Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Ame d'Argent de Van Lambda



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Van Lambda - Voir le profil
» Créé le 15/09/2022 à 00:01
» Dernière mise à jour le 15/09/2022 à 00:03

» Mots-clés :   Kanto   Science fiction

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 2 : Protéen
La météo est étonnamment ensoleillée pour une journée d’automne, mais cela explique probablement le fourmillement de passants dans les avenues de la cité. Un temps favorable, je serais sans doutes plus discret mêlé à la foule que seul à arpenter un boulevard fantôme. Je perds mon regard un instant dans le jardin d’immeubles, avant de revenir à mes esprits : ce n’est qu’une question de minutes avant que le Professeur ne réalise ma disparition, je ne peux donc pas me permettre de faire du sur-place. Je longe le trottoir pavé d’or, blouse de créateur au bras, jusqu’au seuil d’une rue piétonne aux flancs jonchés de mille boutiques. Je me joins promptement au flux de marcheurs s’enfonçant dans l’allée commerciale, balayant les façades des yeux en quête d’une enseigne d’habillement. Une recherche brutalement suspendue par une singulière vibration, suivie d’un son répétitif et strident.

Noyé dans la foule, un « Je l’entends, Professeur ! » se cherche une voix.

C’est en effet son Poké-Matos, dont la présence m’avait échappée, qui hurle dans la poche de sa veste. Sans la moindre idée de comment taire le bruyant appareil, je le glisse hâtivement dans le caban d’un promeneur proche avant de m’évanouir dans la masse, et à la vue d’une venelle, me l’enfile afin de m’y faufiler. Assis au pied du mur de la ruelle, c’est à peine si je peux entendre le chaos que je viens d’engendrer par dessus ma frénétique ventilation. Je plonge ma main dans le manteau blanc et en extirpe la balle de Minotaupe, que j’attache à ma ceinture, puis la bourse du Professeur, dont j’analyse le contenu. Le liquide est bien loin de mon domaine de prédilection, mais la grande quantité de monnaie que le petit sac porte me donne espoir d’être suffisante pour masquer mon identité.

Ayant abandonné la blouse derrière moi, je pointe timidement mon nez dans l’artère marchande, constatant la retraite de mes poursuivants. Ils me croient sûrement déjà loin, et il est vrai que le boulevard bondé est fort décourageant. Sur une devanture de l’autre rive, je discerne l’écriteau des « Vêtements Ternel », puis traverse le fleuve piétonnier afin de m’engouffrer dans l’échoppe. Sur les mannequins dorment nombre de chandails et vestes décorées des noms de « Kanto » et « Safrania », me donnant enfin un repère géographique. Le magasin est plus grand que l’extérieur ne laisse suggérer, ce qui n’est pas forcément pour me déplaire, mais il me faudra procéder efficacement si je ne veux pas errer jusqu’au couchant dans ses rayons.

Par où commencer ?

Substituer tout vêtement blasonné par la Sylphe semble un bon point de départ – cette casquette serait incroyablement générique si elle ne trahissait pas mon identité au premier regard. Néanmoins, la remplacer apporte son lot d’inconvénients : étant partie intégrante de mon design, j’ai peur que retirer le couvre-chef de métal ne mette à nu mes cellules d’argent. Je me tourne alors vers les étalages de perruques pour complémenter le bonnet de laine orange dont je viens de me saisir. Ne sont exhibées que des postiches blondes, imitant la crinière des Triopikeur venus d’Alola dont une photographie accompagne l’exposition. Choix marketing reposant sûrement sur l’ignorance riveraine de la malchance associée aux vibrisses du Pokémon dans sa région natale, mais il vrai que le fouisseur est doté d’un certain exotisme faisant cruellement défaut au local Lippoutou.

Le chemin des cabines d’essayage m’amène à côtoyer les comptoirs à fards, et à réaliser l’entrave qu’est ma complexion à mon anonymat. Bien que la teinte des enduits prodiguerait un réalisme indéniable, leur coût onéreux couplé à la quantité nécessaire à ma recoloration m’invitent plutôt à rechercher un spray de peinture une fois dehors.

Je tire le rideau du palais des miroirs, talonné par mon reflet. Découvrir ma tête est une priorité, mais sans la possession d’un outil adéquat, la tâche s’avère ardue. En essayant de retirer ma veste, ma main cogne la Poké Ball lâchement tenue par ma ceinture, qui s’écrase sur le parquet en libérant son locataire.

« Comme si cette salle n’était pas suffisamment étroite », je soupire.

M’apprêtant à rappeler le combattant, une idée me vient : je pense avoir mon tournevis. Les quarante kilos de mon partenaire se logent sur mes épaules afin de desserrer mon couvre-chef, révélant une terrifiante concentration d’électroniques. Je m’empresse de la dissimuler derrière la perruque pâle, puis dévisage la glace un instant. Me voilà coiffé d’une belle ironie, à me faire passer pour un être humain avec la mimique d’une taupe d’Acier. Adressant un regard à mon camarade, je laisse échapper un sourire.

« Ça nous fait ça de plus en commun, l’ami. »

C’était presque convenu.

Une fois changé, je glisse mes anciens vêtements dans le sac à dos anthracite dont je viens de faire l’acquisition, puis observe une dernière fois le miroir. Le bonnet orangé laisse entrevoir la frange blonde de la chevelure dont l’ondulation me caresse la nuque, et s’accorde à quelques nuances près à mon nouveau ciré. Le remplacement de la veste n’était pas nécessaire – bien qu’on pourrait arguer que sa banalité exagérée la rendrait presque criarde – mais ne connaissant pas l’étanchéité de mon armure, je préfère me préparer aux averses automnales. Sous l’imperméable, un t-shirt blanc arborant la prévisible demi-lune d’une Poké Ball remplace le précédent maillot noir, de crainte que son emblème n’appartienne lui aussi à ma maternité. N’ayant rien à reprocher au pantalon cendré, celui-ci n’a pas reçu de successeur. Pour ce qui est des chaussures, leurs attributs métalliques me portent à croire que ce ne sont pas des pieds qu’elles protègent, et qu’elles risquent par conséquent de m’accompagner un moment.

Je conjecture que ma difficulté à reconnaître ma réflexion est bon signe, mais en toute honnêteté je ne pense pas être très physionomiste. Je suppose que la priorité lors de ma conception était plutôt pour moi de reconnaître les Pokémon et les opportunités de frapper. Les teintes cuivrées de ma nouvelle dégaine ne divergent que peu de ma tenue d’origine, ce qui n’est certainement pas un atout dans ma fuite, mais il faut croire que j’ai été codé pour aimer ces couleurs. Et puis c’est de saison.

...J’espère que les caissiers ne verront pas d’objections à ce que je porte mes articles au moment de les payer. Suivant l’allègement de ma bourse et l’indication des vendeurs, je m’en vais ensuite vers une boutique de bricolage en aval de l’avenue. La porte à peine poussée, le personnel m’apostrophe :

« Salut mon p’tit ! s’exclame bruyamment le géant à la mâchoire de Steelix.
Est-ce que je peux t’être...? »

Sa phrase se halte brusquement, le colosse se courbant afin de mieux me scruter.

« T’as l’teint bien gris, dis-moi, reprend-il sans relâcher le contact visuel.
- J-je travaille dans un environnement poussiéreux ! je bégaye.
- Ah, ça explique le Minotaupe. Je me réjouis que la jeunesse bricole toujours, mais pense à mettre des lunettes, gamin. C’est dangereux.
- J’en prends bien note, monsieur. »

Les couturiers ayant complètement ignoré mon revêtement inhabituel, le grand homme m’a pris au dépourvu. Il me tarde de repeindre ma peau de métal, n’étant pas enthousiaste à risquer de nouveau cette conversation.

« Alors, qu’est-ce qui t’amène chez moi ?
- Je recherche un aérographe beige.
- Pour te repeindre la face ? »

L’intégralité de mon câblage se raidit d’un seul coup.

« Parce que si j’étais toi j’opterai plutôt pour une douche ! ricane le commerçant à gorge déployée.
- Haha... », je ris doucement au détour d’un soupir.

Le blagueur saisit une bombe sur la route de son comptoir, puis se retourne vers moi en s’asseyant, m’éblouissant presque du reflet de son ampoule nue sur ses dents factices.

« Autre chose ?
- Un renseignement », je réponds en raclant le fond de mon porte-monnaie.

Les économies du professeur atteignent leur limite, et si je n’ai pas de nécessités alimentaires, je ne peux pas en dire autant de mon frère de fer. Il va nous falloir trouver une source au moins temporaire de revenus, et dans notre situation, la réponse semble toute tracée.

« Où puis-je trouver l’arène la plus proche ?
- À deux rues d’ici, mais tu risques d’être déçu. Elle est déserte depuis le départ de Morgane, la championne, pour Unys. Toujours aucun remplaçant à l’horizon. »

Ce nom ne m’est pas inconnu, ses matchs devaient être une ressource primordiale dans la programmation de simulateurs de combat. Un paramètre qui m’aurait été fort avantageux sans cette triste nouvelle. Mon interlocuteur s’éclaircit la gorge, comme pour récupérer mon attention.

« ...Mais si tu cherches de quoi t’endurcir, tente ta chance au dojo juste à côté. C’était l’arène locale avant que son champion se fasse latter par la kinésiste, et vu comment c’est parti elle risque de le redevenir. Ils organisent régulièrement des p’tits tournois pour maintenir l’intérêt des dresseurs du coin, si ça te tente... »

Je quitte le marchand en le remerciant, puis m’en vais investiguer pour une impasse. C’est impressionnant comment le boulevard s’est vidé en si peu de temps, mais peut-être en ai-je passé plus que je ne le pensais dans ses échoppes. Une fois au fond d’un cul-de-sac, Minotaupe me tourne le dos pour en garder l’issue, trépignant sur le pavé, prêt à l’asphyxier d’une nuée de poussière si un problème venait à se pointer. Je dépose mes bagages et retire mon équipement, me couvrant le chef de mon obsolète casquette afin de protéger mes circuits, puis repeint de chair l’obscurité de la ruelle. Je brise un instant le focus de mon confrère pour lui demander une analyse de mes angles morts, et interprète son expression comme une réponse positive. Mon camouflage à son apogée, je reprends la route vers le bâtiment dont le bricoleur m’a recommandé l’exploration.

Voisin d’un stade futuriste blasonné d’un badge d’or, un temple traditionnel survit à l’épreuve du temps. Dressé devant son portail béant, un écriteau de bois affiche « Dojo de Safrania – Tournoi hebdomadaire à 16h30 : 500P$ pour entrer déterminé, 5000P$ en ressortant vainqueur ! ».

Si l’horloge de la façade est encore fiable, alors ça me laisse une vingtaine de minutes pour oser franchir le pas.