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Pour un si petit morceau de bois de Yûn



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» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 15/09/2022 à 17:32
» Dernière mise à jour le 15/09/2022 à 17:32

» Mots-clés :   Johto   Médiéval   Mythologie

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VIII. D'Arme et d'Âme
« Dame Wakaba Moriko, êtes-vous certaine de ce que vous avancez ? »

Inclinée devant la cour impériale, la seigneur de Bourg-Geon acquiesça.

« Oui, Dame Fusube Kisara. Je me suis moi-même rendue sur place afin de traiter avec ces hors-la-loi présents illégalement sur mes terres. Cependant, loin de m’accueillir comme il se doit, ces malfrats m’ont attaquée… À l’aide de Pokémon. »

La Générale serra le poing en essayant d’ignorer les regards aussi discrets que condescendants des religieux face à elle. Heureusement qu’ils se retenaient en public…

« Avez-vous pu identifier les Pokémon qu’ils commandaient ?
- J’ai vu un Aligatueur, un Urasaring ainsi qu’une nuée de Cornèbre, un Corboss à leur tête. Je ne puis cependant vous affirmer qu’il s’agissait là de leurs seuls Pokémon, seulement ceux qui étaient présents lors de ma visite.
- Voilà qui est bien étrange, pondéra l’Empereur en se tapotant la joue de son éventail. Nous avons pourtant ouï-dire que ces Pokémon-là sont de redoutables créatures. Comment ces gens parviennent-ils à se faire obéir ainsi…?
- La réponse est pourtant évidente, Votre Altesse, fit Sire Iyou qui avait du mal à masquer le sarcasme de sa voix. Ces malfrats ne sont certainement pas étrangers à des attaques contre des marchands itinérants. Il aura suffi que l’un d’eux transporte des Poké Balls parmi sa marchandise, et voici comment nous nous retrouvons avec cet énième problème sur les bras.
- Ce problème, comme vous dites si bien Sire Iyou, est également la raison pour laquelle le clan Kogane se tient tranquille, le Johto n’est plus dévasté par les flammes et le ciel pleut désormais régulièrement.
- Il suffit ! s’écria l'Épouse Impériale en haussant la voix. Dame Wakaba Moriko, veuillez poursuivre.
- Merci, Dame Beniko. Votre Altesse, en temps normal, jamais je n’aurais osé vous déranger ainsi avec mes affaires internes. Cependant, mes hommes ne font pas le poids face à ces créatures qui peuvent les déchiqueter d’un coup de patte… Je vous en prie, Votre Altesse, j’ai besoin de votre aide ! »

Elle se prosterna complètement, le front posé sur le tatami. Une telle marque de soumission ne fut pas sans effet.

« Redressez-vous, Dame Wakaba Moriko, ordonna le jeune souverain. Nous avons entendu votre requête, et nous sympathisons à votre cause. Nous ne pouvons laisser un tel danger prendre racine au sein de l’Empire. Dame Fusube Kisara, vous et vos hommes partirez avec Dame Wakaba Moriko pour Bourg-Geon, où vous l’assisterez pour résoudre ce conflit. Ainsi en avons-nous décidé. »




« C’est bizarre quand même… » marmonna Maho.

Assise sur un tronc posé près de la mare du village, elle caressait distraitement l’Aligatueur pour passer le temps. Tôru, debout non loin, se retourna à moitié vers elle. Il ne quittait plus sa lance improvisée, même pour dormir.

« Quoi donc ?
- Qu’on a pas eu de nouvelle ou quoi. Pas un messager, rien. »

Cela faisait bien un mois que le hameau des enfants était sur le qui-vive.
Junko avait interdit tout départ en ville, de crainte qu’on les reconnaisse et que la situation s’envenime encore plus. Heureusement qu’ils avaient des réserves de nourriture et leurs habitudes de trouver ce qui leur manquait dans la forêt revigorée. Elle avait établi une feuille de route pour évacuer les plus jeunes en cas de représailles dans la carriole bricolée pour Peau-Pierre. Elle avait même réussi à convaincre Bandit de surveiller les environs pour eux avec ses sbires.

Mais l’attente était insoutenable.
Ils étaient fatigués de constamment vérifier les alentours dès qu’ils se déplaçaient. Ils étaient fatigués de sursauter à la moindre branche cassée par un pied maladroit. Ils étaient fatigués de se réveiller à chaque craquement de la bicoque.
Tout cela était d’autant plus dur pour les enfants qui percevaient sans vraiment la comprendre l’atmosphère lourde et tendue. Pas un jour ne passait sans que des sanglots éclatent, pas une nuit s’écoulait sans que des cauchemars hantent leurs rêves.

Le jeune homme haussa les épaules.

« P’têt qu’on leur a trop fait peur et qu’y z’osent plus v’nir nous embêter. »

Elle eut un rire nerveux.

« Ça s’rait bien si c’était le cas, mais ça m’étonnerait…
- Pourquoi ?
- Ben… Qu’on ait raison ou pas, il n’empêche qu’on est effectivement sur les terres de Bourg-Geon. Ça me semble bizarre qu’la seigneur elle nous laisse comme ça, sans rien trop dire. On a même pas reçu une seule menace.
- C’est bien c’que j’dis, insista l’adolescent en bombant le torse. Y z’ont peur de… »

Des croassements rauques s’élevèrent du sud, amplifiés par le chant caverneux du Corboss perché sur un toit. La jeune fille se releva, le teint blême. Ils arrivaient.

Junko sortit aussitôt de la chaumière, suivie du reste du hameau. Elle prit une grande inspiration… Avant de déclarer d’un ton autoritaire :

« Maho, Tôru, occupez-vous des enfants ! Féroce, Pollen, Bandit, avec moi ! »

Ils se précipitèrent vers l’abri de Peau-Pierre qui les attendait déjà tout harnaché, bien qu’alerté par toute cette agitation. Les enfants s’installèrent dans la charrette en compagnie des plus petits Pokémon. Les ados et Mâchoire, eux, suivraient à pied, faute de place.

La jeune femme les serra tous une dernière fois dans ses bras, finissant par Maho et Tôru.

« Je compte sur vous deux.
- T’as intérêt à nous rejoindre. »

Le saurien vagit en tapotant son museau contre sa jambe. Puis le convoi se mit en branle.

Junko le vit disparaître dans la forêt, le cœur serré.

Elle essuya une larme. Et se retourna pour faire face à la forêt croassante.

L’Ursaring grogna. Le Papilusion se posa sur son épaule, le Corboss sur un pic proche.

Un tonnerre de sabots approchait. Les guerriers seraient bientôt là. Elle connaissait ses chances -ou plutôt leur absence-, mais une chose était sûre. Elle leur tiendrait tête pour gagner le plus de temps possible.




L’accueil des Cornèbre fit froncer les sourcils de la Générale. Ainsi, ces malfrats avaient eu l’ingéniosité de les utiliser pour déjouer tout effet de surprise… Elle pouvait faire une croix sur l’opération éclair qu’elle avait envisagée. Qu’à cela ne tienne. S’ils voulaient faire durer leur sentence, c’était leur choix !
Les Dompteurs à ses côtés, elle remontait le chemin évasif qui s’était formé entre les arbres par les allées et venues depuis le camp de leur cible. Les Tauros renâclaient régulièrement, intimidés par la présence écrasante du Seigneur Rekka. Mion était juchée sur son dos, le dirigeant en tirant sur des touffes de sa crinière crème en ignorant ses grognements incessants. Elle n’avait que faire de ses états d’âme.

Enfin ils débouchèrent sur le hameau… Et la Générale stoppa net sa monture.

Qu… C’était ça, la menace dont Dame Moriko avait parlé ? De pauvres bicoques mal agencées ? Personne, mis à part une jeune femme à peine sortie de l’adolescence qui avait du mal à empêcher ses jambes de trembler ? Certes, elle était bien entourée. L’Ursaring ne se priva d’ailleurs pas d’agiter leurs montures en rugissant, mais un simple grondement de l’Arcanin Sacré la remit à sa place. Mais… Quelque chose clochait. Elle avait un mauvais pressentiment. La sensation qu’on était en train de se payer sa tête.

« Jeune fille, où sont les tiens ?
- Il… Il n’y a que moi ici.
- Ton groupe t’aurait donc abandonnée ? Eh bien, quelle manière de récompenser la loyauté…
- C’est moi et moi seule qui ai choisi de rester. Et je… Je ne vous laisserai pas leur faire du mal ! »

Le Papilusion prit son envol avant de battre violemment des ailes, soulevant des bourrasques. Dame Fusube Kisara protégea sa tête de son bras, se préparant à l’impact… Qui ne vint pas. Les rafales, même, étaient bien plus faiblardes qu’anticipé.
Interdite, elle fixa son adversaire. Malgré toute la détermination qu’elle lisait dans ses yeux, elle ne ressemblait pas à une guerrière.

Son regard s’attarda derrière elle. Elle devinait aisément des traces de fuite. Comment avaient-ils pu laisser passer une telle erreur ?

« Poursuivez-les.
- Quoi ? NON ! Bandit ! »

Le Corboss gonfla le poitrail pour appeler ses sbires. Mais, comme il ouvrait le bec, une flèche lui traversa le gosier. Son croassement mourut avec lui en s’écrasant au sol.

Junko était tétanisée. Les guerriers la contournèrent sans même prêter attention aux coups de patte que Féroce tenta dans leur direction, s’enfonçant entre les arbres.

La Générale mit pied à terre. Elle s’avança, insensible aux rugissements de l’ourse. Rien dans ses mouvements n’indiquait une quelconque discipline. Ce n’était qu’une bête sauvage, comme elle en avait déjà terrassé.

Elle ne frémit même pas quand elle s’élança sur elle.
Esquiva ses griffes d’un pas de côté.
Dégaina son sabre en un arc de cercle parfait.

Une unique goutte de sang perla de la pointe de la longue plume d’Airmure. Et l’Ursaring s’effondra, la gorge tranchée.

Le Papilusion la survola pour répandre ses spores nocifs. Mais fit l’erreur de passer à sa portée. Le voile fragile d’une de ses ailes se déchira sous le fer aiguisé, le clouant au sol.

Maintenant que son escorte n’était plus, Dame Fusube Kisara ne s’arrêta qu’une fois devant son adversaire. Ses jambes flanchèrent, son visage n’était plus que désespoir et terreur, ses yeux moites de larmes. Encore une fois, cette certitude. Elle n’était pas une guerrière.

Une amertume intense envahit sa bouche. Elle rengaina son arme.

« Jeune fille, quelque chose m’échappe dans toute cette situation. J’ose espérer que tu sauras m’éclairer. »




Stimulé par Tôru aux rênes, Peau-Pierre avançait aussi vite que possible sur la piste qu’ils avaient repérée, nullement gêné par la carriole pleine d’enfants qu’il tirait. Ils avaient prévu de rejoindre les montagnes où, ils l’espéraient, ils sèmeraient leurs poursuivants. Maho fermait la marche en compagnie de l’Aligatueur qui, bien qu’il soit sur terre, arrivait à maintenir la cadence sur ses quatre pattes.

Ils couraient depuis un bon moment quand un des ados eut une remarque.

« C’est bizarre… On entend plus les Cornèbre, non ? »

Ils s’arrêtèrent, permettant aux plus grands de reprendre leur souffle.

Effectivement, la forêt était étrangement calme. Ils n’avaient même pas entendu l’appel sinistre de Bandit…

« Vous croyez quand même pas que… »

Personne ne finit sa phrase. Comme si, en la finissant, le sort de Junko aurait été scellé. Un enfant se mit à pleurer en serrant Pelote contre lui. D’autres l’imitèrent. Par peur. Par inquiétude. Par fatigue.
La panique commençait à s’immiscer dans les esprits. Maho la combattit, mais l’évidence s’imposait toute seule. Jamais ils ne distanceraient des Tauros. Pas avec un Rhinocorne. Pas alors qu’une partie d’entre eux était à pied. S’ils voulaient s’en sortir, ils allaient devoir faire quelque chose.

Elle baissa les yeux, croisa l’œil carmin de Mâchoire. Non. Elle devait faire quelque chose.

« Tôru, continuez sans moi.
- Quoi ?! Mais… Qu’est-ce que tu…?
- J’vais vous gagner du temps ! J’vous retrouverai, t’en fais pas. Allez-y, dépêchez-vous ! »

Le jeune homme hésita. Mais lui aussi comprenait qu’ils n’avaient pas d’autre solution, aussi désespérée soit-elle.
Le cœur gros, il agita les rênes pour reprendre la route.

Maho se retourna pour ne pas voir le visage des enfants qui l’appelaient. Mâchoire vagit doucement en dressant la tête pour effleurer ses doigts. Elle sourit maladroitement, se baissa pour le caresser.

« Ça va aller… »

À qui adressait-elle ce mensonge ? À elle-même, certainement.




Les Dompteurs progressaient vite malgré la forêt dense. Il fallait dire que leur tâche était facilitée par la piste laissée par le convoi, qui évitait les pièges retors des troncs et des racines.

Alors que les arbres se faisaient plus clairsemés, un torrent d’eau surgit sur leur droite. Ils l’esquivèrent aisément, mais leur assaillant recommença, les obligeant à se réfugier dans le bosquet le temps de se concerter.

« Il semblerait qu’ils se soient séparés, déclara Yuzuha en montrant les sillons de roue et les empreintes fraîches dans la terre.
- Qu’est-ce qu’on fait ? C’est clair qu’ils veulent nous ralentir. »

La Mackogneur d’Irisia jeta un coup d’œil à travers les branches.

« Vous deux, continuez.
- Vous êtes sûre de vous, Mion ?
- J’ai autant de Pokémon que vous deux, dont ce gros clébard -l’Arcanin Sacré grogna de plus belle. J’pense que ça devrait aller.
- Ok, mais fais quand même gaffe.
- Ouais ouais. »

Là-dessus, elle planta ses talons dans les côtes du gardien des Ruines. Le Seigneur Rekka gronda de rage en filant dans la forêt.

« Allons-y, dans ce cas. »

Une fois sortis du bois, il ne fallut pas longtemps pour que Nirei et Yuzuha aperçoivent la charrette en fuite. Bien que dégagé, le relief s’accentuait et les roches envahissaient la végétation. Ils relâchèrent la bride de leurs Tauros, qui allongèrent aussitôt l’allure pour réduire la distance avec les fugitifs. L’archer actionna sa Poké Ball. Radiance prit place sur la croupe de la monture, enroula ses racines autour de son maître pour ne pas tomber, et fit claquer ses bras. Les feuilles acérées fusèrent sur les personnes à pied, entaillant la chair des plus proches. Ils tombèrent en criant de douleur.
Comme ils les dépassaient, Princesse Macronium leur jeta un bref coup d’œil… Et blêmit.

« Nirei, attendez ! »

Mais il avait déjà décoché sa flèche.

Le trait atteignit le conducteur de la carriole en pleine tête. Il s’effondra… Et le Rhinocorne, affolé, s’emballa. Aux cris aigus qui s’élevèrent, l’Hypotrempe Embusqué tressaillit.

« Quoi…? »

La guerrière noble réagit au quart de tour.
Vaillant jaillit hors de sa capsule, fonça à la poursuite du rhino paniqué. Il le dépassa en vrombissant pour se planter devant lui. Quand Peau-Pierre le percuta sur sa chitine endommagée par les flammes, le Scarhino s’accrocha aux plaques de son corps, appuya de tout son poids sur ses appuis. Il recula sur plusieurs mètres avant d’enfin l’arrêter dans sa course.

Yuzuha mit aussitôt pied à terre pour se précipiter sur la charrette. Deux Teddiursa en bondirent en poussant des miaulements courroucés, mais il suffit que Nirei les attrape par la peau du cou pour qu’ils deviennent inoffensifs.

Les deux Dompteurs se figèrent, abasourdis.

« Nirei… Ce ne sont que des enfants… »




Maho avait beau courir de toutes ses forces, les grognements se rapprochaient à chaque foulée. Mâchoire avait renoncé à cracher ses geysers, constatant que cela les ralentissait et n’entravait en rien leurs poursuivants. Au moins avaient-ils réussi à les attirer, chercha-t-elle à se rassurer.

La terre se déroba sous ses jambes alors qu’un mur de fer en jaillit pour se dresser devant eux. La Steelix siffla, répondant au vagissement furieux du saurien qui bondit. Sa gueule se referma sur l’armure bosselée, y imprimant la marque de ses crocs. Muraille le regarda faire avec indifférence. À côté de la morsure des flammes de l’Arcanin Sacré, son attaque la chatouillait à peine…
Le serpent de fer souleva sa queue, à laquelle l’Aligatueur s’accrochait tel un poisson sur un hameçon. D’un coup violent, elle l’envoya valser au loin, non sans que les crocs ne creusent des sillons dans sa peau insensible.

« Mâch…! »

On l’empoigna par les cheveux.

La géante rousse, enfin descendue de son illustre monture, la souleva à hauteur de visage. Ses traits se décomposèrent de déception.

« Une gamine ? »

Les fourrés bruissèrent en grognant. Le saurien revenait. Lui, en revanche, risquait d’être un problème. Sauf si…

Sans aucune gêne, Mion plongea la main dans les poches du jinbei de la jeune fille, ignorant ses coups de pied. Un sourire triomphant étira ses lèvres quand elle sortit la Poké Ball qu’elle avait trouvée.

« On va voir s’il t’écoute toujours sans ça.
- NON ! »

La poigne de la Mackogneur d’Irisia se referma sur la balle de bois, qu’elle broya sans aucune difficulté.

Les fourrés se turent. Plus aucun frémissement ne les agitait.

Maho était perdue. Les débris de la Poké Ball qui tombèrent des doigts de la géante rousse auraient tout aussi bien pu être ceux de son espoir.

« C’est bien ce que je pensais. Maintenant, tu vas être une gentille fille et te rendre sans faire… »

Un torrent d’eau la percuta.

Mion fit quelques pas sous la pression, secoua la tête. Qu’est-ce que…?

Alors qu’elle se remettait, une gueule garnie de crocs fondit sur elle pour happer son bras gauche. Elle cria de douleur, fusilla l’Aligatueur du regard.

« Toi, tu sais pas à qui tu t’frottes ! »

La géante rousse jeta sa prisonnière au loin. Elle souleva son bras et le saurien au bout… Pour l’abattre violemment sur le sol.
Mâchoire grogna mais resserra son étreinte. Même quand elle lui empoigna le museau pour le forcer à ouvrir la gueule, il maintint son étau. Quand elle lui martela directement le ventre à lui donner la nausée, il répliqua à coups de griffes aveugles, entaillant tout ce qui passait à sa portée. Chair. Armure. Tissu.

La pochette de Mion fut éventrée dans la mêlée.

Deux Poké Balls s’en échappèrent en roulant au sol.

Un détail infime à côté de la lutte à mort qui se déroulait entre l’humaine et le Pokémon. Mais qui n’échappa pas au Seigneur Rekka.

Le gardien des Ruines plongea sur la balle noircie par les flammes. Ses crocs embrasés se refermèrent dessus… Et la brisèrent.

Un rugissement phénoménal emplit l’espace. Terrible. Majestueux. Les arbres tremblèrent sous l’aura flamboyante de l’Arcanin Sacré libéré de sa chaîne. Dans ses onyx noirs, une unique lueur dansait, aussi dévorante que ses flammes. Celle de la vengeance.

D’un bond, il se jeta sur Mion qui parvint enfin à éjecter l’Aligatueur de son bras déchiqueté.

Mâchoire se releva en haletant. La géante rousse avait disparu, emportée par la rage folle de son dieu libéré. Son serpent de fer les avait suivis. Ils n’étaient plus un problème. Pour le moment.
Un gémissement attira son attention. Il tourna la tête. Maho. Il rampa lentement, luttant contre ses écailles meurtries par les coups de la guerrière.

La jeune fille était étendue sur le dos. L’arrière de son crâne lui faisait mal. Quelque chose lui chauffait la nuque et lui collait les cheveux. Sa langue s’empâtait d’un goût de métal. Ses pensées s’enfuyaient.
Elle vit l’Aligatueur se dresser sur ses pattes. Ses yeux carmins l’observaient. Son museau ensanglanté gouttait.

Ah, pensa-t-elle. Il va me dévorer.

Après tout, elle l’avait privé de ce droit la première fois. Ce n’était qu’un juste retour des choses. Elle aurait bien souri, mais ses muscles ne répondaient plus.

Alors que la gueule s’ouvrait, sa conscience l’abandonna.




La lutte entre le Seigneur Rekka et Mion n’avait rien d’honorable.

Ils échangeaient flammes et coups de masse. Griffes et sabres. Crocs et poings.
Ils n’étaient plus dieu et humain. Bourreau et victime. Seulement deux êtres emplis d’une haine indéfectible l’un envers l’autre. Dans leur folie meurtrière, ils ne faisaient plus attention à rien d’autre qu’au meilleur moyen de faire souffrir l’autre.

C’est ainsi que, sans s’en rendre compte, ils tombèrent dans la rivière.

Le courant enfin les sépara… Brièvement du moins.

Les flots capricieux piégèrent la jambe de Mion entre des rochers, loin de la surface. Elle avait beau tirer dessus, frapper, impossible de se dégager. Voyant cela, l’Arcanin Sacré s’éloigna après un dernier regard dédaigneux.

Mais son museau eut à peine le temps de retrouver l’air libre qu’il était de nouveau entraîné au fond. Il se retourna. La géante rousse, mobilisant ses dernières forces, avait saisi sa fourrure. Elle l’attira à lui, profitant de son absence d’appuis. Ses bras ensanglantés se refermèrent autour de sa gorge. Si elle devait mourir, ce ne serait pas seule.

Sur la berge, Muraille observait la surface. Elle était indécise. D’un côté, il lui semblait qu’elle devait aider son humaine. De l’autre… Ne l’avait-elle pas toujours punie quand elle prenait une initiative ? Et puis, quelle aide pourrait-elle bien apporter face au terrible Arcanin Sacré, qui plus est dans l’eau ?

La Steelix resta quelques minutes à attendre.

Puis partit en direction des montagnes.




« Qu’est-ce à dire que ceci ?! »

La voix de l’Empereur tonna dans la salle d’audience, faisant frémir tous ceux présents.

La Générale de l’Armée Impériale avait amené Junko devant lui, qui tremblait de tous ses membres. Agenouillée un peu plus loin, la seigneur de Bourg-Geon n’en menait pas large.

« Dame Wakaba Moriko ! Expliquez-vous céans !
- V-votre Altesse… Ces personnes constituaient une menace pour l’Empire avec leurs…
- Une menace ?! » Les shôjis vibrèrent sous sa voix. Ses iris d’or et d’argent brûlaient. Jamais avait-on vu le jeune souverain aussi furieux. « Par vos mensonges, vous nous avez fait commettre l’inacceptable ! Vous nous avez fait envoyer notre armée contre des enfants !
- N-non Votre Altesse ! Je vous assure que j’ignorais…
- Silence ! »

Pas un frémissement, pas un son ne fut audible dans la minute qui suivit.

Soudain, l’Empereur Akiharu se leva.

« Nous nous retirons pour l’instant pour réfléchir à notre jugement. »




La fureur du jeune souverain était telle que même le plancher Natu du Palais Azur n’osait piailler. Son épouse avait bien tenté de le rejoindre, mais il l’avait renvoyée d’un regard. Il avait besoin d’être seul.

La seigneur de Bourg-Geon l’avait humilié en omettant une information aussi cruciale. Et pourtant, ce n’était même pas le pire. Non. Alors que son armée ne faisait face qu’à des enfants, l’une des meilleures guerrière de l’Empire et le Seigneur Rekka s’étaient entretués ! Tout ça à cause de ces fichues Poké Balls ! Sans elles, rien ne serait arrivé ! Il n’aurait jamais dû laisser Dame Fusube Kisara le convaincre de les étudier. Il n’aurait jamais dû ignorer les craintes de Sire Iyou ! Il n’aurait jamais dû écouter Dame Beniko ! Mais c’était fini. Il ordonnerait un édit les interdisant et exigeant la destruction de tout savoir concernant leur fabrication !

Pris dans son ire, il manqua de percuter des serviteurs au détour d’une pièce.

« P-pardonnez-nous, Votre Altesse ! » s’écrièrent-ils en se pressant sur le côté pour lui laisser la place.

Il les aurait normalement dépassés sans un mot. Mais quelque chose attira son regard. Il marqua une pause.

« Quelle est donc cette étrange créature ? » demanda-t-il en désignant la tortue qui les accompagnait.

Les serviteurs écarquillèrent les yeux. L’Empereur s’adressait à eux ?

« E-elle s’appelle Ukumbi, Votre Altesse. C’est une Chartor.
- Une Chartor ? C’est bien la première fois que nous entendons ce nom.
- C-C’est un cadeau de Hoenn, Votre Altesse.
- Vraiment ? Mais pourquoi mener cette créature en nos appartements ?
- N-Nous nous apprêtions à préparer votre bain pour ce soir, Votre Altesse. Ukumbi est chargée d’en chauffer l’eau depuis feu l’Empereur Akitomo, votre arrière-grand-père. Il était très friand de cette méthode hoennienne pour garantir une eau chaude à souhait. »

Cette information ne manqua pas de surprendre le jeune souverain.

« Cette… Chartor serait donc si âgée ?
- Oh oui, Votre Altesse ! Elle était déjà ici bien avant que nous n’intégrions vos gens.
- Mais ne craignez-vous pas ses flammes ?
- Un peu au début. Mais elle dort la plupart du temps, et elle n’en produit qu’en mangeant. Tenez. »

Le jeune homme sortit un morceau de charbon de sa poche, qu’il tendit à la tortue. Ukumbi le croqua lentement. Bientôt, les cavités de sa carapace ronflèrent doucement comme une chaleur réconfortante chassa la fraîcheur du printemps.
L’Empereur hocha la tête avec curiosité avant de les congédier.

Cette entrevue lui avait changé les idées. Il ignorait que son propre Palais employait un tel Pokémon pour une tâche aussi mondaine que préparer son bain. Qui sait, peut-être que d’autres assistaient également ses gens ?
Il se figea. Maintenant qu’il y pensait… Ses guerriers chevauchaient bien des Tauros et des Dodrio. Les marchands s’aidaient de Rhinocorne. Des Roucool ou Cornèbre étaient utilisés pour converser avec les provinces. Et Dame Chise ne lui avait-elle pas un jour expliqué que, pour se rendre jusqu’à l’autel de l’Oracle, Hoothoot et Noarfang étaient nécessaires ?

Un piaillement chanté attira son attention sur le somptueux jardin du Palais Azur. Un Roucoups survola la bâtisse pour se poser sur le vieux cerisier où il construisait son nid. Des Coxy butinaient les fleurs en se querellant par moments avec des Papilusion. Au fond, quelques Cerfrousse broutaient paisiblement, impassibles devant les deux jeunes qui jouaient en cognant leurs têtes sans bois.

Le jeune souverain se tint le menton en repensant aux paroles de la Divine Lugia.




Un silence pesant régnait dans la salle d’audience quand l’Empereur Akiharu s’installa. Tous gardaient la tête baissée, de peur de se faire foudroyer par ses yeux vairons.

« Nous avons pris plusieurs décisions. »

Sa voix était apaisée et ferme.

« Tout d’abord. Dame Wakaba Moriko. Nous vous tenons pour responsable de ce qu’il s’est passé sur vos terres. Ce sont vos mensonges qui ont entaché notre armée, aussi nous exigeons réparation. Vous êtes dès à présent défaite de votre titre de seigneur de Bourg-Geon. De plus, votre clan devra prendre à sa charge ces enfants que vous avez privés de foyer, et les élever comme des membres de votre famille. Ainsi en avons-nous décidé. »

Elle ne releva même pas la tête, par honte ou par peur.

« Il en sera fait ainsi, Votre Altesse.
- De plus, concernant la Poké Ball… »

Il marqua une courte pause qui suspendit la cour à ses lèvres.

« Nous avons décidé d’encourager son utilisation au sein de l’Empire.
- C-comment ?! s’étrangla Sire Iyou.
- Votre Altesse ! renchérit Dame Chise. N’avez-vous pas…
- Silence ! Nous n’avons pas terminé. »

Stupéfaits, les religieux se rassirent. Le petit sourire narquois de son épouse ne lui échappa pas.

« Inutile de vous réjouir ainsi, Dame Beniko, la rappela-t-il à l’ordre. Ce ne sont nullement vos propos qui ont poussé notre choix. Contrairement à ce que vous avanciez, nous ne pensons pas que la Divine Lugia professa un rapprochement des dieux et des Hommes. Sans quoi, pourquoi le Seigneur Kiu aurait ainsi châtié Dame Hiwada Otoha pour sa capture ? Non, nous pensons qu’elle souhaite un rapprochement des Pokémon et des Hommes. »

Il s’interrompit pour adresser un signe à l’intendante au fond de la salle. Elle s’éclipsa.

« Nous nous sommes rendus compte que les Pokémon partagent déjà notre vie. Nous les utilisons constamment pour d’innombrables tâches, peu importe le rang ou métier.
- D-dans ce cas, Votre Altesse, pourquoi vouloir vous encombrer de la Poké Ball…?
- Justement en raison de ce que nous venons de dire. Nous les utilisons. Pourtant, des propos que Dame Fusube Kisara nous a rapportés, ces enfants voient en eux plus que de simples outils. Ils étaient des compagnons, qui n’ont pas hésité à donner leur vie pour les protéger.
- C’était uniquement en raison de la Poké Ball, Votre Altesse. Cela ne prouve rien !
- Vraiment ? »

Des grognements se firent entendre. Un mouvement de recul saisit la cour en voyant l’intendante ouvrir la cage de bambou contenant deux Teddiursa. Glouton et Pelote s’avancèrent prudemment… Et se précipitèrent en couinant sur Junko dès qu’ils perçurent son odeur. Mais, au lieu de coups de griffes, ce furent des câlins qu’ils lui infligèrent.

« Ces deux Teddiursa n’ont pas été soumis au joug de la Poké Ball. Pourtant, voyez par vous-même leur façon de se comporter avec cette jeune fille. Par bien des aspects, ces enfants ont mieux su exploiter la Poké Ball que nos meilleurs guerriers. »

La Générale courba l’échine. Elle ne pouvait malheureusement que reconnaître la véracité de ses propos.

« Certes, Votre Altesse, mais cela peut s’expliquer par le jeune âge de ces Pokémon.
- Dans ce cas, qu’en est-il des vôtres, Sire Iyou et Dame Chise ? »

Les deux religieux échangèrent un regard, avant de croiser ceux de leurs Pokémon.

« Ils nous ont été assignés en raison de nos offices.
- Et pourtant, il ne vous viendrait pas à l’idée de les considérer comme des objets. Ne le niez pas, Dame Chise, Vous vous comportez avec Abysse et Zénith avec la même déférence que si vous vous adressiez à un membre de notre cour. »

La Grande Prêtresse des Astres déglutit. Non. Elle ne pouvait le nier. Pas plus que le Grand Prêtre du Roseau.

« Nous sommes conscient du péril que bien des Pokémon posent pour nos sujets. Mais nous pensons qu’en apprenant à les connaître, à étudier leurs habitudes, leurs forces et leurs faiblesses, nous n’en serons que plus forts. En tant qu’Empire et en tant qu’Hommes. »

Il se redressa bien droit. Appela à lui toute la prestance de sa lignée divine. Avant de clamer haut et fort :

« Que nos paroles soient connues à travers tout l’Empire. Ce jour est le premier d’un monde où Hommes et Pokémon marcheront côte à côte. Ainsi en avons-nous décidé. »




L’air chaud du solstice d’été résonnait des notes innombrables des kotos pincés par les doigts habiles au sommet de la Tour Carillon. Parmi eux, l’Empereur Akiharu faisait abstraction des rumeurs du Kin Matsuri qui battait son plein en bas pour se concentrer sur sa musique.

Pour la première fois depuis longtemps, c’était le cœur léger qu’il adressait au Phénix d’Orcœur son Hymne au Zénith. Ses doigts couraient sur les cordes, en harmonie parfaite avec les instruments des prêtres l’accompagnant. Il ne s’affola même pas en ratant une ou deux notes, poursuivant son œuvre comme si de rien n’était.

Sa décision se répandait dans tout l’Empire. Nobles comme manants s’interrogeaient. Était-il fou ? avait-il entendu dire. Peut-être. Qui sait. Lui-même l’ignorait. Peut-être avait-il complètement mal interprété les paroles de la Dragonne d’Argentâme.

Le morceau s’acheva.

Le jeune souverain leva la tête vers le ciel. Et sourit.

Un arc-en-ciel illuminait les cieux, s’étirant d’un horizon à l’autre.

Oui, il ignorait ce que l’avenir leur réserverait. À lui, à son peuple, à l’Empire. Mais une chose était sûre. Cette année serait radieuse.




« Ben ça alors. Té ‘Pa, viens voir ! »

L’homme sortit de sa maison pour admirer l’arc-en-ciel en compagnie de sa femme.

« L’Divin Ho-Oh qui nous bénit !
- Ben l’était temps, tiens ! »

Alors qu’ils se réjouissaient de ce bon présage, la lueur irisée entrait dans la porte laissée grande ouverte, réchauffant doucement le corps de la jeune fille endormie, la tête posée sur la queue du saurien assoupi à ses côtés.


FIN