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Un monde ouvert de Feather17



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» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 15/09/2022 à 23:31
» Dernière mise à jour le 15/09/2022 à 23:31

» Mots-clés :   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Suspense

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Ce que l'on en fait
En voie d’extinction
— C’était un an avant l’Accident du Mont Chimnée. On l’appelle comme cela, dans les livres d’histoire. J’y ai échappé, loué soit Rayquaza. Encore que, j’ai bien failli y passer !

« À cette époque, je travaillais pour l’ASBL des TPF à Sinnoh. La régionale de Hoenn nous avait demandé de leur filer un coup de main sur un de leur plus gros chantier et on avait accepté. Nous, à Sinnoh, on est plutôt calé en Pokémonologie naturelle. Pardon, je vais essayer de ne pas trop utiliser de jargon. Disons que nous étions à la pointe dans l’étude des Pokémon en milieux naturels, et précisément en réintroduction d’espèces en voie d’extinction. On avait développé un laboratoire de recherche qui s’occupait principalement à étudier les fossiles de Pokémon, très présents sur notre territoire, et nos découvertes nous ont permis de provoquer la résurrection d’une demi-douzaine d’espèces ! Excusez du peu !

« Alors, on a étendu notre domaine de compétence et on s’est spécialisé dans le domaine des espèces Pokémon classées « en danger d’extinction » et « en voie d’extinction ». C’est dans ce contexte que la régionale de Hoenn nous a demandé de l’aide. Et c’est moi qui ai été choisie pour chapeauter le projet scientifique.

« Quand je suis arrivée à Nénucrique, Germain — pardon, Monsieur Manoz — m’a fait un topo de la situation, détaillé, structuré, professionnel, comme il les aime. On m’a embarquée en jeep et on s’est vite retrouvé sur un sentier de promenade, près de nombreux lacs. Il s’agissait d’un lieu de passage très fréquent des dresseurs spécialisés dans la compétition Pokémon. Le seul problème, c’est que c’était aussi le milieu naturel d’une espèce de Pokémon classée « en très grand danger d’extinction ». Justement, du fait du passage fréquent des dresseurs de Pokémon.

« Mon job, si je l’acceptais, c’était de faire en sorte de sauver l’espèce sans bousculer l’écosystème du biotope en question. Pardon, je suis encore en train de faire du jargon. Un biotope, c’est une zone naturelle délimitée qui héberge un ensemble de formes de vie : de la faune, de la flore, des Pokémon et des micro-organismes. L’écosystème, c’est un ensemble formé par une communauté d’êtres vivants qui interagissent avec leur environnement. Je ne sais pas si j’ai été plus claire, en fait.

« Bon, je vais réexpliquer en prenant justement le cas sur lequel j’ai travaillé. La Route 120 de Hoenn est composée de lacs, de bois, de plaines et de sentiers. Dans ces zones naturelles vivent des dizaines d’espèces, dont des espèces de Pokémon, tels que les Linéon, les Absol, les Grainipiot, les Barloche ou les Arakdo. Tous ces Pokémon vivent en interaction entre eux et avec leur environnement. Les Barloche peuples les lacs parce qu’ils consomment les excréments des Arakdo qui glissent sur l’eau. Si les Arakdo ont pu se développer dans cette zone, c’est parce qu’ils se nourrissent des herbes fanées qui tombent du corps des Grainipiot suspendus aux branches d’arbre. Eux-mêmes vivent grâce aux baies qui poussent par là-bas. Et les Linéon chassent les Arakdo et pèchent les Barloche pour pouvoir survivre. C’est un cercle vertueux ou chaque espèce permet aux autres de vivre. Il y a un super-prédateur, Absol, qui ne chasse que rarement — parce qu’il se nourrit rarement. Son activité a comme conséquence de réguler le nombre d’individus dans chaque espèce, ce qui explique pourquoi aucune espèce n’a pris l’avantage numérique sur les autres et qu’un tel cercle vertueux a pu se produire.

« La raison de notre travail, nous les scientifiques des TPF, c’est qu’il existe une autre espèce de Pokémon qui cohabitait à l’époque avec celles que je viens de citer. Enfin, elle ne cohabitait que parce qu’elle vivait cachée. Il s’agit des Kecleon. Dotés de la faculté de modifier la couleur de leur derme, les Kecleon ont réussi à survivre à la présence de ses prédateurs en se cachant dans la nature, si bien que cette espèce nous a été inconnue jusque très récemment dans l’histoire de la Pokémonologie. Rendez-vous compte, les premières observations de ces Pokémon remontent à la fin du siècle précédent !

« Et qu’est-ce qu’on a fait en trente ans de recherches pour préserver leur vie ? Rien. Ou plutôt, on l’a empirée. Parce que tout ce qui est rare est précieux, les dresseurs se sont mis en quête d’ajouter à leur collection un Kecleon. Même s’il ne combat pas, même s’il est véritablement inutile et inintéressant en combat Pokémon, on a vu déferler sur la Route 120 des centaines de dresseur par semaines pour traquer les bois à la recherche de cette espèce si particulière.

« Et comme une bêtise humaine n’existe que de pair, la Devon SARL a sorti dans sa gamme de produits pour dresseur le fameux « Devon Scope » : un appareil technologique capable de modifier les longueurs d’onde liées à la vue afin de modifier les couleurs que l’on observe dans la nature, de sorte à détecter les Kecleon cachés dans les arbres.

« Depuis ce jour, la population des Kecleon a chuté de moitié en un an, puis de trois-quarts en six mois. Lorsque j’ai commencé mon travail un an avant l’Accident du Mont Chimnée, on estimait la population de Kecleon à dix pour cent de ce qu’elle avait été lorsque l’espèce a été découverte. Durant mes dix mois de travail à Hoenn, le nombre réel a chuté drastiquement à un peu moins de trois mille individus.

« La situation était critique. Si critique qu’on a mis au point un Programme de Protection des Kecleon, le tristement célèbre PPK dont tout le monde parle aujourd’hui. C’était une idée brillante, que j’ai piquée à Germain, je dois bien l’avouer — pardon, Monsieur Manoz. Le programme était simple : on envoyait un individu Kecleon mâle et deux individus femelles dans chaque Parc Safari du monde. Avec leur argent et nos scientifiques, on contrôlait les naissances. L’espèce étant plutôt rapide à se reproduire, on avait calculé qu’en dix ans, on serait capable de réintroduire assez d’individus pour repeupler durablement les forêts de Hoenn. Et si ces Pokémon s’adaptaient bien au climat des autres régions, pourquoi pas les y introduire aussi pour maximiser les chances de sauver l’espèce. C’était bien ficelé, éthiquement responsable. Un chef d’œuvre.

« Le reste vous le connaissez : j’ai quitté Hoenn avec mes trois Kecleon, un mâle, deux femelles, direction Sinnoh. Le lendemain, l’Accident du Mont Chimnée a dévasté la région et les trois mille individus de l’espèce ont péri dans les incendies. J’étais en possession des trois derniers Kecleon de la planète. Une responsabilité que n’importe qui aurait trouvé écrasante.

— Et pourtant, une responsabilité que seule vous devez porter aujourd’hui, a commenté la juge d’un ton sec. Poursuivez. Nous voulons connaître tous les détails du génocide pour lequel vous êtes accusée d’être coupable.

J’ai baissé les yeux, plein de larmes, et j’ai repris mon récit.

Pas la même Laporeille
Ma vie ne ressemble en rien à la vie normale d’une Laporeille. Je ne parle pas ici de mes singularités physiques ou intellectuelles. Je fais plutôt référence à mon parcours. Une Laporeille classique née dans un terrier, dans un territoire, et y meurt après une longue période de cycles jour-nuit. Si elle a réussi à s’accoupler avec un mâle fertile, elle aura légué à la harde cinq à huit descendants Laporeille, qui eux-mêmes suivront son parcours. Cela vaut pour toutes les Laporeille de tous les terriers de tous les territoires.

Une Laporeille sur mille a un parcours différent. Oh ! bien sûr, on en a entendu des légendes, au terrier. Des histoires de Laporeille provenant de terriers très éloignés, qui disparaissaient dans la nature ou qui étaient victimes d’une pluie de sphère rouges. Dans un seul cas rapporté par la transmission orale séculaire, une Laporeille est réapparue à son terrier, totalement métamorphosée. On l’appelait « la Transcendée ». Enfin, les Laporeille banales l’appelait la « squick », ce qui peut se traduire par la « pas la même Laporeille ». Moi, je l’appelais la Transcendée. D’après l’histoire, elle est revenue au terrier un nombre de cycles innombrable plus tard, physiquement différente, plus grande, plus robuste… Différente. Elle n’émettait plus les mêmes cris stridents ni n’émettait-elle les mêmes molécules olfactives. Et pourtant, c’était bien la même Laporeille. Elle était transcendée.

J’ai toujours eu un regard critique face à cette légende, du style qui a une morale pour nous aider à apprivoiser notre environnement, et qui n’a aucun fondement historique réel. Du genre à nous faire garder espoir, que le retour d’une Laporeille divine comblerait la disparition de centaines de Laporeille, ou quelque chose dans le genre.

Aujourd’hui, je pense différemment. Car je suis la Laporeille sur mille qui a eu un parcours différent. Car je suis une Laporeille qui n’a pas eu huit progénitures, mais des centaines. Car je suis moi-même devenue la « Transcendée ». Mes frères et sœurs m’appelleraient la « pas la même Laporeille ». Les humains, eux, m’appellent « Lockpin ». Ils m’ont fait me transcender. Dans la douleur. Dans l’horreur de leur inhumanité. Je suis la différente par leur faute.

J’ai mis toute une vie à le leur pardonner. J’en garde encore un goût amer, mais je ne ressens plus le sombre désir de la vengeance m’animer. J’ai fait la paix. Je suis ce que je suis, et j’ai fait ce que j’ai fait. Ou plutôt, j’ai fait ce qu’ils m’ont forcée à faire.

Mon but n’est pas de provoquer le dégoût à l’encontre de l’espèce humaine. Ma foi ! je ne sais même pas quel est mon but. Peut-être ai-je besoin d’extérioriser tous les traumatismes qu’ils m’ont fait vivre ? Quoi qu’il en soit, le souvenir qui me revient, pour illustrer à quel point il me fut difficile de me séparer de l’idée de la vengeance, est celui de mon passage dans ce qu’ils appellent une « pension Pokémon ».

L’endroit est sombre, lugubre. Il fait humide, moite, et glacial. Si la mort avait une odeur, ce serait celle de la pension Pokémon. À cette époque, j’étais toujours la petite Laporeille, rose, à la patte atrophiée, quoi que robuste par l’entrainement que l’on m’avait fait suivre. Je découvrais un nouveau territoire exotique après avoir été stockée dans un univers où le temps ne suivait plus son cours. Mon dresseur avait été troqué par une femelle humaine qui m’avait entreposée dans un mouroir Pokémon. Pardon, une pension Pokémon.

J’en y ai vues défiler des choses que vous appelez des Pokémon, par paquets. Des petits, des gros, des musclés, des terrifiants, des terrifiés,… Souvent, leur passage était éphémère. On les enfermait dans un espace sombre, derrière une planche de bois, on attendait quelques cycles, puis on les y retirait. Le dresseur qui s’était approprié ce Pokémon repartait avec sous le bras sa progéniture protégée dans son œuf, et on n’entendait plus jamais parler de ce Pokémon.

Au début, j’ai résisté. Il était hors de question qu’on me renferme dans cet endroit sombre. Ce n’était pas un terrier, et puis j’avais décidé que c’en était assez, que je devais être la seule à pouvoir décider de l’endroit où je vivrais. J’ai lutté. Pas longtemps. J’ai fini par y aller de ma propre volonté.

Car quelqu’un vivait dans cet espace sombre. Je l’ai vu une fois, au détour d’un tunnel rectiligne — les humains creusent des terriers parfaitement linéaires. Il se trainait au sol sans aucune tenue. Après tout, il n’avait pas de pattes, le pauvre. Je n’avais rien senti de pareil dans la nature, rien vu d’aussi informe. Il sentait un mélange de toutes les phéromones possibles à imaginer. Et son corps, plus rose que le mien, avait la substance d’une huile de baie gélifiée. Je sais que les humains l’appellent « Métamorph », je l’ai entendu une fois à la pension Pokémon. Quand j’ai croisé son regard, j’ai ressenti une grande peine. Si la mort avec une couleur, ce serait le noir profond de sa rétine.

Je l’ai suivi dans son espace sombre parce que j’ai eu envie de remplir ce vide par de la tendresse. J’ai eu envie de partager son chagrin. Je l’ai suivi dans sa dépression. Et je me suis fait avoir.

Ils ont fermé la planche de bois derrière moi, d’un coup sec. « Shlak ! »

Ils m’ont saisie brutalement, m’ont immobilisée et j’ai crié. « Squiiiik ! »

Ils m’ont collée à Métamorph et m’ont plaquée au sol. « Plaf ! »

Nous avons été forcés à nous accoupler. Je n’irai pas plus loin dans la description de cette horreur. Ni de mon état physique et psychologique les cycles qui ont suivi.

Le premier œuf que j’ai pondu, je l’ai couvé plusieurs cycles. Puis, on me l’a retiré. Ma dresseuse n’était pas satisfaite. On m’a enfermée à nouveau dans l’espace sombre. Le deuxième œuf que j’ai pondu, je l’ai couvé un seul cycle. Puis, on me l’a retiré. Elle n’était toujours pas satisfaite. Le troisième, on me l’a retiré à l’instant où je l’ai pondu. Alors, j’ai arrêté de compter mes œufs. Mais ma dresseuse n’a pas arrêté de me faire pondre. Et je n’ai pas arrêté de penser à mes progénitures, mes petits Laporeille. Combien d’entre eux seraient roses, comme moi ? Aucun ou très peu ? Combien d’entre eux était privé du besoin charnel de mon amour maternel ? Tous.

Quelle chance j’ai eu, moi, de naître dans mon terrier, dans mon territoire, couvée et lovée par la femelle qui m’a pondue !

Ils ont arrêté mon supplice lorsque ma dresseuse a obtenu ce qu’elle cherchait. Je l’ai vu, de loin, au moment où elle est venue me sortir de ce mouroir. Mon petit Laporeille était rose, comme moi. Mon anomalie. Elle voulait la reproduire. En plus d’être effroyable, les humains sont incompréhensibles. Quelle vie allait-elle offrir à ce pauvre Laporeille différent ?

Je m’en fichais. Après tout, j’avais arrêté de compter mes œufs.

Elle m’a libérée de la sphère rouge qui me maintenait prisonnière. Au bord de la route, dans une touffe d’herbe. Je suis restée couchée là. Je l’ai regardé partir, le dos bien droit, sans un regard vers moi. Et je suis restée là. Brisée. Bientôt, je serais Transcendée.

Empathie inter-espèce
Ça me fend le cœur. Mais qu’est-ce que j’y peux, moi ? Je viens, je taffe, je suis payée, et je repars. Je peux rien faire d’autre. Je suis déjà bien contente d’avoir eu cette augmentation, je vais pas en plus me faire mal voir !

Déjà que je défends pas mal mes filles, à l’usine. Je leur dis toujours : « c’est vos droits, putain ! Y en a qui sont morts avant vous pour avoir le droit à une pause, alors allez la prendre ! » En général, elles m’écoutent. Rapport au fait que j’ai eu l’augmentation et que je suis la cheffe de la ligne de production des G.I. Balls. Ça fait prestige. Et puis, merde, on est plus en l’an quarante à Romanesburg ! On est à Romant-sous-Bois dans une région civilisée avec des droits et des libertés. Faut pas qu’elles continuent à croire que si elles vont prendre leur pause, on va leur rajouter des heures de travail. Le RH, il aime bien jouer avec la peur. Sauf que moi, j’ai pas peur de lui.

D’ailleurs, les filles, elles le savent. Elles disent tout le temps, « Rachel, quand tu seras directrice de l’usine, faudra pas que t’oublies d’où tu viens ». « Déconnez pas », que je leur réponds. Moi, directrice ? Non, mais ça va pas ? Personne ne voudra me mettre à ce poste-là, je suis pas assez intelligente. En vrai, je sais bien que c’est pas de l’intelligence qui faut avoir, mais juste des bons potes. Faudrait une révolution pour que je prenne la direction de l’usine ! Et des révolutions, y en a plus eues depuis des siècles. Et puis, j’ai vraiment pas envie d’être directrice. Je suis bien, moi, cheffe de production des G.I. Je viens, je taffe, je suis payée, et je repars. J’ai pas envie de faire rien d’autre.

Mais quand même, ça me fend le cœur. Parce qu’autant les filles je peux les convaincre, je les dirige un peu, rapport à mon poste. Mais les Pokémon qui bossent avec nous, c’est autre chose. Eux, je peux pas faire grand-chose. Ils viennent, ils taffent, mais ils sont pas payés, et ils repartent pas ! Ça fait peur à voir, quand même ! Comme avant les révolutions, quand on était tous esclaves !

T’as Fidel, un Galvaran. Alors lui, c’est mon chouchou, on y touche pas. Il est mimi comme tout, et qu’est-ce qu’il est brave ! Et courageux en plus, faut voir les heures qu’il passe à son poste ! Il aide par rapport à l’énergie de la machine qui fait tourner les G.I. Balls sur le tapis. Je sais pas trop comment, mais je sais qu’il est là pour booster un peu le truc, faire que ça avance vite et qu’on puisse faire nos cinq cent unités de production. Et jamais il se plaint ! Pourtant, il est quand même tout le temps là. Que je fasse six deux, deux dix, ou la nuit : Galvaran, fidèle au poste ! C’est pour ça, on l’a toutes appelé Fidel.

Et ils sont tous comme ça ! Le Magnéton qui gère le groupe électrogène, le petit Dedenne qui passe ses journées à démêler les câbles de nos ordis, le Queulorior qui utilise sa queue pour brosser nos merdes. Ils bossent tous sans râler, et ils sont pas payés. Comme si ils avaient accepté qu’ils étaient nés pour crever dans cette usine. Parce que nous, on aura la pension qu’on aura, mais on l’aura. Un jour, quand on sera vieille. Mais eux, les Pokémon, ils auront rien. Quand ils sont trop vieux, on les refile à la pension et hop ! Ni vu ni connu, on les remplace !

Il faudrait quand même qu’on fasse un truc pour eux. Au moins, qu’on leur permette de se reposer et d’avoir du temps pour eux quoi. Ok, ils sont pas dans une arène à se faire tabasser par des gamins qui ont l’âge des miens et qui appellent ça un « sport ». Mais quand même. On est pas des sauvages, un peu d’humanité ! Ils fabriquent les Poké Balls qui nous servent à les enfermer dedans, et on les enferme à l’usine. C’est un monde quand même !

Une fois on m’a dit : « Rachel, tu devrais créer un syndicat pour les Pokémon ! » « Déconnez pas », que je leur ai répondu. Je viens, je taffe, je suis payée, et je repars. Je peux rien faire d’autre.

Nature révélée
L’avion survole un nuage de cendres. Hoenn a disparu. Littéralement et métaphoriquement. Elle ne s’en relèvera probablement jamais. Cela fait exactement septante-sept heures que l’accident nucléaire a dévasté le volcan du Mont Chimnée. Je l’ai échappée belle, j’ai eu beaucoup de chance. Nénucrique est une des villes les plus éloignées de Vermilava, ce qui a permis aux secours maritimes de nous évacuer assez tôt pour ne pas risquer une irradiation mortelle. Deux comprimés d’iodure de potassium, soixante-cinq milligrammes, dilués dans cinquante millilitres d’eau, pour les adultes de moins de quarante ans. Les plus âgés n’en ont pas eu droit. J’ai quarante ans la semaine prochaine. J’ai eu beaucoup de chance.

Ils nous ont amenés sur une île retirée, dans un port spatial adapté aux obligations militaires des services de secours. Comme je détiens un visa pour travailler à Hoenn, et grâce au puissant réseau qu’entretien l’ASBL des TPF qui m’emploie, on nous a envoyé un avion très rapidement pour nous exfiltrer, mes collègues et moi. Je ne sais pas ce que sont devenus Annette et son époux, l’infirmière Joëlle qui était si gentille envers moi, ou même le gamin avec qui je discutais il y a à peine trois jours. Tout ce que je sais, c’est que les rares survivants et moi avons été embarqués dans cet avion militaire, et que nous sommes en sécurité en direction d’Unys, la région la plus proche.

Je masque le hublot et détourne le regard. Après tout, c’est en partie ma faute. Je sais que je ne suis pas responsable de cette atrocité. La machine que j’ai conçue était aussi infaillible que le sont les installations industrielles avancées. Le risque zéro n’existe pas, bien sûr, mais le contrôle permanent de mes collègues techniciens, ingénieurs et scientifiques était suffisant pour empêcher toute catastrophe du genre. S’il y a eu un accident nucléaire, cela ne peut qu’être la faute de l’homme. Nos clients ont dû la manipuler en-dehors de nos prescriptions. Et comme le contrôle scientifique était permanent, il devait bien y avoir un des nôtres qui a collaboré à ce que ma machine soit détournée de son propos initial.

Quoi qu’il en soit, je ne dois pas m’en vouloir. Je ne suis responsable de rien. Mes employeurs me l’ont assez répété. Je détourne le regard et je me concentre sur ce jeu absurde, à l’écran.

Ils nous ont collé des écrans sur nos sièges pour nous aider à patienter le temps du vol. Je dois dire que c’est plutôt efficace. Le seul jeu disponible gratuit, car le reste est payant, capitalisme oblige, est une espèce d’adaptation de jeu de casino pour écran. Les règles sont très intuitives : au-dessus de chaque colonne ou à droite de chaque ligne, le nombre de Voltorbe présents sur ladite colonne ou ligne est indiqué. Le but est de retrouver les cases dans la grille qui ne contiennent pas de Voltorbe. C’est assez addictif, et les niveaux sont plutôt rapides à terminer. À côté de moi, un M. Mime est bloqué au troisième niveau et je ricane. Le pauvre n’a pas mon cerveau d’ingénieur.

Tout à coup, l’écran disparait et est remplacé par une publicité. Évidemment, quand c’est gratuit, on finit toujours par être le produit. J’attends patiemment que le compteur arrive à zéro pour pouvoir passer la publicité. Cependant, cette fois-ci, je reste captivé par les images que je vois. Il s’agit de la présentation d’une application de Multi-Navi, appelée « Système de Perfectionnement Virtuel ».

L’on nous présente un Hariyama tout ce qu’il y a de plus classique. Le dresseur, un garçon évidemment, est un cliché de l’adolescent surexcité : boutons, casquette à l’envers et cris incessants. Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse dans cette publicité. En réalité, cette application est finement réalisée sur le plan technologique. En connectant sa Poké Ball avec son Multi-Navi, le dresseur est capable d’envoyer son Pokémon dans un monde virtuel (je n’imagine même pas les lignes de codes interminables qui doivent soutenir ce programme informatique ! En réalité, si je les imagine bien. Mais c’est trop long à imaginer jusqu’au bout.). Au travers de deux mini-jeux virtuels, le Hariyama est amené à augmenter ses statistiques de combat.

Je ne suis malheureusement pas aussi calé en Pokémonologie que je ne le suis en sciences technologiques, ainsi je ne comprends pas très bien comment fonctionne la biologie d’un Pokémon. Comment ses pouvoirs se décuplent m’échappe totalement. En revanche, je vois très bien comment le programme informatique peut influencer sur le code génétique du Pokémon à travers sa traduction en code numérique une fois téléchargé dans le Multi-Navi. L’inventeur de cette pépite de la technologie moderne doit être un pur génie. J’ai très envie de le rencontrer.

La publicité se termine sur l’image du Hariyama qui a doublé de volume : chacun de ses muscles sont bombés, robustes, et finement taillés. À côté de lui, son dresseur a toujours ce sourire aussi niais. Par-dessus les deux guignols, le slogan : « Révélez la véritable nature de votre Pokémon ! » Enfin, la marque apparaît : Devon SARL. Une entreprise privée. Pas étonnant, cela a dû couter une somme invraisemblable. Quiconque était capable de dépenser autant ne pouvait être qu’ultrariche. Et Ho-Oh sait à quel point la Corporation Devon et la famille Rochard qui en est le propriétaire sont scandaleusement riches.

Je ne peux toutefois empêcher un discret sourire en coin. Je pense avec cynisme qu’elle ne sera d’aucune utilité, les Multi-Navi n’ayant plus aucune possibilité de fonctionner sur le territoire de Hoenn pour une bonne année. La personne qui avait convaincu les Rochard à investir de l’argent dans cette publicité n’était pas un visionnaire…

écrabOUILLER
Pauvre petit lapinou. Je vais lui casser les dents en quelques coups à peine. Mon maître va être fier de moi, lui qui a passé tant de temps à m’entraîner, à me perfectionner, à faire de moi un champion du combat.

Je lui ai brisé les os un par un, sans ménagement, comme on avait dit à l’entraînement. Sauf qu’à la place des sacs de sable, c’est un Laporeille que je devais dégommer. C’était simple, rapide, efficace. Pas une goutte de sang, pas une Potion de gaspillée. Il faut voir comme on était préparé.

Comme moi, mon dresseur est de nature maline. Il m’a investi sur les deux plans défensifs, mais il a surtout boosté toutes mes stats en attaque. Comme ça, je peux faire un véritable carnage partout où je passe sans jamais me fatiguer. La magie du Restes, un fruit que les humains ont inventé pour nous permettre de nous soigner tout en tapant du Pokémon nuisible. Un coup de « Close Combat », un bout de Restes, un coup de « Close Combat », un bout de Restes. Si c’est pas assez, un petit « Repos », je récupère mes forces, j’attaque dans mon sommeil avec « BlaBla Dodo » et le tour est joué. Quand je me réveille, je recommence : un coup de « Close Combat », un bout de Restes, un coup de « Close Combat », un bout de Restes.

Un chef d’œuvre.

La pauvre Laporeille, elle s’est effondrée avant même que j’aie eu besoin de me reposer. Et pourtant, elle essayait. Je voyais bien ses efforts. Elle a même essayé de me piquer mes Restes, mais même sans mon fruit, je lui ai défiguré son pelage. « Bam ! Bam ! Bam ! » Plus je donnais des coups, plus je me sentais libre. « Bam ! Bam ! Bam ! » Quel bonheur de rendre son maître heureux.

Son dresseur, il a dû la sacrifier avec un « Vœu Soin » pour s’assurer de gagner le combat. Il l’a perdu. Je suis trop fort. Je suis un Hariyama trop fort pour n’importe qui.

Viens, viens me défier, et tu auras toujours un gauche-droite prêt à te rencontrer ! Tu l’auras bien mérité ! On ne me combat pas sans être prêt à en perdre toutes ses dents. Je n’ai pas toujours été comme ça. Non, non. Ceux qui m’ont connu lorsque je n’étais qu’un petit Makuhita se souviennent encore de ma tendresse, mon empathie, et ma dévotion au bonheur des autres. Mais depuis l’entraînement de mon maître, j’ai changé. Évolué. Grandi. Ma gentillesse m’emprisonnait dans un rôle qui ne convenait pas à ma nature.

Moi, Hariyama, je suis à présent ce que je dois être. Ma nature m’a rattrapé. Grâce à mon maître. Je suis devenu puissant. Merci, mon maître. Je suis enfin libre d’être qui je suis. Gloire à mon maître.

Qu’est-ce que j’aime ça, combattre. Taper, frapper. Boxer. Qu’est-ce que j’aime ça, cogner. Battre, talocher, rosser ! Rétamer, brutaliser, castagner, briser pulvériser démolir détruire. Dérouiller ! Pilonner tabasser fracasser écrabOUILLER dégLinGUER MATRaqUER ! MASSACRER !!!

Une fissure
C’est pas faute d’y avoir passé la journée. Nous sommes épuisés, mais ma maîtresse n’a pas encore dit son dernier mot. Elle veut essayer une nouvelle stratégie. Les autres acceptent sans aucune hésitation, malgré la fatigue générale. Moi, je me rallie au groupe mais je n’en pense pas moins. Après tout, je suis nouveau dans l’équipe, j’ai tout à gagner à me conformer au groupe.

— Popo, Madura, attaquez ensemble !

Le Carmadura bondit dans les airs, utilise ses pouvoirs psychiques pour flotter à plusieurs mètres d’altitude au-dessus de l’océan, et envoie la sauce. Des boules de flamme jaillissent de son armure en direction de l’horizon, mais s’écrasent contre un mur invisible. Aucune surprise.

C’est là qu’intervient mon nouvel ami le Pohm. Il s’agrippe de toutes ses forces à Koraidon qui lui sert de monture et envoie une puissante décharge électrique vers la même cible : l’infini azur qui se dresse au large. Même stratégie, même résultat : les rayons électriques meurent contre une paroi invisible.

Ma maîtresse ne se décourage pas. Des semaines qu’elle passe ses journées face à cette frontière impalpable. Elle croit toujours pouvoir la franchir. Cette fois-ci, elle implore mes amis de poursuivre leurs attaques en simultané. Pendant ce temps, elle envoie le Coiffeton à son poste.

— Toni, vole vers les cieux !

Le canard s’envole à une vitesse vertigineuse vers le ciel écarlate. Bientôt, je ne le vois plus. Pourtant, mes yeux d’Axoloto sont plus affinés que n’importe quelle autre espèce terrestre. Pas besoin de voir, je sais quelle est sa mission : le Coiffeton cherche à franchir la barrière invisible depuis les cieux et grimpe le plus haut possible. La frontière doit bien s’arrêter quelque part.

— Oh !

Ma maîtresse est surprise, mais pas moi. Nous voyons de l’eau couler face à nous, comme une cascade se déversant le long d’un mur inexistant. Nous avons tous compris : le Coiffeton est trop faible pour poursuivre son ascension et a décidé d’attaquer la barrière. L’eau, le feu et l’électricité : aucun des trois pouvoirs simultanés ne semble fonctionner.

— Oxo, c’est ton tour !

C’est à moi ! Je réunis mes dernières forces et je plonge sous l’eau. Je ne suis pas né dans l’eau, contrairement à mes ancêtres. Cependant, j’ai hérité de la génétique une faculté de plonger exceptionnelle. Et comme la terre est mon élément, plus je me rapproche des fonds marins, plus je me sens en parfaite harmonie avec la nature.

Mais l’océan est profond. Si profond que je n’en vois pas le bout malgré mes facultés visuelles. Il semble être aussi loin que ne l’est la côte du continent derrière nous. J’essaie, je fais tout mon possible pour traverser cette barrière depuis les profondeurs sous-marines. Impossible ! La frontière ne connaît pas de limite, même vers les entrailles de la terre.

J’imite donc le Coiffeton : j’envoie mes jets de boue contre le mur invisible. A quatre, nous poursuivons notre offensive simultanée dans l’espoir de briser cet obstacle singulier.

Tout à coup, je sens une onde me pousser en arrière. Elle provient de la barrière ! C’est la première fois que cela arrive ! Un étrange flash lumineux, très bref, comme une fissure qui remonte la frontière jusqu’à la surface, où la voix de ma maîtresse me parvient par ondes sonores.

— Koraidon, tu sais ce qu’il te reste à faire !

Elle est excitée. Je la comprends, nous allons peut-être savoir ce qu’il se passe derrière la limite du monde ouvert de Paldea ! Je remonte à la surface, juste à temps pour voir Koraidon se fracasser le crâne contre la paroi invisible. Une lumière en émane, puis une onde de choc. Nous sommes tous frappés. Quelle douleur !

Tous mes amis tombent à l’eau et moi je sombre. Puis, le néant. Lorsque je me réveille, nous sommes de retour au poste de soin Pokémon de la côte.

Demain, nous repartirons. Pourtant, nous ne sommes pas fous. La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. Nous, nous voulons simplement contenter notre maîtresse.

Merci d’avoir utilisé nos services
— Hénoch, à table !!

Pas maintenant, j’ai pas le temps. Et puis, j’ai pas faim. Elle a toujours le don de m’appeler quand je suis méga occupé.

— Hénoch, je vais pas le répéter trente-six fois !

Ça va, j’ai le temps, ça me fait trente-cinq répétitions avant qu’elle s’énerve. Je verrouille la porte à clé, parce que des fois elle ose même entrer dans ma chambre sans toquer, et je fous mes écouteurs dans mes oreilles. J’aime pas être dérangé quand je suis concentré. En plus, je me suis préparé toute la journée à l’école pour ce moment fatidique. Mon plan est parfait, tout est bien pensé, chronométré, designé pour que ça fonctionne. Tout va bien aller.

Bon, c’est parti. J’allume mon C-Gear, je sers une dernière fois la patte de mon Moustillon pour nous donner du courage, et je le transfert dans le Pokémon Dream World.

Je suis de retour chez moi. J’adore cet endroit : j’adore ces îles flottantes, j’adore ces arcs-en-ciel qui font office de ponts, j’adore ce ciel rose apaisant. À chaque fois que je m’endors dans ma Poké Ball pour venir ici, ma vie est comme un rêve. Sauf que ce rêve est réel.

Mon premier job, c’est d’aller récupérer les baies que j’avais plantées. Je me balade entre les sillons de mon Jardin des baies, et j’en récupère un panier tout entier. La récolte fut bonne, cette fois-ci. Je dépose le tout dans le coffre et j’attends. Ça va arriver d’un instant à l’autre.


Ça y est, Moustillon a récupéré les baies. Quelques clics et je les troque avec de nouveaux meubles.

Les baies ont disparu en un battement de cils. Ça me fait toujours le même effet. C’est rare, dans la vie d’un Moustillon, de voir ce genre de chose. Ceci dit, il s’agit de mon rêve donc j’imagine que je peux voir tout ce que mon cœur désire voir.

Ma deuxième mission, je la connais sur le bout des doigts. Je pénètre dans ma maison, à droite de mon jardin, et je m’arrête un instant pour admirer les lieux. L’offrande de baies que j’ai faite à mon maître fut très productif : j’ai un tout nouveau lit douillet et de jolis cadres aux murs. Bon, ce n’est pas tout ça, mais j’ai un travail à effectuer.

J’observe le paillasson. Il y a de nouvelles traces, comme prévu. J’hume, j’analyse, je touche… C’est ça, je l’ai trouvée ! Enfin, elle est là : l’empreinte d’un Minidraco ! Mon maître va être fou de joie : nous le cherchons depuis des mois ! Allez hop, je chope une baie et direction l’Île des rêves !


Mon cœur bat la chamade. Je vais enfin avoir un Minidraco ! Mon rêve ultime ! Tellement de jours, de semaines, de mois passés à préparer ce moment si précieux. Je dois rester concentrer, car ce sera bientôt à mon tour de jouer. Pour l’instant, c’est Moustillon qui tient les rênes.

La Mer étincelante porte bien son nom : elle l’est, étincelante. J’ai droit à dix pas. Pas un de plus. C’est le moment le plus désagréable car on ne peut pas le contrôler. On s’est préparé à tout, et il n’y a qu’une seule variable qui est susceptible de ruiner tous nos efforts. C’est le moment de la rencontre avec Minidraco : dix pas pour le rencontrer, pas un de plus. Tout se joue sous l’œil averti du hasard.

Un pas, deux pas, trois pas. Rien. Quatre. Rien. Cinq. Toujours rien. Moitié de chemin, et pas de Minidraco en vue. Je suis au milieu d’une mer étincelante, il va bien falloir qu’il se montre ! Allez, je reprends. Six pas. Sept pas. Rien de rien. Huit pas. Rien, rien et rien ! Quelle poisse. Neuf pas.


— OH PUTAIN !!!

J’ai bondi de ma chaise de bureau. Minidraco est apparu ! Je vais enfin avoir un Minidraco ! Maintenant, c’est sur mes épaules que se repose mon destin.

— Hénoch, à tabl-euh ! crie ma mère dans les escaliers.

Je n’ai vraiment pas le temps de m’occuper d’elle. Le jeu avec Wailord vient de se lancer, je n’ai pas une seconde à perdre. L’objectif est d’éclater un maximum de cibles ? Pas de problème, je vais te les éclater, tes cibles ! « Pak ! Pak ! Pak ! » Et allez, pas un seul Pokémon tombé à l’eau, bonus de dix mille points, dans la poche ! J’ai jamais été aussi doué !

Un pas et me voilà au bout du parcours. Je finis comme à l’accoutumée au pied du tronc du gigantesque et magnifique Arbre des rêves autour duquel flottent des bulles emprisonnant d’autres Pokémon rêveurs. Je retrouve du coin de l’œil le Minidraco que j’ai rencontré dans la Mer étincelante. Il est temps d’user de mes charmes et de mes talents d’entrepreneur.

Minidraco est d’abord méfiant en me voyant l’approcher. Mais j’avais tout prévu. Je dégage hors de mon pelage la baie que j’ai emportée avec moi et lui offre en signe d’amitié. Minidraco l’accepte et la mange goulument. He ! He ! Le tour est joué, je viens de me faire un pote. C’est mon maître qui doit être content dans le monde de la réalité !


Quel artiste ! Quel professionnel ! Moustillon a réussi à se lier d’amitié avec Minidraco. Je vais enfin pouvoir achever cette mission qui aura été un succès de bout en bout. Je transfert Minidraco dans la Forêt de Heylink. J’enlève mes écouteurs que je troque avec mon casque de réalité virtuelle. C’est à moi à présent de voyager dans le monde numérique. Destination : Forêt de Heylink. Mission : capturer Minidraco. Objets à disposition : cinquante Rêve Balls. Difficulté : Easy Peasy Lemon Squeazy ! Les doigts dans le nez, René !

— Minidraco est là, le dresseur débarque devant sa cible, il vise et tire, la Rêve Ball s’envole, et elle touche le Pokémon en plein milieu de son crâne, Jean-Philippe ! Ça y est, il croise les doigts ! La Rêve Ball bascule ! Une, deux, trois, elle s’arrête et c’est CAPTURÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ ! Victoire du joueur Unyssois !!!

Quelque chose sonne sur mon bureau. Je ne le remarque que trop tard, je suis trop excité. C’est mon C-Gear. Drôle de bruit. La batterie ? Impossible, j’ai fait gaffe à bien tout charger à l’avance. J’enlève mon casque de réalité virtuelle, je m’assure que Minidraco a bien été transféré dans sa Poké Ball réelle, et je jette un coup d’œil à mon C-Gear. Batterie pleine. Pourquoi il a sonné, alors ?

Il se passe quelque chose d’étrange. Ça a commencé par un fait anodin, mais ça commence à prendre de l’ampleur. Au début, c’est juste une petite tache noire qui est apparue dans le ciel rose pâle. Puis, le même petit carré noir est apparu au sol, près de l’arbre. Tout d’un coup, des milliers de tâches noires ont assombri le ciel, point par point, les uns après les autres. Maintenant, le ciel n’est plus rose, mais complètement noir.

J’échange un regard inquiet avec tous les Pokémons alentours. Il y a un Miaouss curieux qui est allé voir ce qu’il se passe. Il touche un carré noir au sol mais rien ne se passe. Puis, tout aussi soudainement, des milliers de carrés noirs assombrissent le sol. Puis, un carré noir apparaît sur Miaouss, puis deux, puis trois. Miaouss pousse un cri, et il disparait lui aussi. Il ne reste plus que l’Arbre des rêves, qui disparaît carré par carré. C’est quoi ce bordel ?!

Mouvement de panique ! Tout le monde court dans tous les sens pour fuir cette calamité. Je ne veux pas disparaître comme ce Miaouss !


C’est internet qui résout le mystère pour moi. Dans la page des actualités, je tombe sur un article récent qui a échappé à mon attention. J’apprends avec horreur que le C-Gear a été racheté et que les nouveaux propriétaires ont décidé de faire une modification dans son programme. En bref, ils vont mettre un terme au système du Pokémon Dream World. Aujourd’hui, à dix-neuf heures, il nous sera impossible de poursuivre nos activités dans le Pokémon Dream World.

Il est dix-huit heures cinquante-neuf.

— Non… Non !!!

Je cours sur un arc-en-ciel qui disparaît à mesure que je le franchis. Derrière moi, tout est noir et opaque. Devant moi, je vois ma maison sur son île flottante, mais au loin, le ciel s’assombrit lui aussi. L’univers tout entier s’efface sous mes yeux ! Je ne veux pas m’effacer moi aussi !

Mes mains tremblent, mais il faut absolument que je me calme. Il me reste quelques secondes pour faire pas mal de manipulation. Vite ! Il faut récupérer Moustillon avant la fermeture du service ! C-Gear, menu principal, Pokémon Dream World, « Récupérer votre Pokémon ». Je clique !! « Transfert en cours. Veuillez patientez. » J’ai pas le temps de patienter !

J’entre dans ma maison à temps. Mon Jardin des baies a déjà disparu, et à peine suis-je debout sur mon nouveau lit que les murs disparaissent. Puis le plafond, la fenêtre, les cadres, la décoration, le paillasson ! Une sphère d’obscurité m’entoure. Il ne reste qu’un bout de sol, le lit et moi. Il ne reste que le lit et moi. Non, le lit a disparu. Il ne reste plus que moi !!!

« Transfert terminé. » Je me jette sur la Poké Ball de Moustillon et l’active. Moustillon apparaît. Il reste couché sur la moquette de ma chambre. Il dort paisiblement. Je le secoue. Il dort toujours.

Un message est apparu sur l’écran de mon C-Gear : « Merci d’avoir utilisé nos services. Nous vous préparons de nouvelles fonctionnalités qui arriveront bientôt. » Moustillon dormira à jamais. Je l’ai perdu. Je n’ai pas été rapide. Je n’ai pas été assez préparé. Son code a été effacé.

— Hénoch, je ne le répèterai plus ! À table !!!

Naissance de Laporeille
Je l’ai trouvé en broutant mon herbe habituelle. C’était y a très longtemps ! Très très longtemps !

Y a un carré de terre que j’aime bien. Il est à l’ombre, le soleil ne tape pas trop là. L’herbe est verte, gouteuse, bien humide. J’aime bien, j’ai l’impression que mon lait est plus nutritif quand je mange là-bas.

C’est là que je l’ai trouvé, sur mon carré d’herbe. C’était un œuf tout ovale, tout beige. On aurait dit comme celui que j’ai pondu quand ma portée d’Écrémeuh est née. Sauf que cet œuf-ci, il était fissuré. Je ne sais pas comment il a roulé jusqu’ici. Peut-être qu’il vient de la Pension Pokémon et qu’ils l’ont perdu ? Les deux humains qui s’en occupent passent toujours par-devant ma clôture.

Il a très vite éclos, l’œuf, même pas le temps de prévenir l’humain qui s’occupe de nous. C’est un petit Laporeille qui est né. Je connais bien cette espèce, ça vit près de chez nous. Notre humain les aime bien, il nous fait toujours profiter de l’herbe près des terriers des Laporeille. Mais celui-ci, il était différent. Tout rose. Et une patte atrophiée. J’espère que c’est pas dû à la fissure sur son œuf. Oh ! comme il sentait bon.

Notre humain a voulu s’occuper du Laporeille mais il était trop faible pour survivre. Je ne sais pas ce qu’il en a fait. Peut-être qu’il est au même endroit que les Écrémeuh qui s’en vont en camion quand ils sont trop faibles pour tenir debout. Trop faibles comme ce Laporeille.