Le fabuleux destin d'un orphelin de sonicvic

A la sortie de la guerre, l'industrie de Kanto était vouée à repartir à toute vitesse. Avec Léo, nous nous étions dit que ce serait le moment parfait pour se faire embaucher à la Sylphe SARL, l'entreprise du pays à la pointe de la technologie.
Notre projet et nos CV avaient impressionné le PDG qui nous avait immédiatement nommés à la tête du département Recherche & Développement. L'entreprise recrutait énormément à ce moment-là, pour compenser les nombreuses fuites de cerveaux qui avaient eu lieu après le début des conflits. Beaucoup de scientifiques s'étaient alors expatriés dans des contrées plus clémentes, comme Alola ou Paldea.

Quel était notre projet, me demandez-vous ? Nous voulions démocratiser la téléportation, afin que tous les humains puissent en bénéficier et traverser de longues distances sans effort. Léo et moi étions persuadés que nous pouvions connecter les peuples de cette façon, et en découvrant que nos voisins nous étaient semblables, peut-être n'aurions-nous plus envie de nous étriper pour le bénéfice de quelques industriels.

A ce propos, je dois vous parler de ce qu'il advint du Mont Argenté à la fin de la guerre. Kanto avait obtenu l'exploitation exclusive de la montagne pour y extraire les minerais rares qui avaient lancé le conflit. Mais lorsque la première équipe d'excavation fut envoyée sur place, ses membres furent pris d'assaut par des spectres ressemblant à des têtes flottantes, ce qui leur fit une peur bleue. Les équipes suivantes n'eurent pas plus de chance, et les travaux durent s'arrêter définitivement pour raisons de sécurité. Le Mont Argenté passa ensuite sous le protectorat de la Police Internationale et de nouvelles fouilles furent définitivement proscrites.
On dit que ces spectres sont les esprits errants des soldats morts pour rien pendant la guerre. En tout cas, personne n'avait jamais vu cette espèce avant. A l'annonce de cette nouvelle, je ne pus m'empêcher de penser à ce que Morgane avait dit sur la création de Pokémon Spectre lors de ce genre de conflits.

Aussi dramatique qu'ait été cette guerre, surtout au vu du résultat obtenu, je dois admettre que je suis encore aujourd'hui admiratif de la résilience dont ont fait preuve les habitants de Johto une fois l'armistice signée. Privés d'industries (leurs rares usines ayant été détruites), ils ont transformé leur région en une immense zone touristique. Chaque année, des millions de visiteurs écument le casino de Doublonville, découvrent les traditions ancestrales de Rosalia, s'émerveillent devant le phare d'Oliville ou pagaient sur le Lac Colère, la marque des bombardements ayant touché le nord d'Acajou.

Mais revenons à nos travaux. Après plusieurs mois de recherche, je parvins à condenser la puissance de l'attaque Téléport dans des plaques que l'on pouvait poser au sol. Ainsi, nous pouvions marcher sur une première plaque et être instantanément transporté sur une seconde. Lorsque nous fîmes notre démonstration au PDG, il lança immédiatement la production et la vente de cette nouvelle technologie, malgré nos vives protestations.
Certes, notre invention fonctionnait sans risque, mais il ne s'agissait que d'un prototype. Les téléporteurs ne fonctionnaient qu'en aller-retour (on ne pouvait pas connecter plus de deux plaques entre elles) et avaient une portée ridicule. Nous voulions franchir les frontières, mais nos plaques n'avaient une portée que d'une trentaine de mètres tout au plus.

Selon le PDG, ces défauts ne seraient pas suffisants pour décourager les acheteurs. Il voulait installer nos téléporteurs dans des entreprises afin de faciliter les déplacements au sein des bâtiments, et il nous promit que l'argent récolté servirait à développer la suite de notre projet.

Ce fut un échec cuisant.

L'ouverture des commandes était pourtant prometteuse, mais sitôt les premiers téléporteurs livrés, nous reçûmes de nombreuses plaintes sur le manque de portée de notre technologie, qui empêchait nos téléporteurs de fonctionner à leur plein potentiel. La majorité des commandes fut annulée à la suite des premiers avis défavorables, et nous eûmes également de nombreux retours de clients mécontents de cette technologie coûteuse.

La Sylphe SARL se retrouva avec de nombreuses plaques de téléportation sur les bras. Malgré une baisse de prix drastique, nous ne parvînmes à en vendre que quelques centaines, la plupart se retrouvèrent à Kanto mais certaines furent tout de même livrées à Sinnoh, Hoenn ou Kalos. L'entreprise fit également installer les invendues dans les bâtiments de la firme pour éviter d'avoir à les détruire.
Léo et moi eûmes toutefois la chance de superviser la pose de ces téléporteurs dans l'Arène de notre amie Morgane, qui en avait commandé pour égayer sa décoration et proposer une énigme à ceux qui la défiaient. Je reconnus certains de ses Dresseurs d'Arène comme étant d'anciens militaires qui avaient participé à son opération à la frontière.

Quoiqu'il en soit, notre PDG était furieux. L'entreprise avait perdu beaucoup d'argent à cause de sa décision impulsive, mais évidemment il nous blâma pour ne pas prendre ses responsabilités. Il nous reçut dans son bureau pour mettre les choses au clair :
"Messieurs, la Sylphe SARL est dans une situation préoccupante. Nous allons rediriger nos activités vers la production de Poké Balls, une activité concurrencière mais bien plus rémunératrice, et j'aimerais que nous développions un modèle plus efficace que n'importe quel autre. Voulez-vous faire partie de l'équipe de recherche ?
- Monsieur, cela n'est pas notre domaine de prédilection. Nous faisons des avancées sur la téléportation, laissez-nous un peu de temps.
- Hors de question. Même si vous mettez votre technologie au point, l'image de marque de l'entreprise a été trop écornée par votre précédent essai, personne n'en voudra.
- Sauf votre respect Monsieur, s'il s'agissait bien de notre technologie, la mise en vente était votre idée, le coupa Léo.
- Je vais mettre fin à vos financements, reprit le PDG sans relever la remarque, et si vous ne désirez pas rejoindre l'équipe de création de Poké Balls, vous n'avez plus rien à faire dans notre entreprise. Et n'espérez pas poursuivre le développement de vos téléporteurs chez l'un de nos concurrents, la Sylphe SARL a breveté cette technologie, nous vous poursuivrions et vous perdriez le procès."

Nous sortîmes de son bureau la rage au ventre. Tous nos travaux depuis plus d'un an n'avaient servi à rien, et nous ne pouvions même plus y apporter la touche finale. Il va sans dire que notre démission fût posée sur son bureau le soir même, mais nous étions revenus au point de départ. Et même pire vu que nos travaux préliminaires étaient comme mis sous scellés.
Le lendemain, nous nous retrouvâmes avec Léo à la terrasse d'un bar. Nous avions besoin d'une nouvelle idée, mais nous ne voulions pas non plus abandonner l'idée de connecter les peuples.
"J'y ai réfléchi pendant la nuit, dis-je. Le brevet de notre cher ex-employeur porte sur la téléportation d'êtres humains, mais elle ne dit rien sur la téléportation de Pokémon. Si on utilisait cette faille pour permettre aux Dresseurs de mettre leurs Pokémon en sécurité ? Voire même de faire des échanges à distance ? On retrouve notre objectif de lien entre les peuples.
- C'est intelligent, répondit Léo, mais je pense que le brevet porte aussi sur l'utilisation de la téléportation en général. Il faudrait développer une nouvelle technologie afin de déplacer les Pokémon sans utiliser quoi que ce soit qui ressemble à nos fichues plaques.
- Bien vu. On pourrait revenir à nos vieilles amours et développer un système d'ondes radio. Allez, c'est décidé, créons notre entreprise avec notre prime de départ et lançons-nous dans ce projet !"

Au fond de moi, j'avais un autre objectif en tête avec ces histoires de téléportation. Je me disais que si la technologie avait existé à l'époque, peut-être que ma mère aurait pu être envoyée vers un hôpital après son agression. La téléportation de Pokémon m'intéressait moins que celle des humains, mais cette technologie pouvait tout de même se montrer utile et sauver des vies. Je devais tenter le coup, d'autant que j'étais avec la seule personne du pays avec assez d'ambition et de folie pour réussir.