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Ame d'Argent de Van Lambda



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Informations

» Auteur : Van Lambda - Voir le profil
» Créé le 15/09/2022 à 00:11
» Dernière mise à jour le 15/09/2022 à 00:11

» Mots-clés :   Kanto   Science fiction

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Chapitre 4 : Abri
« ...Wow ! Quel final frappant ! La gagnante n’a pas laissé la moindre chance à son adversaire ! Que de rebondissements ce soir mes adelphes, on ne s’est pas ennuyé ! »

Le commentateur a définitivement brisé le silence, le brouhaha des spectateurs emplissant à nouveau l’arène alors que ses lampadaires prennent vie. Je tends la capsule d’Hagane devant moi, rapatriant le combattant depuis le centre du stade, puis la regarde dans ma paume, soupirant, avant de mettre le cap sur la sortie du dojo. Je m’adosse à une colonne au bord de la chaussée, réfléchissant à la prochaine étape : je suppose que qu’importe l’issue du match, le Centre Pokémon local devait être ma future destination. Je joue avec la Poké Ball, repoussant l’échéance de ma décision suivante, à peine perturbé par le portail en bois se rabattant bruyamment derrière moi. Soudain, je sens quelque chose effleurer mon omoplate, provocant un sursaut.

« Hey, tu pensais pas vraiment pouvoir t’éclipser d’un duel sans que je te serre la pince ? »

Pas le visage qu’il me tardait le plus de revoir, mais il me serait impoli de refuser. Lybi et moi échangeons une poignée de mains, puis la dresseuse place quelque chose dans la mienne.

« Prends, c’est mérité. Tu m’as bien mis la misère pour quelqu’un avec un type Sol solo, c’est la moindre des choses qu’on partage le butin. », me sourit-elle.

La surprise, la confusion et la gêne m’assaillent toutes de concert. La fierté, quant à elle, m’implore de refuser, mais il serait puéril et irrespectueux envers mon partenaire de le faire. Je la remercie, puis la pêcheuse largue les amarres, m’adressant un dernier mot accompagné d’une tape sur l’épaule :

« Hâte qu’on se recroise, Sil, mon Poulain est très frustré de n’avoir eu que les restes ! »

Je lui souris audiblement, puis trace ma route à mon tour.

Le Centre déborde de monde, entravant malheureusement mes plans d’y rester cette nuit. Le repas de mon Minotaupe dans mon sac, je récupère sa balle des mains de l’infirmière puis repasse la porte automatique du bâtiment. Après un instant d’errance aux côtés de mon camarade, nous nous installons à l’ombre d’une vieille échoppe abandonnée au toit outremer, contre laquelle il se rassasie.

« Hagane, il est probablement peu recommandé de s’assoupir dans une ruelle, en particulier dans notre situation... Je te propose qu’on dorme à tour de rôle ? Toi d’abord, évidemment... »

La taupe enfouit sa tête sous mon aile, puis tombe instantanément dans les bras de Cressélia. C’est dans ce genre de situation que je suis soulagé d’avoir un réceptacle métallique, parle d’une étreinte mortelle... Je lève mes yeux au ciel, espérant apercevoir une étoile derrière l’aura aveuglante de la cité. Que faire ensuite ? Je n’en ai pas la moindre idée...

Mon introspection est interrompue par des cris dans la rue adjacente. Rien d’alarmant, une femme jouant avec son Pokémon, semble-t-il. La créature en question apponte face aux ruines commerciales, effrayant la volée de Cornèbre y ayant élu domicile. Il faut croire que j’ai eu tort de penser que le raffut nocturne émanerait de ces oiseaux... Le monstre aux chélipèdes écarlates pointe furtivement son œil dans ma direction, puis repart à la charge sans tarder. J’essaye vainement de me recentrer sur mes pensées, l’ébauche de calme de la soirée étant le moment le plus propice pour réfléchir à mon avenir. Je ferme mes lourdes paupières, feignant de faire abstraction des cliquetis du crustacé, quand son acolyte m’accoste.

« Tu vois, je pensais cette ville plus grande que ça… », rit la demoiselle.
On se dévisage un instant, puis le sourire de mon interlocutrice tourne à l’inquiétude.

« C’est quoi cette tête, je te reviens pas ? », me dit-elle.
Le réverbère scintille au dessus de la passante, mettant en lumière les veines blondes sillonnant sa chevelure azur. Les couleurs… d’un Gamblast.

« ...Lybi ?
- Ouf, t’es juste complètement défoncée en fait. Rassure-moi, t’as pas l’intention de pieuter là ? »
Je reste bouche-bée, évitant son regard en essayant de formuler une réponse.

« T’as beau pas être une pipelette, ton visage parle beaucoup pour toi, tu sais… Allez lève-toi, j’arriverai pas à dormir en te sachant par terre à mon seuil », soupire la pêcheuse main tendue.

Ramenant mon compère à la conscience, je saisis une fois de plus la pogne de la dresseuse, puis sens un frisson parcourir son bras, à sa grande stupeur.

« Saint Lugia, t’as la main complètement gelée ! J-je devrais peut-être appeler un docteur en fait, panique-elle.
- N-non non, ça va aller ! je panique à mon tour.
- Ok, ok, mais dépêche-toi de rentrer chez moi alors, j’ai du chauffage. Normalement. »

Je suppose que mes batteries bouillonnaient encore suite à notre empoignade lors de notre dernière poignée de main… Je devrais peut-être investir dans des gants. Nous grimpons quelques dizaines de marches jusqu’aux portes de son logis, dont elle vérifie immédiatement le fonctionnement des radiateurs une fois tous deux à l’intérieur.

« La salle de bain est juste-là à ta gauche, tu devrais peut-être passer tes mains à l’eau chaude le temps que la température remonte ? J-je sais pas si c’est vraiment une bonne idée mais j’ai pas mieux. »

J’acquiesce, puis m’isole quelques minutes face au miroir, n’osant pas noyer mes paumes au risque de les endommager. Mon visage est strié d’argent, érodé par le crachin, mais je parviens tout de même à le reconnaître. C’est la perruque criarde qui est difficile à oublier, je pense. Je lâche au sol mes bagages, puis me munit de la bombe pour corriger les défauts de mon camouflage avant que mon hôte ne remarque encore une anomalie, effaçant au passage la peinture des mes sourcils ferreux. Sous peu, elle frappe à la porte puis passe sa tête dans le sanitaire.

« Est-ce que ça va mieux ? me questionne-t-elle.
- Oui, je te remercie.
- Ok… Est-ce t’as déjà mangé ?
- Euh, o-oui, bien sûr ! » je bégaye.

La jeune femme me lance un regard défiant.

« Il va VRAIMENT falloir bosser sur tes bobards, toi… », expire-t-elle son visage perdu dans ses mains.

Je me tourne vers la glace la mâchoire béante, plongeant mes yeux dans ma gorge en espérant que le génie en robotique m’ayant engendré ait prévu cette éventualité. Mon frère de fer somnole sur une couverture drapant le canapé du salon, à peine séparé de la cuisine où la fille de la mer trafique aux fourneaux. Un minuscule mécanisme trône sur le plan de travail avec sa cour de cadres photos, habité par un lilliputien présentant les informations quotidiennes. En m’asseyant autour de la table, je prie pour que l’orgueil de ma maternité les convainc de ne pas lancer d’avis de recherche en mon honneur. Sans perdre focus sur sa cuisine, la cheffe invoque à nouveau mon attention :

« Tu sais, quand je t’ai dit que j’avais hâte de te recroiser, je m’attendais pas à ce que ce soit deux heures après devant mon appartement… T’es pas du coin, si ? »

Je ne devrais probablement pas trop mentir, au risque de susciter des questions auxquelles je n’aurai pas de réponses.

« ...Si, techniquement. Mais je suis pas vraiment habitué à sortir.
- Oh, ça explique comment j’ai manqué une dresseuse de ton acabit depuis tout ce temps. Ce que ça explique pas, c’est pourquoi t’es à la rue…
- C’est… compliqué ?
- T’inquiètes, je vois. Je vais pas plus t’embêter avec ça. »

Elle pense sûrement que j’ai été mis à la porte, ce qui… n’est pas exactement vrai, finalement. Mais je doute que la nuance soit d’une grande importance. Elle pose sous mon nez une assiette garnie de boulettes de riz et de tranches de poisson cuivrées, dont la jumelle est assise à l’autre extrémité de la table. Lybi s’assied face à moi, guettant ma réaction.

« C’est quoi ce regard méfiant, tu ne penses pas que je vais t’empoisonner quand même ?
- Oh non, non c’est pas ça !
- J’ai vécu la majeure partie de ma vie sur un port, au cas où ma déco ne vendait pas déjà la mèche, tu peux me faire confiance pour préparer la poiscaille ! »

C’est vrai que sa demeure est presque caricaturale : des magnets d’îles aimantés au réfrigérateur, des clichés de marins, un phare photophore… la chalutière est dans son élément, et je ne serai pas surpris de découvrir une réplique de gouvernail dans le séjour. Je fixe le dîner, hanté par quelques questions éthiques, puis enchaîne pour gagner du temps sur l’inévitable.

« Je me disais bien que tu n’avais pas toujours été safrane, c’est pas la ville la plus proche de l’eau.
- Oui, je suis des Sevii ! Mais j’ai surtout vécu à Carmin-sur-Mer, c’est moins paumé que l’Île Trois…
- Comme la différence de nom le suggère ! », je blague.

Ma colocataire est brièvement décontenancée, puis se revêtit de son sourire habituel.

« Et beh, t’as plus de mordant que je pensais, c’est l’odeur de la pitance qui t’a revigorée ? », rigole-elle, me laissant suivre les traces de sa bonne humeur.

Elle entame le souper, puis relevant la tête de son plat, remarque mon regard dirigé vers un portrait encadré au mur dans son dos, décrivant un Lougaroc de mer accompagné d’une enfant coiffée de céruléen.

« Il avait la classe mon vieux, hein ? me questionne-t-elle rhétoriquement.
- Oh, c’est ton père ?
- Ouaip ! Le grand Cap’taine Cheira Kemferi en personne ! Sans doute le plus grand marin que Kanto ait connu ! affirme sa fille sans le moindre bias.
- C’était un pêcheur ?
- Ouais, mais il faisait surtout du fret. Il était courageux, il était habile, il était fougasse… Et il était têtu comme un Bourrinos ! », Lybi tape sur la table contrariée.

La pièce reste silencieuse un instant, seulement parasitée par le bruit blanc du journal.

« Il était pas très branché technologie, le daron. Il avait en horreur les derniers gadgets de la Sylphe, c’est à peine s’il avait de quoi envoyer des télégrammes sur son vieux rafiot. Un jour il a plus donné de nouvelle lors d’une cargaison importante, et on en a toujours eu aucune depuis. Bien des pillards ont tenté de mettre la main sur l’épave, mais sans succès – pas une seule planche a été retrouvée. Je me plais à croire qu’il a échoué sur une île déserte sur laquelle lui et son crew survivent depuis toutes ces années, ça m’aide à dormir la nuit… »

Je ne suis pas sûr de quoi répondre, honnêtement. Heureusement, l’orpheline semble avoir d’autres souvenirs à ressasser.

« Il pouvait pas blairer Bob, le champion local. Un ancien militaire prêchant la suprématie du type Électrique, tu te doutes bien… Il a jamais réussi à le battre. Il m’a dit un coup avant de partir : « Ma p’tite, t’as intérêt à lui mettre une bonne raclée pour moi, à ce gredin de Major ! » avec un langage... un peu plus fleuri. C’est pour ça que je suis là, à m’entraîner au Dojo. Et puis ça paye la bouffe alors c’est pas un mauvais hobby. Je pensais bientôt être prête à aller lui couper le courant, au vieux bonhomme, mais mon combat contre toi me persuade maintenant du contraire…
- Oh, désolé…
- Tu déconnes, je devrais te remercier. J’ai pas attendu toute ces années pour venger mon père pour me faire humilier ! »

Les rires de la dresseuse se transforment en soupirs.

« Il était pas souvent à quai, j’aurais aimé passer un peu plus de temps avec lui…
- Ouais, moi aussi... je renchéris détournant le regard, un Tarinorme couvrant ma vision.
- Heh, on est dans le même bateau on dirait. »

Je souris idiotement en échangeant un regard avec elle. Ça a quelque chose de rassurant d’avoir en commun avec quelqu’un, même si des similarités moins déprimantes auraient été plus souhaitables. Le rictus de mon reflet se met en coin, alors qu’elle rompt le confortable mutisme.

« Essaye pas de me distraire avec ta belle gueule du fait que ton dîner soit intact, dis-le honnêtement si t’aimes pas le poisson. Tu serais la première Kantoïte à me le dire, mais je serai moins vexée. Je te trouverai une alternative, je préférerai que tu sois réveillable demain matin. »

Je jette un œil à mon assiette, mon revêtement beige épargné par mon manque de glandes sudoripares. Ne souhaitant pas d’avantage irriter mon hôte, je me décide à faire le grand plongeon. L’intégralité de l’attention de la demoiselle est focalisée sur mes oscillantes baguettes, alors qu’elles menacent lentement mon gosier.

« Alors, t’en dis quoi ? s’impatiente-t-elle alors que je semble avaler.
- ...C’est bon ? », mens-je en espérant ne pas m’évanouir comiquement la seconde suivante.

Éclairés par son visage, nous reprenons la conversation simultanément au repas.

« Et toi, pourquoi t’as voulu devenir dresseuse ? s’interroge ma rivale.
- Je ne pense que pas que j’aurai pu être autre chose, pour être honnête.
- Pourquoi ça ?
- Je… j’ai été taillé pour ça, on va dire.
- J’aime pas du tout la formulation de cette réponse, fronce Lybi. Est-ce qu’on t’as forcé la main ?
- Peut-être le terme est-il un peu fort ? »

Peut-être est il trop faible.

« T’aimes ça, au moins ? se désespère l’enthousiaste.
- Oui, oui je pense. »

Elle reste dubitative. Je sens que cette discussion est particulièrement critique, mais j’aimerai m’en échapper au plus vite.

« Sache que quoi que tes gardiens aient pu te dire, tu seras pas un échec si tu choisis de pas être dresseuse. Regarde un peu autour de toi, tu penses vraiment que c’est que ça, la colonne vertébrale de notre monde ? Les combats de Pokémon ? Quid des boulangers, des infirmiers, des bâtisseurs, des explorateurs ? L’affrontement est un sport, un hobby comme il en existe des milliers. Va te réfugier ailleurs s’il n’est pas l’abri qui te convient vraiment. »

L’amie lâche prise de son ton dramatique, et se lève dans un dernier élan de sincérité.

« Oublie pas ça, ok ? »

Je hoche la tête, puis débarrasse le couvert en sa compagnie. Après lui avoir demandé de se taire, elle éteint le téléviseur et me laisse rejoindre Hagane dans son canapé.

« Le salon est à toi ! Ma chambre est la pièce restante de l’appart’, si tu me cherches. Bonne nuit, Silvia ! », s’écrie l’azurée en s’éclipsant avec son crabe au fond de la bicoque.

Je m’étends dans le sofa, prenant garde à ce que mes jambes en dépassent pour ne pas l’entacher de mes baskets, puis vise le plafond une ultime fois. J’ai fini par voir une étoile, on dirait.