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The meaning of his tears de FireHana



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» Auteur : FireHana - Voir le profil
» Créé le 01/12/2022 à 21:45
» Dernière mise à jour le 05/12/2022 à 16:53

» Mots-clés :   Amitié   Drame   Famille   Fantastique   Présence de personnages du jeu vidéo

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Yesterday was better
En un instant, le monde d’Edwina s’était écroulé. Le temps s’était distordu ; l’espace avait cessé d’être. Entre l’accident et le moment où ils étaient arrivés dans la salle d’attente, il y avait le vide. Un vide effroyable, béant, juste là où aurait dû se tenir son cœur. Il n’y avait qu’un calme effroyable, une lucidité brouillée qui paralysait son esprit.

Des bruits blancs, de statiques, remplaçaient les pas des soignants qui allaient et venaient, le cliquetis des ordinateurs. La seule chose qui arrivait encore à ses oreilles étaient les pleurs inconsolables de Sebastian. 

Assis à côté d'elle, replié vers ses genoux, son mari avait fini par enlever ses lunettes tant les larmes ne cessaient de couler. Il y avait encore un espoir - un espoir qu’au moins, leur fils soit vivant. 

Mais dans quel état ?

Pourrait-il encore marcher ?

Pourrait-il encore parler ?

Pourrait-il reprendre une vie normale ?

Pourraient-ils se le pardonner, même si cela finissait par ne devenir qu’un désagréable souvenir ?

Un élan de compassion perça le brouillard de tranquillité (bien, bien trop tranquille) qui asphyxiait les émotions d’Edwina. Elle enveloppa Sebastian dans ses bras, l’attira sur ses propres genoux. Ses pleurs redoublèrent.

— Pourquoi… croassa-t-il, Pourquoi…

Pourquoi, en effet. Qu’avaient-ils fait pour que leur enfant subisse un tel sort ? Car lui était innocent en tout point. 

Mais Edwina savait que chercher une raison ne servait à rien. Il n’y en avait aucune. Il n’y avait pas de coupable — si ce n’était peut-être eux. 

Elle resserra son étreinte. Heureusement qu’elle était trop sous le choc pour pleurer : il fallait qu’au moins un des deux soit fort, ou tout au moins apte à comprendre et à encaisser ce qui allait suivre.

Une porte s’ouvrit, un médecin arriva vers eux. Edwina leva les yeux vers lui. Tout doucement, elle alla chercher la main de Sebastian. Quoiqu’il arrivera, ils affronteraient ça ensemble, comme ils l’avaient toujours fait depuis qu’ils étaient devenus un couple. Mais à son regard fuyant, à sa posture avachie, Edwina sut qu’il n’aurait pas de bonne nouvelle à leur porter. 

Le médecin prit une grande inspiration, et dit :

— Je suis désolé.

Et le monde perdit ses couleurs pour un dégoûtant monochrome. Colère, déni, culpabilité : un mélange qui s’infiltrait dans son cœur, refroidissant le sang circulant dans son corps ; la nausée lui monta à la tête.

Comment étaient-ils en arrivés là ? Comment en un instant tout avait basculé pour le pire ?

Elle-même n’aurait su y répondre clairement.



La matin même, la petite famille des Lonecraft s’était préparée à partir en voiture. Le voyage serait long : Amy et Blake organisaient leur mariage dans une villa en périphérie. 

— Alistair ? appela Edwina, Tu as bien pris ton doudou ? Tu as été aux toilettes ? On ne s’arrêtera pas avant deux heures, donc c’est maintenant ou jamais.

Leur fils acquiesça en serrant son doudou Lapyrobut contre lui. Il frotta ses yeux encore ensommeillés, peu habitué à un réveil si matinal. Probablement un peu perdu par ce qu’il devait faire, il restait là les bras ballants, du chocolat chaud encore aux commissures des lèvres, tandis que sa mère refaisait le compte de ce qu’ils avaient déjà mis dans le coffre.

— Viens, on va aller dans la voiture, intervint alors son père en lui essuyant les traces de son déjeuner d’un geste du pouce.

Alistair émit un grognement, détestant qu’on touche son visage de la sorte, mais il obtempéra sans un mot lorsqu’il s’agit de monter dans la voiture. 

Bien qu’il soit taciturne, Alistair avait déjà beaucoup de vocabulaire pour son âge : il comprenait très bien ce qu’on lui disait et se montrait curieux de tout. Il ne lisait pas encore, mais il connaissait déjà toutes les lettres de l’alphabet, savait écrire son prénom et faire ses lacets tout seul. Ses parents étaient très impressionnés par tout ce qu’il pouvait accomplir sans leur aide à son si jeune âge. Il n’y avait qu’une chose qui les inquiétait dans l’avenir a priori si radieux de leur fils : ils aimeraient qu’Alistair soit un peu plus ouvert aux autres. Ce n’était pas tant qu’il n’avait pas de copains à l’école, mais la maîtresse avait noté qu’il avait un peu de mal à aller vers ses camarades. Réserve ou timidité, ce n’était pas encore tranché mais ils ne voulaient pas qu’il en souffre trop.

N'était-ce pas là la mission première d'un parent digne de ce titre ?

Mais aujourd’hui, Alistair n’était pas la préoccupation première. Amy et Blake, deux amis d'université et confrères dentistes, allaient se marier sur deux jours. Ils s’étaient mis ensemble depuis plus longtemps que Edwina et Sebastian, avaient eu des enfants avant eux, mais la question du mariage était venue bien après.

Cela faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus tous les quatre - encore plus en comptant Connor, un autre membre de leur groupe d’étudiants, parti alors à Kalos en voyage sabbatique avant d’entrer dans le monde du travail. Il avait un peu disparu des radars depuis, mais avait apparemment promis de se rendre au mariage de leurs amis.

— Qu’est-ce qu’il manque, Eddie ? Tu veux qu’on refasse le compte ensemble ?

Edwina se pinça l’arrête du nez, nerveuse.

— Non, j’ai déjà tout vérifié… soupira-t-elle. J’ai juste… un mauvais pressentiment.

Un sentiment d’angoisse insidieux qui nouait ses entrailles douloureusement. Peut-être était-ce un présage de ce qui allait suivre ; un avertissement, une mise en garde de ne pas s’y rendre.

La main chaude de Sebastian se posa sur son épaule.

— Eddie. Tu as le trac, pas vrai ? sourit-il avec une certaine tendresse. 

Elle haussa les épaules. Elle n’avait pas de raison de l’être. Ce n’était pas son mariage ! Le leur s’était d’ailleurs très bien déroulé. Mais… il était vrai que revoir autant de monde d’un coup, après tout ce temps, ça allait… lui faire drôle.

(Elle ne voulait pas faire mauvaise impression.)

Sebastian la prit dans ses bras. Sa mèche rebelle, qu’il avait pourtant maintes et maintes fois de dompter, lui chatouilla le front. La génétique avait, hélas, voulu qu’Alistair hérite de la nature de cheveux de son père. Un enfer à coiffer tout les jours - et heureusement qu’il avait les cheveux courts !

— Ça va aller. Tout va bien se passer. D’accord ? Il n’y aucune raison pour que ça se passe mal, lui chuchota-t-il.


S'il avait su. Si elle avait su...

Edwina sourit.

— C'est juste de la nervosité. Ça va passer... assura-t-elle.

Alors qu'elle enlaçait son mari, elle vit Alistair, le nez en l'air, les fixer tous les deux avec attention.

— On dirait bien qu'on a un petit espion... murmura-t-elle d'un ton amusé.

L'agent secret en question se retourna bien vite sur son siège, ayant compris qu'il avait été pris en flagrant délit. Ces derniers temps, la question de l'amour (et plus exactement du couple) le travaillait beaucoup ; il ne comprenait pas très bien pourquoi il n'y avait que papa qui avait le droit d'embrasser maman sur la bouche, et pas lui. Si c'était normal qu'il s'intéresse à ce sujet, il pouvait parfois être un peu, disons, insistant.

Sebastian pouffa en secouant la tête. 

— Ah, les mômes...

Et ce fut sur cette belle parole qu'ils se mirent en route. Edwina mit le CD spécial "long voyage en voiture" qui était surtout un concentré de musique de leur enfance et "feue jeunesse", soit du pur jus des années 80. La belle époque. On en faisait plus des musiques comme ça.

Alistair n'avait pas l'air de se rendre compte de la chance d'avoir des parents avec des goûts musicaux aussi raffinés : les yeux clos, le cou cassé et la joue contre la vitre, il dormait à poings fermés. Un filet de bave coulait du coin de sa bouche, mouillant au passage la vitre et un bout de la porte.

— Tant qu'il ne salit pas son costume... soupira Sebastian en se retournant pour étudier la carte.

Un superbe petit costume qu'ils avaient acheté juste pour l'occasion. Chemise blanche, cravate noire assortie au haut sans manche et au pantalon, des chaussures ébènes flambant neuves avec des petites chaussettes éclatantes, s'il pouvait sourire un peu, leur fils serait absolument craquant. Il était aussi beau qu'Alistair détestait cet ensemble (trop serré au niveau du cou ; et puis pourquoi un pantalon, les pantalons c'est nul !) mais Edwina tenait à ce qu'il soit parfait pour les photos. C'était quand même un moment important, et Sebastian appuyait sa décision. Il pourra enlever la cravate et un bouton de la chemise une fois les photos principales passées, mais pas de short aujourd'hui. Alistair avait râlé, puis capitulé : il n'avait pas vraiment le choix.

Le voyage se passa bien. On s'arrêta quatre fois dont une pour manger, et la famille arriva à 15h comme il était prévu. La mariée n'était pas en vue, probablement occupée ailleurs, mais Blake les accueillit comme il se doit. Un grand homme brun aux yeux verts, le teint hâlé, plutôt bel homme bien que pas au goût d'Edwina. 

Les deux hommes se prirent dans les bras ; Edwina et lui se serrèrent la main.

— Tu as bien meilleure mine que dans mon souvenir ! C'est génial, je suis content pour toi.

Elle se contenta de sourire, et poussa Alistair devant Blake de la paume de la main. Le nouveau marié se mit à la hauteur de l'enfant alors qu'il s'écria :

— Et toi, tu dois être Alistair ! Tu as bien grandi depuis la dernière fois que je t'ai vu.

Il n'avait vu Alistair que du haut de ses trois mois : forcément qu'il avait changé.

— Tu as le même regard que ta mère ! Et le petit grain de beauté de ton père...

— Mais de l'autre côté, oui oui, coupa l'intéressé, toujours souriant mais roulant tout de même des yeux.

Alistair était mal à l'aise : il se tortillait sur place comme un Chenipan sur une branche trop étroite.

— Tu te rappelles de moi ? Je m'appelle Blake. Tes parents et moi, on a été à l'université ensemble - une école pour les grands, précisa-t-il.

— Dis bonjour Alistair, incita gentiment sa mère.

Mais lui semblait avoir d'autres idées. Il fit volte-face et se cacha dans la jupe secrétaire de sa maman, trop intimidé pour dire quoique ce soit. Edwina eut un petit rire gêné.

— Désolée...

— Ah bah, il est aussi timide que sa maman ! rit Blake en se relevant, C'est pas grave, on sait jamais trop comment réagissent les enfants. Venez à l'intérieur, Amy sera super heureuse de vous voir !

La gêne d'Edwina se fit plus grande encore à la remarque.

— Oh, tu exagères ! arriva à la rescousse Sebastian, Eddie est plus réservée que timide.

Leur ami rit de plus belle, visiblement peu sensible à la nuance entre les deux. Elle ne lui en voulut pas, mais elle en fut tout de même un peu agacée d'être taquinée directement de la sorte. La nervosité et la fatigue commençaient à l'irriter, pas besoin que l'anxiété s'y ajoute.

Il y avait beaucoup de monde et peu de visages connus. Amis d’enfance, collègues, famille : beaucoup de monde qu'Edwina ni même Sebastian ne connaissaient.

Au milieu d'un groupe de convives, Amy était là, une coupe de champagne à la main et l'autre les hélant pour les inviter à s'approcher. Amy avait pris un peu de poids depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus, mais elle était encore plus radieuse que dans son souvenir. Sans hésiter, elle les enlaça tous les deux, et fut ravie de voir Alistair qui ne se montra pas plus bavard.

— Ça grandit vite ! Notre aînée prépare déjà son voyage initiatique...

— Déjà ? ne put s'empêcher de s'écrier Sebastian, Pfffiou, déjà 10 ans, ça nous rajeunis pas...

— Elle en a 9, mais ne t'en fais pas qu'elle est déjà dans les starting-blocks !

Les adultes rirent ; Alistair s'ennuyait à mourir. Il faisait sa petite moue des mauvais jours. Edwina passa sa main dans ses cheveux (mais pas trop pour ne pas le décoiffer) voulant lui témoignant son soutien : elle comprenait, ce genre de fêtes n'étaient pas très amusantes pour les enfants. Le petit garçon releva ses yeux vers elle, avant de tendre les bras.

— Tu peux parler. Qu'est-ce que tu veux ?

— Prends-moi dans tes bras, demanda-t-il de sa petite voix fluette.

— Et le mot magique ?

— Prends-moi dans tes bras, s'il te plait, répéta-t-il en se hissant sur la pointe des pieds.

Sa mère céda à sa demande, et s'éloigna un peu du groupe. Alistair enfouit sa tête dans le creux de son cou, se collant le plus possible à sa maman. Edwina traversa le salon, passant devant le buffet pour sortir de la villa. De larges baies vitrées, ouvertes pour le moment, menaient sur une superbe piscine. Il ne faisait pas très beau, alors peu de monde était en extérieur. Ça changerait peut-être en soirée : tout dépendait de ce qu'avait prévu les mariés. 

— Tu sais, je vais te dire un secret, lui souffla-t-elle alors.

Intrigué, Alistair se décolla un petit peu d'elle pour s'appuyer davantage sur son épaule.

— Eh bien, maman était un peu comme toi quand elle était plus jeune. Elle avait un petit peu de mal à aller vers les autres. Ils leur faisaient peur...

Son fils l'écoutait religieusement.

— Mais, en fait, la plupart des gens ne sont pas méchants. C'est difficile d'aller vers eux au début, mais tu verras qu'il y a plein de personnes qui sont pleines de bonnes intentions et qui voudront devenir tes amis.

— Hmhm... acquiesça Alistair.

— Aujourd'hui, il va y a avoir des enfants avec lesquels tu pourras jouer. Le fils d'Amy et Blake a deux ans de plus que toi, mais il est très gentil.

— Y en aura d'autres qui auront 4 ans comme moi ? demanda-t-il alors en se redressant.

— Hm, je ne crois pas non... Il y aura des plus petits, mais je ne crois pas que tu aies envie de jouer avec des bébés, hm ?

Alistair fit non de la tête.

— On peut pas jouer au Grahyéna avec les bébés, fit-il remarquer très sérieusement.

— En effet, on ne peut pas jouer au Grahyéna avec eux. Ils sont bien trop petits.

— Et ils ne courreraient pas très vite à quatre pattes.

L'idée le fit rire, et Edwina rit avec lui.

— Edwina ? C'est toi ?

Elle se retourna ; Alistair se cacha dans son cou et ses cheveux noirs. C'était Connor, accompagné d'un autre homme très bien habillé et d'un jeune garçon. Edwina estima qu'il devait avoir environ 13 ans.

— Oh, bonjour Connor. Ça faisait longtemps...

Connor et elle n'avaient jamais été très proches : il avait été davantage un camarade de travail qu'un ami aux yeux d'Edwina. À l'inverse d'Amy et Blake, il avait toujours gardé une certaine distance avec elle, mais aussi de façon générale avec le groupe. Il n'y avait que Sebastian qui pouvait vraiment prétendre être proche de lui, à l'époque. Elle trouva tout de même qu'il avait l'air d’être devenu plus affable : ses traits étaient moins durs qu'à l'université, plus détendus, un peu moins sur la défensive. Elle était même surprise que ce soit lui qui venait vers elle.

Encore plus surprenant : il souriait, visiblement heureux de la revoir.

— En effet... Depuis que j'ai emménagé à Kalos, je n'ai pas vu le temps passé. J'aurai dû donner plus de nouvelles. Je m'en excuse. Je te présente Clovis, mon compagnon, et Daniel... notre fils.

Edwina s'approcha d'eux, le sourire aux lèvres. Elle tendit sa main libre qui ne maintenait pas Alistair contre elle vers Clovis, un homme avec un certain embonpoint, plutôt petit de taille et des verres épais sur ses yeux gris.

— Edwina Lonecraft, se présenta-t-elle, j’étais dans la même promotion que Connor. Et voici mon fils, Alistair.

— Enchanté ! Je suis Clovis Larue, médecin généraliste à Illumis.

Il parlait avec un fort accent, mais ce qu’il disait était tout à fait compréhensible. Alistair dut en être intrigué et se retourna de demi. L’adolescent s’avança alors :

— Bonjour ! Je m’appelle Daniel ! J’aime les dinosaures et les toupies ! cria-t-il.

Curieusement (ou non) leur fils parlait mieux… cependant il avait une façon étrange de s’exprimer. Un tempo et une modulation de voix vraiment spéciales qui déconcertèrent un peu Edwina. Son regard aussi était différent de ceux des autres enfants de son âge : un regard très fixe, comme s’il ne regardait pas vraiment les personnes en face de lui mais plutôt par ce qui se trouvait derrière eux.

Alistair sursauta dans ses bras et dévisagea le garçon avec des grands yeux tout ronds. Clovis mit une main sur l'épaule de Daniel et expliqua :

— Daniel est autiste. Ça ne l’empêche pas d’être tout à fait autonome et responsable.

— Oh, je vois.

— Ça veut dire quoi « autiste » ? questionna alors Alistair.

— L’autisme, ou trouble du spectre autistique, désigne un trouble neuro-développemental qui affecte la perception des sens, les interactions sociales et le comportement. Il peut s’accompagner de troubles de la gestion des émotions avec ou sans baisse du quotient intellectuel ; il peut se retrouver en comorbidité du TDAH, la trisomie 21, le -

Plus Daniel parlait, et plus le petit garçon grimaçait. C’était une grimace tellement drôle que les adultes éclatèrent de rire. Daniel s’arrêta, serra le poing et devint tout rouge de colère, pensant qu’on se riait de lui. Connor intervint :

— On ne se moquait pas de toi. Tu as très bien expliqué, mais tu l’as fait comme on l’expliquerait à un adulte. Alistair est trop petit et il ne connait pas tous les termes que tu as utilisé. Nous rions parce qu’il a fait une drôle de tête.

— Ah, dit alors Daniel alors que la tension de son corps s’effaçait.

— Tu devrais sortir Opal, conseilla Clovis. Comme je te l’ai dit, tu risques d’être fatigué rapidement avec le monde qu’il y a.

Daniel attrapa la Soin Ball à sa ceinture pour en libérer un Kirlia. Le Pokémon sortit en tournoyant sur lui-même telle une danseuse classique avant de faire face à l’adolescent. Alistair le regarda, intéressé, tout en mâchonnant son pouce. 

— Ne mets pas les doigts dans la bouche, mon cœur. C’est sale.

— On va aller saluer Amy et Blake, on se retrouve tout à l’heure ? dit alors Connor.

— Oui ! Allez-y, ils sont au fond de la salle de réception ! 

Alors qu’ils s’éloignaient, Alistair chuchota à sa maman :

— J’ai pas compris c’était quoi.

— Quoi donc ?

— L’ « autiste ».

— Oh ! Ça veut juste dire qu’il perçoit le monde d’une façon un peu différente que la plupart des gens, expliqua-t-elle en faisant le tour de la piscine. Il est possible qu’il ne comprenne pas certaines choses ; il faudra être patient et lui expliquer. D’accord ?

— Hmhm.

Une grande haie séparait la terrasse d’un coin jeux pour les plus jeunes. Il y avait un château gonflable multicolore, un toboggan en plastique et plusieurs jeux de ballon dans une grande boite.

— Waouh, tu as vu ça ! Vous en avez de la chance !

Alistair ne fit pas de commentaire, mais il regarda tout de même les installations avec attention. Edwina remarqua qu’il avait remis son pouce dans la bouche.

— Alistair, arrête ça ! Je te l’ai dit, c’est sale.

Comme il n’y avait personne, Edwina jugea qu’il n’était pas prudent de le laisser tout seul ici ou de commencer un jeu. Elle n’était pas bien sûr qu'il y ait un animateur pour les plus jeunes, et il valait mieux qu’Alistair soit là au début si c’était le cas. Le connaissant, il serait sûrement trop intimidé pour se faire une place s’il arrivait trop tard.

Ils rentrèrent à l’intérieur et tombèrent nez-à-nez sur Sebastian.

— Super ! Je vous cherchais, on va commencer à faire les photos !

Alistair se retourna vers son papa et lui tendit les bras. Son père ne put résister et l’attrapa en s’écriant :

— Viens dans mes bras, mon petit Ouistempo !

— Tu as de la chance d’avoir un papa aussi gentil, hm ? 

L’enfant ne répondit rien. Il se blottit dans le cou de son père, et serra les jambes autour de sa taille comme il l’avait fait avec sa maman. Bien qu’elle soupira en secouant la tête, Edwina souriait. 

On commença par les photos par famille ; Alistair resta dans les bras de son père. 

Sebastian était le plus photogénique. Il fallait dire qu’il était rare de ne pas le voir sourire, et pour les photos, il souriait plus pour le photographe (ou ici la photographe) que pour la photo en elle-même. Edwina était beaucoup plus tendue : elle savait que ses sourires semblaient trop grands et trop forcés. Alors elle se contentait de retrousser légèrement les lèvres, quitte à ce que son sourire se vit à peine. Quant à Alistair, il ne comprenait pas l’intérêt de sourire et ne faisait aucun effort. Le couple dut ruser à coup de monstre guilis-guilis pour avoir la prise parfaite.

S’en suivirent la photo avec les mariés, celle qu’avec les amis, qu’avec ceux de leur promotion dentiste, qu’avec les enfants… Sebastian en profita pour faire le clown derrière la photographe, et on eut de beaux éclats de rires immortalisés pour l’occasion.

Enfin, la séance photo se termina et Alistair se précipita sur ses parents, bombant le torse pour mettre en valeur sa cravate.

— Tu peux parler Alistair. Si tu veux quelque chose, demande-le.

Le petit garçon se retourna vers son père avec une moue suppliante.

— Je suis d’accord avec maman. Si tu veux quelque chose, il faut parler - surtout que tu sais très bien parler.

Dramatique comme il était, l’enfant soupira, roula des yeux en s’avachissant sur lui-même comme si tout le poids du monde lui pesait sur les épaules. Une fois qu’il eut fini sa comedia del arte, il dit alors en se redressant :

— S’il vous plait. Enlevez. Ma cravate.

— Tu gardes le premier bouton ? demanda Edwina en s’abaissant à la hauteur pour lui enlever la terrible cravate.

— Non… je vais l’enlever tout seul.

— Comme tu voudras… et voilà !

Alistair ne se fit pas prier pour enlever non pas un mais deux boutons.

— Dis donc, petit malin, tu crois pas que je t’ai pas vu ? le gronda gentiment Edwina.

— Rhoooo, râla-t-il alors qu’elle lui remettait le bouton de trop, c’est pas juste !

— Tu vas attraper froid. Et puis, ce n’est pas très joli avec deux boutons en moins.

Pour toute réponse, il fit la moue. 

— Et si on allait demander à Amy s’il y a des choses qui sont prévues pour vous ? Hm ? 

Il haussa les épaules en soupirant, mais lui donna tout de même la main pour donner son assentiment. 

Sebastian était parti dans une longue discussion avec Connor et Clovis (qui peinait un peu à suivre), ravi de pouvoir rattraper tout le temps perdu. 

Amy était au chœur de l’attention, entourée d’un bon groupe avec qui les échanges allaient bon train. Non sans difficulté, Edwina déglutit. Elle resserra sa main autour de celle d’Alistair : c’était pour lui qu’elle le faisait. Alors, bravant sa réserve, Edwina s’avança :

— S-Salut Amy !

— Salut ma belle ! Vous vous amusez bien ?

— Oui, super ! Euh, je voulais savoir, est-ce que tu, enfin, il y a des activités prévues pour les enfants ? Un animateur ou quelque chose ?

— Ah, oui… grimaça Amy. On en avait demandé un, mais il y a eu un empêchement.

— Oh… C’est dommage.

— Oui… Mais heureusement, y a quelques installations qu’on avait prévu au cas où. Et je fais confiance aux enfants, ils sont assez grands pour veiller les uns sur les autres !

Grands, grands, c’est vite dit, pensa-t-elle en regardant son petit garçon pas plus haut que trois Verpom.

— Pour nous par contre, on aura un super tournoi ! Comme à l’ancienne, mais en couple ! J’espère que vos Pokémon sont en forme !

Aussitôt, les yeux d’Edwina et d’Alistair s’illuminèrent.

— J’espère que tu viendras nous encourager ! sourit Edwina à son fils.

— Hmhm ! acquiesça-t-il avec enthousiasme. 

Il avait l’air aussi décidé à en découdre que si c’était lui qui allait se battre.

— Tes parents étaient très forts à l’époque ! assura Amy, Mais attention, parce qu’on ne compte pas les laisser gagner !

Alistair la dévisagea en silence ; la flamme dans ses yeux continuait de luire, incandescente.

— Oula ! Toi, quand tu vas avoir ton premier Pokémon, ça promet d’être du sérieux ! rit Amy.

— Ah, qui ne l’a pas été ? intervint l’une des amies de la mariée. On veut tous prouver qu’on est le meilleur !

— Tout le monde ne devient pas dresseur professionnel, argumenta une autre. Le voyage initiatique, c’est surtout pour apprendre à se débrouiller seul — et à se remplir les poches avant les études supérieures !

— Hm, moi je n’ai jamais fait de voyage initiatique, et je ne pense pas que ça m’ait handicapé…

— Eliott, c’est parce que toi, tu es ri-che ! coupa Amy avec de grands gestes, La plupart ont besoin de devenir dresseurs pour avancer plus haut !

— C’est quand même inquiétant que toute notre économie repose sur -

Personne ne sut jamais ce qu’Eliott allait dire : Seamus, le fils d’Amy, venait de s’étaler par terre sur toute sa longueur, renversant au passage son gobelet de jus de fruit. Il n’en fallut pas plus pour que ses cris déchirants de douleur résonnent dans toute la salle de réception, arrêtant toutes les discussions et activités.

Mais personne ne bougea, trop tétanisé par ses cris. Seamus continuait de pleurer.

Edwina sentit Alistair lui lâcher la main, et le regarda aller vers le garçon pleurant à même le carrelage brun. Tout doucement, il lui passa une main sur ses cheveux plaqués de gel. L’enfant à terre cessa de pleurer, fixant Alistair avec des grands yeux humides. Une fois qu’il eut son attention, il se recula et lui demanda :

— Où est-ce que tu as mal ?

— Partoouuut, pleurnicha Seamus.

— Où est-ce que tu as le plus mal alors ?

— … Aux genoux.

Alistair l’aida à se redresser ; une fois debout, Seamus remonta son pantalon, révélant que ses genoux étaient effectivement bien écorchés.

— Oh…

— Est-ce que tu sais où sont les toilettes ? Il faut mettre de l’eau et du savon dessus.

— Oui, c’est là-bas…

Les deux garçons partirent ensemble, main dans la main. Seamus croisa le regard de sa mère et piqua un fard alors qu’Amy lui chuchota un « C’est pas grave, on va nettoyer. ». Alistair ne se retourna pas vers la sienne, trop concentré dans sa tâche, mais Edwina ne s'en sentit pas moins fière. 

En un coup de serpillière, le jus de fruit renversé disparut et le monde se remit à tourner. Blake avait mis un pansement à Seamus, et les deux garçons étaient allés jouer ensemble, bientôt rejoints par Rachel, la sœur aînée de Seamus, et Daniel, toujours accompagné d'Opal. 

Quant à Edwina, Connor et son mari vinrent les rejoindre. Pendant un instant, elle eut l'impression d'être de retour à la fac dentaire, même si les sujets de conversations n'étaient plus tout à fait les mêmes. On parlait toujours de Pokémon et de cas dentaires, mais aussi des enfants et des problèmes en tant que libéraux. À partir du moment où on s'éloignait des Pokémon, les professions médicales étaient souvent moins bien reconnues - et surtout moins bien payés. Or, quand on avait une famille, il fallait la nourrir ; impossible d'échapper à ce moyen qui frôlait le but dans l'existence en tant qu'adulte.

Quant Amy et Blake parlèrent du petit tournoi prévu sous peu, les yeux violets de Sebastian s'illuminèrent eux aussi. Les personnes n'aimant pas les combats Pokémon étaient rares, et Sebastian faisait partie de ceux qui regardaient les matchs sur sa télé en poussant des cris dès que les Pokémon bougeaient à l'écran.

Non pas qu'Edwina en soit différente. Ce n'était pas pour rien que leur premier rendez-vous fut au stade Winscor. Un duel légendaire qui avait permis au Maître actuel de se hisser parmi les plus grands à seulement 10 ans.

Cependant, malgré leur amour débordant pour les matchs Pokémon, combattre ne faisait plus de leur préoccupation depuis longtemps. Pris par le quotidien, ils avaient délaissé cette activité pour se concentrer pleinement à l'éducation d'Alistair. Maintenant qu'il commençait à devenir plus indépendant, peut-être pourraient-ils s'y remettre sérieusement...

— Vous ne sortez pas vos Pokémon ? leur demanda Blake.

Presque tout le monde avait en effet sorti les siens. Edwina dodelina de la tête, un peu ennuyée.

— Je ne sais pas si c'est une bonne idée... Avec tous les petits fours, Luka risque de s'empiffrer, et on aura encore plus rien à manger !

Les cinq amis se mirent à rire en repensant à la fois où la Pokémon avait dévoré toutes leurs pizzas, fraîchement commandés, le temps d'une seconde d'inattention. Sa gourmandise n'avait pas été sans conséquence puisqu'il avait fallu l'emmener au centre Pokémon le lendemain... Mais la peur et la colère étaient passées pour n'y laisser qu'une anecdote amusante.

— Je préfère attendre un peu... Loukoum a toujours tendance à s'exciter quand il y a du monde, expliqua pour sa part Sebastian en se grattant le crâne.

Ce n'était pas tant que Loukoum était agressif, mais comme tout bon Pokémon Feu, il valait mieux ne pas trop l'agacer. Le couple gardait encore un vif souvenir du jour où Alistair lui avait malencontreusement marché sur la queue, faisant cracher une gerbe de flamme réflexe au Pokémon sous la douleur. Ce jour-là, ils avaient sacrifié leurs rideaux et un tapis, mais au moins l'incendie avait été évité.

Mais qu'à cela ne tienne : Amy avait plongé sa main dans un panier d'osier rempli de papiers pliés. Chaque papier contenait un duo. Elle en prit deux, et les lit à voix haute dans son micro. Ce n'étaient pas des personnes qu'Edwina connaissait, mais cela ne l'empêcha pas d'avoir hâte d'assister au duel. 

Le groupe se dirigea vers l'extérieur côté parking, à l'opposé de là où se trouvait les enfants. Edwina eut une pensée inquiète pour son fils... puis se dit qu'après réflexion, il ne craignait rien. Les portes-fenêtres étaient toujours ouvertes, quelques personnes se trouvaient encore dans la salle principale... S'il y avait besoin, il y avait des adultes. Et quand viendra leur tour, ils iront probablement le chercher. Les combats avaient beau être enregistrés sur le magnéto-VS d'Amy, ce n'était pas la même chose que d'y assister en vrai.

Ils s'enchaînèrent à un rythme discordant. La différence de niveau se faisait ressentir : il y avait des très bons, des amateurs, et ceux qui avaient voulu tenter l'expérience avec des Pokémon de compagnie. Certains des Pokémon présents étaient inconnus à Edwina et Sebastian. Afin de se donner du courage, elle attrapa sa Super Ball et murmura à sa Pokémon :

Je compte sur toi ma Lulu ! On va leur montrer ce dont on est capable !

Luka frémit dans sa Super Ball, impatiente d'en découdre. Sebastian lui sourit, un petit quelque chose de tendre, mais ses yeux en disaient long sur ses intentions. Lui aussi comptait sur elles. Tout comme la réciproque était vrai.

— Les Lonecraft ! Contre... les sœurs Parasols !

Elles ne s'appelaient pas vraiment comme ça. Il semblerait que ce soit une blague entre elles et Blake, une référence un peu obscure qui ne faisaient rire qu'eux. 

L'aînée avait une Scalproie et la cadette un Grodoudou. De leur combat précédent, elles semblaient savoir ce qu'elles faisaient et avaient une bonne alchimie, malgré des Pokémon qui détonnaient au premier abord. La plus jeune semblait facilement déstabilisée à partir du moment où les choses lui échappaient, peut-être qu'Edwina pourra faire pression sur elle... Si la Scalproie ne s'acharnait pas sur Luka.

— Je prends la Scalproie, ça ira contre le Grodoudou ? lui demanda Sebastian.

— Ça va être serré... Mais on fera au mieux. Je vais -

Un cri strident retentit, celui d'une petite fille horrifiée par quelque chose. Sebastian et Edwina s'entreregardèrent. Certes, les enfants étaient par définition toujours en train de crier, mais leur instinct de parent leur assura qu'il y avait quelque chose.

Quelque chose de grave.

Le temps qu'ils aillent dans la salle de réception, Rachel se précipita sur Amy, les larmes aux yeux. Elle hurla, la voix déformée par la panique :

— Maman ! Maman, y a un garçon qui s'est noyé dans la piscine !

La nouvelle eut l'effet d'une bombe. Mue plus par l'instinct que la raison, Edwina se jeta dehors, sans savoir ce qu'elle espérait vraiment voir.

Et ce qu'elle vit, ce fut Daniel en train de faire un massage cardiaque à son petit garçon, inerte, les yeux grands ouverts où aucune lumière n'entrait et aucun regard ne sortait.