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Calendrier de l'Avent 2022 de Comité de lecture



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» Auteur : Comité de lecture - Voir le profil
» Créé le 04/12/2022 à 18:15
» Dernière mise à jour le 04/12/2022 à 18:15

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Jour 2 : Kraknoix et le roi des Rattata, par Cyrlight
Les flocons tombaient par milliers sur la ville illuminée. Sans bruit, ils s’agglutinaient sur les toits, les rebords de fenêtres, les trottoirs, et même les élégants chapeaux des messieurs-dames en liesse qui parcouraient les rues enneigées en quête d’un ultime cadeau à placer sous le sapin.

Le voile blanc étouffait le son de leurs souliers, mais pas le martèlement régulier des chevaux bais attelés aux derniers fiacres de la journée. L’un d’eux s’arrêta devant le haut portail en fer forgé d’un ravissant manoir, dont la façade scintillait d’ornements iridescents. Un homme barbu et bedonnant en descendit, chargé de paquets.

Engoncé dans son manteau pourpre, il remonta l’allée mouchetée, profanée par les dizaines de paires de bottes qui l’avaient devancé. Des rires et des chants résonnaient par-delà l’épaisse porte d’entrée à laquelle il se demandait comment toquer, avec ses bras encombrés.

Le heurtoir en cuivre frémit tandis que le battant pivotait comme par magie. Magie qui se manifesta sous les traits délicats d’une adolescente dont le teint de porcelaine aurait rendu la neige envieuse, et dont le sourire chaleureux aurait pu suffire à la faire fondre. Même l’éclat des décorations parut se ternir en présence d’une telle apparition.

Trop innocente pour avoir conscience de sa beauté, la jeune fille se dressa sur la pointe des pieds et déposa sur la joue marbrée du visiteur un baiser qui en chassa le froid. Elle l’attrapa ensuite par le coude pour l’entraîner à l’intérieur, où deux domestiques en livrée se hâtèrent de le délester.

— Lequel de ces paquets m’est destiné, mon oncle ? demanda l’ingénue avec curiosité.

Elle obtint pour toute réponse un sourire énigmatique, qui la dissuada d’insister. L’homme, qui était en réalité son parrain, n’aimait rien tant que le mystère, et sa filleule adorée le savait.

Elle l’introduisit dans le grand salon, où la fête battait son plein. Les coupes de nectar doré s’entrechoquaient au rythme de la musique jouée par le gramophone, et les enfants formaient une ronde géante autour du somptueux sapin à la stature imposante.

Les domestiques durent attendre qu’ils aient terminé pour installer à son pied les paquets de l’invité. Ils rejoignirent la montagne de cadeaux qui s’y entassait déjà, arc-en-ciel d’emballages colorés aux rubans extravagants soigneusement noués.

Une cloche tinta dans la salle à manger, annonçant l’heure du dîner. La table drapée de beige disparaissait sous les plats appétissants qui s’alignaient en son centre, et l’argenterie reflétait la lumière dansante des candélabres alambiqués. Les convives, salivant tant à la vue qu’à l’effluve de ces mets, s’empressèrent de s’installer.

À minuit, la dernière miette engloutie, ce charmant petit monde se retira pour aller au lit. La bonne chair et le vin les avaient rendus somnolents, et dans les chambres d’amis, les paupières se fermèrent pour communier avec la ville endormie.

Seule l’angélique ingénue, absorbée par ses rêveries, échoua à tomber assoupie. Elle aimait tant Noël qu’elle se refusait à gâcher un seul instant de cette magie qui, dès le crépuscule suivant, irait en s’estompant.

Elle repoussa son édredon et, sur la pointe de ses petons, se glissa en catimini dans le long couloir qui menait aux cuisines, pour s’y servir un verre de lait de brebis. Les domestiques, ayant fini leur office, s’étaient également retirés. Pas âme qui vive ne troublait le calme serein de la plus belle nuit de l’année.

Du moins la jeune fille le croyait-elle jusqu’à ce que, reprenant le chemin de ses quartiers, un étrange tapoti ne la fasse sursauter. Aux aguets, elle se laissa guider par son ouïe jusqu’au salon où l’air embaumait le pain d’épice. De petits bonhommes dorés attendaient dans une assiette que l’on vienne les croquer.

Gourmande, elle avança vers eux, mais se figea lorsque son œil, à la lumière de la bougie qu’elle avait allumée, accrocha sous le guéridon un paquet éventré. Des morceaux d’emballage argenté gisaient éparpillés, dévoilant un carton béant qui ne contenait qu’une triste obscurité.

Au bout d’une ficelle sectionnée pendait une étiquette, que la demoiselle retourna, inquiète. Son cœur se saisit d’effroi devant le prénom écrit d’une calligraphie parfaite, de la main de son parrain.

Clara. Le sien.

Avant qu’elle ne puisse se demander quel funeste destin avait connu son présent, l’objet de son détour se rappela à sa mémoire. Près de la grande fenêtre aux tentures noires épaisses, le tapoti avait repris.

La bougie que Clara leva haut devant elle manqua de lui échapper face à l’incongruité du spectacle qu’elle éclairait. Elle avait là, sous les yeux, deux êtres aussi étonnants qu’étrangers.

L’une des créatures ressemblait vaguement à un rat, un énorme rat hirsute au pelage tanné et aux crocs acérés, tandis que l’autre s’apparentait davantage à une tortue tangerine qui répondait avec lenteur aux assauts féroces du rongeur.

Clara, trop abasourdie pour bouger, continuait à les fixer. Qu’étaient donc ces curiosités, et pourquoi se livraient-elles un combat acharné ? Fallait-il les séparer ?

Elle songea au balai qu’elle trouverait dans la cuisine. Si elle s’en munissait, elle devrait y arriver, mais le rat la terrifiait. Ne valait-il pas mieux reculer, s’éclipser et retrouver son lit où elle serait en sécurité ?

Incapable de se décider, Clara restait figée quand, tout à coup, le reste des paquets se mit à s’agiter. Des dents luisantes tranchèrent les emballages, et un « rat » de marée, lavande cette fois, déferla sur le parquet encaustiqué.

L’émoi de la jeune fille atteignit son paroxysme. Elle lâcha sa chandelle, dont la chute moucha la flamme, et la rejoignit au sol, dans un amas de dentelles.

***
Clara cligna mollement des paupières, éblouie par la lumière qui nimbait sa chair. Un ciel d’azur parsemé de nuages effilés la dominait, mais sonnée comme elle l’était, elle ne réalisa pas incontinent ce qu’il avait d’inapproprié.


Ce ne fut qu’en s’arrachant à l’herbe humide de rosée, les membres fourbus par l’immobilité, qu’elle prit conscience de l’endroit où elle se trouvait, non plus dans le grand salon du manoir Stahlbaum par une nuit d’hiver, mais au cœur d’une prairie fleurie où le printemps emplissait l’atmosphère.

Les oiseaux pépiaient, guillerets. Ces étranges spécimens, aux ailes cobalt et au plumage où le blanc le disputait à l’écarlate, rappelèrent à sa mémoire troublée les créatures belliqueuses échappées des paquets. Au souvenir de la nuée de rats violets, Clara frémit, apeurée.

— Vous êtes enfin réveillée ?

L’intéressée, qui se croyait seule, hoqueta de stupeur. La tortue se tenait là, et à l’écoute de sa voix, celle de la jeune fille s’égara. Comme elle ne répondait pas à l’animal qui s’enquérait de sa santé, celui-ci insista :

— Peut-être vous êtes-vous cognée la tête en chutant ? Vous avez l’air hagarde.

Comment ne l’aurait-elle pas été, à la vue d’une tortue qui parlait ? Ses esprits rassemblés, elle parvint à articuler, retenant de justesse un « Qu’êtes-vous ? » déplacé :

— Que… Qui êtes-vous ? Et je… Où suis-je ?
— Je suis Éric le Kraknoix, et cet endroit s’appelle la Terre des Fleurs. Vous avez effrayé ses habitants en atterrissant.
— Plaît-il ?
— Vous êtes comme tombée du ciel. D’ordinaire, c’est le lot des jeunes Nirondelle qui apprennent à voler, mais des Kirlia, jamais.
— Clara, rectifia-t-elle. Mon prénom, c’est Clara. Pas Kirlia.
— Je vous prie de m’excuser. Il est vrai que certains pokémon n’aiment pas être désignés par le nom de leur espèce.

Clara, ne saisissant pas un mot, porta une main à son crâne douloureux. En tentant de déloger la feuille prise dans ses cheveux, et qui lui tombait devant les yeux, elle réalisa qu’il ne s’agissait pas d’un végétal vagabond, mais bien d’une mèche reliée au sommet de sa tête. Pourquoi était-elle verte ?

En ramenant ses bras devant elle, Clara poussa un cri. Ces deux membres charnus ne lui appartenaient pas plus que ces graciles jambes de jade qu’elle remarquait pour la première fois. Quant à sa chemise de nuit, elle ne dissimulait pas son ventre nouvellement rebondi, mais paraissait s’être fondue en lui.

— Que m’arrive-t-il ? s’exclama-t-elle, affolée. Pourquoi… Où est passé mon corps ?

Le Kraknoix, aussi troublé par la réaction de la jeune fille qu’elle-même ne l’était, tenta de la rassurer.

— Il est juste là, sous votre tête. Ne le sentez-vous pas ?
— Non ! Ce n’est pas moi ! Ne m’avez-vous pas vue, cette nuit, quand, dans le salon, vous vous battiez contre cet énorme rat, avant que…
— Rattatac, le roi des Rattata ? Je l’ai certes affronté, mais pas depuis que ce vil voyou a pillé mon village et que je me suis juré de l’arrêter. Quant à vous, je suis certain de ne vous avoir jamais rencontrée.

Clara, à présent convaincue de rêver, se pinça fort la peau, devenue plus blanche encore. Elle ne retira de ce geste désespéré qu’une douleur éphémère, qui de sa situation renforça le mystère. Si elle ne rêvait pas, comment s’expliquer tout cela ?

— Écoutez, il me peine de vous laisser alors que vous paraissez si bouleversée, mais je dois poursuivre mon chemin en quête de la fée Sucroquin. Aussi, pourquoi ne pas m’accompagner ?
— Où donc ?
— Au fin fond de la Terre des Friandises, le quatrième territoire du Royaume des Délices. La rumeur veut qu’elle y mène une existence discrète et retirée. Elle accorde un souhait à quiconque réussit à la débusquer.
— Un souhait ?

Clara n’entendait toujours rien à ce que le Kraknoix lui racontait, mais s’il disait vrai, pouvait-elle espérer rentrer chez elle par ce biais ? L’espérer n’était guère plus extravagant que ce qu’elle vivait présentement.

— Oh ! Je crois que nos nouvelles amies, remise de la frayeur que vous leur avez causée, ont décidé de vous soigner.
— Nos nouvelles amies ?

Clara devina qu’elle n’était pas au bout de ses surprises quand, en pivotant, elle constata que les fleurs n’en étaient pas.

Il s’agissait en réalité de petits êtres féériques à l’avenant visage rond, qui se camouflaient sous des parasols de pétales et de corolles. Clara étudia, émerveillée, les apparitions qui lui rendaient la pareille, l’intérêt agitant leur unique cil malachite, assorti à leur queue évasée.

— Que font-elles ? interrogea la jeune fille lorsque, lassées de leur contemplation, les fées fleuries entreprirent de tournoyer.

Les sons cristallins qu’elles émettaient, et à travers lesquels Clara les soupçonnait de communiquer, s’accélérèrent et s’intensifièrent pour se transformer en mélodie, dont le rythme doux donna le la et l’harmonie aux virevoltes de ces créatures si jolies.

— La Valse des Floette. C’est un immense privilège que vous avez, Clara. On dit qu’elles ne l’accordent qu’aux pokémon dont le cœur est pur, et que cette danse garantit à celui ou celle qui y assiste chance et bonheur pour le reste de sa vie.

Charmée par le phénomène, Clara ne songea pas à demander ce que signifiait ce mot de « pokémon » que le Kraknoix employait pour la deuxième fois. Autour d’elle, les Floette se balançaient, ondulaient, s’inclinaient et recommençaient, tandis que la demoiselle, ayant vite assimilé la mesure, fredonnait leur aria enjouée.

Un halo doré enveloppa les fées, et une agréable chaleur déferla dans l’étrange corps de Clara, estompant sa céphalée, et ses courbatures dans la foulée. Restée assise tout ce temps, elle trouva le courage de se relever et, bras écartés, tourbillonna parmi les Floette, joignant son rire à leur mélopée. Son désarroi et ses questions s’étaient envolées.

— Vous vous sentez mieux ? s’enquit le Kraknoix quand, après une dernière révérence, la farandole se retira.

Clara acquiesça, le cœur léger, confortée dans son idée. Puisqu’elle avait tout l’air coincée dans cet univers étranger, elle suivrait son chélonien allié au bout du chemin qu’il daignerait bien lui tracer.

— Si votre proposition tient toujours, j’aimerais, en effet, rencontrer la fée Sucrerie.
— Sucroquin. Vous m’en voyez ravi, et je prie pour que ma lenteur ne vous ennuie.

Lenteur était un euphémisme pour qualifier la vitesse de déplacement du Kraknoix, mais Clara, son anxiété désormais dissipée, se montrait d’autant plus patiente qu’elle contemplait avec intérêt le décor truculent au sein duquel elle évoluait.

Les Floette n’étaient pas les seules créatures incroyables à peupler la Terre des Fleurs. Dans les hautes herbes, ils croisèrent des bourgeons dodus, de jovials bulbes bleutés, d’énormes spores cotonneuses portées par la brise, et même un faon timide au pelage printanier.

Le Kraknoix enseignait à Clara le nom de chacune de ces espèces, mais il y avait trop à regarder, trop de raisons de s’émerveiller, pour que la jeune fille soit assez concentrée afin de les mémoriser.

Traverser la prairie leur prit des jours entiers. Pendant que le Kraknoix progressait à une allure proche de l’arrêt, Clara flânait dans les bosquets et cueillait les baies dont ils se sustentaient. Elle eut même la chance de recevoir l’aide d’un gros papillon violet, qui décrocha pour elle les fruits des branches les plus élevées.

Par la suite, elle n’eut plus besoin de quelque assistance altruiste. Clara se découvrit d’étonnantes facultés, comme celle d’attirer à elle les objets qu’elle fixait. D’abord maladroite et surexcitée, elle assimila vite cette capacité, ainsi que la maîtrise des feuilles qu’elle parvenait à projeter, et qui se révéla bien utile quand, s’aventurant un peu trop loin, elle se trouva nez à dard avec une monstrueuse guêpe hostile.

Cette mésaventure lui servit de leçon, et réfréna son goût naissant pour l’exploration. À la huitième lune, qui ne formait qu’un quart dans le ciel, ils atteignirent la frontière, lisière d’un bois au-delà duquel se trouvait le nouveau territoire qu’ils s’apprêtaient à visiter.

Le Kraknoix lui annonça qu’en suivant la rivière de chocolat, ils devraient atteindre un village où, il l’espérait, ils obtiendraient de plus amples renseignements sur cette fée qu’ils s’en allaient chercher.

Quand Clara découvrit le lit brun aux effluves sucrés, elle s’empressa d’y plonger une main gourmande et de la lécher. Le goût vicié la fit grimacer. Quel était cet immonde liquide trompeur qui avait de chocolat tout sauf la saveur ?

— Le roi des Rattata est passé par là ! s’affola le Kraknoix. Quand son armée et lui ont saccagé la Terre du Désert, ils n’ont laissé derrière eux qu’une rivière de pierres. Les autres ont tenté de la dégager, mais la boue ne s’est jamais remise à couler.
— La boue ?
— Oui, c’est ce qui circule chez nous. Nous sommes de types roche et sol, voyez-vous.

Clara voyait en tout cas de mieux en mieux, surtout à présent qu’elle savait que le terme « pokémon » désignait les habitants de ce monde. À présent que sa soif de découverte initiale avait été rassasiée, elle était plus attentive aux explications que le Kraknoix lui donnait.

Comme il fallait le redouter, Rattatac les avait devancés, et ce fut dans un village abandonné qu’ils pénétrèrent en amont de la rivière. Les habitants s’étaient enfuis, quittant leurs maisons aux murs de pain d’épice moisis, flanquées de buissons en guimauve racornie et d’arbres sucres d’orge décrépis.

— Halte ! Qui va là ?

Trois audacieuses silhouettes surgirent d’une cabane-cacahuète. Clara, intimidée par le cri, se rassura à la vue de ses auteurs. Jamais elle n’avait eu si peu matière à avoir peur. Devant elle se tenait une ponette si mimi qu’elle en sourit, une petite boule de crème chantilly et une créature, ronde elle aussi, rose comme les joues d’un nouveau-né.

— Éric le Kraknoix, se présenta l’intéressé. Et voici mon amie Clara la Kirlia. Nous ne sommes pas des sbires du roi des Rattata. Nous cherchons au contraire la fée Sucroquin, afin de mettre fin à ses agissements.

Le trio se concerta, et la ponette pastel aux crins barbe à papa consentit à faire quelques pas. À mi-chemin des arrivants, elle se présenta :

— Je m’appelle Pâte d’amande, mais tout le monde m’appelle Mande. Voici Pone la Crémy, et Doudou le Toudoudou. Comme on dit ici, l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Aussi, permettez-nous de nous joindre à vous.

Le Kraknoix accepta sans tergiverser, et demanda à ses nouveaux alliés s’ils avaient des informations à lui communiquer.

— Oui, moi ze sais, moi ze sais, zozota Doudou le Toudoudou. Ze sais où vit la fée, quelque part dans le Vert et Haut Rocher.

Ils se mirent donc en route pour cette destination, non sans effectuer au préalable une petite manipulation, dont Pone la Crémy avait fait la suggestion. Comme Mande la Ponyta était aussi solide que rapide, ils lui attelèrent un traineau de fortune et y installèrent le Kraknoix, à sa plus grande joie.

Au cours de la traversée de la Terre des Friandises, l’inquiétude grandit parmi le groupe des cinq amis. Dans tous les hameaux qu’ils dépassaient, l’armée aux crocs acérés avait semé saccage, pillage et gaspillage, souillure, ordures et moisissure.

— Vous comprenez ? demanda le Kraknoix en notant que les dégâts suivaient l’itinéraire qu’ils empruntaient. Ils essayent de nous devancer. Eux aussi se rendent au Vert et Haut Rocher.
— Qu’adviendra-t-il de la fée Sucroquin si nous ne les dépassons pas en chemin ?
— J’ai bien peur que nous ne le découvrions sur place, car si j’en crois la fraîcheur de leurs traces, ils y seront dès demain, commenta Mande. Même en pressant l’allure, nous ne pourrons les rattraper à temps.

Le Kraknoix penaud se recroquevilla, conscient d’être responsable de cet état, mais comme Clara le lui rappela, sans lui, ils n’en seraient pas là. Il avait eu seul le courage de se mettre en quête de la fée Sucroquin, et eux ne faisaient que l’accompagner. Jamais ils n’auraient eu l’idée de le lui reprocher.

Leur dernière journée de marche se déroula en silence, chacun à ses pensées. Clara songeait souvent à ses parents, qui devaient se demander où elle était passée. Quel sort infligerait le roi des Rattata à la fée Sucroquin ? Si elle ne pouvait lui exprimer son souhait, comment allait-elle rentrer ?

Le Vert et Haut Rocher qui, inexplicablement, était rond et doré, leur apparut le lendemain, en fin de matinée. Une horde de rats, plus effrayants encore que dans les souvenirs de Clara, en gardait l’accès. Les autres paraissaient tout aussi intimidés, à l’exception du Toudoudou qui gonfla ses joues.

— Ze vais les neutraliser !

Et, avant que quiconque ne puisse l’arrêter, il s’élança sur le sentier. Le temps que les Rattata réagissent, il se posta face à eux, et de sa voix harmonieuse, entama une berceuse. Les créatures, titubant de somnolence, tentèrent de fondre sur lui, mais même les plus résistantes, avant de l’avoir atteint, tombèrent assoupis.

— Allons-z-y !

Ses amis se précipitèrent, armada vaillante et fière, en direction de l’entrée désormais dégagée. Ils s’engouffrèrent dans une galerie, où l’air exhalait des effluves pralinés. Les Rattata, aussi stupides que méchants, leur avaient laissé des indices. Dans ce donjon labyrinthique, il suffisait, pour les trouver, de suivre les marques de dents plantées dans les parois brunes aux noisettes incrustées.

Une bifurcation les amena à faire front à un détachement hostile. La Crèmy, inventive, effectua une diversion. Grâce à sa Brume Capiteuse, elle troubla suffisamment leur attention pour permettre aux quatre autres de poursuivre leur route jusqu’à leur destination.

Le Toudoudou fut le suivant à rester en retrait. Il avait donné trop de voix pour se remettre à chanter, mais roula sur une pente légère en direction de ses adversaires afin de les déséquilibrer. La gravité les entraîna, et la progression du quintuor devenu trio continua.

En pénétrant un oléagineux croquant, ils comprirent qu’ils avaient atteint le cœur du Vert et Haut Rocher, où, comme ils le redoutaient, Rattatac, le roi des Rattata, les avait devancés.

Le repoussant rongeur se dressait face à une appétissante petite boule bosselée et rosée, protégée par un Mur Lumière qui résistait aux attaques pleines de colère. Le Kraknoix bondit aussitôt à terre, et la Ponyta, délestée de son fardeau, se lança à l’assaut.

— Clara et moi allons le retenir ! Formule ton vœu à la fée Sucroquin !

Bien que Clara n’ait utilisé qu’une seule fois ses nouvelles facultés pour lutter, elle se rangea aux côté de la Ponyta afin d’affronter le roi des Rattata. Elles ne faisaient cependant pas le poids. Il était plus véloce, robuste et expérimenté qu’elles ne le seraient jamais.

— Éric ! l’implora Clara. Hâtez-vous !

Pendant qu’elles résistaient du mieux qu’elles le pouvaient, le Kraknoix, handicapé par sa lenteur exagérée, s’était rapproché de la fée. Percevant la bonté de ses intentions, elle abaissa sa protection.

— Par toutes les cacahuètes, je souhaite, je souhaite, qu’on lui fasse sa fête !

La fée Sucroquin lui répondit d’un rire badin, et tira de ses généreux replis une délicieuse confiserie qu’elle lui tendit. Le Kraknoix, un peu surpris, considéra le bonbon avec hésitation. Devait-il le lancer ou le manger ?

Un cri de Clara le dissuada de tergiverser, et d’une bouchée, il avala ce qu’il résultait de son souhait. Presque aussitôt, son corps sembla s’embraser. Une vague d’énergie en lui se répandit, un éclat intense l’enveloppa, et sa silhouette, en un battement de cils, se métamorphosa.

— Je vole ! s’exclama le Kraknoix.

Devenu Vibraninf, il agita ses ailes et fondit sur le mécréant, face auquel Clara et la Ponyta résistaient courageusement. Il cracha un long souffle pourpre sur l’ennemi, qui leur permit de reprendre l’ascendant. Galvanisés, les capacités des trois alliés redoublèrent d’intensité.

À l’opposé, celles du Rattatac acculé se faisaient de plus en plus désordonnées. Les attaques psychiques de Clara le désorientaient, et les deux autres le harcelaient, chacun de son côté. Quand il ne fut plus en état de lutter, le Kraknoix comprit que c’en était presque terminé. Ils allaient gagner.

— Reculez !

Clara et la Ponyta s’éloignèrent de quelques pas, tandis que le roi des Rattata, affaissé, échouait à se relever. Sous lui, le sol cacaoté se mit à vibrer. Une craquelure se dessina, assez large pour l’engloutir. Ses griffes tentèrent de s’agripper mais, à bout de force, il lâcha prise, et sombra, avec un dernier cri, dans des profondeurs noires comme la nuit.

— Oui !

Clara se jeta à l’encolure de la Ponyta, et Éric se posa, éreinté par son combat. Voler n’était pas de tout repos, surtout la première fois.

— Vous êtes magnifique, le complimenta Clara.
— Évoluer était la clé. Merci, fée Sucroquin, de nous avoir permis de triompher.
— Une équipe soudée comme la vôtre n’avait pas besoin d’un souhait pour y arriver, sourit l’intéressée. Votre victoire ne nécessitait ni bonbon, ni évolution, juste votre bon fond.

Sur ces mots pleins de passion, un Toudoudou échevelé et une Crémy à moitié tournée firent irruption. Devant cet alignement de visages exaltés, une seule conclusion s’imposait.

— Vous avez réussi ! s’extasia la Crémy.

S’ensuivirent effusions de joie, cris à foison et embrassades à profusion. Tout le monde s’étreignit jusqu’à ce que Clara, dont le sourire s’effaça, se rappelle la véritable raison qui l’avait menée jusque-là.

— Il faut que je rentre chez moi.

Envahie par la mélancolie à l’idée de quitter ses nouveaux amis, elle n’en demeurait pas moins lucide. Sa vie n’était pas ici, même s’ils lui laisseraient un grand vide. Le regard embué, le cœur serré, Clara se tourna vers la fée.

— Je dois retrouver ma famille.

Les autres, jusqu’à présent radieux, étaient devenus silencieux. Tête baissée, yeux voilés, ils respectaient solennellement sa volonté, malgré le chagrin qu’elle leur causait.

— Si tel est vraiment ton souhait, mon enfant, le voici exaucé.

La fée Sucroquin offrit à Clara un orbe bleuté aux reflets éclatants. Sa fragilité permettait à un rien de le briser, puisque c’était ainsi qu’il fallait procéder. La jeune fille leva la main, prête à le lâcher, mais elle observa d’abord, et pour la dernière fois, ses compagnons adorés.

— Vous me manquerez, murmura-t-elle, la gorge nouée.
— Jamais nous ne t’oublierons, promirent-ils à l’unisson.

Et, sur une grande inspiration, Clara réduisit l’orbe à l’état de tessons.

***
Étendue sur le parquet du salon, la demoiselle s’interrogeait. Avait-elle rêvée ? L’aube se levait sur Londres, et sur le sapin décoré, ainsi que sur l’océan de paquets au centre duquel il trônait. Clara ne vit pas plus de cadeau éventré que d’emballage argenté.

Trois coups toqués à la porte la firent sursauter. Elle se redressait, vaseuse et courbaturée, quand un domestique, après avoir ouvert, introduisit dans la pièce un jeune homme à l’allure étrangement familière. Le valet annonça d’une voix claire :

— Monsieur Éric Drosselmeyer.

Clara avait déjà entendu parler du neveu de son parrain qui aimait tant voyager, mais jamais encore elle ne l’avait rencontré. Son prénom l’interpella. Le même que celui du Kraknoix !

— Enchantée, ma chère. Vous vous sentez bien ? Vous n’en avez pas l’air.

Tandis qu’il lui baisait la main, Clara avait pâli. La voix de l’arrivant aussi sonnait comme celle de son onirique ami.

— Je…

Que répondre et surtout que penser ? Qu’était-il en train de se passer ? Ces yeux bleus, ce sourire lumineux, ce visage gracieux… Les voyait-elle vraiment pour la première fois ? Son cœur lui soufflait que ce n’était pas le cas.

— Peut-être une promenade dans les rues de Londres vous ferait-elle le plus grand bien. Ma jument doit être encore attelée, et ce serait pour moi un honneur de vous accompagner.
— Ce serait surtout inconvenant, souligna à mi-voix le valet.

Clara l’ignora pour saisir, comme envoûtée, le bras qu’Éric lui tendait. Son manteau enfilé, elle le suivit dans l’écurie. La ville, à cette heure, était encore endormie, et la petite équidé pie, ainsi que le jeune homme l’avait prédit, attendait patiemment que le palefrenier en ait fini.

— Inutile ! s’exclama Éric alors qu’il s’apprêtait à détacher une lanière de cuir. Je repars un moment. Préparez-lui une double dose de grain.

L’employé s’inclina, et Clara, avant de monter dans le cabriolet douillet, caressa l’animal entre ses oreilles dressées. D’un petit coup de chanfrein, la jument lui exprima son amitié.

— Elle vous a déjà adoptée, on dirait.
— Comment s’appelle cette beauté ?
— Mon oncle l’a baptisée Amande. Pourquoi, je me le demande…

Cette révélation laissa Clara bouche bée, et Éric plaqua un doigt sur ses lèvres pour lui signifier un secret. Il lui présenta ensuite sa main pour l’aider à grimper, que la jeune fille ne lâcha pas, même une fois installée.

Que son aventure soit vraie ou imaginée, peu importait, désormais. Clara vivait le plus parfait des rêves éveillés.

FIN