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Ame d'Argent de Van Lambda



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» Auteur : Van Lambda - Voir le profil
» Créé le 15/09/2022 à 00:06
» Dernière mise à jour le 15/09/2022 à 00:09

» Mots-clés :   Kanto   Science fiction

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Chapitre 3 : Esprit Vital
Le parquet ciré grince sous mes pas et ceux de mon acolyte, saisissant l’attention d’une demoiselle brune haltant ses activités pour rejoindre la réception. Son manteau impérieux d’émeraude et d’ébène m’évoque le légendaire Zygarde, une manière subtile de s’imposer parmi les muscles des karatékas et combattantes garnissant l’établissement.

« Bienvenue au dojo de Safrania, me salue la coach, ici pour le tournoi je présume ? »

J’acquiesce, extirpant une fois de plus ma bourse de mon imperméable.

« Quels Pokémon veux-tu inscrire ? me demande-t-elle en se munissant d’un calepin.
- Ce Minotaupe, je réponds en le pointant du doigt.
- C’est tout ? s’étonne l’entraîneuse.
Tes adversaires se battront avec trois Pokémon, tu sais ? »

J’adresse un regard vif à mon partenaire, puis confiant dans son expérience et ma programmation de stratège, confirme ma requête.

« Et bien, t’es sois très sûr de toi, soit vraiment désespéré. »

Je peine à sortir les 500P$, sous le regard perplexe de la guichetière.

« Je vois, désespéré... soupire-t-elle avec une once d’insolence.
Bon, comment tu t’appelles ? »

Voilà une question erronément aisée. Elle devrait être une formalité, mais ai-je vraiment dépensé tant d’énergie et d’argent à dissimuler mon identité pour finalement fournir mon véritable surnom ? J’aurai sans doute dû y réfléchir au préalable, car me voilà paralysé par l’indécision.

« ...Ton blase ? C’est quoi ton blase, l’artiste ? », s’impatiente mon interlocutrice.

Il me faut lui répondre quelque chose, et vite. N’importe quoi, vraiment.

« S-SylphIA ! », je balbutie idiotement.

...n’importe quoi, sauf ça. Dans la panique, j’ai probablement pourvu la pire proposition possible. L’hautaine dame me fixe, dubitative.

« ...Avec un I ou un Y, Sylvia ?
- U-un I, mademoiselle », je relâche hésitant.

Je... j’aurais aimé être dans un stade, là de suite, je pense préférer les dilemmes des duels…

La femme vérifie sa montre, puis nous quitte craie en main pour mettre au point l’arborescence. Les yeux rivés sur le tableau noir, je m’adosse contre un mur tandis que mon partenaire se distrait des posters y étant cloués.

« Huit noms en lice, ça nous fait trois combats à gagner pour te payer à manger, Minotaupe... C’est un peu étrange cette tradition d’appeler les Pokémon par leur stade d’évolution, non ? Est-ce que les gens s’appellent « Humain » entre eux ? Mais je suppose que « Gamin » ou « Fillette » sont des surnoms courants, et peut-être une comparaison plus appropriée... »

Le fouisseur me dévisage, hébété.

« Ce que je veux dire, c’est que je préférerai éviter de t’appeler par un générique, mais je me sens très mal placé pour décider d’un sobriquet en ton nom. Et je ne vois pas vraiment comment obtenir ça de ta part, malheureusement. »

Le Pokémon a recentré son intérêt sur une affiche légendée d’« Hagane, le Poing de Fer », composée de la photographie solarisée d’un artiste martial et de son Bétochef. Grondant enthousiaste devant le cliché, il pratique la gonflette transcendé d’assurance.

« Va pour Hagane, alors », je souris à mon compère.

Par le truchement d’un mégaphone, un commentateur en smoking céruléen hurle l’ouverture des hostilités. Sa stature élancée et la frange incommodant sa vision lui procurent l’étrange alliage de sérieux et d’excentrisme caractéristique des Efflèche, drôles d’oiseaux certes beaucoup moins bavards.

Les deux premiers rounds se déroulèrent sans encombre : mon premier adversaire, un père de famille, donna l’initiative à son Dedenne, comme le laissait deviner son pull-over. La gerbille électrique ayant un net désavantage élémentaire, elle n’opposa aucune résistance à l’installation d’un Piège de Roc qui fût le principal handicap de ses remplaçants, un Roucoups et un Insécateur qui autrement auraient été gênants par leur immunité aux attaques sismiques. Notre second opposant était un montagnard avec la tempête de sable comme terreau stratégique. Une aubaine à double-tranchant au vu de la faiblesse de mon creuseur à son propre domaine, mais sa vélocité sous le blizzard terreux suffit à dominer le gang rocailleux de l’alpiniste.

La chance nous a porté jusqu’en finale, mais je sens le vent tourner : dans les gradins, nous sommes en train d’assister au triomphe d’une jeune femme en bottes de pluie sur un rocker au groupe électrogène. Son bandeau noir laisse se rebeller deux mèches sur son front et une massive queue-de-Galopa au sommet de son crâne, qui de par leur bichromie d’or et d’azur évoquent la menaçante silhouette d’une pince de Gamblast. L’effet est tant convenu pour une aficionada de crustacés qu’il est sans aucun doute calculé. Le fracas de la poigne du Krabboss sur la trogne du Pohm met enfin un terme au massacre foudroyant de l’équipe de sa victime, l’arbitre sifflant le cessez-le-feu. Moi et Hagane échangeons un regard inquiet.

« Jamais deux sans trois ! », lui dis-je feignant l’aplomb.
Le Pokémon reprend son rictus déterminé, pour lequel je prie de ne va pas trop hâtivement s’effacer.

La courte pause écoulée, moi et ma concurrente foulons une fois de plus le sable de l’arène. Les yeux des spectateurs rivé sur nous, le commentateur gonflant ses poumons pour glapir nos noms, la juge portant son sifflet à ses lèvres et ma rivale en contre-jour dans le crépuscule : voilà tout ce qui submerge mes souvenirs, et pourtant le sentiment me semble encore relativement nouveau.

« Mesdames et messieurs mes bons amis, ce soir en finale du tournoi hebdomadaire du dojo de Safrania : Lybi la belliqueuse aqueuse contre Silvia aux nerfs d’acier ! Voilà qui promet une confrontation Eau-Taupe !!! », s’esclaffe le scoliaste dans un slam insoutenable.

Le son strident du sifflet signalant l’amorçage de l’escarmouche transperce le stade, moi et mon adversaire saisissant en synchro les capsules astreintes à nos ceintures. De celle opposée s’échappe un Golgopathe, colonie de bernacles striés combattant de concert ancrés au même rocher – une vision monstrueuse méritant tout de même ma sympathie, étrangeté que je blâme sur ses teintes bistres et cuivrées. Un Pokémon peu commun en combats classés, lui prodiguant un effet de surprise non négligeable, mais ses carences en célérités et sa faiblesse au séismes en dépit de la menace que présente son arsenal aquatique sont toutes les informations qui nous suffiront à le vaincre.

La confrontation semblait s’ouvrir en notre faveur, quand soudain je constate le cirripède s’élever fastidieusement à la force d’un ballon, son talon d’Achille désormais hors de portée des tremblements de terre. Nous n’étions pas encore face à face que le premier coup était déjà joué, la dame des lacs sait ce qu’elle fait et ne prend pas la lutte à légère.

« Tour Rapide ! », je commande à mon compère, dans la nécessité de viser la baudruche pour ramener sur terre la créature.

Le fouisseur bondit par dessus le symbiote à vive allure, libérant l’hélium d’un axel. L’hydre condamnée à s’écraser au sol harponne son assaillant pour l’entraîner dans sa chute, le plaquant avec fracas à l’atterrissage. Mettant à profit l’étourdissement de mon Minotaupe, ma rivale enjoint son champion à danser pour invoquer l’ondée – avec cette botte météorologique, je comprends désormais sans étonnement sa préférence pour les rivelins imperméables. Si chacun de ses choix vestimentaires tire sa source dans son style de combat, je crains que l’étroitesse de la veste en jean couvrant sa marinière ne soit annonciatrice de l’aptitude d’un de ses matelots à faire fuser de l’eau bouillante.

Reprenant ses esprits, Hagane recule de quelques pas, puis redresse sa posture, prêt à revenir dans la danse. L’ennemi redevenu fantassin, il est temps de faire vibrer le terrain : devinant mon injonction derrière le shanty du crachin, la taupe assaille le sol d’un piétinement répétitif. Malheureusement et à notre horreur conjointe, l’hexapode par ses échasses puissantes s’élance dans le ciel nuageux pour se dérober à la secousse, puis plonge en direction de l’épicentre pour le silencier d’un assaut fatal.

« Attention ! », j’hurle à la cible, se soustrayant in extremis au grêlon.

Si le Trépignement n’est pas une option, alors qu’importe – le Tunnelier saura avoir raison de la gargouille. Se contractant sous forme de vrille, mon allié se propulse droit vers le Golgopathe, brandissant ses quatre paumes cyclopéennes vers le ciel. Bénites par le déluge, des lames aqueuses jaillissent de ses griffes dures et se croisent sauvagement sur la foreuse, stoppant sa rotation en la repoussant au sol. Sans lui laisser l’opportunité de riposter, le colosse lithique accable l’excavateur d’une averse d’estocades, parées péniblement par ses bras de fer. Ce n’est pas du tout ce à quoi j’ai été formé, que se passe-t-il ?

La favorite remarque ma décontenance, et s’en joue allègrement :

« Alors, Mèche Rebelle, on attend son tour ? Faut éteindre le simulateur au bout d’un moment ! »

L’écho de ces mots parasite ma pensée, au point où les cris du commentateur et de la pluie ne sont plus que petites perceptions. Elle a raison, elle a parfaitement raison ! J’ai une vision bien trop rigide des combats Pokémon, et ce que je pensais être mon plus grand atout est en réalité mon plus flagrant handicap : je suis un champion d’échecs sur un champ de bataille.

Mon regard croise celui de mon partenaire, désespéré alors que ses défenses s’émoussent. Je n’ai pas le temps de me lamenter, je dois rebondir. Mais que faire, que faire ? Je lève un instant les yeux aux cieux : il faut mettre un terme à cette drache maudite. Elle est l’une des principales sources de vigueur du barbare pétré, rendant la moindre de ses Coqui-Lames létale si elle parvient enfin à atteindre sa cible – et par ailleurs, ses larmes ruisselant sur mon visage à découvert trahiront ma nature inhumaine si elles ne cessent de tomber. Je ne vois qu’une seule manière de dissiper le climat : qu’un autre prenne sa place. Hagane ne connaît pas de capacité lui permettant d’altérer le ciel de manière conventionnelle, mais il va falloir improviser. Je réajuste mon ciré et balaie ma frange en dehors de ma vue, puis tend le bras en interpelant mon camarade :

« Recule-toi le plus loin possible ! »

Le Minotaupe se laisse porter par le recul des frappes du Golgopathe, puis fuit à l’autre bout du stade, poursuivi par les infatigables bernacles. À bout de souffle mais bouillant de rage après tant de coups manqués, le fouisseur gratte le sol avec ses pattes antérieures.

« Trépignement ! », j’implore de nouveau.
Ma concurrente me regarde perplexe.

« Si ça marche pas une fois, réessaye, je suppose ? » sourit-elle sarcastiquement.
Son colosse fend à nouveau le ciel, prêt à en finir.

« N’arrête pas, Hagane ! »
C’est à peine si j’arrive encore à le distinguer derrière l’épais brouillard de poussière produit par ses piétinements. La dresseuse reste imperturbable.

« Tu sous-estimes grandement la précision d’un Pokémon avec autant d’yeux ! », renchérit-elle.
Alors que l’impact de l’anatife approche, je porte mes mains à ma bouche dans l’espoir que mon acolyte entende la prochaine commande :

« Tour Rapide ! »

Le nuage de sable soulevé par le choc sismique se retrouve projeté dans toutes les directions, faisant manquer le cirripède de justesse la taupe, et soufflant les sombres nimbus hors du stade. Sans même attendre une direction de ma part, le baigneur profite de sa vitesse pour se ruer sur son agresseur, perçant son roc réceptacle d’un Tunnelier critique. L’éphémère tempête de sable se dissipe, révélant un Golgopathe évanoui et un Minotaupe haletant. Mon compagnon revient vers moi, tandis que l’exégète expulse les derniers grains de sables de son gosier.

« Quel spectacle, mes amis ! Silvia su renverser la cadence et triompher du redoutable Golgopathe avec son Minotaupe, mais ils ne sont pas au bout de leur peine ! Après tout, Lybi a toujours deux Pokémon à sa ceinture ! »

La célébration est en effet de courte durée : Hagane n’est que peu heurté, mais à bout de souffle. La victoire semble impossible, mais il serait insultant pour tous les partis impliqués d’abandonner maintenant. Tout le monde reprend sa respiration dans un moment de flottement, alors que les organisateurs redressent le matériel frappé par les intempéries et que les spectateurs essorent leurs habits trempés. La pêcheuse sélectionne son prochain apôtre à envoyer sur le pont, puis jette sa balle dans un satisfaisant arc de cercle au centre du champ d’honneur : Krabboss se dresse de nouveau. Au corps du redoutable crustacé pend une chaîne rouillée sertie d’une perle magenta, recette de la force absurde de son chélipède démesuré. L’orbe propose pour pacte de consommer l’énergie vitale de son porteur en échange de plus de pouvoir, ce qui pourrait nous être bénéfique tant que le marteau du crabe n’entre pas en contact avec son objectif. Mais je suppose que ne pas se faire toucher est toujours recommandé, qu’importe l’équipement adverse.

Le décapode ouvre le bal, aspergeant la taupe depuis l’extrémité opposée du colisée pour la contraindre à rester mobile. Le terreux se rapproche progressivement du tireur en dansant autour des jets d’eau chaude, profitant du goût prononcé de sa commandante pour les Pokémon violents mais peu véloces. Une fois à bout portant, il est temps d’entamer le stratagème : mettre la créature marine sous la pression de multiples Tours Rapides, grignotant son endurance alors que le contrecoup de ses propres frappes se charge du reste. Le tank abat ses fortes paumes à répétition sur l’arène, peinant à anticiper la future position de la toupie gagnant en vitesse à chaque révolution. Hagane enfin au zénith de sa célérité, l’arthropode parvient à se frayer une Aqua-Brèche dans le leitmotiv du valseur et l’envoie volter.

Le fouisseur se relève laborieusement alors que le batteur avance lentement dans sa direction, traînant son pondéreux gourdin derrière lui dans un crissement effroyable. Par intimidation, il claque sa masse dans le vide, comme pour moquer notre vaine tactique. Contrairement à mon allié, le crabe ne présente pas de signe d’épuisement, comme s’il n’avait aucune limite…

Mon visage s’illumine tout d’un coup, avec tant de clarté que même la chalutière parvient à lire en moi comme dans un livre ouvert.

« Ça a mis du temps à arriver au cerveau, on dirait ! », me raille-t-elle.

De la même manière que mon Minotaupe à l’abilité de filer au travers du sable, le talent inné de ce Krabboss est de troquer les effets secondaires pour encore plus de puissance – incluant la malédiction de son Orbe de Vie ! C’est un véritable miracle qu’il n’ait pas liquidé Hagane d’une seule traite. Nous n’avons plus le moindre droit à l’erreur désormais, le prochain coup devra le valoir. Le Trépignement est hors de question, laissant mon acolyte a portée d’une Ébullition, et un Tunnelier sera sans doute paré par l’immense tenaille du blindé, signant notre imminente défaite. Qu’ai-je vraiment d’autre à disposition ?

Le léviathan lève sa pince béante, prêt à boucler ce qu’il a commencé. La clé de ce duel réside sûrement au même endroit que le précédent : hors des sentiers battus. Il faut neutraliser le gantelet, et si aucune de ses autres capacités n’en est capable, alors sa dernière est notre ultime espoir.

« Piège de Roc ! », j’instruis l’exténué.

Ses poignes de métal se munissent de moult graviers qu’elles catapultent au visage du crustacé, les déviant sans difficulté jusqu’à ce que l’un des rocs vienne se loger dans la gorge de sa griffe, rejoint par d’autres galets pour entraver le crabe. L’ennemi distrait, Hagane met ses dernières vitalités dans une foreuse furieuse visant le collier vétuste, volant en éclat avec l’artefact de pouvoir, soutirant un soupir de déception à la dresseuse audacieuse. Le recul provoqué par la vrille déstabilise le cuirassé, entraîné en arrière par son colossal battoir et pointant au jour son ventre friable. La taupe achève le Goliath, sous les applaudissements enthousiastes du public.

« Quelle remontada formidable de la part de l’undermole ! Mais il reste encore à la belliqueuse son–
- Crabagarre ! », interrompt Lybi, le visage affublé d’un sérieux hors de caractère.

Le bernard-l’hermite à la carapace parme, Évoluroc au cou, dévisage le creuseur à bout de forces avec son sinistre œil au beurre noir. L’exécuteur approche le condamné, fléaux écarlates à chaque bras, et dans un silence presque morbide coupe court à son ascension.