[L] Avis de recherche (2/2)
Je me doutais bien que Pikachu n'était pas le seul Pokémon de mon ami. Je me doutais bien aussi que ses autres compagnons devaient avoir un niveau équivalent à celui du rongeur. Et pourtant, je reste quand même bouche bée devant le spectacle qui s'offre à moi.
Ce Dracaufeu est bien plus grand que la moyenne. Plus expérimenté aussi. Les traits de sa gueule sont d'ailleurs particulièrement marqués, comme s'il était déjà dans la fleur de l'âge. Mais l'éclat majestueux de sa flamme ne laisse planer aucun doute quant à sa condition physique.
– Il va nous attaquer... murmure la femme avec effroi. On devrait s'en aller tant qu'on le peut encore.
– Jamais ! crache son acolyte en levant son pistolet. Il nous tuera, si on revient les mains vides.
L'homme presse la détente sans hésiter. Dracaufeu pousse un cri de rage en recevant la fléchette soporifique, et l'intensité de sa flamme augmente d'un seul coup.
Le Zénith des Pokémon de Iona n'était rien en comparaison de la chaleur suffocante qui s'installe autour de nous. Le dragon fait monter la température extérieure bien au-delà de la limite du supportable, et je m'empresse de tirer le corps inanimé de Thomas en arrière pour nous mettre à l'abri.
– Barrez-vous ! je hurle à plein poumons. Vous allez vous faire carboniser !
Je n'ai pas envie d'assister à ça. Dracaufeu pourrait bien commettre l'irréparable en voulant protéger son dresseur, et je deviendrais alors malgré moi sa complice pour l'avoir libéré de sa Pokéball.
– Elle a raison... halète la femme en reculant d'un pas. Il vient de brûler la fléchette. Ca n'a eu aucun eff...
– La ferme !
L'agresseur récupère une nouvelle fléchette et la met fébrilement dans ce qui sert de chargeur à son pistolet, puis lève son arme en visant cette fois-ci la tête du dragon.
Dracaufeu ouvre aussitôt la gueule pour expédier une gerbe de flammes incandescentes.
– Non ! je crie en plaquant mes mains sur ma bouche.
Un hurlement déchirant résonne presque aussitôt dans la plaine et me glace d'effroi. Le feu se dissipe dans la foulée et laisse alors entrevoir le malfaiteur recroquevillé sur lui-même.
L'homme est entier – ou presque. Il sanglote en silence en tenant une main presque entièrement calcinée, où seuls quelques lambeaux de chair sont encore maintenus par des tendons noircis.
Cette scène épouvantable me donne un haut-le-cœur, et j'ai tout juste le temps de me retourner pour vider au sol le contenu de mon estomac.
– Viens... gémit sa partenaire en accourant vers lui. On s'en va.
Je leur lance un dernier regard pour m'assurer qu'ils ne cherchent plus à me nuire, puis m'autorise à craquer pour ce qui semble être la millième fois.
Je n'ai pas les épaules pour supporter une telle charge émotionnelle. Ces deux inconnus auraient pu nous enlever – ou pire. J'ai cru voir mon ami mourir sous mes yeux, et l'homme qui nous a attaqués s'est fait grièvement brûler sans que je puisse l'empêcher.
– Draaa...
Un frisson glacial parcourt mon échine tandis que je lève les yeux vers le dragon. Ce dernier m'observe avec une expression féroce, et je crains un instant qu'il ne cherche à m'attaquer. Que pourrais-je bien faire contre un monstre pareil ?
Dynavolt et Massko n'ont absolument aucune chance d'en venir à bout, même en conjuguant leurs efforts.
– Draaa !
Le ton se fait plus pressant. Dracaufeu se couche alors sur le sol et tourne sa tête menaçante vers moi, comme pour me faire comprendre quelque chose.
– Tu... Tu veux que je grimpe sur ton dos ? je demande avec incrédulité.
Aucune réponse. Le Pokémon ne semble pas avoir compris un traitre mot de ce que je lui ai dit, et n'a même pas réagi au son de ma voix.
– Je ne peux pas... je balbutie en secouant la tête. J'ai... J'ai le vertige.
Le dragon m'observe toujours fixement. J'ai le sentiment qu'il n'est pas du tout réceptif à ce que je lui dis, comme s'il n'était capable d'agir que par instinct.
Et ça me fait peur.
– Il y a des gens là-bas ! crie une voix au loin.
Notre affrontement n'a pas dû passer inaperçu. Je lève aussitôt les mains pour appeler à l'aide, mais Dracaufeu ne l'entend pas de cette oreille et pousse un rugissement menaçant.
– Qu'est-ce que...
Le Pokémon se redresse brusquement et se penche au dessus de Thomas pour attraper son corps dans sa puissante mâchoire. Il utilise alors son long cou pour le balancer sur son dos avec une précision étonnante, puis déploie ses ailes majestueuses pour prendre son envol.
Mais je ne m'attendais pas à ce qu'il attrape mon sac à dos – et moi par extension – avec ses puissantes griffes.
– AAAAAHH !
Je ferme les yeux par réflexe et crie aussi fort que mes cordes vocales le permettent. Je ne sais pas combien de temps dure le trajet, mais ma voix s'éteint bien avant que nous regagnions la terre ferme.
– Je vais te tuer... je souffle avec colère tandis que le dragon me jette comme si j'étais un sac à patates. Je te jure que je vais te tuer.
Mes deux genoux sont écorchés, mon cœur est en tachycardie et je suis complètement décoiffée – dans cet ordre croissant de gravité. Dracaufeu nous a emmenés je-ne-sais-où alors que nous aurions pu être pris en charge par les autorités locales, et son fichu dresseur est toujours inconscient.
– Tu ne veux pas rentrer gentiment dans ta Pokéball ? je demande en grimaçant.
Parler me fait un mal de chien. J'ouvre mon sac en hâte et en sors ma gourde pour me réhydrater. L'eau me fait du bien, mais je ne suis pas encore prête à me calmer.
Le Pokémon de Thomas ne réagit toujours pas. Il est certes très fort, mais il m'a tout l'air d'être aussi incroyablement con.
– Fais comme tu veux... je soupire en m'allongeant sur l'herbe.
Il n'y a rien que je puisse faire. Je n'ai aucune idée de l'endroit où nous sommes, mon ami dort à poings fermés, et je ne tiens pas vraiment à revivre le traumatisme du vol en essayant de le déplacer.
Dracaufeu nous a éloignés de la route principale pour nous faire atterrir en pleine nature, dans un coin boisé où personne ne pensera à nous chercher. Sa volonté de nous tenir à l'écart de la civilisation est très suspecte, et cela ne fait que renforcer les soupçons que je nourris à l'égard de Thomas.
Cet homme me cache un lourd secret – c'est évident.
– Merde... lâche-t-il alors dans un grognement qui me fait sursauter. J'ai l'impression que ma tête va exploser.
Mon ami se redresse beaucoup trop vite et chancèle dangereusement avant de se rattraper à l'arbre le plus proche. Il s'autorise quelques respirations avant de tourner la tête dans ma direction.
– Ça va ? souffle-t-il d'une voix rauque.
Je me relève à mon tour et avance d'un pas vif dans sa direction pour lui mettre une gifle magistrale. Il n'a pas le temps de l'esquiver, celle-ci.
– Si ça va ? je hurle, à moitié hystérique. Deux tarés ont tenté de nous kidnapper, j'ai bien cru que tu allais mourir, et ton dragon a complètement brûlé la main de ce type !
Thomas se masse la joue d'un air absent en remarquant pour la première fois la présence de son Dracaufeu. Il semble encore un peu sonné par l'effet du tranquillisant, et je commence à culpabiliser de lui en avoir collé une sous l'effet de la colère.
Mon ami lève un poing fermé devant son Pokémon, puis déploie ses cinq doigts d'un seul coup en gonflant ses joues. Il présente alors son autre main et baisse progressivement son bras en esquissant d'autres mimiques aussi bizarres les unes que les autres.
Le dragon finit alors par baisser la tête d'un air désolé.
– Euh... Tu m'expliques ? je demande en clignant bêtement des yeux.
Thomas lève une nouvelle fois la main en signe d'apaisement avant de rappeler son partenaire dans sa Pokéball.
– Dracaufeu ne perçoit aucun son... explique-t-il d'un ton détaché en accrochant la capsule à sa ceinture. Il est sourd.
Je sens cette fois-ci la culpabilité me submerger. J'ai naïvement cru que le dragon ne réagissait pas à mes paroles parce que son intellect était limité, mais je réalise avec effroi que son attitude passive découle en réalité d'un handicap.
Je suis vraiment trop conne.
– Je... J'ai vraiment eu peur qu'il tue notre agresseur... je balbutie en essayant d'ignorer mon sentiment de honte.
Thomas secoue lentement la tête.
– Ça ne serait jamais arrivé... assure-t-il d'une voix grave. Dracaufeu contrôle la portée de ses flammes avec une précision chirurgicale. Il s'est simplement défendu.
L'argument est discutable. Je veux bien croire que son Pokémon n'est pas un tueur, mais j'ai quand même du mal à considérer une main calcinée comme une simple défense.
D'un autre côté, mon ami n'a pas tort. Tout ceci ne serait jamais arrivé si ces gens ne nous avaient pas lâchement attaqués.
– Tu veux bien me raconter ce qui s'est passé ? me demande-t-il alors en s'adossant à l'arbre.
Je hoche la tête et commence mon récit à partir du moment où il s'est effondré à mes pieds. Le rouge me monte aux joues lorsque je repense à la scène du baiser volé, mais je me garde bien de lui révéler les détails et passe directement au moment où j'ai libéré Dracaufeu.
– Je suis désolée pour la gifle... je murmure après avoir terminé mon récit. Tu t'es interposé pour prendre une fléchette à ma place, et moi...
– Tu as fait ce qu'il fallait... me coupe Thomas avec sérieux. Nous aurions pu avoir de sérieux problèmes, si tu n'avais pas réussi à garder ton sang-froid.
Je plisse les yeux en repensant au moment où mon ami s'est effondré après avoir reçu le somnifère. Ses paroles me reviennent alors précisément en tête.
– Tu m'as dit que tu avais été négligent... je rappelle en fronçant légèrement les sourcils. Qu'est-ce que ça voulait dire ?
Mon compagnon de route laisse échapper un long soupir. Il semblerait que j'aie visé juste avec ma question, et il ne peut plus se défiler sous peine de perdre définitivement ma confiance.
– Tu sais déjà que la plupart des dresseurs novices ont été disqualifiés après avoir perdu contre Iona... commence-t-il en plongeant son regard ténébreux dans le mien.
J'acquiesce lentement en redoutant la suite. Mon petit doigt me dit que je ne vais pas aimer ce que je vais entendre.
– Mais je ne t'ai jamais dit ce qui arrivait à ceux qui réussissaient à cumuler les badges... continue-t-il en détournant les yeux.
Mon cœur s'emballe légèrement dans ma poitrine. Je fixe mon ami sans ciller et me prépare au pire.
– Qu'est-ce qui leur arrive ? je demande sans détour.
Thomas accroche à nouveau mon regard avec gravité. Pour la première fois depuis notre rencontre, je perçois chez lui un manque d'assurance qui ne fait qu'accroître mon sentiment d'inquiétude.
– Ils disparaissent... lâche-t-il d'une voix blanche. Tu en as forcément entendu parler aux informations.
Je réfléchis aux révélations de mon ami et réalise que les disparitions se sont multipliées au cours de ces derniers mois. Mais ce qui se présentait au départ comme un véritable fléau a rapidement été dédramatisé par les médias et les forces de l'ordre.
Tous les dresseurs disparus ont fini par réapparaître quelques jours plus tard, en parfaite santé et sans aucune autre séquelle qu'une légère addiction pour certaines substances douteuses.
– Ils appellent ça le "bad trip des arènes"... je confirme en pinçant les lèvres. Certains dresseurs ne supporteraient pas la pression exercée par la Ligue Pokémon et préféreraient se réfugier dans la drogue. Quel rapport avec moi ?
Je connais déjà la réponse – pas besoin d'être une lumière pour comprendre ce qui se trame dans cette région.
Mais j'ai besoin de l'entendre de la bouche de Thomas.
– Il n'y a jamais eu de "bad trip"... répond sombrement mon ami. Les dresseurs les plus prometteurs sont enlevés par des professionnels comme ceux que nous avons rencontrés. On leur lave le cerveau avant de confisquer leurs Pokémon, puis on les relâche dans la nature en prétextant un burn-out causé par la Ligue.
La situation est encore plus complexe que je ne l'imaginais. Tout porte à croire que c'est la Ligue Pokémon – et donc le Maître – qui est responsable de ce malaise qui gouverne la région, mais il semblerait que le problème soit bien plus profond.
Il me faudra sans doute du temps pour élucider de mystère.
– Et toi ? je souffle en bloquant ma respiration. Comment se fait-il que tu saches tout cela ?
Thomas esquisse un sourire sans joie.
– Moi ? Je suis le premier qu'ils ont essayé de faire tomber.