côté de Bleu, Barbara haussa les épaules.
-Je pense que Kiawe a une chance. Après tout, il a certainement plus d’ancêtre danseurs que j’ai de doigts, et son père l’a entraîné depuis petit, ‘fin, jusqu’à ce qu’ils se disputent.
-Qu’ils se disputent ?
-Et puis, intervint Néphie, à son tour, dès que le jeu est arrivé à Alola, il est resté enfermé chez lui genre… deux jours d’affilés pour terminer tous les niveaux.
-Aussi, approuva Barbara. Je crois qu’il avait de la moustache quand on l’a revu. »
Toni tapa sur la borne pour enfin l’allumer, suivie par les tapis de dalles.
« C’est prêt, bonne chance à vous deux. »
Il posa ensuite sa main sur l’épaule de Kiawe.
« Fiston, tu es mal embarqué.
-Vous inquiétez pas, affronter des favoris, ça devient une habitude »
Kiawe ponctua sa phrase d’une œillade vers Bleu, avant de s’avancer sur son tapis de danse, Boo l’attendant déjà sur le sien.
Le compte à rebours commença sur l’écran divisé en deux.
« Et donc, ça consiste en quoi ? demanda Bleu.
Répondant à sa question, l’affrontement commença, laissant dévaler les indications sur un air de pop. Un triangle bleu apparu à l’écran. Kiawe et Boo allèrent aussitôt chercher, du pied, le même signe sur leur tapis.
Facile ? Une avalanche d’icones de formes et couleurs diverses s’abattirent sur les deux concurrents. Surfant dessus, Boo enchaînait les coups critiques, en réalisant les pas dans le timing parfait. Se multiplièrent pour la récompenser les points supplémentaires, mais surtout, un bip très encourageant et satisfaisant.
Bips desquels Kiawe se voyaient déjà en pénurie, menacé de se retrouver enseveli.
« Alors, gamin, on peine ? » le taquinait Boo.
Trop occupé à garder le rythme, le jeune homme demeura silencieux.
« Ça, c’est la première phase, expliqua Barbara, grave. Les joueurs doivent suivre la choré’ qui s’affiche à l’écran.
-Si tu regardes bien, tu peux voir que ce sont un ensemble de séquences bien précises qui se répètent, renchérit Néphie.
-Ah bon, fit Bleu, absorbé. »
« 1, 2, 3. 1, 4, 2… »
Alarmé par les chiffres marmonnés, Boo glissa un regard rapide vers Kiawe, et écarquilla les yeux. La vitesse du jeune homme grimpait, et quelques bips parsemaient déjà sa performance.
« Ça y est ! s’exclama-t-il à mi-voix. Cette choré’ me revient. »
Le sourire de Boo mua en une expression monolithique, n’ayant plus d’yeux que pour les icones apparaissant sur l’écran. Les dalles sur son tapis criaient dorénavant grâce, sous les coups secs, presque simultanés.
Le tapis adverse n’en menait pas large, surchauffant sous l’activité pédestre qui menaçait de provoquer sa fonte.
« Ces réflexes, cette coordination… » murmura Bleu.
« C’est pour bientôt, nota Néphie.
Bleu se tourna vers elle, curieux.
-La seconde phase, la plus importante.
Barbara hocha la tête.
-Les points marqués sont doublés…
D’un moment à l’autre, les formes se volatilisèrent, ne laissant qu’un écran vierge si ce n’était pour le temps restant et les scores. Guidés par la musique, les concurrents poursuivirent l’affrontement.
-…mais les joueurs doivent performer les pas de mémoire, compléta Néphie.
-De mémoire, hein, répéta Bleu, fixant son poulain.
Et soit Kiawe copiait à une vitesse absurde chaque mouvement effectué par son adversaire, soit sa mémoire tournait à régime illimité. Les bips se multipliaient des deux côtés, gardant en vie le suspense comme ils gardaient le public improvisé en haleine.
Un roulement de tambour acheva la musique, et par conséquent, le duel. Comme des morts de faim, tous se jetèrent sur les scores finaux, les deux participants les premiers.
«
Boo McGee : 10519
Kiawe Kakiwela : 9571
»
« Aah ! grogna Kiawe en s’effondrant.
Néphie poussa un soupire, sous le regard attristé de Barbara.
-Oh, non, marmonna-t-elle. »
« Tu t’es bien battu, gamin, déclara Boo, un grand sourire aux lèvres. Félicitations. »
« Regardez, intervint Bleu en pointant l’écran. »
Sous leurs yeux ébahis, le score de Kiawe monta jusqu’à 10528 points, raflant la mise, tandis que Boo tendait au jeune homme ce qui lui appartenait.
« Mais ?!
Boo leva un sourcil surpris.
-Attends, tu n’as pas écouté lorsque j’ai dis que je te donnais un avantage de dix pourcent de tes points ?
Kiawe la fixa avec des yeux ronds, avant de secouer la tête. Elle éclata en rire.
-Comme si je m’attendais à ce que tu puisses me battre à la régulière !
-Donc c’est vrai, j’ai vraiment gagné ?
-On dirait bien, » lui assura Bleu en s’approchant pour l’aider à se relever.
Boo se dirigea vers Toni.
« Je sens que mon dos va mieux de jour en jour, peut-être que je pourrais bientôt retourner à mon meilleur niveau, voire la scène pro, haha.
Le gérant du café poussa un soupire.
-Si jamais c’est le cas, n’oublie pas de nous lâcher une dédicace.
-Comptez sur moi, promit-elle avec un clin d’œil. »
Tandis que la clientèle retournait à ses activités, beaucoup discutant encore du récent spectacle gratuitement offert, Néphie « célébraient » le vainqueur, que Bleu aidait à tenir debout.
« Que ça te serve de leçon. Tu aurais payé les tarifs pour nos deux nouveaux portables si t’avaient perdu.
-ça… ne se reproduira… pas, promit le concerné, à bout de souffle.
-Y a intérêt. On y va, Barbara.
-Mais on les attends pas ? protesta cette dernière, quand même sur les talons de sa camarade.
-J’aimerais arriver au campus avant la fermeture du portail, » se défendit Néphie.
Kiawe laissa échapper un petit rire.
« Elle a raison, on devrait se mettre en route, acquiesça-t-il.
Bleu hocha la tête.
-D’ailleurs, Kiawe, on va enfin passer à la pratique demain.
L’intéressé pivota vers lui, les yeux écarquillés. Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Bleu.
-Je crois que j’ai la solution à ton problème. »