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Un monde ouvert de Feather17



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» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 15/09/2022 à 23:33
» Dernière mise à jour le 15/09/2022 à 23:42

» Mots-clés :   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Suspense

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Dépasser notre humanité
Toujours le carré noir
Je ne lâcherai pas l’affaire, je n’abandonnerai pas. Paldea m’a lancé un défi et je compte bien le résoudre. J’ai traversé l’île comme personne avant moi. J’ai affronté les dresseurs les plus puissants, j’ai vaincu les adversaires les plus redoutables. Je me suis hissé au sommet du classement de la Ligue Pokémon. Alisma s’est agenouillée devant moi en reconnaissance de mon talent.

Ah ! Ils nous ont mis au défi de remettre sur le droit chemin les étudiants rebelles de la Team Star. Ce fut long, ce fut périlleux, mais nous avons vaincus. Mes Pokémon et moi avons triomphés de toutes les insurrections aux quatre coins de l’île. L’équipe violette peut être fière de moi : j’ai fait revenir l’ordre à Paldea !

Et cette chasse au trésor, faut-il seulement en parler ? Je détiens la plus grande collection d’épices secrètes de tout Paldea ! Ce ne fut pas une mince affaire, les Pokémon dominants auront su nous mettre à rude épreuve. Mais nous avons tenu bon et nous connaissons à présent toutes les propriétés miraculeuses de ces épices secrètes.

Je pourrais retourner chez moi. Je pourrais rentrer, fermer la serrure derrière moi, dans ce patelin isolé sur la côte sud de l’île. Je pourrais prendre une bonne douche, me masser les pieds, et terminer ma journée sur le canapé, à regarder mes trophées et me féliciter pour la réussite intégrale de mon aventure.

Mais je serais toujours taraudé par cette image. Comme une pensée qui ne pourrait jamais me quitter tant que je n’en aurais pas élucidé le mystère. Ce carré noir.

Je veux savoir ce qu’il y a sous ce carré noir ! Je veux savoir ce qu’est ce carré noir, de quoi il est fait, comment il est arrivé là, de quelle profondeur il est, pourquoi il est là ! Foi de Violet, je vais percer cette énigme !

Nous sommes retournés dans ce désert beaucoup mieux préparés qu’il y a un an. J’ai sorti tous mes alliés hors de leurs Poké Balls : Clotilde, Malva, Enrica, Martí et Miraidon. C’était l’heure d’un discours fédérateur. Nous devions élaborer une stratégie. Les idées ont fusée de toutes parts. Évidemment, mes Pokémons voulaient absolument attaquer le carré noir : qui par les flammes, qui par le poison. Miraidon a eu une idée : calculer la profondeur du vide sous le carré noir afin de créer une corde qui nous permettrait d’y pénétrer et d’en ressortir en toute sécurité.

Sitôt dit, sitôt fait. Martí a déniché une Baie Poma dans le fond de mon sac, nous nous sommes tous réunis autour du carré noir et j’ai jeté le fruit en son centre. Le fruit a disparu à son contact, volatilisé dans la pénombre la plus totale. Et nous avons attendu, l’oreille tendue. Des minutes, de longues minutes, puis une heure. Nous n’avons jamais entendu le choc au fond du précipice. No hay.

Ma nouvelle théorie, c’est qu’il n’y a pas de fond. Il n’y a pas de profondeur. D’ailleurs, sous le carré noir, il doit y avoir le même sable fin qui compose le reste du désert de Paldea. Le carré noir doit être un carré noir, sans épaisseur, mais qui aspire tout ce qui le touche en son sein. Une espèce de carré de vide. Comme un trou noir dans l’univers.

Notre prochaine expérience sera d’y plonger une tête et d’ouvrir les yeux. Je saurai percer ce mystère, foi de Violet !

Presse écrite
Extrait du tirage n°23 de « La Dépêche Pokémon », mercredi 20 mai 1953.

« Traversée du désert pour l’Anchwatt, par Egdebert Bononvil.

Il n’y aura pas d’Anchwatt cette année sur le traditionnel poulet de nos repas de Noël. Un accident survenu en mer entre un bateau de croisière et une plateforme pétrolière en cause.

Il n’y aura pas d’Anchwatt cette année sur les côtes de Sinnoh. C’est l’annonce qui fut envoyée hier matin à toutes les rédactions de la région. La nouvelle tomba à 7h36 et émana du Bureau des Relations Internationales, service Nature et Territoire, de la région d’Unys. En cause : un terrible accident au large d’Unys, sur la rive sud du continent. Le paquebot "L’Océane", navire touristique qui quitta le port de Carmin-sur-Mer le 13 mai dernier, fut pris dans une tempête dans le courant de la nuit du 18 au 19 mai. Peu après 1h du matin, il entra en collision avec la plateforme pétrolière "Montanso", une des plus vieilles plateformes installées dans la mer d’Unys.

L’accident fit deux cents victimes parmi les mille cinq cents touristes : quatre-vingt femmes, soixante-sept hommes, vingt-deux enfants et trente-et-un membres de l’équipage. Deux ouvriers de la plateforme pétrolière périrent également dans l’accident.

Cependant, aussi horrible que cet évènement fût, le Bureau des Relations Internationales, service Nature et Territoire, communiqua un long rapport sur l’impact écologique potentiel de cette collision. En quelques six heures, il se déversa déjà mille tonnes de pétrole dans les profondeurs de la mer d’Unys. Une conséquence dramatique sur les populations d’Anchwatt. René-Philipard Wake, bourgmestre de Verchamps et propriétaire du Grand Marais, nous en décrit les raisons.

"La vie d’un Anchwatt peut paraître ridicule aux yeux des hommes", nous écrit-il. "Il faut bien comprendre que nous parlons d’une espèce qui n’a de cesse de voyager." La vie d’un Anchwatt ne dure en moyenne que quatre années, la moitié desquelles il la passe à traverser l’océan en direction de notre région. "Il nait sur la rive sud d’Unys et voyage à travers tout le globe pour se rendre sur la rive nord de Sinnoh. Durant deux ans, un Anchwatt peut traverser autant de périples que trois générations d’hommes." L’accident qui se produisit au large d’Unys se situe exactement sur le tracé du voyage d’un Anchwatt.

"Il est essentiel de rappeler ce fait", nous met en garde l’éminent scientifique et homme d’affaire : "un Anchwatt ne peut survivre uniquement à condition de se rendre à Sinnoh, car c’est à cet endroit précis que se rejoignent toutes les caractéristiques météorologiques permettant son accouplement. Il n’a pas d’autre alternative que de suivre le chemin tracé par ses ancêtres. Sans cela, nulle reproduction." Le déversement de centaines de milliers de litres de pétrole dans les eaux qui forment le trajet des Anchwatt risque donc d’être meurtrier pour l’espèce. D’après les scientifiques d’Unys, il n’existe à leur connaissance aucun autre banc d’Anchwatt au sein de leur région. Le départ des Anchwatt est prévu pour le début de l’été.


L’occupation des eaux du rivage sud d’Unys fut largement critiquée par les partis d’opposition, lors de la construction de la plateforme pétrolière. Depuis hier matin, une centaine de militants de la nature se sont réunis afin d’occuper la maison-mère de l’entreprise afin d’en exiger des réponses immédiates. Aucune information n’a émané à cette heure de la part de "Montanso".

Si la plateforme n’est pas réparée dans les semaines à venir et les eaux polluées, nettoyées — ce que la majorité des scientifiques ne sont pas prêts à croire malgré l’assurance des propriétaires de la plateforme —, les Anchwatt pourraient très bien être les victimes d’un véritable génocide.

Il n’y aura donc pas d’Anchwatt cette année sur le traditionnel poulet de nos repas de Noël. Quant à savoir s’il y en aura à nouveau un jour, les scientifiques ne semblent pas y croire.

La Gazette se propose de récolter vos réactions. Envoyez une lettre écrite à l’adresse postale ci-dessous, code Bonville 13. »

L’avenir de l’économie
Ça m’a pris comme ça, sur un coup de tête. Je me suis dit « Rachel, si tu le fais pas maintenant, tu le feras jamais ! » On croit toujours que ces choses-là sont préméditées, mais que nenni ! Et c’est pour ça que les choses, elles prennent. Un peu comme quand on veut allumer un feu et qu’on n’a pas de Feunnec : ça chauffe, ça chauffe, jusqu’à ce qu’une étincelle éclate et que tout prend feu dans un énorme brasier. C’est ce qu’il s’est passé à l’usine. Les choses, elles ont chauffé, puis y a eu une étincelle, et tout a cramé.

L’étincelle, c’est ce foutu confinement. Je comprends qu’on essaie de lutter contre le virus Machin-4, mais faut pas abuser. On a bien compris que c’est pour sauver le système de santé des Centre Pokémon. On les voit bien, nos Pokémon, tomber par paquet à cause de ce fichu virus. Heureusement qu’on n’est pas autant touchés, nous. Une grosse grippe, deux semaines couchés dans notre lit, et on est debout. Mais nos Pokémon, c’est une autre affaire. Mon pauvre Pompon, paix à ses cendres…

Paraît que ça vient d’Unys. Ils ont tout fermé là-bas, depuis un mois déjà. Quand on a appris ça aux nouvelles, on faisait pas les fiers. Tout, qu’ils ont fermé. Plus aucun bateau qui peut ni entrer, ni sortir du continent. Les gens, on les a enfermés chez eux. Y a mêmes des gosses, on les a laissé dans leur école pendant deux jours avant de les autoriser à rentrer chez eux, seulement s’ils se barricadent. Ils voulaient contenir le virus pour pas qu’il contamine le monde entier. C’était bien loupé, quand ils se sont rendus compte que même les Pokémon sauvages tombaient de partout. On a vu à la télé, l’autre jour, toute une nuée de Poichigeon morts. Comme ça, couchés sur le sol. On aurait dit qu’ils étaient tous tombés d’un coup. Ça nous a fait froid dans le dos, Lockpin en a pas dormi de la nuit.

Mon pauvre gamin qu’on a dû rapatrier de Kanto, en pleine thèse doctorale ! Parce que quand on a vu que ça s’est propagé à Kanto, là on a commencé à paniquer. Tout le monde toussait à l’époque et on nous disait que c’était autre chose, que c’était pas possible que nos Pokémon aient été en contact avec le virus aussi vite, parce qu’ils avaient déjà tout fermé à Unys. Mais qui sait depuis combien de temps on voyage ? Tous ces « community manager », ces « business men » qui prennent l’avion pour un oui ou pour un non : il déjeune à Romant-sous-Bois et le soir, ils soupent à Motorby. Suffit qu’y ait un Goupilou qui a toussé dans son assiette pour que le patron revienne nous filer ses glaires !

Là où j’ai vraiment décidé que c’en était trop, les mensonges, les manipulations, les sacrifices toujours chez les mêmes, c’est quand ils ont annoncé que le virus, c’était en fait une pandémie, et qu’ils allaient aussi confiner Kalos. On doit porter des masques, qu’on n’en a même pas. On doit se laver les mains, que c’est la pénurie de savon. On doit garder nos Pokémon enfermés dans leurs Poké Balls, qu’on va bientôt nous demander de nous enfermer nous-mêmes dans des Poké Balls. Le pire, là vraiment où y a eu l’étincelle qu’a démarré le feu, c’est quand plus personne ne devait travailler, sauf nous !

Ah, ça ! Ils se sont tout de suite souvenu de qui faisait tourner l’économie de la région ! Je l’ai dit, à mes filles de l’usine : « Vous allez voir, ça va être confinement pour tout le monde, sauf pour nous ! ». Et ça n’a pas manqué. Dès le lendemain, le patron qui sonne pour nous dire de venir travailler si on veut pas que l’économie de Kalos s’effondre. Ah ! Elle a bon dos, l’économie de Kalos ! Elle vaut combien la région ? Cent milliards de Pokédollars ? Deux cents milliards ? Je leur ai dit, aux filles : « Le PIB de Kalos, c’est notre sang à nous toutes ! »

C’est là que tout le monde m’a applaudi. On était sur ma ligne de production, celle des G.I. Balls. Il faisait vide et calme, j’avais jamais vu l’usine aussi silencieuse. Pas qu’il y avait personne. Non, tous les ouvriers étaient priés d’être présents. Mais les règles de sécurité sanitaire étaient tellement strictes qu’ils nous ont séparés à plus de deux mètres chacune l’une de l’autre, et qu’on pouvait même plus se parler, rapport aux postillons qu’on crache quand on parle. Bah oui, y avait pas de masque, Kalos est pas foutue d’en fabriquer ! Ils ont tout envoyé à Hoenn, et depuis que la moitié du pays a été rasé dans l’Accident Nucléaire, ils ont jamais réussi à recréer leur parc de manufactures du textile. Pouf ! Envolé, le stock de masque mondial !

Quand on m’a applaudie, j’ai pas réussi à garder mon sang-froid. J’ai fait un genre de discours épique, comme dans les films d’action d’Unys, avec des gars qui n’ont aucune vie mais qui deviennent des héros. C’était moi, l’héroïne ce jour-là. Je leur ai dit, à mes filles : « Vous avez remarqué qu’à l’usine, il y a pas les N+1, les N+2 et tous les chiffres au-dessus du N ?! » Elles ont toutes rigolé. L’humour, ça marche bien quand on veut mobiliser les troupes, en fait.

« Vous avez remarqué qu’ils restent bien confinés chez eux pour pas tomber malades, les riches, et que nous on peut venir crever avec nos Pokémon qui sont même pas payés et qui sont plus fragiles que nous ? » que je leur ai dit, à mes filles. J’ai jamais été aussi fière : tout le monde m’écoutait. Ah ! mes gamins doivent être contents d’avoir une révolutionnaire comme mère.

On a décidé d’occuper l’usine. J’avais suivi une formation en désobéissance civile et je savais exactement ce qu’il fallait faire : bloquer les issues, verrouiller toutes les portes extérieures, couper les systèmes de sécurité qui permettent d’ouvrir les portes en cas d’incident. On s’est littéralement barricadées dans l’usine. Là, j’ai encore fait rire tout le monde parce que j’ai dit à mes filles : « Ils veulent qu’on soit confinées ? Bah voilà, c’est fait ! »

Y a pas un patron qui a réussi à mettre un pied dans l’usine. Dès qu’ils ont su la nouvelle, ça a chauffé ! tout de suite, ils ont enfreint la loi et se sont déconfinés pour venir nous jeter dehors de leur usine. On a tout eu comme menace : on va vous virer, on va vous ruiner vos plans de carrière, vous serez plus jamais employable sur le marché, on va vous coller un procès au cul, on va vous ruiner dans des frais d’avocats. Tout ! On n’a pas cédé d’une semelle. Plus ils nous menaçaient, plus on était convaincue qu’on faisait la bonne chose.

Même les Pokémon, ils nous ont suivi ! Fallait les voir, les Magnéton, le Queulorior, Fidel le Galvaran, le petit Dedenne, et ma Lockpin ! C’est eux qui étaient les plus féroces dans la lutte. Parce que faut bien comprendre qu’à un moment donné, un patron à qui on vole sa propriété, il veut la récupérer coûte que coûte. Y en a un qui a voulu rentrer par le toit. Magnéton lui a envoyé des éclairs pour le dissuader le temps que Lockpin referme les issues. Qu’est-ce qu’on s’est marré ce jour-là !

Nos revendications étaient pas si folles : on voulait être traitée avec respect, et que nos Pokémon soient traités avec un peu d’humanité. Juste ça. Récupérer notre humanité. Le plan, il était simple : on leur montre ce que ça fait, des travailleuses qui ne travaillent pas. En un jour, ils ont perdu des millions de Pokédollars. Nous, ce jour-là, on a joué au Bridge et au Poker. On s’est jamais sentie aussi vivante.

Puis, on a repris le boulot. Pas parce qu’on avait des regrets, non ! C’était notre plan. On voulait montrer qu’on était de bonne foi et que tout ce qu’on voulait, c’est être respectée dans notre travail. Donc, on s’est remises à bosser. Et on a même bossé très dur parce qu’on voulait récupérer le retard de production qu’on avait engendré. On leur a montré qu’on était capable de doubler leurs bénéfices par la simple volonté. Que si on nous respectait, que si on se sentait bien au travail, et que si on avait une bonne raison de venir à l’usine le matin, on était capable de les rendre ultra-riches. Donc, on a doublé notre production pour rattraper le retard.

Fallait les voir, les « managers » et les « N+1 » dehors ! Des têtes jusque par terre, qu’ils pendaient. Je leur ai dit à mes filles : « Ils vont nous prendre pour des folles ! » Heureusement, on continuait à parlementer avec eux. On m’avait élue négociatrice, rapport au fait que c’est moi qui ai démarré la révolution au début. Je pense avoir fait un bon boulot, quand même. Parce que, c’est pas qu’on leur produisait leur G.I. Balls. Mais c’est qu’on s’investissait vraiment dans leur usine, malgré notre occupation !

Faut bien comprendre un truc : on voulait leur montrer qu’on était capable de gérer l’usine comme eux. Et que si on était payées une misère et qu’on gérait mieux qu’eux, alors ils n’avaient plus aucune raison de continuer à avoir cet écart de salaire avec nous. On a réinventé la marque, on a fait une campagne de pub, on a fait venir des camions en secret pour assurer la livraison, dans tous les journaux on parlait de nous comme des révolutionnaires brillantes. On nous appelait « l’avenir de l’économie » !

Et c’est justement ça, qui les a motivés à toutes nous virer quand on a réouvert l’usine. On savait que le combat allait être dur, qu’il allait être semé d’embuche. On savait que ça allait être une vraie traversée du désert ! Mais on ne se doutait pas qu’on finirait par perdre. La vérité, c’est qu’on leur a fait peur. On leur a montré qu’on pouvait diriger le monde sans eux, eux qui ne savent rien faire de leurs doigts. On voulait récupérer un peu d’humanité. On s’est rendu compte que c’était impossible : l’humanité s’est éteinte il y a bien longtemps.

Télévision
Une musique relaxante. Le narrateur a une voix qui donne envie de somnoler.

Les Anchwatt sont des Pokémon fascinants. Ils passent deux ans de leur vie à traverser l’océan et deux autres années à rebrousser chemin. Leur destination est chaque fois la même : les rives nord de Sinnoh où ils s’engouffrent dans le territoire à travers le fleuve glacé, au large de Frimapic. Ce matin, un banc d’Anchwatt passe par là.

Un banc d’Anchwatt passe dans le champ de la caméra.

Après avoir bravé tous les dangers en mer, ils démarrent leur long périple en terre. Car le voyage qu’il leur reste à faire pour rejoindre le lac où ils s’accoupleront est semé d’embuches.

Cut. Nouvelle scène. Un bateau de pêcheurs remonte un gigantesque filet rempli de Magicarpe.

Si la pêche d’Anchwatt est interdite par les accords interrégionaux entre Unys et Sinnoh, rare sont les filets de pêches qui n’en garde pas quelques prisonniers. On estime un banc d’Anchwatt qui démarre son périple à Unys au nombre de quarante mille individus. Arrivé à Sinnoh, le nombre a drastiquement chuté : vingt-mille seulement ont survécu aux obstacles marins. Chaque année, les filets de pêche des centaines d’Anchwatt. Si les Anchwatt survivent aux barrages dressés par les hommes, ils ne sont que dix-huit mille à atteindre leur lieu d’accouplement.

Un lac est noir de poissons qui écument la surface de l’eau.

Bientôt, il leur faudra repartir afin de pondre leurs œufs à l’endroit de leur naissance, au large d’Unys. Ils ne seront qu’une centaine à y parvenir.

Fondu au noir. Musique. Générique.

Si vous avez aimez notre programme, vous pouvez le revoir en audiodescription sur le site www.pokepeche.un. Pour participer au débat en direct, envoyer « Débat » au 71212.

Plan de licenciement
— Germain Manoz.

Tous les regards se portent sur moi. Je ne sais pas quoi faire. Ils ont tous l’air convaincus de leur choix. Je suis le dernier à devoir voter. J’hésite. J’essaie de perdre du temps, même si c’est inutile. J’ai l’espoir qu’on va me tirer de cette situation.

— Il ne reste plus que vous, Monsieur Manoz. Je rappelle que cette décision doit être prise à l’unanimité.

Ils ont tous levé la main. Ils n’attendent plus que moi. Je ne peux pas me résigner à les laisser gagner. Cependant, si je ne les suis pas dans leur décision, je vais être marqué comme le mouton noir du groupe. Je serai le prochain dont ils se débarrasseront. Et je ne peux pas me permettre de perdre mon travail.

Je repositionne mon masque sur mon nez et je détourne le regard. L’assistant le croise du sien et mon cœur s’emballe. Lui aussi a hésité, mais il a fini par lever la main. Comment lui en vouloir, il est si jeune, si fragile. Si je peux encore subvenir à mes besoins sans travail, lui a tout une vie à construire.

— Monsieur Manoz, il nous faut une réponse immédiatement. Pour ou contre un plan de licenciement général et une fermeture de l’usine ?

Je me mords la langue. Pourquoi ont-elles mené cette occupation ? À quoi pensaient-elles ? Croyaient-elles vraiment gagner le bras de fer entre le monstre qui pèse six cent milliards de Pokédollars et la chenille qui a à peine de quoi nourrir sa famille ?

Pourtant, je me souviens que Rachel Képé, leur meneuse, était une personne de bonne foi, plutôt raisonnable même. Mère de famille, toujours à l’heure, responsable d’une unité de production : qui aurait cru qu’elle tourne révolutionnaire ?

— Je sais que c’est une décision très difficile à prendre, compatis mon patron.

Ils ont tous levé la main en une fraction de seconde. Hypocrites.

— Mais je peux vous assurer que vous serez muté dans une autre de nos entreprises. La Corporation Devon est une multinationale dont le secteur d’activité s’étend à tous les territoires. Nommer une région, et l’on vous y envoie. Avec une prime à la clé. Vous pourriez être, dès que le confinement se termine, en train de bronzer sur une plage de Poni.

Ils essaient d’acheter ma conscience. S’ils veulent jouer à ce jeu, j’y suis prêt.

— Et si on leur proposait cela à elles ?

Tout le monde me dévisage.

— Qu’est-ce que vous entendez par là ?
— Et si on leur proposait une augmentation, de meilleures conditions de travail, et un vrai salaire pour leurs Pokémon ?
— Vous voulez qu’on cède ?! s’exclame une responsable, outrée.

Je veux juste que tout cela s’arrête et qu’on puisse vivre en harmonie.

— Monsieur Manoz, nous n’allons pas le répéter une dernière fois. Poni, ou la porte ? Votez.

Je soupire. Je n’ai pas d’autre choix que de céder.

— On pourrait ne pas les virer du tout ! intervient mon allié.

Mon cœur se serre. Il a une lueur d’espoir dans le regard. A-t-il trouvé la solution. Tout le monde s’impatiente.

— On les reprend, on fait comme s’il ne s’était rien passé. Pas d’augmentations, rien. On agit juste comme des patrons responsables et compréhensibles en les gardant chez nous malgré tout.
— Qui a engagé cet assistant ? s’énerve le patron.
— Attendez ! je supplie.

L’assistant me remercie du regard. J’ai confiance en lui.

— Mais pour empêcher toute nouvelle insurrection, on leur enlève leurs meneuses. Rachel Képé et son Lockpin. On les envoie toutes les deux dans une autre implantation, à l’étranger. Ce seront à elles de décider si elles acceptent le deal ou si elles perdent leur boulot. Aux yeux de l’opinion public, on aura été miséricordieux et ce seront-elles qui auront refusé notre main tendue.

Les patrons hésitent. C’est à leur tour de puiser en eux les ressources pour dépasser leur humanité. Je n’aime pas ce plan, mais c’est le seul que nous avons pour sauver des milliers d’emploi. Alors je lève la main, signe que je suis d’accord avec ce plan.

Après ce qui me parait des heures d’attente, tout le monde lève la main. Je crois rêver. Nous avons gagné !

— Monsieur Manoz.

Le patron des patrons a pris la parole pour la première fois. Le vieil homme replace son chapeau en se levant de son siège confortable et, sans me regarder, m’annonce :

— Préparez vos valises, vous partez pour notre laboratoire de recherche à Winscor avec Madame Képé et son Lockpin.

Le jeune assistant rabaisse son bras victorieux et croise mon regard. Je suis à nouveau foudroyé. Sauf que cette fois, j’ai compris pourquoi.

Vulgarisateur
— Salut tout le monde ! C’est Doc Manoz, est-ce que vous connaissez ce Pokémon ? Non ? C’est normal, il est aujourd’hui une espèce éteinte. On l’appelait Anchwatt, et je vais vous raconter comment il a disparu de la surface de la planète ! Mais avant tout, n’oublie pas de t’abonner, de liker, de partager, et d’envoyer un commentaire filmé sur le multi-chat VokiTube ! Allez hop, générique !

Derrière la barrière
J’ai fait le tour de Paldea. J’ai parcouru l’océan sur toute sa circonférence. J’ai parfois dû revenir à terre, escalader des falaises, traverser des forêts, et m’enfoncer dans les profondeurs sous-marines. J’ai longé la barrière invisible sur des milliers de kilomètres. J’ai nagé à dos de Koraidon pendant près d’un an. Je n’ai jamais trouvé de passage qui me permette de traverser cette frontière impalpable.

Toni, Madura, Oxo, Popo et Koraidon ont tout essayé. On a passé l’entièreté de notre parcours dans Paldea à élaborer des stratégies pour détruire ce mur, à mettre en place des plans pour contourner ce mur, à guetter chaque indice qui aurait pu nous permettre d’annihiler la force qui nous empêche de nous éloigner de la côte de Paldea. Rien de rien ! Je jure sur ma propre tête de Scarlet que j’arriverai à passer ce mur !

Je veux savoir ce qu’il y a de l’autre côté de ce dôme. Je veux comprendre pourquoi il m’est interdit de quitter Paldea. Je veux qu’on m’explique pourquoi j’habite un monde ouvert, renfermé sur lui-même ! Je veux découvrir le secret de ce monde ouvert.

Je m’arrête. Mon cœur s’emballe. Treize mois, trois semaines et deux jours sans aucune avancée dans ma quête. Jusqu’à ce jour. De l’autre côté du mur transparent, un jeune adolescent me regarde. Il porte un uniforme quasiment identique au mieux, à ceci près qu’il est violet. Il navigue à dos d’un Koraidon différent : il est bleu.

Je m’approche et tend une main pour le toucher. Ma main s’écrase contre la barrière invisible. Il fait de même de son côté. Sa main est bloquée par la paroi impalpable. Nos deux mains se frôlent en symétrie.

Il y a bien un monde de l’autre côté de ce monde ouvert.