Pokémon : L'étoile d'Arkephyr de Arkephyr

Thomas et moi avons passé le reste de la journée et une bonne partie de la nuit à discuter.

J'ai pu ainsi apprendre que mon ami a vingt-cinq ans – je lui en aurais donné trois de plus, mais je me suis bien gardée de le lui dire – et qu'il est originaire de la région Kannon. Ses parents ont dû déménager à Arkephyr pour des raisons professionnelles, et il s'est lancé dans un voyage initiatique à l'âge de quinze ans.

Même s'il n'est pas rentré dans les détails, j'ai cru comprendre que le défi des arènes ne lui avait pas posé le moindre problème. Le dressage de Pokémon est rapidement devenu une évidence pour lui, si bien qu'il a fini par prendre ses distances avec la civilisation pour se consacrer entièrement à ses partenaires de combat.

Je lui ai aussi demandé s'il avait eu de la compagnie lors de son voyage. La question n'était pas tout à fait désintéressée – je voulais surtout savoir s'il y avait une autre fille que moi dans l'équation.

Il n'a pas répondu. J'aurais pu insister, mais il m'a donné une bonne raison de ne pas le faire.

C'est aux portes de la finale du tournoi de la Ligue Pokémon que les ennuis ont commencé pour Thomas. Des inconnus s'en sont pris à lui la veille de son match, l'obligeant à s'éloigner de ses amis et de ses rêves pour se faire oublier.

Et c'est ainsi que Michael Gray s'est vu octroyer le titre de Maître.

– Encore en train de dormir ?

Je me roule en boule dans mon sac de couchage en poussant un léger grognement. Même si je suis réveillée depuis un moment, je ne me sens pas encore prête à affronter cette nouvelle journée.

Je consens malgré tout à ouvrir un œil encore ensommeillé. Thomas revient tout juste de sa baignade – un petit rituel matinal que je peine à comprendre, mais que je ne manque jamais d'apprécier – et va bientôt préparer le petit-déjeuner.

Mon ami connait presque tous les points d'eau reculés de la région. Plus incroyable encore, il a dissimulé un peu partout dans la nature de vieux ustensiles de cuisine qu'il utilise lors de ses passages pour ne pas avoir à les transporter dans son sac. La plupart des gens le qualifieraient de maniaque. Pour ma part, je le trouve plutôt ingénieux.

Toujours est-il que ça fait dix ans qu'il arpente les terres d'Arkephyr. Dix longues années pendant lesquelles il a vécu seul avec ses Pokémon sans jamais se poser plus de quelques jours au même endroit.

Je trouve ça un peu déprimant.

– Tu veux du chocolat ? me propose-t-il en présentant une tablette entière sous mon nez.

Mon regard s'illumine aussitôt. Ça fait plusieurs jours que je me nourris essentiellement de fruits cueillis dans la nature, et ce petit plaisir sucré est le bienvenu.

– Tu as trouvé ça où ? je demande en saisissant la tablette pour casser quatre carreaux d'un coup.

Je suis bien réveillée, désormais. Thomas a compris comment je fonctionne.

– Un magicien ne révèle jamais ses secrets... répond-il mystérieusement en sortant une miche de pain de son sac. Profites-en, on commence l'entraînement dans cinq minutes.

Pikachu s'extirpe alors de sa Pokéball pour négocier un morceau de chocolat auprès de son dresseur. Ce n'est pas la première fois qu'il se libère seul sans permission – je ne savais même pas que c'était possible avant de le voir à l'œuvre, et je commence à me demander pourquoi il ne l'a pas fait lorsque nous étions en danger hier.

Je renonce cependant à faire part de mes doutes à mon ami. Ce dernier pourrait croire que je nourris encore des soupçons à son égard, et mes efforts pour le pousser à se confier seraient alors réduits à néant.

Sa confiance m'est précieuse. Je dois me faire une raison et accepter qu'il conserve une part de mystère.

– Tu comptes te rhabiller un jour ? je taquine avec un sourire en coin. Je sais que le prochain champion d'arène utilise des Pokémon de type Eau, mais ce n'est pas une raison pour rester en maillot toute la journée.

Thomas hausse un sourcil interrogateur. J'aimerais pouvoir le déstabiliser au moins une fois, mais la tâche s'annonce difficile.

– Tu n'es pas obligée de me regarder... fait-il remarquer sur le ton de la conversation.

Je sens le rouge me monter aux joues et m'efforce malgré tout de conserver un air détaché. Il est hors de question que je faiblisse la première aujourd'hui.

– Toi aussi tu me regarderais, si j'étais en maillot de bain ! je réplique avec toute l'assurance dont je suis capable.

Je crois distinguer un sourire furtif au coin de ses lèvres. Mais peut-être est-ce dû à mon imagination ?

– Je t'en prie... dit-il avec un haussement d'épaules. Mets-toi à l'aise.

Je ne peux empêcher mon visage de s'empourprer, cette fois-ci. Je n'ai jamais rechigné à me mettre en maillot pour aller à la plage ou à la piscine, mais la situation n'est pas comparable.

Si je continue à jouer de la sorte avec ce garçon – et en admettant que je lui plaise, je risque d'atteindre le point de non-retour.

Et je ne suis pas prête pour cela.

– Allons plutôt nous entraîner... je bougonne en me levant.

Thomas se redresse avec énergie, bien trop content d'avoir réussi à m'embarrasser, puis enfile rapidement un tee-shirt avant de me rejoindre sur notre terrain improvisé.

Nous avons choisi de combattre près du point d'eau. Le prochain champion pourrait bien avoir installé un lac artificiel au cœur de son arène, et je dois donc préparer mes Pokémon à l'éventualité de devoir être immergés.

– Avec qui souhaites-tu commencer ? me demande mon ami. J'imagine que tu utiliseras Dynavolt lors du match ?

Je considère un instant sa question. Dynavolt est assurément le mieux placé pour m'aider à remporter ce deuxième badge. Son type Électrik est particulièrement avantageux contre les créatures aquatiques, et je serais folle de ne pas en profiter.

C'est plutôt le choix du deuxième Pokémon qui me pose problème. Massko serait lui aussi un partenaire redoutable dans cette arène, mais j'ai bien trop peur des blessures qu'il pourrait infliger à son adversaire s'il venait à entrer dans une frénésie sanguinaire.

Je réalise d'ailleurs que je ne l'ai toujours pas sorti de sa Pokéball depuis notre combat contre Iona.

Je crois bien qu'il me fait peur.

– On peut essayer avec Gobou ? je propose en éludant sa question. J'aimerais qu'il progresse un peu lui aussi.

Thomas me fixe longuement d'un air dubitatif. Je crois qu'il a compris ce qui me préoccupe, même s'il ne s'autorise aucune remarque sur le sujet. Ce garçon est difficile à tromper.

– C'est toi qui vois... répond-il simplement. Pikachu ?

Son Pokémon vient tranquillement se placer devant lui et se tient prêt à combattre. J'espérais naïvement que mon ami envoie un autre de ses partenaires, mais ça ne semble malheureusement pas être au programme.

J'ai déjà eu de la chance de voir Dracaufeu.

– On va commencer les choses sérieuses... je souffle en décrochant la Pokéball de mon Gobou. J'espère que tu as le cœur bien accroché !

Je lance la capsule devant moi et fais apparaître mon petit amphibien. La nageoire au-dessus de sa tête ronde se met à remuer légèrement, et il quitte presque aussitôt le terrain pour plonger dans le sac encore ouvert de Thomas.

– Qu'est-ce que...

– Le chocolat ! s'exclame mon ami.

Pikachu réagit au quart de tour et lance une Vive-Attaque fulgurante pour écarter mon Pokémon de la précieuse tablette, mais ce dernier utilise son Pistolet à O juste sous ses pieds pour se propulser dans les airs et éviter la charge du rongeur.

Il nous lance ensuite un regard innocent avant d'engloutir d'un seul coup la tablette et son emballage.

– Espèce de...

Je ne sais pas comment réagir. Je suis partagée entre l'amusement face à la gloutonnerie de Gobou, la stupéfaction devant ses réflexes hors du commun et la frustration d'avoir perdu notre seule et unique source de chocolat noir.

– On sait au moins ce qui le motive... commente Thomas d'une voix neutre.

– Pi... ka... chuuuu !

Le Pokémon de mon ami semble lui aussi très affecté par la perte de notre délicieuse tablette. Il prend appui sur ses quatre pattes et libère une puissante décharge électrique en direction de mon compagnon. Gobou ferme alors les yeux et s'entoure d'une aura protectrice qui le protège complètement de l'attaque de son adversaire.

– Il maîtrise déjà Abri... je souffle en consultant machinalement mon smartphone.

Mon Pokémon semble très fier de lui et tire la langue pour provoquer Pikachu. Le rongeur semble touché dans son égo et s'apprête déjà à lancer un nouvel assaut.

– Ça suffit... ordonne calmement Thomas. Tu n'avais qu'à être plus malin que lui. Tu ne peux en vouloir qu'à toi-même.

Pikachu arque les oreilles en arrière avec un air penaud. Je crois bien que je préférerais me faire hurler dessus, plutôt que d'être rappelée à l'ordre de cette manière.

Le sentiment de décevoir quelqu'un qu'on aime est pire que tout.

– Reviens, Gobou... je grommelle en pointant ma Pokéball sur lui. Tu as fait suffisamment de bêtises comme ça aujourd'hui.

C'était bref mais intense. Mon Pokémon Eau a révélé d'étonnantes dispositions pour le combat, et je suis plutôt confiante pour la suite. Beaucoup de créatures ne voient pas l'intérêt de développer leurs capacités à l'état sauvage, mais ce petit monstre a déjà acquis une certaine expérience des duels par lui-même.

– Je te propose de continuer avec Dynavolt... je soupire en raccrochant la Pokéball de Goubou à ma ceinture. Si ça te convient.

Mon ami esquisse une moue songeuse avant de secouer la tête.

– Dynavolt peut attendre... répond-il en plongeant son regard dans le mien. Je crois que tu as d'abord quelque chose à régler avec Massko.

Je baisse les yeux malgré moi en songeant au dernier combat de mon jeune gecko. Je revois encore ses feuilles taillader profondément le buste de Macronium - une vision d'horreur qui a hanté mes deux dernières nuits.

Qu'est-ce qui l'empêcherait de recommencer ?

– Mais... je bredouille avec hésitation. Et s'il fait la même chose avec Pikachu ?

Thomas ne montre aucun signe d'inquiétude.

– Mon Pokémon le tuera bien avant... assure-t-il d'un ton posé.

La réponse de mon ami est désarmante. Je ne sais jamais s'il plaisante ou non dans ce genre de situation, et ça ne me rassure pas le moins du monde. Massko a certes commis une grave erreur lors de son dernier combat, mais il ne mérite pas de mourir pour autant.

– Je ne veux pas que tu lui fasses du mal... je préviens en fermant mon visage. Promets-le moi.

Thomas s'autorise un sourire qu'il veut rassurant.

– Ce ne sera pas nécessaire... dit-il cette fois avec plus d'empathie. Je te promets que tout ira bien.

Je décide de le croire sur parole et finis par hocher la tête en saisissant la deuxième Pokéball de ma ceinture. Mon cœur s'emballe légèrement dans ma poitrine au moment de le libérer.

Mais je ne peux plus faire machine arrière.

– Massss...

Mon Pokémon observe les alentours avec curiosité avant de se tourner vers moi. Ses iris jaunes me mettent quelque peu mal à l'aise, mais je m'efforce de soutenir son regard sans céder à la panique.

– Tout va bien... je lui souffle avec apaisement. Nous allons juste nous entraîner un p...

Massko bondit sur moi à la vitesse de l'éclair. Il croise immédiatement ses bras pour m'attaquer, puis les déploie d'un seul coup.

Ses feuilles acérées s'arrêtent à quelques millimètres de ma gorge.

– Je m'en doutais... murmure sombrement Thomas.

Le corps tout entier de mon Pokémon est nimbé d'une aura bleutée qui le maintient immobile. Je comprends alors qu'il n'a pas interrompu son attaque meurtrière de lui-même.

– Maintiens ton Psycho.

Mon ami sort une lampe torche de son sac à dos et me fait signe de me décaler pour se placer face à Massko. Il active alors le faisceau lumineux et le fait passer plusieurs fois devant ses yeux pour guetter le mouvement de ses pupilles.

– Il n'a aucune réaction... commente-t-il en secouant légèrement la tête. C'est bien que je pensais. Hypnose !

Une légère distorsion de l'air se manifeste alors à côté de moi. Je ne peux m'empêcher de reculer en distinguant les vagues contours d'un Pokémon Spectre.

Thomas possède un Ectoplasma.

Le fantôme me lance un regard amusé avant de reporter son attention sur mon Pokémon. Ses yeux se mettent à luire d'une teinte rougeâtre tandis qu'il envoie ses ondes hypnotiques sur Massko.

Mon partenaire sombre presque aussitôt dans un profond sommeil.

– Tu m'expliques ce qui se passe ? je demande d'une voix tremblante.

Je réalise seulement que je viens de frôler la mort – encore une fois. Thomas savait exactement ce qui allait se passer, et c'est la raison pour laquelle il a pris les devants en libérant à mon insu son horrible Pokémon Spectre.

J'aurais toutes les raisons d'être furieuse contre lui.

– Ton compagnon n'est pas responsable de ce qui lui arrive... répond-il d'un air grave. Quelque chose – ou quelqu'un – l'a délibérément plongé dans cet état.

La situation est bien trop grave pour que je perde du temps à me mettre en colère. Je dois conserver mon sang-froid et réfléchir calmement à ce qui s'est passé.

– Comment est-ce possible ? je demande en crispant la mâchoire. Massko est toujours resté avec nous depuis que je l'ai capturé. Et il était normal avant d'évoluer !

– Je ne sais pas du tout... soupire mon ami avec une moue inquiète. Ça pourrait être n'importe quoi. Un conditionnement psychique, ou bien autre chose...

Je me laisse tomber sur le sol et prends mon visage dans mes mains. Vouloir empêcher les challengers de gagner des badges, c'est une chose. Tenter de les enlever pour les dissuader de continuer, c'en est une autre. Mais là, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une machiavélique tentative de meurtre.

Quelqu'un se donne beaucoup de mal pour m'éliminer.

– Réponds-moi franchement... je murmure en posant mes yeux sur la silhouette endormie de Massko. Est-ce que nous avons une chance de nous en sortir ?

Je n'ai pas envie de mourir. Je préfère encore retourner auprès de mon père pour mener une vie paisible et sans histoires, plutôt que de passer chaque minute à regarder par-dessus mon épaule pour m'assurer que personne ne cherche à me tuer.

Thomas s'avance vers moi et me tend une main ferme pour m'aider à me relever. Je la saisis par réflexe et plonge mon regard dans le sien en guettant sa réaction.

– Je ne serais pas là si ce n'était pas le cas... répond-il finalement un air grave. Nous n'allons pas seulement nous en sortir, Lucille.

Il se penche à nouveau au-dessus de son sac et en sort une fine chaîne argentée qu'il vient placer autour du cou de Massko.

– Nous allons lever le voile sur la vérité et débarrasser cette région du mal qui la gangrène... conclut-il sombrement.

Mes yeux sont rivés sur le pendentif en cristal qui orne à présent le cou de mon Pokémon. Un pendentif en tout point identique à celui que mon père m'a donné au début de mon aventure.

Le même qui appartenait autrefois à ma mère.