Chapitre 6 : Le cri du cœur
Le lendemain matin, je me suis réveillée pour retrouver Rosemary au chevet de Kyle et Cathy ronchonnant du côté de la cuisine.
« Bien dormi Kyoko ?…
- Plus ou moins… Comment vont Kyle et Rosemary ?
- L’état de Kyle est stable, mais elle s’inquiète beaucoup pour lui…
- Et Shawn ? »
Cathy a grimacé.
« Enfermé dans sa chambre. J’suis allée lui porter un petit dej’ tout à l’heure. Il a plus l’air de vouloir essayer de s’échapper.
- Tant mieux… Parce qu’on va avoir besoin de lui.
- Hein ? Pourquoi ? »
Je lui ai expliquée mon idée. Si nous voulions avoir une chance de sauver Kyle, il fallait que nous connaissions exactement les caractéristiques du Capstick-Neco modifié de Shawn, pour pouvoir comprendre son état et les possibles solutions. Cathy a rechigné à le laisser sortir, mais elle a reconnu que nous avions besoin de son aide.
Nous avons conduit Shawn dans la salle informatique pour un interrogatoire. Je me suis assis en face de lui tandis que Cathy est restée derrière lui pour le surveiller.
« Qu’est-ce que vous me voulez ?
- Qu’est-ce que tu as modifié sur le Capstick de Kyle ?
- Pourquoi tu veux savoir ça ? Tu vas me reporter à la Fédération ?
- Non, justement… Aucun de nous ne peut suffisamment comprendre ses plans. Donc je vais envoyer les plans et les modifications à la Fédération en disant qu’on a eu un accident sur des tests pour demander de l’aide… »
Shawn s’est tu, pensif. Il me fixait, ses yeux rougis d’avoir pleuré. J’arrivais à peine à soutenir son regard, sans ses lentilles, il ressemblait trop à Kyle. J’ai repris :
« Si tu veux qu’il s’en sorte, tu dois coopérer. Je te promets qu’on ne va pas te reporter.
- Toutes les parties bridées.
- Pardon ?
- Je n’ai pas tout compris non plus, mais j’ai vu que certaines parties étaient notée comme bridées. Donc j’ai… J’ai fait sauter les blocages…
- D’accord, ça nous fait une base de travail… »
J'ai écrit un e-mail sous leur surveillance vigilante, ainsi que celle de Rosemary qui s’était incrustée. Ils voulaient tous être sûrs de ne pas envenimer la situation. J'ai prétexté un incident qui avait désactivé les modules de contrôle et s'était retourné contre Kyle pendant les tests, comme je l'avais dit à Shawn. Un tel mensonge à mes supérieurs pouvait ruiner ma carrière si la supercherie avait été révélée, mais j’avais fait une promesse.
Je l'avais marqué comme urgent, en moins de deux heures elle est passée par la présidente Marthe puis par le professeur Pressand, qui avait créé le Capstick et toutes les technologies l’entourant. J'avais peur de n’être qu’un dérangement, mais la fédération a pris cet accident très au sérieux. J'ai reçu un appel vidéo de la part du professeur. C’était un homme d’un âge respectable, blouse blanche par dessus son costard classique bordeaux.
Je lui ai expliqué de mon mieux la situation, tout en cachant l’implication de Shawn.
« La situation semble désespérée. Ce jeune homme est dans un coma artificiel, c'est exact ?
- Oui, c’est bien ça…
- J'ai besoin d'étudier davantage les plans de l'appareil que vous m'avez envoyés. Je pense que je peux modifier un Capstick pour résoudre ce problème.
- Merci beaucoup professeur !
- Je vous tiendrai au courant. Mais vous devriez recevoir du matériel très bientôt. Je préférai ne pas déplacer ce jeune homme si possible, mais si son état ne s'améliore pas, je le devrai le faire transporter dans une installation mieux équipée où je pourrai l’examiner. »
J’ai acquiescé. Derrière moi, Shawn s’était recroquevillé sur son siège. Cathy a pris l'initiative de le ramener dans sa chambre. Il semblait vouloir un peu de temps seul et ne lui a pas résisté.
À la fédération, quand on dit "très bientôt", on le pense. Le soir même, une livraison urgente a sonné à la Base Ranger. J'ai repris contact avec Monsieur Pressand et j'ai demandé aux filles de m'aider à installer le tout. Il s'agissait de plusieurs tubes de lumière néon bleue que nous devions placer au-dessus du lit de Kyle. Il nous a expliqués l'essentiel de son fonctionnement.
« Le néon émet la même lumière que le Capstick, mais encore plus forte. D'après ce que votre appareil a fait, son esprit devrait être fermé à toute émotion. Cela vous aidera à vous connecter à lui. Vous devriez avoir des bracelets avec le paquet.
- Oui, on les a reçus.
- Leur but est de transmettre vos émotions à la machine. Vous devriez les donner aux personnes les plus proches de lui. L'indicateur lumineux devrait changer en fonction de votre émotion positive ou négative. Habituellement, je dirais que le positif serait le mieux, mais dans ce cas, toute émotion forte est bonne à prendre.
- Ça va lui permettre de se réveiller ?
- Normalement, oui. Mais c’est un cas unique, je ne peux pas en être sûr.
- Compris… Merci Professeur…
- J’attends des retours sur l’évolution de son état.
- Ce sera fait… »
J’ai enfilé mon propre bracelet. Il s’agissait d’un anneau très simple, noir, équipé d’une bande lumineuse qui s’est illuminée d’un rose pale.
« Ça marche !… »
La lueur est passée de rose à bleue pâle. C’était une lueur d’espoir qui brillait à mon poignet.
J’en ai tendu un à Cathy, qui a hésité avant de s’en saisir.
« Tu sais, je ne le connais pas si bien…
- Tu veux le sauver ?
- O-oui bien sûr…
- Alors ça vaut le coup d’essayer, non ?
- Oui, tu as raison… »
Elle a hoché la tête avec un léger sourire. Rosemary m’a fait un signe de la main.
« Tu en veux un aussi ?
- Oui… J’aime beaucoup Kyle, je veux l’aider moi aussi.
- Merci Rosemary. »
J'ai frappé à la porte de Shawn.
« Qu'est-ce que tu me veux ?
- J'ai quelque chose pour toi. »
Il a ouvert avec une sale mine. J'ai tendu ma main.
« Prends-la. Ça montrera tes sentiments à Kyle.
- Mes sentiments ?... Pourquoi ?
- Ca le fera sortir de sa transe... Du moins, on l'espère.
- Je vois... Et…Est-ce qu'il ira bien ?
- Nous devons croire en lui. »
Il a attrapé le bracelet en tremblant. Mais au lieu de l’enfiler, il m’a prise par les épaules, tombant pratiquement à genou.
« Qu-Quand il se réveillera… est-ce qu’il sera la même personne qu’avant ? »
Mon premier réflexe aurait été de lui assurer qu'il allait s'en sortir, mais je me devais d’être honnête avec lui. Je me suis inclinée et je me suis assise sur le sol de sa chambre, toujours sous sa grippe. J'ai mis mes mains sur son visage.
« S'il te plaît, reste calme… Mais, ma réponse est non…
- Quoi… ? Non, ce n'est pas possible...
- Écoute… Je pense qu'il va se relever de son état actuel. Mais il aura des cicatrices psychologiques. Je ne sais à quel point il s'en souviendra, mais il a été trahi par son propre frère. Ça doit être un événement traumatisant. Même s'il ne change pas tout de suite, il deviendra quelqu'un de très différent que s'il n'avait jamais traversé ces épreuves. Et la confiance entre vous a été brisée... Votre relation ne sera plus jamais la même.
- Ce... c'est pas ce que je voulais... C'était pas...
- Je le sais. Mais c'est trop tard maintenant. Alors faisons de notre mieux pour corriger tout ça. »
Il a regardé le bracelet, n’osant pas le porter.
« Je ne lui ferai plus de mal, n'est-ce pas ?
- Bien sûr… »
La journée suivante fut longue et pénible, mais sans progrès. Shawn refusait de sortir de sa chambre, n’ouvrant que pour récupérer les plateaux repas apportés par Cathy, elle aussi tout autant morose. Je me concentrais sur des pensées positives mais le spectre de la fatalité planait autour de nous. Mon esprit tournait à cent à l’heure. Il nous fallait une solution pour oublier cette sinistre situation et nous détendre, pour le bien de Kyle. Cette journée avait si bien commencé, mais tout avait basculé d’un coup. Une idée a germé. Avec l’aide de Rosemary, elle devait être réalisable. Je suis aussitôt allée en faire part à la jeune championne d’arène. Elle aussi était emballée par l’idée et m’a offert son support pour tout mettre en place.
« Un concert ?! Tu crois que c’est le moment ?!
- Ça ne pouvait pas être un meilleur moment.
- Quoi ?! »
Je savais que l’annonce ne ferait pas l’unanimité, mais Shawn m’aurait sautée à la gorge s’il n’avait pas été aussi épuisé. Rosemary a repris l’explication que j’étais en train de donner :
« Un open concert, plus précisément, donc tout le monde peut participer. C’est Kyoko qui a eu l’idée. Les concerts provoquent des sensations fortes, encore plus en participant.
- Dites vous que c’est pour Kyle, pour qu’il entende nos voix. Nous ne devons pas nous enfoncer dans la dépression, nous devons nous battre pour lui ! »
Mon enthousiasme n’a pas été réciproque, cependant Cathy et Shawn ont accepté de laisser une chance à cette idée.
Rosemary s'était acquittée de ses devoir sans broncher, stoïque. Elle ne laissait pas ses émotions paraître, mais son bracelet oscillait entre le rouge et le bleu, le négatif et le positif. Elle rassemblait les habitants de la ville pour organiser la scène, tandis que je m'occupais de nos autres invités maussades. Je faisais de mon mieux pour leur remonter le moral avant le show.
Shawn s’est habillé comme le jour où il nous avait présenté Rosemary, mais n’avait plus la même énergie.
Quelqu'un est entré, une femme, à peine plus âgée que moi. Elle avait de longs cheveux noirs avec un underlights bleu, le visage couvert de piercings et d’un lourd maquillage noir et violet, et était habillée d'une robe sombre décorée de nœuds et rubans avec de larges manches détachées. Elle nous a fait un grand sourire.
« Kyoko, c’est ça ? Mary m'a dit que tu pourrais avoir besoin d'aide. Je suis ici pour vous donner une pincée de style Smashings. »
Elle s’est installée dans le hall avec une grosse malle remplie de vêtements.
« Je pense que c'est un peu trop…
- Un peu trop… ? Trop extrême ? Ne t'inquiète pas pour ça. Les gens ont peur de nous parce que nous sommes des "sales punks", mais tout va bien ! Et bien, je suis plus du style gothique. Lolita aussi... M’enfin, c'est pas grave ! Moi c'est Lola. Je veux ouvrir un Salle à Mèche ici, mais j'ai besoin d'un certificat pour ça. Donc, en attendant, je fais mes affaires à côté. Je sais que vous n'êtes pas tous d'humeur, mais je ferai de mon mieux. Hé par exemple, Kyoko, que veux-tu que je fasse ?
- Euh… »
L’arrivée impromptue de Lola était une sacrée surprise mais surtout une bénédiction. Elle n’avait pas sa langue dans sa poche, n’hésitant pas à traîner de force Cathy dans sa cabine d’essayage improvisée en claquant de ses talons. Elle a choisi des vêtements pour nous deux, accommodant entre notre confort et les vêtements qu’elle avait emprunté à droite à gauche.
Je me suis retrouvée avec une jupe noire sur des collants blancs déchirés, un crop top noir et une veste rose molletonnée. C'était confortable mais quand même stylé. Cathy a opté pour du plus classique, un T-shirt fushia, un pantalon gris et une veste sans manches noire. Lola a sorti sa palette à maquillage, ce qui eu pour effet immédiat de faire fuir Cathy. La styliste a tout de même réussi à la convaincre de se détacher les cheveux et de se donner un bon coup de brosse.
Elle s’est donc tournée vers moi. J’étais trop embarrassée pour refuser mais j’avais peur du résultat.
« Tu sais, le maquillage, je m’y connais pas trop…
- Promis, je vais pas y aller trop fort. Puis, faut le style qui va avec.
- D’accord…Je fais confiance. »
Je l'ai laissée faire. Je devais admettre que ça faisait du bien d’avoir quelqu’un s'occuper de moi. Elle m'a tendu un miroir pour me montrer les résultats. Un léger fard à paupières et blush roses et un peu de rouge à lèvres, c'était cool. Cependant Lola continuait de me dévorer du regard.
« Il…il y a quelque chose qui ne va pas ?
- Tes cheveux…
- Oh, tu sais, comparé aux tiens… Toi tu peux te les coiffer comme tu veux, moi je peux limite me faire des couettes mais sinon…
- Les tiens sont blonds.
- Blonds ? Et c’est…
- Mes cheveux sont bruns au naturel. C’est une tannée de faire tenir une couleur. J’aimerai trop les avoir clairs comme ça…
- Oh !…
- Je peux essayer quelque chose avec ?
- Hé, le maquillage, ça va, mais une coloration…
- J'ai des produits qui partent au lavage. S'te plaît, s'te plaît, s'te plaaaiiit !
- T’es sûre que ça ira bien ?…
- Certaine ! »
Face à son insistance, j’ai cédé. Le résultat final, un mélange de mèches magenta et noires, m’a impressionnée. J’ai rejoint Cathy qui avait fini de se coiffer tandis que Lola emmenait Shawn pour « corriger un peu ses cheveux à coup de gel ». La soirée approchait à grand pas.
« Hé, Kyoko…
- Oui ?
- C’est chouette comme elle t’as lookée, la Lola.
- Merci… Toi aussi.
- Non, vraiment… Moi ça m’irait pas ce genre de chose…
- Tu peux pas savoir tant que t’as pas essayé…
- J’imagine.
- D’ailleurs, ça te va bien les cheveux lâchés.
- Tu trouves ? Je les garde pas comme ça d’habitude, c’est pas pratique.
- Faut bien se détendre des fois.
- T’as raison. »
Nous avons partagé un éclat de rire, un court instant de détente au milieu du flot d’émotions. Rosemary est arrivée, accueillie aussitôt par Lola.
« Mary ! Je m’occupe de tout ici, t’inquiète pas !
- On a tout fini, je passe juste voir Kyle.
- Kyle ?
- T’inquiète pas. »
Je l’ai suivie jusqu’à à l’infirmerie. Elle a pris la main de Kyle dans les siennes, en se recueillant auprès de lui, puis s’est tournée vers moi.
« Le concert de ce soir, c’est en son honneur.
- On va le sauver !
- Oui ! Ça va être rock’n roll ! Allons-y ! »
On s’est rendus jusqu’à la scène en attrapant au passage Shawn et Cathy, suivis par Lola.
Rosemary a pris la parole accompagnée par Peterson.
« Merci à tous d’être venu et d’avoir aidé à mettre en place cet open-concert, ça me touche beaucoup. J’espère que vous serez nombreux à participer. Alors… c’est parti ! »
Le groupe en arrière-scène a joué une musique rock pour le duo de Rosemary et Peterson.
Le grand frère a commencé en premier, chantant avec intensité.
Dans la nuit noire, je serai ta lumière
Dans l'hiver glacial, je te tiendrai chaud
Je serai ton bouclier contre le monde
Alors prends ma main et je te guiderai
Rosemary a poursuivi avec sa partie.
Il y a un chemin qui reste à tracer
Il y a un feu qui doit encore être allumé
C'est à moi de mener ce combat
Alors je vais fuir, seule dans la nuit
Les deux voix du couplet se répondaient, l’une désirant protéger un être cher, l’autre voulant créer sa propre voie. Le refrain gagnait encore en intensité, les deux se faisant écho plus rapidement ou chantant à l’unisson.
__________Quand tu voulais voler, je t'ai fait chuter
Quand tu me gardais à flot, j'ai fui et coulé__________
Et je regrette de ne pas t'avoir écouté
__________Tu me manques quand tu brilles si fort
Tu me manques quand il fait si sombre__________
Prenons nous la main et marchons côte à côte
C'est la promesse que je te fais
Que nos chemins ne cessent de s’enchevêtrer,
De tendre la main quand tu as le plus besoin de moi
Le refrain a repris une deuxième fois, avec encore de force, sur un final explosif.
Ils ont fini sur un tonnerre d’applaudissement. Tout le monde était survolté. J’avais le cœur plus léger, mais du coin de l’œil, je voyais la mine dépitée de Cathy et Shawn.
Quelqu'un d'autre est monté sur la scène alors que Rosemary nous rejoignait.
« C'était comment ?
- C'était plutôt cool !
- Merci. Tu veux essayer ?
- Mais je...je ne connais aucune chanson rock.
- Ces gars-là ont un bon répertoire. Tu dois t'attendre à un remix mais demande-leur si tu veux.
- Alors... Je vais essayer ! »
Elle m'a attrapée par la main et m'a guidée vers les coulisses. Ma nervosité est montée en pique. Rosemary m’a tapoté l’épaule.
« Tu vas tout déchirer.
- J’espère… »
La personne précédente est sortie de scène et je me suis approchée du groupe. Ils ont sourit dans j’ai soufflé le nom de la chanson que j’avais choisie. Une chanson qui me touchait beaucoup malgré sa naïveté. La batteur a ajouté :
« En effet, c’est pas notre style. Mais t’inquiète on peut gérer ça, si tu peux tenir un peu de remix.
- Je vais faire de mon mieux moi aussi. »
Au centre de la scène, micro en main, j’ai attendu les premières notes d’un air de musique pop jouée par un combo guitare et batterie. La chanson originale était interprétée par un groupe d’idoles aux couleurs de Pokémon mignon, plus précisément par Minemi, la fille Pikachu excitable.
C’est comme une Étincelle dans mon cœur
C’est comme un Tonnerre de bonheur
Un Rayon Chargé de mes émotions
que je lance dans ta directions
Si je devais repeindre le monde, aux couleurs de ma passion,
alors il deviendrait un vrai Champ Électrifié
Dès que je te vois je ne peux m’empêcher,
ma voix ne fait que faillir
Si près de toi, je ne peux m’arrêter,
mon cœur ne fait que s’emballer
chu~ chu~
Hé, regarde moi !
chu~ chu~
Oh ! Je suis désolée…
chu~ chu~
Mon cœur quand je te vois
chu~ chu~
Il fait pika-pika !
Petit à petit, je prenais confiance en moi. J’ai osé reproduire maladroitement quelques pas de danse de clip, encouragée par les ovations du public. La chanson se termine sur une note douce-amère, qui m’a toujours beaucoup touché. Parce que peu importe à quel point on aime et respecte quelqu'un, on peut parfois dépasser ses limites… ou même le blesser…
À vouloir t’aimer, à vouloir te garder
Je t’ai blessé, je t’ai électrisé
Désolée, je suis désolée
Sauras tu me pardonner ?
Quitte à nous lier, toi et moi tout les deux
M’accepteras tu telle que je suis
Si on peux se réparer entre nous deux
alors faisons de notre mieux
Dès que je te vois je ne peux m’empêcher,
ma voix ne fait que faillir
Si près de toi, je ne peux m’arrêter,
mon cœur ne fait que s’emballer
chu~ chu~
Hé, regarde moi !
chu~ chu~
Oh ! Je suis désolée
chu~ chu~
Mon cœur quand je te voix
chu~ chu~
Il fait pika-pika!
J’ai fini la musique à bout de souffle, épuisée mais exaltée. J’ai salué sous les applaudissements avant de retourner dans les coulisses où Rosemary m’attendait avec Cathy et Shawn. J'ai vérifié nos bracelets. Le mien et celui de Rosemary brillaient d'un bleu vif, celui de Cathy était plus faible mais luisait en bleu aussi. En revanche, celui de Shawn était d'un blanc complètement neutre.
« Tu étais incroyable Kyoko…
- Merci Cathy… À qui le tour ?
- Je n'irai pas.
- Et si Shawn n’y va pas, c'est au tour de Cathy.
- Attends, ne me pousse pas comme ça, je ne connais aucune chanson !
- Absolument aucune chanson ?
- Hé, ma culture musicale est un poil limitée. Mais il y en a peut-être une…
- Alors vas-y ! »
Rosemary ne lui a pas donné le temps de débattre plus longtemps et l’a entraînée sur scène. Je les ai aperçues murmurer entre elles, puis Rosemary a fait un signe aux musiciens avant d’annoncer le tour de Cathy.
La musique a commencé, une balade douce jouée au clavier seul. Cathy a entonné une chanson que je ne reconnaissais pas, mais qui me rappelait d’autres balades Kalosaises.
Ils volent et reviennent en un va et vient
Par deux, ils dansent dans les cieux, en amoureux
Ce sont les Passerouges de la Place Rouge
Prend ma main et moi la tienne, que je t'emmène
Où les heureux dansent et où les heureux chantent
Comme les Passerouges de la Place Rouge
Célébrons encore, nos sentiments d'alors
Dans l'ivresse de nos souvenirs de jeunesse
Avec les Passerouges de la Place Rouge
On dit que les amoureux, sont parfois mielleux
Des rêveurs assidus ou des enfants perdus
Mais sans médire, il ne faut pas ensevelir
Cette histoire oubliée, que je raconterai
Car je vous somme, toutes et tous nous sommes
Les Passerouges de la Place Rouge
Sa voix tremblait, pleine d’émotions, ce devait être une musique importante à ses yeux. Elle était au bord des larmes en quittant la scène.
Rosemary et moi l’avons félicitée à son retour. Ses joues s’étaient empourprées.
« T’as géré !
- Merci…
- Est-ce… quelque chose d'important pour toi ?
- C'est la chanson préférée de ma mère... Mon père la chantait souvent pour elle.
- Oh …
- Je l'ai souvent entendue étant petiote… J’pense que ça doit être la seule chanson que je connais par cœur.
- Eh bien, tu as fait une belle performance, c’est le plus important. »
Elle nous a souri. Nous avons fini par nous déplacer et avons commencé à profiter véritablement du festival. Rosamary a essayé encore et encore de convaincre Shawn de prendre son tour, mais il a refusé à chaque fois. Smashings avait des vraies perles de talents, et tout l’événement respirait d’une ambiance bon enfant.
Est arrivé le moment où le public scandait, réclamant un rappel. Le regard de Rosemary passait de Shawn à Peterson, de Peterson à moi et de moi de nouveau à Shawn. J’ai pris la situation en main.
J'ai demandé à Rosemary la partition de sa chanson, et j'ai pris Shawn par la main.
« Hé ! J’ai dit que...
- Je ne te laisse pas le choix ! »
Je l'ai forcé à monter sur scène. Il a tenté de désamorcer la situation en disant qu'il ne savait pas quoi chanter, ce à quoi Rosemary lui a répondu en agitant sa feuille devant le visage. Il a grimacé mais ne pouvait plus reculer face à l’excitation du public. La musique a retenti à nouveau, mais quand Shawn devait commencer, il est resté bloqué sur place, crispé, accroché à son micro sans pouvoir prononcer un mot. J’ai rattrapé le coup en chantant le couplet de la deuxième voix. J'ai continué avec le premier, Shawn a pris un peu plus confiance en lui et s’est mis à chanter lui aussi. Je suis resté tout le long comme back-up pour l'encourager. Aucun de nous n'avait la force du duo emblématique de Smashings, mais nous avons quand même fait de notre mieux, même quand est venu le refrain. Le break musical nous a laissé une occasion d’échanger un regard.
C'était une chanson tellement intense, j'étais à bout de souffle. Mais quand j’ai aperçu Shawn, je ne parvenais pas à comprendre ce qu'il ressentait. Il avait des larmes dans les yeux, mais ils étaient emplis à la fois de rage et de chagrin.
Sur la dernière reprise du refrain, il a enchaîné avec une telle force, j'en ai été déconcertée. Comme s'il libérait d'un seul coup tout ce qu'il avait refoulé au fond de son cœur, il criait plus qu'il ne chantait. Je ne pouvais même pas le suivre. Une fois qu'il a eu fini, il est tombé sur ses genoux, poussant un cri de douleur et de colère.
Un silence de mort s’est abattu sur tout la scène. Dépassant à peine de la manche de sa veste, le bracelet de Shawn brillait d’un rouge écarlate. Je lui ai tendu la main et l’ai aidé à se relever. Quelques applaudissements timides se sont fait attendre, petit à petit rejoints jusqu’à ce que se soit une ovation générale qui nous salue.
Cathy, Rosemary et Peterson nous ont rejoint sur scène. L’ancien champion d’arène a tapé sur l’épaule de Shawn.
« En fait, t’en as dans le ventre toi.
- Je…J’ai pas fait exprès… »
Rosemary s’est approchée en poussant des deux doigts sur son visage pour lui forcer un sourire.
« Je suis sûre que t’as plein de talents. Alors te précipite pas. T’as ça en toi…
- Je… Je ne peux pas… Je regrette tellement… Kyle…
- Allons le voir. »
Ma proposition est restée sans réponse, mais personne ne m’a contredit. C'était étrange de revenir à la base après cette nuit. Nous avons rendu visite à Kyle dans sa chambre. Nous sentions tous que Shawn avait besoin d’un peu d’intimité avec son frère. Il s’est assis à ses coté et a placé sa main dans sa sienne.
« Kyle, je suis désolé… Je suis… tellement… désolé…
La main de Kyle s'est refermée sur celle de Shawn qui a ouvert ses yeux, laissant échappé une larme.
- Shawn…
- Kyle !
- Tu… Tu penses vraiment tout ce que t’as dit ?
- Quoi ?
- J'ai entendu… J'ai tout entendu… C'est comme … C’est comme si je ne pouvais pas bouger et pourtant je ne pouvais pas dormir… Je vous ai entendus quand vous preniez tous soin de moi. J'ai entendu ce que tu as dit de moi…
- S'il te plaît Kyle… Je te promets, je vais t'écouter… Je veux juste que tu sois heureux.
- Je ne sais pas...
- Je t'en supplie !
- J'ai dit, je ne sais pas… mais… j'ai aussi entendu la musique… Tu as choisi ta chanson, grand frère ?
- Je … Non…
- Et alors, qu'est-ce que tu en penses ?…
- C'est… ça frappe là où ça fait mal…
- Là où ça fait mal, hein ? »
Kyle a gémi. Nous lui avons parlé mais c'était difficile pour lui de tenir une conversation. J'ai contacté un médecin pour un examen et la fédération pour un rapport final. Cette nuit-là, nous sommes allé nous coucher en sachant que nous avions fait le bon choix.
Le lendemain matin, nous avons été réveillés par un groupe de Top Rangers escortant nul autre que le Professeur Pressand lui-même. La sentence est vite tombée. Shawn s’était rendu, Kyle allait être transporté dans un établissement spécialisé pour s’assurer qu’il récupère bien et la Base Ranger de Smashings allait être démantelée. Le choix nous était laissé, à Cathy et moi, de terminer notre service à Galar, de changer d’affectation ou de rester sous l’autorité de la championne. Nous avons approuvé cette décision, n’ayant pas beaucoup d’autres choix.
Quelques heures plus tard, Rosemary est venue nous chercher. Elle avait négocié pour que tout les quatre puissions avoir une dernière conversation privée. Les Top Ranger nous ont guidées, Cathy et moi, jusqu’à la cellule de confinement où Kyle et Shawn nous attendaient déjà.
Kyle a relevé la tête.
« Kyoko… Cathy… Qu’est-ce que vous allez faire maintenant ?
- Moi j’vais redevenir itinérante comme à Kalos, mais je vais rester à Galar.
- Je vais rester ici moi aussi, je ne veux pas laisser Rosemary toute seule.
- Je vois… Monsieur Pressand m’a dit qu’on va aller à Almia… J’ai un peu peur, mais c’est pour être sûr que je vais bien…
- Tu vas voir, c’est sympa comme région.
- Merci Kyoko… »
Shawn est sorti de son silence :
« Les filles… J’ai pas été un très bon Ranger en Chef, je m’en excuse… J’espère que vous saurez me pardonner.
- Comment tu peux dire ça, Shawn ?!
- Kyle…
- Tu te trompes, Kyle ! »
Je me suis levée d’un coup, les faisant sursauter. J’ai regardé les deux frères qui n’osaient pas croiser leurs regards.
« Écoutez moi… C’est peu être naïf de ma part, mais… Ne rejetez pas la possibilité de vous pardonner. Je sais que c’est dur et que ça prendra du temps. Je sais que ce n’est pas toujours possible… mais si vous pouvez vous pardonner, je suis certaine que vous n’en serez que plus proches.
- Tu y crois vraiment ?
- Je n’ai pas que j’y crois… Je le sais, je le sens… Kyle le sait déjà, mais moi même, j’ai pu devenir ranger parce quelqu’un m’a pardonnée…
- C’est vrai…
- Tout les deux… Ces quelques derniers jours vont sûrement rester dans vos mémoires comme les pires choses qui vous soient arrivées. Ça va rester longtemps, peut-être même pour toujours. Mais je veux croire qu’un jour, vous pourrez vous réconcilier et regarder vers le passé en vous disant que vos liens ont été forgés dans les flammes de cette douleur. Il est trop tard pour changer le passé, mais l’avenir reste à écrire…
- Miss Kyoko est philosophe ? »
La remarque sarcastique de Cathy nous a arraché un léger rire. Notre temps imparti approchait de sa fin. Nous avons fait nos derniers adieux.
Ce jour-là, nos quatre chemins se sont séparés, aussi vite qu’ils se sont croisé. Cependant, je gardais l’espoir d’une réunion future sous de meilleures étoiles.