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Jusqu'à ce que les vagues cessent de nous bercer de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 27/08/2022 à 11:05
» Dernière mise à jour le 27/08/2022 à 11:05

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 4 : Tifida
Les rives de la Cecladar défilaient à bonne vitesse, à mesure que Saïyenn battait paisiblement sa queue puissante. Quand elle avait quitté l’Olant, des berges arides et sablonneuses avaient pris la place de la muraille végétale de la forêt des Sarracos qui stoppait les siroccos s’échappant parfois du désert. Le paysage de l’arrière-pays de Tifida virait plus sur le jaune sale que sur le vert éclatant et l’or terne typiques des bocages céréaliers responsables de la richesse du royaume.

Des masures miteuses se pressaient par moments au bord de l’eau, penchées sur la rivière comme si elle représentait leur salut. C’était sans doute le cas. Ces constructions en bois aux toits marqués de traces de sable étaient loin de mériter le nom de village. Même le bourg modeste dans lequel Omani avait grandi avait ses murailles de pierre et ses tours de guet, prêtes à faire face aux armées comme aux attaques de Pokémon sauvages. Les bocages étaient remplis de pièges à Bruyverne, les champs de fleurs étaient indiqués longtemps avant que l’odeur du miel ne devienne dangereuse… Ici, Taezïoud n’avait jamais envoyé aucun ingénieur.

Les terres du nord-ouest ne valaient rien. On aurait aussi bien pu les laisser à Bajazel contre un traité de non-agression permanent, et peut-être les trahir pour tenter d’éliminer une bonne fois pour toutes le royaume montagnard, mais la frontière courant tout le long du Kuzavaï avait été établie par le roi Mazaïkan lui-même, et aucun monarque mazakin n’avait jamais manifesté la moindre intention de la retracer dans l’intérieur des terres. Cela aurait été un pur et simple suicide politique.

Tifida n’avait d’intérêt qu’en tant qu’avant-poste pierrier. Ses champs ne valaient rien, ses murs n’avaient jamais affronté aucune machine de siège, et aucune armée ne s’était jamais souciée de sa position — accoudée à la Barrière du Désert, en retrait de toutes les batailles, complètement inutile. Lorsque l’Empereur avait soumis le continent, Tifida n’avait pas vu un soldat ; lors de l’invasion bajazéenne qui s’était vautrée dans les Sarracos, Tifida avait attendu en vain les combats ; même lors de la guerre civile, Tifida n’avait été qu’un outil pour les deux factions, une réserve de soldats que Lajis et Taezïoud avaient cherché à étouffer et que Winaï et Eleyo avait combattu pour ravitailler. Aucune armée ne pouvait partir de la ville des sables pour descendre sur la capitale : le goulet d’étranglement formé par l’Olant et la forêt de Larroc promettait un massacre à quiconque tenterait d’y poser le pied.

Omani n’avait jamais vu autrement ces landes désolées, mais elles avaient été plus vivaces. Autrefois, avant le séisme colossal qui avait percé de nouvelles brèches dans la Barrière du Désert, dix ans plus tôt. Il avait été possible de faire pousser des plantes plus coriaces que dans le sud-est, de tirer quelque chose des collines où coulait une quantité d’eau appréciable. Maintenant, le désert gagnait du terrain et appauvrissait les sols.

Le Dresseur et son Pokémon n’avaient croisé personne depuis qu’ils avaient passé la lourde arche de pierre du pont sur la Cecladar. Lorsque le nord-est de Mazaïkan avait vu rétrécir le peu de terres cultivables qu’il possédait, les gens avaient arrêté de s’acharner et étaient passés de l’autre côté des forêts. Tifida se tenait isolée au milieu d’une lande fantôme, une ville de carrières et de lourdes architectures de pierre, perchée sur son plateau granitique, n’offrant aucune prise au vent ni au déclin.

À l’est, le soleil répandait un voile doré sur la végétation basse. Omani aurait pu choisir d’arriver la veille, au prix d’une ou deux heures de voyage dans la nuit : le bandit assez idiot pour attaquer un Léviator dans un fleuve méritait ce qu’il lui arriverait. Mais le pêcheur avait préféré camper entre les troncs des Sarracos, à la confluence de la Cecladar et de l’Olant, et arriver en milieu de matinée. Après tout, Avandras lui avait donné trois jours, et c’était la veille seulement.

Aussi fut-il surpris en approchant de la ville, de voir une colonne de fumée monter avec hésitation de son centre.

Saïyenn pressa l’allure d’elle-même quand ils arrivèrent en vue des remparts et que le mince filet gris se découpa assez nettement contre le ciel bleu. Elle était une ennemie naturelle du feu, après tout, et avait été entraînée à le combattre. Elle aurait bien du mal à trouver un matériau combustible dans Tifida comme dans n’importe quelle autre ville principale de Mazaïkan, mais Omani ne la ralentit pas. Si la ville brûlait, quelqu’un y avait mis le feu. Et lui ne saurait passer dans le coin sans y remédier.

Les signes extérieurs étaient mauvais. Aucun garde ne vint les accueillir lorsqu’ils atteignirent les remparts, mais la grille de fonte jetée en travers de la rivière avait été laissée ouverte. Des passants les dévisagèrent alors qu’ils remontaient le courant vers le centre-ville, avant de s’enfuir en pressant le pas. Des fenêtres s’ouvraient sur leur passage, pour se refermer aussitôt. Des signes qui donnaient leur odeur aux insurrections.

« Hep ! »

La femme avait crié depuis l’arche d’un pont reliant deux rues résidentielles, à mi-chemin des rues centrales d’où s’élevait la fumée. Omani lui accorda à peine un regard — plus vieille que lui, la trentaine, vêtements et sac trempés, broche à la clavicule, corpulence moyenne, teint noisette, issue du désert, affichant une religion à la manière côtière, danger modéré mais à surveiller — avant de recentrer son regard sur le pont. Il ne baisserait pas la tête avant d’être juste devant le linteau de pierre du pont : les gens du désert, même s’ils respectaient l’hospitalité mazakine, avaient un sérieux problème avec l’autorité royale.

Il ne s’attendait absolument pas à ce qu’elle grimpe sur le parapet, d’un bond agile, et rebondisse tout droit dans le fleuve. La position de Saïyenn se raidit une seconde, prête à attaquer où à porter secours, mais le plongeon était bien assez maîtrisé, et la femme ne tarda pas à s’approcher de la Léviator en nageant une brasse fluide. Elle prenait même la peine de s’écarter nettement vers le côté. Si ses intentions étaient hostiles, elle ne les montrerait pas.

Ses mains étaient noires d’une suie qui partait dans le courant, remarqua le Dresseur. Elle devait être passée trop près d’un feu, ou avoir aidé à en éteindre un.

Omani fit son Pokémon baisser la tête, d’une commande de la main contre sa nuque, s’assit en tailleur, et passa sa hache sur son côté, prête à être tirée. Mais la femme ne fit pas l’erreur de se mettre à portée. Elle resta dans l’eau, à deux mètres à peine de la gueule de Saïyenn, à la merci de la serpente.

« Garde Royal, le salua-t-elle. Vous ne devriez pas continuer par là, les mineurs ont entassé des rondins devant l’hôtel de ville et foutu le feu.

— Eh bien, quelle chance qu’il donne sur la rivière, s’amusa Omani.

— Bah, je vous aurais prévenu. Je peux monter ?

— Vous êtes qui ? »

La réfugiée effectua la révérence classique de la noblesse mazakine, parfaite à ce détail près qu’elle était faite dans l’eau et qu’il était donc difficile d’y comprendre quoi que ce soit.

« Siebtze Sahirinn-Tograz-sil, se présenta-t-elle. Agente spéciale du général Avandras, qui m’a fait contacter ce matin pour m’ordonner d’escorter un Garde Royal dans le désert avec un serpent de mer. Il y a une petite chance que ce soit vous ?

— Omani Lavajez de Tolla.

— Sans vouloir donner l’impression d’insister, vous feriez vraiment mieux de ne pas trop titiller le centre-ville.

— C'est sur ma route, sourit Omani. Montez. »

Saïyenn aplatit sa position, et un instant plus tard, la nomade se hissait agilement sur son dos, juste derrière le pêcheur. Ce dernier ne s’inquiétait plus de ses intentions : les ordres transmis par les généraux pour une mission étant toujours anonymes, elle avait forcément déjà rencontré Avandras. Elle était bien ce qu’elle prétendait être.

Ce qui ne voulait pas dire qu’il allait suivre ses conseils. C’était lui le Garde Royal, c’était à lui de décider de l’ampleur de la dévastation à infliger aux émeutiers.

Tifida n’était pas une ville si grande : il suffit à Saïyenn de trois minutes de plus pour atteindre le centre-ville. La place centrale, devant l’hôtel de ville, était le siège d’une bataille rangée qui s’entendait à des rues à la ronde. Un petit groupe de combattants rasait les murs de l’édifice proprement dit, coupant toute fuite aux gens piégés à l’intérieur, quels qu’ils soient, et dont les silhouettes se discernaient derrière les vitres brisées, dans la fumée. Mais l’assaut n’était pas un siège en règle. Il n’y avait que cette poignée d’hommes pour tenir le bûcher allumé le long de la porte, et quelques-uns de plus étaient dispersés sur la place, tentant un jet de fronde occasionnel sur les fenêtres. Pour le reste, de ce qu’Omani avait pu voir dans les rues qu’il avait longées, les émeutiers n’étaient pas rassemblés en blocs compacts, mais s’étaient dispersés sur un maximum de rues, compliquant la réponse des gardes de la ville. Ces derniers tentaient de franchir une barricade, pour entrer sur la place et peut-être contre-attaquer sur l’hôtel de ville.

Ce n’était pas tenable et Omani détourna le regard, écœuré.

« Saïyenn, arrose l’incendie et détruis cette barricade, là-bas. »

Il aurait pu passer une semaine entière à pacifier la ville en prenant soin de ne pas y infliger trop de dommages. S’il l’avait choisi, Avandras aurait fermé les yeux. Mais il fallait couper le mal à la racine. Il fallait régler la myriade de problèmes rongeant Mazaïkan, la surpopulation, la pauvreté, la dissonance flagrante entre la technologie d’un côté, et de l’autre, l’éducation ou la médecine.

La Léviator engloutit une rasade de l’eau du fleuve, et écrasa les deux cibles désignées par son Dresseur de deux Hydrocanons propres et nets. Pas fous, les émeutiers s’étaient égaillés avant de subir trop de dommages, mais les gardes de la ville sautèrent sur l’occasion et se précipitèrent sur l’hôtel de ville pour porter secours à ses prisonniers. Puis Saïyenn se détourna et reprit sa nage.

Siebtze posa une main désolée sur l’épaule d’Omani — un geste peu coutumier du désert et qui surprit le pêcheur. Il se retourna, mais elle ne réagit pas, gardant le regard fixé sur la place livrée au chaos et les quais confus et parfois tachés de sang qu’ils dépassaient. Elle approuvait son choix, silencieusement.

Il aurait pu rester. Il aurait pu s’attaquer aux symptômes, prendre le temps de nettoyer la plaie avant d’aller chercher les bandages nécessaires. Il n’en avait pas eu le courage, et le plus dur était de penser que personne ne lui en voudrait pour cela.

S’il pouvait piéger un Guerrier, s’il pouvait lever le verrou de l’Ordre des Sables qui empêchait la côte d’envoyer des missions de prospections dans le désert… S’il pouvait régler le problème des matières premières, les scientifiques promettaient que ce genre de scène n’aurait plus jamais à se produire, que plus personne ne devrait faire de tels choix. Mais la Révolution Industrielle n’était qu’un mot dont rien ne garantissait qu’on saurait en faire une réalité. Et Omani n’était pas aveugle au point d’ignorer que le premier royaume qui mettrait la main sur le désert se ferait déchiqueter par ses voisins.

Mazaïkan avait de bonnes chances d’y échapper, ceci dit. Principalement grâce à une Léviator dressée.

Aucune de ces pensées n’était d’un grand réconfort. Elles avaient été répétées trop souvent.

« Qu’est-ce qui a déclenché ça ? demanda-t-il à la place comme Saïyenn sortait de la ville.

— Un mineur a refusé de partager sa maison avec une famille tout juste arrivée du désert, résuma Siebtze. On l’a retrouvé poignardé par un objet en os, et ses frères et sœurs de galeries sont allés chercher le coupable dans toute la ville. La garde est intervenue, mais trop de réfugiés se sont précipités à l’hôtel de ville, et les enfants d’autres mines se sont joints à la fête. Je me suis planquée sous l’eau pour t’attendre, et évidemment personne n’a eu l’idée de chercher là.

— Ça alors, s’amusa Omani. J’ai l’impression que… »

Il s’interrompit en pleine phrase, conscient de la formulation hasardeuse, mais Siebtze éclata de rire et lui colla une bourrade dans les côtes — elle avait une force surprenante pour sa taille, mais ce n’était jamais qu’un rappel qu’elle venait du désert.

« Je sais, j’ai bien appris les coutumes locales ! se moqua-t-elle. Ça fait partie du métier, qu’est-ce que tu crois ?

— Avandras t’a présentée comme une contrebandière, Omani se rappela-t-il un peu tardivement. Tu… n’est pas native du désert ?

— Ma mère l’était, pas mon père. Je suis une habitante du monde, en un sens. »

Omani ne répondit rien, se rendant compte avec gêne qu’il l’avait imitée en passant au tutoiement, exactement comme un enfant. Il serait peut-être temps de devenir un Garde Royal un jour, par les dieux !

La contrebandière eut la délicatesse de ne pas relever le début de rougissement du soldat.

***
Ils firent une pause en milieu d’après-midi, au milieu de collines commençant à s’élever en véritables montagnes. Saïyenn ne pourrait pas nager beaucoup plus longtemps dans la rivière de plus en plus étroite, et le Col des Siroccos n’était plus très loin : Omani ne vit aucune objection lorsque Siebtze suggéra de s’arrêter et de changer de route.

« Avandras m’a dit que tu aurais de quoi emmener ta Léviator avec toi, dit-elle une fois sur la berge. C’est déjà prêt ?

— Non. Je l’aurais laissée dans l’eau de toute façon, alors autant ne pas lui infliger ça tout de suite.

— Parfait. »

La contrebandière déposa au sol le large sac de cuir enroulé dans son dos, et commença à le déplier. Omani se rendit bientôt compte que ce n’était pas du tout un sac — alors cela devait être une tente. Probablement.

« Quand même, dit-il sur le ton de la conversation. Ça ne m’était jamais arrivé de poser un lapin à Avandras comme ça. Ce n’est pas une idée confortable.

— Quoi ? demanda Siebtze. Partir dès aujourd’hui alors qu’on était censés se rencontrer après-demain ?

— Oui. En théorie, nous désobéissons à ses ordres.

— Mm-hm. En pratique, les ordres sont faits pour être interprétés et il a bien assez confiance en moi pour nous laisser faire ça. »

Le pêcheur répondit d’un rire poli, étouffé. Cela n’avait rien d’une moquerie et le sourire en coin de la contrebandière confirma qu’elle ne l’avait pas pris comme tel ; pourtant elle revint à la charge d’un ton insolent.

« Et en vérité, tu es encore en train de te demander ce que tu aurais pu faire pour cette émeute. »

Omani maugréa. Oui, c’était vrai. Ça ne voulait pas dire qu’il fallait le lui rappeler — il en était très bien conscient tout seul. Siebtze accentua son sourire et retourna à son dépliage, presque terminé.

« Au fait, reprit-elle en étendant sur le cuir pâle deux pièces de tissu aux couleurs teintes jaunes et orangées éclatantes. Il y a pas mal de choses que je vais te dire à propos du désert dans les jours à venir, mais celle-ci est particulièrement importante.

— Je t’écoute.

— Nous utiliserons ma tente, je n’en ai jamais fabriqué d’autre. Donc si tu es le genre d’homme à qui ce genre de proximité pourrait donner des idées, sache que je suis le genre de femme à te couper les couilles si j’estime que c’est nécessaire. Clair ? »

Le pêcheur déglutit, douloureusement conscient du fait que malgré son entraînement militaire et sa hache, rien ne garantissait qu’il puisse battre une femme du désert en combat singulier, en tout cas sans l’aide de Saïyenn.

« Parfaitement clair, répondit-il en gardant sa voix sous contrôle.

— Ça tombe bien, je suis revenue sur la côte depuis même pas deux jours et je compte bien prendre un dernier bain avant de repartir dans le désert. »

La contrebandière avait commencé à déboutonner sa chemise de coton rêche avant même d’ouvrir la bouche, et s’était débarrassée de son djinn-bleu avant de finir de parler. Elle courut dans l’eau, complètement nue, laissant sur place un Omani pris au dépourvu ; pour ce qu’il en savait, cela ne se faisait pas plus dans le désert que sur la côte.

Hmm. Elle était loin d’être moche, en plus.

Le pêcheur se leva et, très résolument, s’éloigna d’une trentaine de pas en aval, faisant signe à Saïyenn de le suivre. La Léviator accorda quelques secondes de plus à l’humaine qui avait à peine attendu d’être dans l’eau pour essayer de jouer avec ses barbillons, puis se détourna et parcourut lentement la distance qui la séparait de son Dresseur. Siebtze ne suivit pas, préférant partir nager à contre-courant. Omani songea que c’était pour le mieux ; en plus, faire accepter la Poké Ball à sa Léviator allait probablement être un moment un peu trop intime pour que la présence d’une inconnue y soit souhaitable.

« Saïyenn, dit-il d’une voix grave qui capta immédiatement toute l’attention de la serpente. J’ai un grand service à te demander. »

Le Pokémon tira une langue large et rugueuse de sa bouche garnie de crocs, et lécha doucement la joue de son Dresseur. Elle lui faisait confiance. Ils se devaient mutuellement la vie et elle resterait fidèle à ce lien jusqu’à sa mort.

Omani plongea la main droite dans la large poche de son djinn-bleu, et en sortit la relique de l’Ancien Monde. Sa coque sphérique accrocha le soleil et renvoya un éclat piquant dans l’œil de l’humain.

« Est-ce que tu sais ce que c’est ? »

Un petit crachat dans l’eau. Omani n’avait pas vraiment compté sur la mémoire antique ; ce n’était probablement qu’un conte. Mais peut-être Saïyenn aurait-elle senti ce dont l’objet de métal était capable.

« C’est une Poké Ball, expliqua le pêcheur. Elle est conçue pour que tu ailles dedans. »

La serpente releva la tête, regardant l’homme de haut. Pas si haut que ça ; elle n’était qu’intriguée, pas irritée.

« J’aimerais que tu m’accompagnes au cœur du désert, poursuivit Omani. Il n’y aura pas d’eau, là-bas, et cette Poké Ball te permettra de ne pas en être privée. »

Saïyenn laissa sa tête redescendre, et l’inclina légèrement sur le côté. Elle faisait confiance à Omani, mais elle prendrait quand même le temps d’y réfléchir.

« Le général veut que nous affrontions un Guerrier des Sables, un adversaire très puissant. Il n’y a que toi qui le puisses à Mazaïkan. Nous en trouvons un, nous le capturons, et puis nous rentrons et tu n’auras plus à rester là-dedans si tu ne le souhaites pas, je te le promets. »

Les deux yeux rouges de la taille d’un poing qui contemplaient le pêcheur se refermèrent un instant, et quand ils se rouvrirent, la serpente avançait la tête vers lui pour lui donner un léger coup de museau. Ils avaient lié leurs vies. Elle le suivrait jusqu’au cœur de terres n’ayant jamais connu le baiser salé de l’eau.

Omani avança la main pour lui gratouiller un instant la tête massive, un remerciement silencieux. Et puis il présenta la relique à Saïyenn, qui braqua son regard dessus, et étendit l’index pour appuyer sur le bouton central.

Ce fut rapide ; un rayon bleuté jaillit de la sphère, qui engloutit Saïyenn et effaça les contours de sa silhouette. La Poké Ball s’ouvrit en deux par le milieu pour dévorer la masse de lumière qui retournait à elle, arrachant un sursaut à Omani, et puis elle se referma avec un petit claquement.

Elle ne devint pas inerte pour autant. Le pêcheur sentir des mécanismes cliqueter et s’entrechoquer dans sa main, provoquant par instants un coup sourd qui faisait vibrer la relique dans sa paume. Il fallut bien trois secondes pour que le processus soit terminé, et que la sphère émette son dernier claquement. Omani appuya de nouveau sur le bouton blanc aussitôt qu’il fut certain que le paramétrage était complet.

La masse bleutée de Saïyenn se matérialisa dans la rivière, lovée sur elle-même et la tête levée avec un air curieux. Elle se détourna immédiatement vers son Dresseur, et ce dernier retint un soupir en ne voyant nulle trace de souffrance sur sa gueule.

« Ça va ? »

La serpente s’approcha de nouveau pour lui infliger une seconde léchouille, avant de tapoter la Poké Ball nichée dans sa main.

« Haha, je comprends, tu veux retourner voir comment c’est dedans… Si tu t’y sens bien, je suis rassuré. »

Saïyenn retrouva son écrin de métal, et le pêcheur le contempla avec une expression apaisée. Peu importait que les Poké Ball aient été utilisées chaque jour dans l’Ancien Monde : celle-ci avait plus de douze mille ans et aurait très bien pu dysfonctionner gravement. Mais les scientifiques de Taezïoud ne s’étaient pas trompés — ce qui était tant mieux pour eux. Omani savait que Zalan n’aurait eu aucune hésitation à faire exécuter la moitié de l’Académie si cette dernière avait été responsable de la perte du seul Léviator jamais dressé, et qu’elle y aurait mis les formes.

Puis il se détourna, et marcha en sens inverse jusqu’à l’endroit où Siebtze avait abandonné sa tente. Elle le remarqua sans doute, ou bien ne voulut peut-être pas rester trop longtemps dans l’eau froide qui descendait tout droit de la Barrière du Désert ; en tout cas, elle ne tarda pas à le rejoindre.

Sans manifester l’intention de se rhabiller.

« Bien, commença-t-elle en arrivant à la hauteur d’un Omani au regard fixé sur les vêtements amples posés au sol. Tu te familiarises déjà avec tes nouveaux compagnons de route, à ce que je vois. Tu vas devoir apprendre à les nouer correctement, et je ne te montrerais qu’une fois.

— Je ne vais même pas oser regarder, persiffla le pêcheur.

— Oh, ne fais pas ta soubrette pudique. »

Omani retint de son mieux une bouffée de rire gênée. Il avait bien compris que la contrebandière allait observer chaque étape et savait parfaitement comment ça allait se terminer.

« Les vêtements servent aussi de matelas la nuit, l’informa Siebtze. Donc tu as intérêt à apprendre rapidement si tu ne veux pas dormir complètement dans le sable.

— Magnifique, grogna le pêcheur. Je n’en vois que deux ; quand est-ce qu’on les lave ?

— Jamais ! »

Il ne put s’empêcher de la dévisager, et rajouta un effort de volonté conscient pour verrouiller ses yeux sur ceux de la contrebandière en se rendant compte de ce qu’il faisait.

« Il n’y a pas d’eau dans le désert, andouille, ajouta Siebtze. Tu finiras par t’habituer à l’odeur. Maintenant, arrête de poser des questions et regarde les réponses. »

Omani hocha la tête, soudain vivement conscient que ce mouvement était naturellement compensé par les muscles des yeux et ne déplaçait pas son regard. Et puis il n’eut plus d’autre retard à opposer à l’insistance de Siebtze.

Il aurait dû s’y attendre. Elle appliqua ses règles concernant la proximité humaine dans les deux sens, et ne fit aucun commentaire gênant.