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Un monde ouvert de Feather17



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» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 15/09/2022 à 23:34
» Dernière mise à jour le 15/09/2022 à 23:43

» Mots-clés :   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Suspense

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Pas même neutre
Génocide
Je me sens fébrile, j’ai soupiré, baissé les yeux, plein de larmes, et j’ai repris mon récit.

— La pandémie a fait cinq millions de victimes chez les humains en trois ans. Chez les Pokémon, c’est plus difficile à comptabiliser. On ne peut que s’appuyer sur les cadavres que l’on découvre jour après jour et sur les informations que nous envoient les scientifiques du monde entier qui observent des diminutions de populations dans leurs zones de recherche. On estime donc à trente millions de victimes chez les Pokémon, dont soixante-quatre espèces totalement disparues à ce jour à cause de cette pandémie. Le VRES-4 est le virus le plus meurtrier de l’histoire moderne.

« L’ironie du sort, c’est que les Kecleon font partie des espèces qui ont disparues à cause du virus. On a essayé de les sauver de l’extinction avec notre Programme en dix ans. Tout ce qu’on a réussi à mettre en œuvre, c’est leur disparition anticipée ainsi que la disparition catastrophique d’autres espèces.

« Je n’imagine pas la terreur qu’il y a dû avoir dans les familles en deuil. Je n’imagine pas la souffrance et la haine qu’ils peuvent ressentir à mon égard, à présent que la presse m’a identifiée comme l’ennemie jurée numéro un. Moi, je ne faisais que mon métier. Nous ne pouvions pas nous douter des conséquences terribles de notre Programme de Protection.

— L’enfer est pavé des meilleures attentions, commente la juge sur un ton sec. Ça n’explique toujours pas pourquoi l’accusation emploie le terme de « génocide ». Expliquez-nous comment les Kecleon ont disparu, précisément.

Je ne peux pas répondre à cette question. Ma gorge se noue. Je suis incapable de mettre des mots sur l’atrocité de nos actes. J’essaie d’oublier ce moment de ma vie depuis trois ans. Et je vois que ce souvenir à chaque fois que je ferme les yeux.

— On essayait de bien faire, j’ai crié, presque supplié, en fondant en larmes. On a découvert que le virus mutait sans cesse au sein des populations de Kecleon que nous avions nous-mêmes réintroduites sur tous les continents du globe. Kanto, Johto, Hoenn, Sinnoh, Unys, Kalos, Alola, Galar : partout, les Kecleon étaient des hôtes parfaits pour ce virus qui a construit une résistance inimaginable. On était arrivé à VRES-73 quand on a arrêté de compter et qu’on a décidé de passer à l’action.

« On l’a appelé le Projet "Tabula Rasa". Comme le virus avait échappé à notre contrôle et que plus il mutait au sein des Kecleon, plus il était résistant. Plus il résistait aux vaccins, plus il tuait. Et plus il tuait, moins il y avait de prédateurs pour les Kecleon. On s’est retrouvé avec une situation invraisemblable où l’hôte du virus qui mute élargissait son territoire à mesure qu’il permettait la mort des autres espèces Pokémon.

« En biologie, on appelle cela le mutualisme. Il s’agit d’une interaction entre plusieurs espèces vivantes qui en retirent toutes un avantage évolutif. Le mutualisme correspond à une interaction à bénéfices réciproques : l’association entre les deux individus s’installe sans que la relation soit obligatoire, ce qui veut dire que la survie des individus ne dépend pas de cette interaction, mais elle y contribue assez pour que le mutualisme ait lieu.

— Jargon ! s’emporte la juge qui n’a plus la patiente de me traiter avec respect.

— Pardon… En gros, le virus et Kecleon vivaient bien ensemble parce que l’action dévastatrice du premier aidait le second à se multiplier dans la nature en tuant les prédateurs, et que la multiplication de Kecleon permettait au virus de muter et de continuer à trouver des hôtes pour se développer. Le virus était incapable de trouver un autre hôte. Dès qu’il passait à un autre Pokémon, soit il le tuait, soit il était tué par le système immunitaire du Pokémon. Même chose chez les humains. On n’avait pas d’autres choix. Il fallait arrêter tout de suite ce cercle vicieux. Il fallait se débarrasser du seul hôte qui permettait au virus de survivre.

C’est là qu’est intervenue l’armée de Kanto. Je croise le regard du Major Bob dans l’audience. Il a ce regard glaçant qui me rappelle immédiatement la menace formulée à mon encontre. Si je dénonce, je disparais. Et avec moi tous mes souvenirs. J’hésite. J’ai besoin du repos de mon âme, mais est-ce que je le mérite.

— C’est là qu’est intervenue… la régionale de Kanto de l’ASBL des TPF. Ils nous ont aidé à fabriquer un produit chimique qui tuerait en un instant tous les Kecleon du monde en épargnant les autres espèces vivantes. Le produit agissait sur la Thymine de l’ADN de… pardon, jargon. Bref, il n’y avait que les Kecleon qui pouvaient mourir de ce produit.

« Et on l’a fait. On a… On a… On a empoisonné les eaux de toutes les rivières de Kanto, et par le phénomène du cycle de l’eau et des pluies, le monde entier allait être recouvert de cette pluie toxique.

Dès le lendemain, les cadavres de Kecleon jonchaient le sol sur toute la surface du globe. La planète était recouverte par les cadavres. J’ai aidé à l’extinction d’une espèce. Je suis coupable. Est-ce que je mérite encore d'être humaine ?

— Merci pour votre récit. Nous reprendrons la séance demain, à huit heures du matin. La séance est levée.

Un coup de marteau sur le pupitre. La juge se lève, le regard féroce. Je sais qu’elle est pressée : elle enterre son Kecleon cet après-midi.

Pokémontre en main
J’adore ma Pokémontre ! Je peux passer des heures à jouer dessus ! Le jour où mes parents me l’ont offerte, j’ai sauté dans les airs ! J’étais tellement content ! J’aurais pu m’envoler comme un Étourvol !

Je l’ai tellement utilisée que la peinture est grattée partout et que l’écran tactile est complètement mort sur le côté droit, à force de taper dessus. Faut dire que j’utilise chaque fonctionnalité de ma Pokémontre en permanence.

Je me suis mis un défi. Je veux être le premier dresseur à avoir la collection complète de tous les Pokémon Shiny de la planète. Et pour ça, ma Pokémontre est un outil formidable ! Rien que pour obtenir un Lockpin shiny, je crois bien avoir utilisé plus de vingt logiciels de ma Pokémontre.

D’abord, j’utilise mon logiciel Contrôleur de Baie pour rechercher toutes les baies que j’ai plantées. Il m’en faut une spéciale pour pâtisser le Poffin parfait qui permettra d’attirer un Laporeille dans la nature.

Puis, avec ma Carte Repères, je pointe tous les endroits de Sinnoh où je vais pouvoir Shasser. J’en sélectionne un à Pile ou Face et je m’y rends. Comme j’aime bien les défis, je me mets un petit compte à rebours en activant le Minuteur. Et je shasse ! Je shasse, je shasse, je shasse à fond de balles !

Je contrôle le nombre d’individus rencontrés sur mon Compteur et je calcule sur ma Calculatrice combien il m’en reste à croiser avant de tomber sur un Shiny. Si je me trompe, je vérifie sur mon Historique Pokémon pour voir à combien j’en suis de captures.

Il y a toujours un moment où je finis par tomber sur un Shiny. Je le capture facilement, c’est pas le soucis. C’est là que je vérifie mon temps sur le Chronomètre, pour voir si j’ai pas battu un record. Si mon Compteur a pas sonné, je peux être sûr d’être dans un nouveau record.

Arrive la phase que j’aime le plus parce que je vais faire un peu de sport. Je retourne à Bonville et je vérifie avec mes deux montres, la Montre Analogique et la Montre Digitale, si je suis pas trop tard pour aller à la pension Pokémon. Ils sont rarement fermés, et ils font même un service de nuit. Je vérifie quand même si c’est pas un jour férié sur mon Calendrier. Si c’est ok, je cours poser mon Laporeille Shiny à la pension où mon Slave-Métamorph s’occupe de le féconder.

Je sors mon Contrôleur d’Amitié et je vérifie que la fécondation se passe bien à la pension. En général, les deux Pokémon ne s’apprécient pas. J’ai jamais compris pourquoi. Puis, quand j’ai assez attendu, je retourne à la pension et… bingo ! J’ai un œuf.

Alors, je monte sur mon vélo et j’active mon Podomètre. Je sais exactement combien de pas je dois faire pour que l’œuf éclose : six mille quatre cents pile poil ! Je connais un chemin parfait pour rouler, c’est une ligne droite plutôt tranquille qui traverse la Route 109, Bonville et la Route 110. Et là, j’en ai fini avec ma Pokémontre. Me reste plus qu’à rouler, rouler, rouler…Je vérifie le nombre de pas sur mon Podomètre.

Il y a un camion qui klaxonne. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Une douleur intense me déchire le corps, puis disparaît aussi rapidement qu’elle est venue. La Route 110 voltige autour de moi et le sol apparaît sous mes yeux. Il est de travers. Je vois mon bras et ma jambe entre moi et la pension Pokémon qui tourne plus loin à l’horizon. Je vois mon œuf fissuré qui roule le long du chemin et finit dans un champ d’Écrémeuh. C’est dommage, il était en prêt à éclore.

J’ai froid. J’aurais dû relever mon nez de ma Pokémontre. Je crois que je suis en train de mour

Humaine
Mon usine me manque. C’est fou ! J’ai détesté cet endroit toute ma vie, et maintenant que je n’y suis plus, il me manque. C’est à n’y rien comprendre ! Je crois que c’est parce que c’est mes filles qui me manquent. Et ma ligne de production. Mes G.I. Balls. Ça n’a l’air de rien, mais quand on vous donne un peu de responsabilité, un peu de pouvoir, on se sent tout de suite important, voire nécessaire. Sans nous, y a rien qui tourne. Enfin, c’est ce qu’on croit.

Je suis restée en contact avec mes filles, à l’usine, et il parait que l’activité a repris. Et puis, quand la pandémie s’est terminée et que le confinement a été levé, c’était comme si de rien n’était à l’usine. Comme si on n’avait pas essayé de mener la révolution. Tout le monde a repris le boulot. Sauf qu’ils avaient plus besoin de moi. Pas besoin de Rachel, quand tout est automatisé. Ils ont remplacé toutes les filles qui ont occupé l’usine par des machines, et puis tous les autres ont repris le boulot. Et pour bien nous humilier, ils ont délocalisé la production de G.I. Balls à Hoenn. Je ne savais même pas qu’il restait des usines là-bas. Après tout, c’est bien là que se trouve le siège social des patrons, les Devon.

Ça me manque, de plus faire les trois cent mètres de marche pour accéder à mon bâtiment. De plus me fourrer mon casque sur la tête, mes bottes aux pieds. La cantine ! Le couloir de gauche après les toilettes, mon hangar S4 ! Ici, tout est rectiligne, tout est froid, tout est simple, logique, monotone. Ennuyeux.

Galar, non. Galar, c’est bien. C’est une région que j’ai toujours rêvé de visiter. Si vous m’aviez dit un jour que j’y vivrais, je vous aurais ri au nez ! Par contre, Winsor, c’est bruyant. Qu’est-ce qu’ils ont tous à pas dormir la nuit ?! C’est quoi cette urgence à manger au restaurant à deux heures du matin, à faire les boutiques à trois heures, à combattre dans les rues à quatre heures ? C’est le froid qui leur tape sur le cerveau ?

En tout cas, c’est Lockpin qui est la plus impactée. On dirait comme quoi elle connait déjà l’endroit mais qu’elle aime pas de se savoir de retour ici. Ou c’est moi qui me fais des films. Je crois qu’elle est encore pas bien du fait qu’on a raté notre révolution. Elle y a cru, la petite. Elle croyait qu’on allait vraiment réussir à renverser le modèle économique de la boîte. Moi aussi, mais bon, je suis plus âgée, je sais me raisonner.

Les gamins, ils sont restés au pays avec leur père. Je pouvais pas me résoudre à les déraciner. Du coup, j’ai préféré me déraciner toute seule. Je suis forte. J’arriverais bien un jour à ne plus me sentir déprimée à chaque fois que je rentre à la maison. C’était ça ou j’avais plus de boulot, et fini les études, la thèse du plus grand, et la nourriture dans le frigo.

Par contre, niveau boulot, c’est autre chose ici. Ah, ça ! À Galar, ça rigole pas sur la rigueur. Qu’est-ce qu’on est surveillés ! Y a des caméras partout ! Dans le parking, le hall d’entrée, le couloir, la cantine, la salle de travail, même dans les chiottes ! J’étais surprise de pas en trouver dans les vestiaires et les douches ! Je me demande à quel point c’est légal, tout ça. Après, le big boss de l’entreprise ici, il gère aussi les équipes de sécurité de la ville, donc il doit avoir des passe-droits. Je crois même que c’est lui qui fait la loi, ici. Ah ben oui, y a pas beaucoup de service public ici. La police, c’est celui qui a l’argent qui la fait. Et M’sieur Shehroz, il en a du pognon !

Macros Cosmos Rail, Macros Cosmos Macro Net, Macros Cosmos Pepitos Sanchos de je-sais-pas-quoi. Ouhlala! Ils ont essayé de me les faire retenir le premier jour, je les ai déjà oubliés. Mais faut vraiment que je les étudie vite, ici les travailleurs doivent faire de la pub pour le boulot même quand ils sont chez eux.

Moi, je bosse maintenant à la Macro Cosmos Tech. Ça, j’ai retenu. Fini le travail à la chaîne ! Je dois dire que ça, c’est vraiment un soulagement. Y a du bon quand même dans mon exile ! Quand j’ai fait la visite guidée du laboratoire où je nettoie, par Zygarde, j’en avais la mâchoire qui trainait au sol. Ah, c’est autre chose ici ! La rigueur de Galar ! Le pognon des rois du monde !

Je crois bien que je me trompe pas si je dis qu’ils ont racheté à peu près toutes les technologies du monde. Toutes celles que la Sylphe SARL et la Corporation Devon ne possède pas, en tout cas. Ils nous ont parlé d’une technologie révolutionnaire sur laquelle ils travaillent, un truc avec des ultra-pêches, des ultra-rèches, ou des ultra-brèches, de je-sais-pas-quoi… J’ai pas retenu, mais ça avait l’air compliqué.

D’ailleurs, c’est dans ce secteur qu’ils ont refourgué l’ingénieur qui était mon « N+1 » à l’usine de Romant-Sous-Bois. Le grand mec tout sérieux, un peu froid, peut-être même un peu autiste. Qui fricotait avec son assistant. J’ai rien contre les… fin, c’est juste qu’on se rigolait bien avec les filles en les voyant se cacher de nous, quoi. Ils étaient mignons. Par contre, pour avoir un sourire de ce type-là, faut se lever de bonne heure ! Même un Némélios est plus vite content que cet ingénieur Doc Manoz ! Il doit se forcer dans ses vidéos VokiTube, c’est pas possible.

Enfin, lui, on l’a mis dans le secteur informatique. Il doit gérer une espèce de giga-ordinateur qui collecte des données pour un système en ligne de je-sais-pas-quoi. Pas étonnant qu’on m’est envoyée au nettoyage. Je ne comprends jamais rien, moi.

Mais bon, je vis ma vie et je suis heureuse comme ça. Tant que j’ai a mangé et un lit pour dormir. Et que mes enfants sont épanouis. C’est ça qui me maintient humaine.

Simple Laporeille
J’ai toujours eu du mal à comprendre ce qu’était la vieillesse. Je veux dire, je sais ce que c’est que de vieillir, mais je n’ai jamais aussi bien compris le phénomène qu’une fois que j’y suis entrée. Pour un Laporeille, il est très rare d’atteindre un état de santé si épuisé et fatiguée qu’on n’est plus capable de vivre de manière autonome.

En règle générale, dans les terriers, le travail de la survie est si usant au quotidien que les Laporeille cesse de vivre pendant une tâche, que ce soit à la cueillette ou au terrier. Ce n’est pas grave, ce n’est pas même triste. C’est la logique des cycles de la vie d’un Laporeille. À l’époque où je vivais avec ma harde, je n’ai jamais assisté à l’arrêt de la vie d’un Laporeille de manière « naturelle », comme disent les humains. Jamais un Laporeille ne s’est endormi dans ses rêves, par exemple.

Aujourd’hui, j’ai bien peur que je puisse expérimenter cela. Je suis tellement différente, avec ma patte atrophiée, ma couleur rose, et ma Transcendance. J’ai voyagé tellement loin dans le monde, je me suis retrouvée dans des états tellement variés, j’ai subi tellement de violences. Je suis fatiguée. Mon corps est fatigué. Mes cellules sont fatiguées.

Je n’ai pas la force de m’adapter à mon nouvel environnement. Après notre tentative de nous libérer de nos chaînes, et son échec cuisant, mon humaine m’a renfermée dans ma sphère rouge. Elle ne cherchait pas à me faire du mal ; tout au contraire. C’était sa manière de me protéger de la violence que nous subirions une fois chassée du terrier qui ne nous appartenait pas.

Quand j’ai été extraite de ma prison sphérique, j’ai ressenti comme un grand froid. J’avais l’impression que la saison hivernale était déjà arrivée. En réalité, j’ai très vite compris que je découvrais un nouveau territoire, qui sait à quelle distance de celui auquel je venais à peine de m’acclimater ?

Quand j’y repense, je n’ai jamais connu aucune espèce vivante qui ait autant voyagé que moi. Malgré tous ces cycles à être trimballée d’un endroit à l’autre du monde, je n’arrive toujours pas à m’y faire. L’odeur de mon terrier me manque, le goût de mon territoire me manque, les phéromones de mes semblables me manquent. Je suis épuisée !

Et ils vont à nouveau me faire travailler pour eux. Cette fois-ci, je suis enfermée dans un terrier très rectiligne, lumineux et glacial. Je suis en compagnie d’une espèce que je n’ai jamais vue. Elle ressemble à feu mon ami Pompon, mais en plus petite et en plus élégante. Les humains l’appelle « Évoli ». Ma mission est simple : aider Évoli à tenir debout. C’est que la tâche est rigoureuse, car Évoli a été… modifiée.

Un peu comme moi qui ai été Transcendée, Évoli a été modifiée par les humains. Elle porte une coiffe non-naturelle, froide et luisante. Sa coiffe reflète la lumière autour de nous. Mais elle est trop lourde pour sa toute petite tête. Je dois donc l’aider à se maintenir debout le temps que les humains expérimentent des choses sur elle. On la pique, on la frotte à une boule dorée, on la relie par des cordelettes à des machines de leur propre invention.

Un jour, j’ai failli à ma tâche. Je m’en veux, car Évoli comptait sur moi et elle est tombée la tête la première. En fait, j’ai sursauté. Et en sursautant, j’ai lâché Évoli. C’est que je ne l’avais encore jamais vue cracher des flames ! Elle-même ne semblait pas savoir qu’elle était capable. On a très vite compris qu’il s’agissait de la coiffe étrange qui avait fusionné avec sa tête. Car sans elle, elle était purement et simplement une Évoli sans singularité.

Je rêverais ne pas être singulière. Je rêverais ne jamais avoir été rose. Être née sans handicap. Ne pas essayer de comprendre des concepts abstraits. Ne pas être capable de pardonner aux humains leurs horreurs. J’aimerais n’être qu’une Laporeille. L’univers en a décidé autrement.

Soit. On a tous la vie qu’on a, qu’on soit une Laporeille ou qu’on ne le soit pas. Moi, je ne le suis pas. Je suis différente.

Réalité augmentée
— Et eux ? Que font-ils ?

Derrière la fenêtre sans teint, je vois rangée d’informaticiens, cachés sous des casques auditifs, assis le dos courbé devant des écrans d’ordinateur. Ils pianotent au clavier. Ils font du code.

— Eh bien, figure-toi qu’eux-mêmes ne le savent pas.
— Comment ça ?

Singfrid, mon nouveau collègue, continue de mener la visite guidée. Nous nous approchons de la fenêtre fumée.

— On peut se tutoyer ?

Je ne supporte pas quand des inconnus me tutoient. Je me fais difficilement des amis, ce n’est pas pour que le premier étranger me considère comme son proche.

— Oui, pas de problème, je réponds.
— Tu vois cette tour, par là-bas ?

Je vois une tour d’ordinateur, par là-bas.

— Elle est reliée au réseau internet mondial. Tu as entendu parler du « Cloud Secret » ?

Ce nom ne me dit rien.

— Non, je réponds.
— Depuis quelques mois, on a découvert dans le code du réseau mondial un système d’exploitation alien. Nos premières hypothèses étaient qu’il s’agissait d’une espèce de programme oublié ou abandonné par les premiers codeurs de l’internet mondial. Intrigué, Monsieur Shehroz nous a demandé de l’explorer. On la appelé le « Cloud Secret »

Cette histoire m’intrigue. Finalement, je sens que les mystères qui sont traités dans ce laboratoire seront à la hauteur de mon émigration à Galar.

— Eh bien, figure-toi que la semaine dernière, on a réussi à identifier un code de Pokémon dans ce fameux « Cloud Secret ».
— Un code de Pokémon ? Comme ceux qui se trouvent dans le Système de Stockage des PC des Centres Pokémon ?
— Exactement. Un vrai code de Pokémon bien réel. On a mis du temps à le décoder, mais on a réussi. Il s’agit d’un Moustillon.

Comment un Moustillon a-t-il pu se retrouver isolé dans un programme informatique ? Singfrid semble lire dans mes pensées, car il ajoute :

— Impossible de savoir d’où il vient, mais il existe vraiment. C’est un vrai Moustillon vivant qui interagit avec son environnement codé dans le programme ! Pour l’instant, l’équipe essaie de voir s’il n’y a pas d’autres Pokémon coincés dans le « Cloud Secret ». Si ça se trouve, ce pourrait être une intelligence artificielle qui ait donné naissance à ce code, et donc à ce Pokémon.

Ou un pirate informatique qui s’amuse à cloner des Pokémon. Je ne dis rien.

Nous passons au cœur même du laboratoire, où va se trouver la partie principale de mon travail. La salle est douillette. Au centre, une espèce de vivarium trône fièrement avec, en son sein, un crabe qui semble apprécier se rouler dans le sable. De l’autre côté de la pièce, une vitrine protège une Baie Poma, le symbole de l’entreprise. Entre les deux, le local est investi de nombreux ordinateurs. Devant ceux-ci, des dizaines d’adolescents sont reliés à l’ordinateur par un casque de réalité virtuelle.

— Ils jouent à un jeu vidéo en réalité augmentée. La technologie principale sur laquelle nous travaillons. Ton boulot, justement, ce sera d’apporter des améliorations techniques pour rendre le jeu encore plus réaliste.

Ça me va. C’est un défi à ma hauteur.

— Quand est-ce que je commence ?

Barrière brisée, carré noir franchi
Nous avons communiqué ensemble toute la semaine. La barrière invisible ne nous permettait pas de nous entendre, alors nous avons inventé un langage codé à base de signes. Nous avons échangé toutes les informations que nous avions en notre possession.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai compris que de l’autre côté de la barrière qui bloque l’éloignement de Paldea, du côté de mon homonyme en uniforme violet, une autre Paldea s’étend de la même manière que l’île qui se trouve derrière moi ! Il m’a expliqué cela un jour où nous avions terminé de roder notre langage secret.

Il s’appelle Violet. Il habite dans le même patelin que moi, mais je ne l’y ai jamais croisé. Je crois que je sais pourquoi. Parce que son patelin est de son côté de la barrière et mon patelin est de mon côté de la barrière. C’est comme si tout est inversement symétrique dans son Paldea. Ou dans le mien.

Quand on a compris cela, il m’a immédiatement donné une mission. Moi, je voulais savoir comment on pouvait briser cette frontière pour unifier nos deux Paldea. Il m’a assuré que, si je parvenais à remplir mission, mon rêve serait exaucé. Je l’ai cru. Et j’ai bien fait.

De son côté, il a trouvé un carré noir dans le désert. Un simple carré noir. Tout fin, tout noir, tout vide. Dans le désert. Il m’a demandé de me rendre aux coordonnées GPS qu’il me donnait, dans mon propre Paldea, afin de tendre une corde. Il était persuadé qu’il s’agissait d’un pont entre nos deux Paldea.

Il avait raison. Je l’ai trouvé, son carré noir. Exactement à l’endroit où il me l’a indiqué. Quel drôle d’objet. J’y ai passé ma main et elle a disparu. J’ai sursauté et l’ai tirée vers moi. Elle a réapparue. Je me suis secouée le crâne : il fallait que je m’en tienne au plan.

La première chose que je devais vérifier, c’est s’il se trouvait dans les alentours une Baie Poma. Dans ses expérimentations, il avait lancé une Baie Poma à travers le carré noir. Si son hypothèse était exacte, si ces deux carrés noirs formaient un pont entre nos deux mondes, alors elle se trouverait du mien, et nous pourrions nous rejoindre. Et j’aurais enfin franchi la frontière infranchissable du bout du monde ouvert.

Quelle déception de ne pas retrouver de Baie Poma. Se pouvait-il qu’elle ait été consommée, après tout ce temps ? Après tout, un mois dans un désert, et n’importe quel fruit disparaissait, non ? Il fallait s’en tenir au plan. Nous avions choisi une date, nous avions choisi une heure. Le moment était arrivé.

Nous étions prêts à découvrir ce qu’il y avait de l’autre côté du carré noir. Ma montre a sonné. Je sais que la sienne a sonné au même instant. J’ai fermé les yeux. Et j’ai plongé. De son côté, il a plongé aussi. Puis, j’ai ouvert les yeux. Rien. Vide. Noir.

Réalité
Je me palpe. Je suis toujours vivante. Mais je ne vois rien. En revanche, je sens. Une odeur très présente de produits ménagers. Je secoue les mains autour de moi. Peut-être vais-je toucher un obstacle, un mur ? Un interrupteur qui puisse baigner mon environnement de lumière ?

Je touche quelque chose sur le sommet de mon crâne. Comme un casque. Serait-ce possible que…

Je tire de toute mes forces et étouffe un cri. J’ai arraché un de mes cheveux en soulevant le casque qui me bloquait la vue. Il me faut le temps d’habituer mes yeux à la soudaine lumière qui m’inonde.

Autour de moi, des dizaines d’autres adolescents cachés sous des casques. Je sursaute ! Je viens de me voir dans le reflet d’un miroir. Je ne ressemble pas du tout à moi-même ! Mon corps n’est pas celui de Scarlet !!

Qui suis-je ?!

Je me lève en sursaut et court vers le miroir pour m’observer.

— Tout va bien, petite ?

Je me retourne. Une femme dans un tablier m’observe avec inquiétude. Elle tient un balai. Elle nettoie.

Je ne sais pas quoi dire. Je suis sous le choc.

Derrière elle, une vieille Lockpin s’approche furtivement, puis un homme de la cinquantaine, et un autre élégamment vêtu d’un costume noir.

— Qu’est-ce qu’il se passe ici ?

Derrière eux, je reconnais quelque chose, dans un étrange aquarium de verre. Craparoi, le Pokémon crabe que j’ai combattu dans le désert et que j’ai balancé dans le carré noir ! Plus loin, la Baie Poma que j’ai laissé tomber dans le carré noir pour en vérifier la profondeur.

Ça me revient ! J’ai sauté à pied joint dans le carré noir ! Je suis Violet ! Non, impossible… Je suis Scarlet…

Qui suis-je ?

Je vacille. Je perds connaissance. On me rattrape.

C’est comme dans un rêve. Tout est flou et à mesure que l’on se concentre, certains détails nous paraissent plus nets, plus réels. Impossible toutefois de se dérober à cette étrange sensation que rien n’est réel. On a beau regarder autour de soi, on a beau étudier ce qui nous entoure : on est quelque part d’inconnu et pourtant si familier. Alors on se pose des dizaines de questions, comme elles nous viennent : pourquoi ? quand ? où ? comment ? hein ? c’est quoi ce bordel ? Mais une seule est pertinente, une seule question écrase toutes les autres, comme la reine de toutes les interrogations, celle qui démarre le chemin de raisonnement qui permet de structurer l’information, celle dont tout découle, comme une rivière de pensées, un flot qui se déverse en continu, une ligne de codes qui se succèdent à mesure qu’on avance sur le bon chemin du questionnement. Qui suis-je ? un garçon ? une fille ? Grande ? petite ? blonde ? brune ? blanche, noire ou basanée ? Et quelle est ton nom ?

Je ne sais pas. Je ne suis peut-être qu’un code, après-tout. Créé par une intelligence artificielle. Le produit de la technologie des humains. Ou un Pokémon. Ou le fruit de ma propre imagination. Ou rien du tout. Qu’est-ce que la réalité ?

Pourrons-nous seulement savoir un jour si nous sommes réels ou fictifs ?