VI. De Dilemmes et de Flammes
« Encore ? » s’écria Dame Otoha alors qu’on déposait une énième lettre sur la pile.
Elle n’avait pas besoin de l’ouvrir pour en connaître le contenu.
Depuis la victoire éclatante de l’Armée Impériale sur le clan Kogane, cela n’arrêtait pas. Tous les clans avaient été stupéfaits de l’emploi de Pokémon durant la bataille et, par un moyen ou un autre, l’existence de la Poké Ball s’était sue. Écorcia était désormais au centre de l’attention diplomatique, chacun cherchant à la courtiser pour obtenir le précieux sésame. Les mots étaient de plus en plus accompagnés de cadeaux d’une valeur croissante, et même les seigneurs du Kanto commençaient à se joindre à la fête.
Son intendant pourtant méticuleux peinait à suivre le rythme de toutes les réponses à envoyer. Sans parler de l’espace qui commençait à manquer pour entreposer les présents.
« Les lettres se font plus nombreuses chaque semaine, grommela-t-il en grattant son registre.
- As-tu pu t’entretenir avec Maître Risaki ?
- Pas avec elle directement, mais sa famille. Ils auraient réussi à améliorer le procédé de fabrication de la Poké Ball, de sorte que les échecs sont désormais minimes. De ce fait, il leur sera possible d’en produire de nouvelles plus rapidement. Mais…
- Mais nous sommes loin de pouvoir honorer toutes les demandes. Et nous devons en plus nous assurer de fournir l’Armée Impériale en priorité. »
Ryûnosuke acquiesça. Il leva les yeux de sa paperasse.
« Je connais votre avis sur le sujet, Dame Otoha, mais… Êtes-vous sûre que nous ne ferions pas mieux de partager avec l’Empereur le secret de leur conception ? Au moins avec le clan Enju…
- Non, refusa-t-elle d’un ton catégorique. Je ne peux pas le permettre. »
Car sa situation demeurait critique. Le trône du puits restait vacant depuis des mois, et malgré les dires de la Grande Prêtresse des Astres, les visions que l’Oracle lui avait partagées étaient toujours aussi incompréhensibles. Une image, celle d’un brasier flamboyant, revenait souvent dans ses rêves, mais quel rapport pouvait-il bien avoir avec le futur Seigneur Kiu ! C’était à croire que les dieux s’amusaient de son sort.
Mais maintenant que les clans souhaitaient désespérément des Poké Balls pour renforcer leurs troupes, une chance unique s’offrait à elle. L’Empereur ne pouvait se risquer à la châtier si le ciel restait sauvage au prochain Kin Matsuri. Sans quoi, le clan et les artisans d’Écorcia n’hésiteraient pas à les garder exclusivement pour eux en protestation, ce qui pourrait bien mener à une révolte de bien plus grande envergure que ce qu’il venait de se passer avec le clan Kogane.
C’était son tout dernier atout.
L’air s’adoucissait depuis plusieurs semaines avec la venue du printemps. Pourtant, le paysage demeurait tristement similaire. Le peu de neige qui était tombé avait fondu depuis longtemps sans alimenter la terre ou les rivières. Les arbres assoiffés peinaient à restaurer leurs ramures. Les fleurs n’avaient pas la force de s’épanouir et il y avait longtemps qu’un brin d’herbe ne s’était pas teint de vert.
Ce matin-là, comme à leur habitude, les prêtres des Ruines Alpha grimpèrent les marches menant à la tanière du Seigneur Rekka pour lui porter leurs offrandes. Ils n’en étaient pas à la moitié que déjà la sueur roulait le long de leurs tempes, causée par la chaleur écrasante qui irradiait de l’antre.
« Il fait encore plus chaud qu’hier…
- Le Seigneur Rekka doit juste être content du retour du printemps. »
Quand ils pénétrèrent le repaire du Pokémon Sacré, leurs habits leur collaient à la peau et les victuailles cuisaient dans leurs mains. L’intérieur n’était qu’un four à la pénombre poisseuse et étouffante, et il leur fallut mobiliser toutes leurs forces pour progresser jusqu’à l’autel.
« Seigneur Rekka, nous vous remercions de nous accueillir en votre domaine, et sommes heureux de vous voir en bonne santé. »
Un grognement leur parvint des tréfonds de l’antre, mais ce fut au ronflement sourd qui approchait qu’ils comprirent que quelque chose n’allait pas.
L’imposant Arcanin Sacré n’était plus que flammes qui léchaient les parois de la galerie qu’il remontait. Seuls ses yeux, points noirs dans l’ardent brasier, étaient discernables de la masse incandescente qui formait désormais son être. Sa fourrure enflammée grossit en entrant dans sa salle d’audience dont elle grignota l’oxygène.
Les offrandes noircirent. L’un des prêtres s’effondra en suffoquant, ses habits prenant feu alors même que le gardien des Ruines se tenait à plusieurs mètres. L’autre réussit à s’arracher à la fournaise. La peau rougie et les poumons brûlants, il s’extirpa de la tanière, dégringola les marches.
Ses camarades se précipitèrent pour l’aider, mais il agrippa la manche de l’un d’eux.
« P-prévenez le clan Kikyô ! Le Seigneur Rekka est…! »
Un rugissement bestial l’interrompit.
Tous tournèrent la tête vers le sommet des Ruines.
L’Arcanin Sacré était sorti de son antre. Son corps flamboyant dansait dans une splendeur vorace. Écrasés par sa majesté, les arbres les plus proches s’enflammèrent en un instant, propageant son œuvre macabre.
Soudain, sous le regard terrifié de ses ouailles, il se recroquevilla… Pour se propulser dans le ciel en un bond phénoménal. S’il disparut au loin telle une étoile filante, la fumée noire qui s’éleva bientôt ne laissa aucun doute sur son sinistre sillage.
« Je vous en supplie Votre Altesse, nous avons besoin de votre aide ! »
Le seigneur de Mauve-la-Sacrée était agenouillé devant la cour impériale.
Malgré les efforts de son clan, ils ne parvenaient à endiguer l’inexorable progression de l’Arcanin Sacré dans les terres. Surtout, ils avaient dû se mobiliser pour éteindre les incendies qui pullulaient et menaçaient les villages. Sa cité, même, avait échappé de peu aux flammes.
« Nous ne comprenons pas… Pourquoi le Seigneur Rekka s’est-il ainsi enfui ?
- J-Je l’ignore, Votre Altesse. Les prêtres pensent que la sécheresse l’a empêché d’évacuer la chaleur qu’il accumule habituellement, et la venue du printemps fut de trop…
- Avez-vous une idée de sa destination ?
- De nos observations, il se dirige vers le Mont Argenté, peut-être pour chercher à se refroidir. »
L’Empereur ferma les yeux. Voilà qui était fâcheux… C’était la moitié du Johto qu’il risquait de réduire en cendres s’ils n’agissaient pas. Mais comment lutter face à une telle force de la Nature ?
« Dame Fusube Kisara.
- Oui, Votre Altesse ?
- Pensez-vous que vos Dompteurs soient capables d’apaiser le Seigneur Rekka ?
- Je n’oserais clamer cela, Votre Altesse… Mais je pense qu’ils sont la meilleure option à notre disposition. Si ce n’est la seule.
- C’est également notre avis. Sire Kikyô Makishi. L’Armée Impériale accepte votre demande d’aide. Nos troupes assisteront les vôtres, mais sous le commandement exclusif de Dame Fusube Kisara. Ainsi en avons-nous décidé. »
« Par ici ! »
Maho accourut en direction de la voix, suivie de Mâchoire.
Le ciel était aussi noir qu’un orage, entrecoupé de lueurs orangées annonçant les flammes. Des cendres virevoltantes saturaient l’air et l’obligeait à enrouler sa tête dans un linge pour ne pas étouffer complètement. Une pellicule grise recouvrait ses vêtements et les écailles du saurien, et la chaleur était insoutenable.
Pourtant, ils s’approchaient dangereusement d’un bosquet enflammé.
« Mâchoire, éteins-les, vite ! »
L’Aligatueur se dressa pour cracher un geyser d’entre ses crocs. Des branches cédèrent sous la pression, fragilisées par l’incendie, mais au moins les flammes voraces s’estompèrent.
Ils ne pouvaient se réjouir, cependant. Même s’ils s’étaient déployés pour surveiller l’avancée du brasier, comme Tôru l’avait souligné des semaines plus tôt, Mâchoire ne pouvait être à deux endroits à la fois. Or, il était leur seul recours efficace pour empêcher l’incendie d’atteindre le hameau, où les enfants se terraient. Ils avaient bien tenté d’emmener Peau-Pierre avec eux, mais sans une Poké Ball il avait été impossible de le faire avancer quand il comprit qu’on lui demandait de se rapprocher de la fumée.
La jeune fille allait s’éloigner quand elle vit son Pokémon redresser la tête.
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
Mâchoire vagit avant de foncer vers le bosquet. Le connaissant, il avait dû repérer quelque chose qui lui avait échappé. Aussi le suivit-elle. Grand bien lui en prit, puisqu’elle entendit bientôt un râle.
« On a un blessé ici ! » cria-t-elle.
Elle se pencha sur la femme à terre. Son jinbei était à moitié parti en fumée, sa peau brûlée de toutes parts. Sa respiration sifflante ne présageait rien de bon. Elle avait probablement dû essayer de s’abriter de l’incendie, mais avait été ralentie par le coffre en bois dans son dos. Des braises fumaient d’ailleurs encore dessus, que Maho étouffa avec de la terre. Un pincement au cœur la saisit quand elle remarqua également les vestiges d’une charrette abandonnée un peu plus loin. Cette femme devait certainement être une marchande itinérante…
Un craquement derrière elle la fit se retourner. Malgré sa tête enrubannée, elle reconnut sans peine Tôru.
« Il faut l’amener à Junko, elle respire encore !
- Je m’en occupe ! »
L’adolescent se baissa pour la prendre sur son dos. La femme gémit quand ils la bougèrent, mais elle était trop faible pour prononcer le moindre mot.
« Fais attention.
- Tu peux parler, c’toi et Mâchoire qui restez là ! »
Maho sourit faiblement comme il s’éloignait. Mais elle avait encore du pain sur la planche.
Ce n’est qu’une fois la nuit avancée qu’elle retourna au hameau, même s’il était difficile d’estimer l’heure. Le ciel était sombre de jour comme de nuit, hanté des mêmes teintes orangées qui dansaient sur les lourds nuages de fumée. Elle ne savait même pas si ses yeux la piquaient à cause de la fatigue ou des cendres. Sa gorge était si sèche que l’eau la brûla quand elle se désaltéra.
Mâchoire se glissa dans la mare qu’ils avaient creusée dans le village pour nettoyer ses écailles. Il en sortit bien vite, cependant, gêné par les cendres qui se désagrégeaient en rendant l’eau visqueuse. Heureusement pour lui, les enfants accoururent pour essuyer sa peau rèche dès qu’il entra dans la maisonnée, pour son plus grand plaisir.
La jeune fille, en revanche, se dirigea vers une autre cabane. Assistée de deux autres ados, Junko s’affairait à soigner les quelques personnes qu’ils avaient réussi à sauver du brasier. L’odeur doucereuse des onguents parvenait à peine à diluer l’air âcre qui s’immisçait partout depuis des jours, mais c’était tout de même un soulagement pour les narines.
« T’as besoin d’aide ?
- Tu ferais mieux d’aller te reposer, tu n’as pas arrêté, répliqua la jeune femme en s’essuyant le front. Sauf si tu peux me trouver des bandages et des baumes… »
Entre le feu qui dévorait tout et les blessés, leurs réserves étaient bien entamées. Mais dans cette course contre la mort, personne ne pouvait se risquer à essayer de trouver des plantes rescapées ou se rendre en ville pour acheter le nécessaire.
Maho grimaça. Penaude, elle allait partir quand elle remarqua le corps inerte de la femme que Tôru avait ramenée plus tôt.
« Elle est…? »
Junko se retourna, et son visage s’assombrit comme elle secouait la tête.
« Je n’ai rien pu faire pour elle, à part soulager un peu sa douleur pour l’aider à partir. »
Les épaules de Maho s’affaissèrent. Elle n’était pas vraiment surprise, mais jamais elle ne s’habituerait à cette sensation d’impuissance. Comme elle admirait Junko qui, malgré toutes ces pertes, trouvait la force de persévérer.
La jeune fille quitta l’infirmerie improvisée pour retrouver le confort familier de la chaumière. L’intérieur empestait aussi la fumée, qui imbibait jusqu’au gruau qu’elle se servit. Le bouillon clair comptait moitié moins d’ingrédients que même au plus fort de l’hiver. Ils n’avaient d’autre choix que de se rationner pour nourrir tout le monde. Ils avaient à peine eu le temps de planter quelques semis dans leurs champs, et avec tous les ados mobilisés pour surveiller l’incendie, seuls les enfants s’en occupaient… Avec tout le succès qu’on pouvait attendre. Heureusement que Mâchoire leur permettait d’ajouter un peu de viande ou poisson de temps en temps.
Elle se força à manger en réprimant des frissons. Chaque bouchée lui donnait l’impression de tapisser sa langue de cendres, la faute à cette fumée qui lui emplissait les narines. Mais au moins son ventre était juste assez rempli pour la laisser tranquille cette nuit.
Après avoir déposé son bol nettoyé, elle s’apprêtait à s’allonger sur une paillasse quand Tôru l’aborda.
« Maho, tu peux venir voir un instant ? »
Trop fatiguée pour réfléchir convenablement, elle acquiesça par réflexe. Elle suivit le jeune homme dans un coin de la pièce commune… Où se trouvait le coffre endommagé de la femme qu’il avait ramenée.
« Vu qu’elle est morte, je me disais qu’on pourrait jeter un œil dedans. Pour voir si y’a pas des trucs utiles. Mais, euh… Ben, c’tait une marchande comme toi, alors j’sais pas si ça s’fait trop, et j’voulais pas qu’ça te mette mal à l’aise. »
Elle sourit, touchée par sa sollicitude.
« Merci, c’est gentil. Après, dans ce genre de coffre, y’a souvent les trucs les plus précieux d’un marchand, donc chuis pas sûre à quel point ça nous serait utile. Mais t’as raison, on peut ben voir ce qu’y a dedans. On sait jamais, et au pire on pourra le revendre quand on pourra retourner en ville. »
Tôru hocha la tête, content qu’elle soit du même avis. Il s’écarta pour la laisser ouvrir la malle de bois…
Qui ne contenait qu’une poignée de petites boîtes carrées. La déception envahit le visage du jeune homme. Les yeux de Maho, en revanche, s’illuminèrent en reconnaissant les deux feuilles de chêne qui marquaient chacune d’elles.
« Non… »
Elle extirpa précautionneusement un des écrins. L’ouvrit avec la même délicatesse. Sidérée, elle resta immobile quelques instants en contemplant son contenu. Enfin, elle le montra à son camarade.
Une Poké Ball.
Il ne fut pas bien difficile à la Générale Kisara et au Régiment de Dompteurs de pister le Seigneur Rekka. Une mer de cendres les accueillit peu après avoir passé la frontière du clan Kikyô et, malgré son étendue, ils savaient qu’il leur fallait avancer plein Est pour trouver l’Arcanin Sacré. Ils avaient à peine fait un arrêt à Mauve-la-Sacrée pour échanger leurs montures qu’ils reprirent aussitôt leur chevauchée. Ils n’avaient pas de temps à perdre : le gardien des Ruines progressait dangereusement, insouciant de la destruction qu’il semait sur son passage.
Juchée sur la tête dressée de Muraille, Mion scrutait l’horizon en plissant les yeux. Ils avaient repéré un panache de fumée au loin, mais il s’était plusieurs fois avéré n’être qu’un énième incendie… Pas cette fois, cependant. La boule de feu qu’elle apercevait avançait droit devant elle, fer de lance d’une traîne infernale.
Un coup de kanabo sur son armure bosselée plus tard, la Steelix la ramena à terre.
« Générale Kisara, c’est bien le Seigneur Rekka.
- Le Divin Ho-Oh soit loué, nous l’avons enfin rattrapé… »
Son soulagement fut de courte durée comme son esprit travailla aussitôt à une approche.
Afin d’assurer leur rapidité d’action, elle avait préféré ne prendre que le Régiment de Dompteurs avec elle. Et puis, elle voyait mal comment des soldats traditionnels pourraient affronter l’Arcanin Sacré…
Mais elle devait aussi prendre en compte le fait qu’ils accusaient le coup de près de deux semaines de chevauchée intensive. Tous souffraient de courbatures qui risquaient d’entraver leurs mouvements, et leurs montures atteignaient leurs limites. Sans compter qu’à en croire Sire Kikyô Makishi, la fourrure du gardien des Ruines était si ardente qu’elle brûlait quiconque s’approchait. Autant dire que les conditions pour un affrontement étaient loin d’être optimales…
« Nous devons d’abord trouver un moyen de l’isoler pour ne pas nous retrouver pris entre lui et sa fournaise… »
Elle se tint le menton, les yeux clos. Elle réfléchissait à toute vitesse, examinait tous les éléments à sa disposition.
« Ne pourrions-nous pas tenter d’éteindre ses flammes directement ?
- Cela serait a priori la meilleure solution, mais la question reste comment faire.
- Sinon, on n’a qu’à l’assommer.
- C’est également envisageable… Mais dans tous les cas, il s’agit d’un Pokémon Sacré redoutable qui a déjà coûté la vie à d’excellents guerriers.
- J’sais bien, renchérit Tamotsu. Mais j’ai p’t’être une idée pour y arriver. »
Étonnée, sa supérieure l’écouta… Et écarquilla les yeux.
« Non.
- Pourquoi pas ? Si ça permet de…
- Non, répéta-t-elle d’une voix plus ferme. Et n’essaie pas de me faire croire que ce n’est pas une façon d’imiter ton mentor. Toute reconnaissante que je sois envers elle de s’être sacrifiée à l’époque, il est absolument hors de question que j’accepte la mort d’un de mes hommes comme solution. »
Le Capidextre Affamé croisa les bras en se renfrognant.
« Ç’a rien à voir avec elle, j’proposais juste ça comme ça… maugréa-t-il.
- Et je t’ai donné ma réponse. Nous allons trouver un autre moyen.
- Quoi alors ? Pendant qu’on parle, il continue d’avancer ! »
Avancer…? Mais oui !
La Générale scruta le ciel. Un point éclairci laissait deviner le soleil à travers les épais nuages. Vu sa position, ils devaient être à la bordure de l’heure du Férosinge et du Roucarnage.
« Il va certainement s’arrêter pour la nuit.
- Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
- S’il avançait constamment, alors il aurait déjà atteint les montagnes à ce rythme. De plus… Il est probable qu’il n’a pas mangé depuis sa fuite des Ruines, donc il est certainement affaibli. D’un autre côté, cela le rend d’autant plus dangereux à approcher… »
Mais ils n’avaient pas le choix. Petit à petit, les pièces du puzzle s’associaient dans son esprit pour former un plan d’attaque. Il n’était pas parfait, trop d’inconnues l’empêchant d’estimer précisément les risques, mais elle n’avait pas mieux à offrir.
« Voici comment nous allons procéder. »
Lovée dans un nid de cendres, la masse incandescente du Seigneur Rekka était immobile. Ses flammes ronflaient, gonflant successivement au rythme de son souffle ardent dans une danse envoûtante qui volait la vedette à la Lune et ses suivantes. De loin, on l’aurait facilement pris pour un météore dont le cratère avait tout dévasté à l’impact.
Il ouvrit soudain un œil, dressa le museau pour humer l’air vicié par son œuvre. Un grondement roula dans sa gorge, mu par son instinct. Quelque chose se tramait.
Il se releva, babines retroussées sous son armure flamboyante. Ses oreilles dressées bougeaient dans tous les sens, mais elles ne captaient rien d’autre que le ronronnement de sa fourrure et le silence morbide de la Nature ravagée.
Soudain, un sifflement.
L’Arcanin Sacré bondit sur le côté, évitant la motte de terre cendrée qui lui fonçait dessus. D’autres suivirent, certaines parvenant à étouffer brièvement ses flammes avant d’être consommées par sa rage. Dans un rugissement furieux, le gardien des Ruines se rua dans la nuit en direction de l’origine des projectiles.
Il ne lui fallut que quelques foulées pour que sa masse incandescente révèle le Scarhino dissimulé dans les ténèbres. Grondant de toute sa majesté, le Seigneur Rekka chargea Vaillant quand…
« Maintenant ! »
La voix de la Générale Kisara résonna dans la nuit.
Les Pomdepik de Tamotsu tournèrent à toute vitesse sur eux-mêmes, soulevant des nuages de cendres qui enveloppèrent l’ire faite chair. Il grogna, sentant son flair s’obstruer…
Mais, dans un nouvel accès de rage, il bondit en avant, hors de la tempête grise, pour frapper de plein fouet le Scarhino… Qui, bien qu’il recula, parvint à rester sur ses appuis fermement ancrés dans le sol. Faisant fi de sa chitine brûlante, le scarabée rassembla toutes ses forces dans sa corne pour projeter le Seigneur Rekka en arrière, aidé de la lance précise de Yuzuha.
Mais la fièvre était trop intense. Vaillant posa un genou au sol, son armure grignotée par les braises que son humaine essayait d’éteindre à coups de cendre. Dans son dos, l’Arcanin Sacré revenait à la charge.
« Radiance ! »
Les pétales du tournesol s’ouvrirent, illuminant brièvement son éternel sourire avant qu’il ne disparaisse dans un rai éclatant, nourri de tout le soleil qu’il avait accumulé avant la bataille et qui teinta de blanc le paysage dévasté. Ébloui, le Seigneur Rekka recula en secouant la tête.
Ce fut le moment attendu par Muraille.
La Steelix surgit de terre derrière lui et, avant qu’il ne reprenne ses esprits, enroula ses anneaux autour de sa masse.
Mion sauta aussitôt de sa tête pour abattre sa masse à pointes sur le crâne de l’imposant gardien des Ruines. Elle serra les dents. Malgré sa force et tout son élan, cela n’avait pas suffit à l’assommer… Peu importe ! Prise de frénésie, la Mackogneur d’Irisia le roua de coups. Encore, et encore, alors que le serpent de fer resserrait son étreinte…
Soudain, la gueule de l’Arcanin Sacré se referma sur le kanabo.
Ses crocs tordirent le métal de l’arme, qu’il éjecta d’un mouvement de tête en emportant la géante rousse avec.
Ses flammes ronflèrent de plus belle, chauffant tant l’armure bosselée de la Steelix qu’elle relâcha sa prise par réflexe. Ses appuis libérés, il jaillit hors de ses liens pour la mordre à la gorge. Ses crocs chauffés à blanc s’enfoncèrent dans la peau de fer, lui arrachant un sifflement de douleur comme il atteignait ses nerfs.
Muraille se tordait dans tous les sens pour se débarrasser du Seigneur Rekka, qui pressait inexorablement ses mâchoires…
Il ne remarqua pas le geyser.
L’Octillery de Nirei avait mis un peu de temps à ajuster son tir en raison du rodéo impromptu du serpent de fer, mais le torrent d’eau qu’il projeta en valut la peine.
Touché en pleine tête, le gardien des Ruines libéra enfin sa proie en poussant pour la première fois un couinement. Surtout : les flammes de son museau redevinrent fourrure.
Mais déjà il se redressait alors que, derrière lui, la Steelix s’effondrait en soulevant la cendre. Il s’ébroua, réajustant son impénétrable manteau de feu. Un rugissement tonitruant quitta sa gueule, et il s’élança en direction de la pieuvre.
« Continue Cartouche ! »
Nirei s’enfuit en zigzagant. Dans son dos, l’Octillery multipliait les geysers. Mais l’effet de surprise était passé : quand il ne les évitait pas, ceux qui faisaient mouche disparaissaient dans un nuage de vapeur qui n’entamait plus son manteau incandescent.
Il était vain de sa part de penser qu’il aurait pu lui échapper. En trois bonds, l’Arcanin Sacré se retrouva devant l’archer. Sa gueule béante plongea pour le happer…
« Nirei ! »
Tamotsu envoya Apens s’enrouler autour de sa taille pour le ramener à lui, l’extirpant de justesse du piège infernal.
Mais Cartouche en avait décidé autrement.
La pieuvre avait sauté du dos de son maître pour enrouler ses tentacules autour du museau du gardien des Ruines. Serrant de toutes ses forces, ignorant les flammes qui l’asséchaient, elle puisa toute l’eau de son corps pour déverser un torrent entre les deux yeux de la force de la Nature. Ce dernier grogna, incapable d’ouvrir sa gueule furieuse. Qu’à cela ne tienne ! Son brasier s’intensifia, engloutissant l’Octillery.
Quelques instants plus tard, une masse desséchée glissa au sol, s’écrasant mollement comme ses huit bras se recroquevillaient dans la mort.
Un vent de panique s’empara des guerriers. Certes, ils savaient que leurs chances contre le Seigneur Rekka étaient faibles, mais de là à ce qu’il terrasse ainsi toutes leurs options aussi facilement…
« Tant pis, y’a plus le choix, » grommela Tamotsu.
Après un regard vers eux, il propulsa Guet et Apens en direction de l’Arcanin Sacré. Leurs chaînes s’enroulèrent autour de lui. Mais, sous l’effet des flammes, leurs corps sensibles tremblèrent de plus en plus…
« Boom ! »
Une double explosion retentit, déclenchant une nouvelle tempête de cendres qui avala le Seigneur Rekka.
Un calme étrange suivit.
Un voile noir leur barrait la vue, sans qu’aucune lueur de braise ne vienne le percer.
Le cœur battant, ils attendaient.
Les chaînes aux poignets de Tamotsu se tendirent.
Surpris, ses pieds décollèrent du sol.
Une gueule ardente surgit de la nébuleuse, se refermant sur sa clavicule et son torse. Il hurla, dévoré par les crocs et les flammes qui bientôt éteignirent sa voix.
« TAMOTSU ! »
Son corps sans vie tomba à terre. Un bras et une moitié de torse lui manquaient, que le Seigneur Rekka recracha avec dédain.
C’en était trop.
La Générale était restée en retrait de l’action car se sachant impuissante. Mais elle ne pouvait plus restait sans rien faire. Pas alors qu’un des siens venait de perdre la vie.
Sautant sur son Tauros, elle planta ses talons dans ses flancs pour initier la charge. La bête, terrifiée par l’Arcanin Sacré, se cabra en remuant les naseaux. Mais Dame Fusube Kisara refusa sa couardise justifiée. Sans la moindre hésitation, elle tira son sabre court pour entailler la croupe de sa monture.
L’auroch s’élança, ses lèvres écumant de peur et de douleur.
Lâchant les rênes, la Générale posa les mains sur la garde et le fourreau de sa longue plume d’Airmure. Elle n’aurait pas de deuxième chance. Elle devait dégainer au moment exact pour percer l’armure de feu et espérer atteindre la gorge. Une sérénité particulière l’envahit…
Le Seigneur Rekka en choisit autrement.
Un hurlement glaçant emplit la nuit.
Le Tauros pila des quatre fers, manquant de faire tomber sa cavalière comme il se cabrait à nouveau en mugissant. Ses cris s’interrompirent brutalement dans la gueule du gardien des Ruines.
Le bœuf décapité s’affaissa au sol, précipitant la Générale dans sa chute. Déboussolée, elle voulut s’éloigner… Mais sa jambe était coincée sous le flanc inerte.
Une chaleur grandissante l’enveloppa.
Elle leva les yeux, pour croiser les onyx embrasés de l’Arcanin Sacré.
Chaque pas de sa part intensifiait la fournaise.
Il traînait le corps mutilé du Capidextre Affamé, toujours lié à lui par une chaîne.
De rares gouttes de sang s’échappaient de sa gueule ardente.
Elle refusa de fermer les yeux. Si c’était ainsi qu’elle devait rencontrer son destin, alors elle lui ferait face jusqu’au bout.
À plusieurs mètres de là, Mion se relevait difficilement. Sa chute l’avait bien sonnée, mais la scène horrifiante de la charge malheureuse la ramena violemment sur terre. Elle devait faire quelque chose. Qu’eux meurent, c’était une chose, mais si la Générale y restait, l’Empire plongerait dans le chaos.
Elle jeta sa masse rongée par le brasier, alla pour saisir son sabre.
Quand ses doigts effleurèrent la ligne arrondie de sa pochette.
Elle se figea. Et si. Et si elle utilisait la Poké Ball ?
Non. C’était stupide. Qu’elle fonctionne sur Muraille et les autres était une chose. Mais le Seigneur Rekka était un dieu. Une force de la Nature. Sans compter qu’elle se ferait dévorer par les flammes avant même de l’atteindre. Jamais cela ne…
Et puis merde ! Elle n’avait pas le temps pour ce genre de question !
Elle plongea la main pour sortir la sphère de bois. Visa. Rah, pourquoi Nirei n’était pas là quand elle en avait besoin !
« Allez Mion, tu peux le faire…! »
Ella lança la Poké Ball.
La capsule disparut dans la nuit, si bien qu’elle crut avoir raté une fois de plus son lancer crucial.
L’Arcanin Sacré fondit sur la Générale à terre.
Et les flammes s’évanouirent.
La nuit reprit ses droits dans un silence assourdissant.
Il leur fallut plusieurs minutes pour s’accoutumer à la timide lumière du croissant de Lune. Et pour découvrir la Poké Ball encore fumante aux côtés du cadavre de leur camarade.