Siena s'y était attendue depuis qu'elle avait revu son fils, autant qu'elle l'avait redouté : le moment où elle entendrait quelqu'un taper à la porte de sa cabine. Elle savait que c'était lui. Bah, elle ne pourrait pas y échapper. Autant en finir vite. Elle se leva de son lit et alla ouvrir, pour effectivement tomber sur le visage nerveux d'un adolescent aux cheveux de la même couleur qu'elle. Il avait ses yeux, aussi. Mais la ressemblance s'arrêtait là. Pour le reste, c'était le portrait craché de son bellâtre de père, l'ancien empereur Octave.
- Mère... Je... Je ne vous dérange pas ?
Siena haussa les sourcils avec amusement en désignant sa petite cabine qui ne possédait qu'un lit, une chaise et des toilettes.
- Me déranger en quoi ? En pleine introspection sur ma chienne de vie et la fin du monde qui nous attend ? Entre.
Elle s'assit sur le bord de son lit en laissant la chaise à Julian. Il s'assit avec gène, sous le regard scrutateur de sa mère. Elle le voyait bien, maintenant, à sa façon de se tenir, à ses yeux évasifs et à la posture de son corps. Elle voyait le petit garçon caché dans ce corps quasi-adulte. Erend avait bien pu l'éduquer et lui apprendre quantité de choses en vitesse fois mille, même lui ne pouvait pas transformer un garçonnet en adolescent épanoui en deux mois à peine. Et être consciente de cela ne donna pas plus envie à Siena d'y aller mollo avec lui.
- Tu es venu me dire combien j'étais une mère atroce ? demanda-t-elle cash.
- N-non ! Je... je suis content de vous voir. C'est vrai ! J'ai eu de la peine quand Erend m'a dit qu'il vous avait tué...
- Oh, de la peine ? Ça m'aurait sans doute touché si tu n'étais pas devenu son petit chien-chien ensuite.
La gêne disparut du regard de Julian et un semblant de colère et d'indignation brilla dans ses yeux. Siena retint un sourire. Bien. Il n'était pas totalement un soumis.
- Que pouvais-je faire ? Je n'avais que lui pour m'enseigner les choses et prendre soin de moi ! Et puis... vous échangez les rôles ! Ce n'est pas moi qui devrais être dans la posture du coupable ! Tout ce qui s'est passé à Veframia, c'est de votre faute ! Si j'ai pris dix ans d'un coup, c'est à cause de votre propre bombe Arctimes !
- Ce n'était pas la mienne, c'était celle de Crenden, rectifia Siena. Et ce n'est pas moi qui l’aie fait sauter, c'était Tuno. Mais admettons. C'est ma faute. De toute façon, tu l'avais déjà décrété avant que la bombe n'explose. En lançant ton petit appel sur toutes les ondes du Grand Empire avec Vilius, dans lequel tu as répété que j'étais un tyran et que le monde n'avait pas besoin de moi ?
Siena avait dit cela sur le ton de l'anecdote, mais sur le moment, la voix de son propre fils qui la reniait aux oreilles du monde entier l'avait blessé. Beaucoup. C'était pour elle à partir de ce moment-là qu'elle avait réellement perdu son fils.
- Vous m'en voulez pour ça ? Après tout ce que vous avez fait ?
- Et qu'ai-je fait ?
- Mais... des... des milliers de choses mal ! s'écria Julian. Vous avez volé, menti, tué. Vous avez fait souffrir des millions de gens. Vous leur avez pris leur terre, vous leur avez imposé une tyrannie. Vous...
Siena l'arrêta en levant une main.
- Oui, j'ai fait tout ça. Mais je voulais dire : qu'est-ce que je t'ai fait, à toi ? Pour mériter que tu me poignardes dans le dos de la sorte ? Ou bien tu vas me faire croire qu'à l'âge que tu avais, tu étais déjà doté d'une conscience politique et morale telle que tu pouvais juger mes actions ?
- Vous avez tellement fait de mal que même un garçon de quatre ans pouvait s'en rendre compte, mère, répliqua froidement Julian. Je ne vous en voulais pas personnellement pour cela, malgré tout. Je vous aimais. Vraiment. Mais vous me faisiez peur. Vous étiez instable, sujette à des crises de colère soudaine et sans raison. Et vous le saviez vous-même, car vous m'avez enfermé dans un cocon doré avec tout ce que je voulais pour que je ne le vois pas. Vous ne vous occupiez quasiment jamais de moi. Et puis... et puis...
Julian déglutit difficilement et prit une grande inspiration avant de lancer :
- Vous avez tué mon père ! Pourquoi ? Pourquoi l'avoir tué ?!
- J'étais en guerre contre lui.
- Vous vouliez l'Empire de Lunaris. Vous l'aviez conquis. Vous n'aviez pas besoin de tuer père ! Vous pouviez l'emprisonner, ou je ne sais quoi...
- Non. Les Lunariens sont un peuple fier. Tant qu'Octave aurait été vivant, ils se seraient battus pour lui. Ils n'auraient jamais accepté leur annexion au Grand Empire. Mais lui mort, tu étais le seul héritier du trône. Ils n'ont du coup pas eu d'autre choix que me reconnaître comme mère du futur empereur et apte à régenter leurs terres pour en ton nom. Oh, ils me haïssaient bien sûr, mais leur respect du trône et des traditions les a poussés à se résigner à mon règne, en se disant que tu finirais pas prendre ma place, pour qu'ils aient un des leurs sur le trône.
Siena avait expliqué tout cela de façon très raisonnable et logique, comme si elle donnait un cours à son fils.
- Vous avez donc... tué mon père... juste pour un coup politique ? balbutia Julian.
- Mais, Votre Majesté, votre existence même est le fait d'un coup politique, se moqua Siena. Octave et moi, nous étions bons amis et compagnons d'arme lors de la guerre contre Vriff. Il n'y avait rien de plus, du moins de mon côté. Mais lui, il me désirait, même s'il était conscient que je ne pourrai jamais partager sa vie. Du coup, quand je suis venue à lui pour passer une alliance au nom de la Team Rocket et lui demander une partie de sa flotte, il m'a fait comprendre à demi-mot qu'il accepterait uniquement si je passais une nuit avec lui. Ce que j'ai fait. Je me suis prostituée pour quelque uns de ses Asmolés et des unités de soldats. Voilà d'où tu viens et ce que tu vaux, Julian oc Lunaris.
- Non... marmonna Julian, qui n'y croyait pas ses oreilles.
Mais Siena poursuivit impitoyablement.
- Quand j'ai découvert peu après que j'étais enceinte, j'ai longtemps hésité à avorter. Je n'avais aucune envie d'être mère pour le moment, et encore moins d'un rejeton de cet empereur snob qui n'avait pour lui que sa belle gueule. Mais j'ai fini par te garder, en pensant que ce serait pour le bien de la Team Rocket, et le mien, d'être la mère d'un prince impérial.
Faisant mine de remarquer l'air bouleversé de son fils, Siena dit d'un ton de commisération.
- Quoi ? Tu t'imaginais un amour sincère et profond entre nous, dont tu serais le fruit parfaitement voulu et réfléchi ? Navrée de te décevoir, dans ce cas. Je n'ai jamais aimé Octave, en dehors de l'attirance purement physique. Et toi, tu es le fruit d'un marchandage diplomatique et du hasard.
Julian chercha dans les yeux froids de sa mère le moindre signe auquel il pourrait se raccrocher pour croire qu'il avait été un semblant désiré.
- Vous... vous ne m'avez jamais aimé, moi non plus ?
Le ton de sa voix était si pitoyable, celui d'un petit garçon recherchant naïvement l'amour de sa mère, que Siena fut presque touchée malgré elle. Mais presque seulement...
- Oh, j'imagine que si, répondit-elle. Quand je te tenais dans mes bras alors que tu étais bébé. Quand tu marchais à peine en te précipitant vers moi avec un grand sourire. Ou quand tu m'as offert cette peluche d'Ecleus que tu avais toi-même faite. Mais cet amour, c'était seulement celui, naturel, d'une mère envers son bébé chéri et tout mignon. Tu ne l'es plus. Tu es quasiment un adulte, qui de plus a choisi de se dresser contre moi. Tu es comme un étranger. J'estime que je ne te dois plus rien, amour compris. Vis ta vie comme tu l'entends, et je te souhaite qu'elle soit bonne. C'est tout ce que j'ai à te dire.
Ce fut le point de non-retour. Les yeux de Julian devinrent aussi froids et distants que ceux de sa mère.
- Je vois...
Il se leva lentement, prit une de ses deux Pokeball à la ceinture et la jeta aux pieds de Siena.
- Je vous rend Ecleus. Si vous comptez participer aux prochains combats, il vous sera plus utile qu'à moi, vu que vous le contrôlez parfaitement. Adieu, mère. Merci de m'avoir mis au monde.
Il quitta la cabine sans un seul regard en arrière. Siena resta un long moment à regarder la porte d'où il était parti, les yeux dans le lointain.
***
- T’es sérieux ? s’exclama Zeff. Maintenant ?
- Oui maintenant, confirma Mercutio. Demain on sera peut-être tous morts.
- C’est pas mon genre d’échanger les Pokemon. Je ne suis pas un de ces dresseurs friendly qui s’amusent avec ceux des autres. Moi, je les entraîne à ma façon, et je les garde.
- Arrête de déconner. Je t’ai rarement vu sortir Eï ni t’occuper de lui. Il doit te paraître trop faible à tes yeux. Je me demande même pourquoi tu l’as capturé à l’origine…
- Parce qu’il était marrant à sa façon de parler, et qu’il en voulait.
- Eh bien, il en voudra encore plus avec moi, vu que je vais le réunir avec ses deux frères.
Quand Galatea avait proposé à Mercutio les Pokemon d’Eryl, désormais privés de dresseurs, Mercutio a longuement hésité avant d’en prendre un seul sur les quatre. Ea, le petit Pokemon Plante unique et sachant parler, qui les avaient un peu réunis, Eryl et lui. Ce serait lui qui lui rappellerait le plus la jeune femme aux cheveux violets. Et surtout, Mercutio avait déjà Eü, un Pokemon du même genre, mais de type Eau. Zeff, quant à lui, possédait le dernier, Eï, de type Feu.
Voilà pourquoi Mercutio venait de lui demander de lui échanger Eï. Il ne savait pas trop pourquoi, mais il sentait que ce serait mieux s’il avait les trois. Ils étaient liés, d’une façon ou d’une autre. Selon la légende, ces Pokemon seraient un présent de Mew au tout premier dresseur Pokemon de l’espoir. Ils étaient un peu, pour schématiser, les ancêtres de tous les starters. Mais le dresseur en question s’était lassé d’eux, car ces trois Pokemon ne pouvaient pas évoluer. Il les avait jugés faible et sans intérêt.
Mercutio n’y croyait pas. Certes, ils n’avaient pas la puissance d’un Pokemon Légendaire ou Fabuleux, mais, en plus de savoir parler, ils possédaient chacun un pouvoir unique. Des pouvoirs qui, combinés entre eux, formaient une énergie assez puissante pour avoir pu attirer l’attention du Pokemon Mécha rénégat D-Deoxys. Il y avait forcément quelque chose avec ces trois Pokemon, et Mercutio voulait découvrir quoi. Il avait l’impression d’honorer la mémoire d’Eryl en faisant cela.
- Je te demande juste de ne pas choisir mon Mortali, ajouta Mercutio. C’est mon premier Pokemon, et lui et moi, c’est pour la vie.
- J’ai juste le choix entre ton canasson volant et ton polygone aux PV abusés quoi ?
- Euh… essentiellement, oui.
C’était dans ces moments que Mercutio regrettait de n’avoir pas capturé plus de Pokemon, alors qu’il en aurait eu largement les moyens. Mais de base, il n’était pas un dresseur qui était du genre collectionneur. Il préférait en avoir peu, mais les connaître par cœur et les avoir bien entraînés.
- Tu fais chier, gamin…
- Je sais. Allez, fais pas ton radin. Je sens que je dois vraiment les avoir.
- Un pressentiment mystique ? se moqua Zeff.
- Ou juste une intuition purement humaine.
Zeff finit par céder en acceptant Pixagonal. Ça serrait un peu le cœur de Mercutio de se séparer de Pixagonal, mais le Pokemon étant une création artificielle, il n’avait pas vraiment d’attachement à son dresseur. Il pouvait changer de « maître » tous les jours et leur obéir parfaitement.
Le croiseur Rocket
Giovanni étant à la pointe de la technologie, il avait un centre Pokemon en son sein, avec du coup une machine pour échanger. Ils pouvaient bien sûr s’échanger les Pokemon de mains à mains, mais pour bien faire les choses, une machine spéciale était requise. Elle permettait aux deux Pokemon d’être pleinement informés de l’échange et d’avoir un début de loyauté pour leur nouveau dresseur. Bien sûr, ne demandait pas à Mercutio comment ça marchait ; il n’en savait rien.
Une fois son nouveau Pokemon en poche, Mercutio se présenta sur le pont du croiseur au moment même où celui-ci entrait dans l'espace aérien de Sinnoh. Mewtwo, le porte-parole temporaire de la FAL, qui se trouvait sur le
Justice d'Erubin non loin, était en train de s'adresser par radio aux autorités de l'île.
- Les Sinnohïtes ne vont pas trouver bizarre qu'un Pokemon se pointe avec une flotte de vaisseaux pour les prévenir que le début de l'apocalypse aura lieu sur leur île ? demanda le général Kasai Tender.
- Sinnoh est un état-membre de la FAL, répondit Madame Boss. Elle reconnaît Mewtwo comme Haut Conseiller. Le Premier Ministre Kishidou est de plus un homme ouvert qui n'a pas de préjugé sur les Pokemon ou nous autres Rockets.
- Ouais... Et on a aussi, accessoirement, Arceus le Père qui flotte au dessus de notre vaisseau, sourit Anna. Ça peut aider.
- Ça aurait encore plus aidé s'il avait accepté que je le chevauche pour nous présenter, marmonna Bertsbrand.
Anna le regarda soudainement avec inquiétude et honte.
- Sans dec ? Tu as osé lui demander ça ?!
Bertsbrand, toujours boudeur, ne daigna pas répondre. La voix de Mewtwo résonna alors sur le pont du
Giovanni.
- Ils nous envoient deux représentants pour faire le point. Je vous laisse les accueillir et leur expliquer la situation, vu qu'Arceus est chez vous. Je vais positionner le Justice d'Erubin et le reste de la flotte dans tout l'espace aérien de l'île, pour dénicher nos ennemis au plus vite.
- Bien compris, acquiesça Estelle.
Il apparut que les deux représentants en question, qui arrivèrent en volant à dos d'Etouraptor et de Togekiss, étaient les deux plus puissants dresseurs de la région. L'un était un jeune homme en tenue classique de dresseurs Pokemon, aux cheveux bruns, portant une écharpe rouge et un béret. L'autre était une femme d'une grande beauté et d'une grande grâce, avec de très longs cheveux blonds et une panoplie vestimentaire noire qui semblait tout droit sorti d'un défilé de mode.
Aucun des deux n'étaient étrangers à Mercutio, qui avait longuement visionné les combats Pokemon des plus puissants dresseurs du monde. Ces deux là étaient clairement dans le top 20 mondial. La femme, Cynthia, était Maître de la région Sinnoh depuis des années, et une habituée des podiums lors des Tournois du Couronnement Mondial. L'homme, Louka, était un génie du dressage tel que Sinnoh n'en avait rarement vu, au point d'avoir pu vaincre Cynthia elle-même il y a un peu plus de dix ans, même s'il avait refusé après coup de prendre sa place de Maître.
- Merci de nous accueillir à votre bord, commença Cynthia une fois qu'ils se furent posés sur la passerelle, où les attendait Estelle.
- C'est un honneur, répondit Madame Boss. Nous ne nous attendions pas à des dresseurs aussi célèbres que vous.
- En tant que les deux seuls Maîtres vivants de la région, c'est de notre devoir de...
Mais Cynthia s'arrêta d'un coup, les yeux écarquillés, quand elle vit Arceus apparaître au dessus-d'eux. Elle s'inclina vivement, la tête baissée, en une génuflexion digne de l'époque féodale, quand Sinnoh se nommait encore Hisui. Louka, à contrario, n'était semble-t-il ni ravi ni honoré de la présence du Créateur. Il grimaça et parut se faire tout petit. Mais c'était bien sa présence qui avait attiré Arceus, et le dieu le fit savoir.
- Ah, je sentais bien que quelqu'un marqué de ma bénédiction était tout proche. Heureux de te revoir, vaillant Sauveur du Millénaire...
- Pitié, arrêtez de m’appeler comme ça... soupira Louka.
Galatea dévisagea Louka puis son « grand-père » avec perplexité.
- C'est un Sauveur du Millénaire, lui aussi ? Je pensais que c'était Igeus, celui de cette époque ?
- Je nomme autant de Sauveur que je veux, si besoin en est, répliqua Arceus. Et puis, si ce jeune humain est bien un Sauveur du Millénaire, ce n'est effectivement pas de votre époque actuelle. Je l'ai envoyé plus d'un siècle dans le passé il y a peu, pour qu'il puisse sauver le monde à ce moment là.
- Pourquoi avoir choisi quelqu'un du présent pour sauver le passé ? s'interrogea Mercutio. Il n'y avait personne pour le faire, à l'époque ?
- C'était écrit ainsi. C'était lui qui devait sauver l'ancienne Hisui... et plus globalement l'univers dans sa globalité.
- Ouais... et merci pour le voyage, à propos, hein ? ironisa Louka. C'était sympa de pioncer tranquille dans son lit puis se retrouver d'un coup sur une plage de la fin du dix-neuvième, avec pour seule aide un fichu smartphone à votre image qui me répète de rencontrer tous les Pokemon du coin...
Gênée, Cynthia s'était redressée et donna un coup de coude à son collègue.
- Arrête, tu nous fais honte... murmura-t-elle. Si c'était ainsi, c'est que c'était le choix du Créateur. Tu n'as pas à le remettre en question, et encore moins devant lui !
- Vous en avez de belles, vous... Je vous rappelle que tout ça, c'était à cause de votre taré d’ancêtre qui a foutu un bordel pas possible ! Puis pourquoi j'ai été obligé de remplir le Pokedex de l'époque pour pouvoir rentrer chez moi, alors même que j'avais défoncé Percupio et sauvé le monde, hein ?
- Ça aussi, c'était écrit, se justifia Arceus. Hisui a pu se développer drastiquement et devenir la Sinnoh que vous connaissez maintenant grâce à un jeune dresseur qui a su recueillir un maximum de données sur les Pokemon locaux, ce qui a permit aux habitants de savoir coexister avec eux et les utiliser au mieux.
- Ouais, bah si c'était à refaire, j'aurai laissé le dressage à Aurore pour faire les Concours à sa place. C'est elle alors qui aurait eu la grande chance de vivre TOUTE une fichue année dans la Sinnoh des années 1890, sans internet, sans eau courante, et avec des Pokemon si peu habitués à l'homme qu'ils tentent tous de vous bouffer dès que vous passez trop près d'eux !
Sans doute que Louka attendait depuis longtemps de pouvoir vider son sac devant Arceus, mais ce dernier ignora royalement les protestations de l'humain pour tourner son regard vers la haute montagne qui se dressait au centre de l'île : le Mont Couronné.
- Ils sont là, dit-il à mi-voix. Wrathan et cette Lyre Sybel. Je les sens.
- Aux Colonnes Lances, seigneur ? interrogea Cynthia.
- Les Colonnes Lances... Toujours les Colonnes Lances... maugréa Louka.
- Ce lieu est le centre du monde, expliqua Arceus. C'est au sommet de cette montagne que j'ai jadis entamé la création des tous premiers Pokemon. Les premiers humains qui peuplèrent cette île y battirent un temple en mon honneur. Temple qui a été détruit par un combat entre Dialga et Palkia il y a un peu plus d'une centaine d'années...
- Je sais, j'y étais, l'interrompit Louka. C'est aussi là que j'ai vaincu Percupio et Giratina.
- Et là également où Hélio, de la Team Galaxie, a tenté de faire s'écrouler notre univers pour en créer un nouveau, ajouta Cynthia.
- C'est un endroit où les barrières entre les dimensions sont les moins épaisses, conclut Arceus. Cela étant, je ne vois pas bien ce que ces deux-là espèrent y faire. Ni Wrathan ni cette fille n'ont les pouvoirs pour ouvrir...
Mais il s'arrêta, et ses yeux rouges cerclés de vert s’agrandirent d'un coup de stupeur, d'indignation et de colère.
- Il a osé ! s'exclama-t-il.
- Qui a osé quoi ? voulut savoir Estelle.
Mais avant que le Créateur n'ait pu répondre, un pilier entièrement noir déchira les cieux de Sinnoh à partir du sommet du Mont Couronné. Les cieux devinrent gris, puis noir en à peine quelques secondes. Et tout le monde – et pas seulement les Mélénis – ressentit un immense froid en eux. Pas un froid en terme de degrés, mais quelque chose de plus profond, lié à la vie elle-même. Comme si la barrière entre la vie et la mort venait de s'affaiblir, et que le froid de l'au-delà s'était instillé dans le monde des vivants.
***
Au centre des Colonnes Lances, la tête de Giratina venait de surgir d'un portail sombre qui s’agrandissait de plus en plus, déchirant le ciel bleu de Sinnoh de part en part. Lyre et Wrathan étaient là pour accueillir leur nouvel allié dans ce monde dont il avait été banni. Lyre pouvait sentir la terrible pression qui venait de derrière lui, depuis ce monde sombre et vide de vie, où erraient des milliards de milliards d'âmes. Le monde des vivants et celui des esprits n'étaient pas fait pour être ainsi liés. Ils étaient l'antithèse l'un de l'autre.
- Je suis prêt, déclara Giratina.
- Excellent, sourit Lyre. Faisons donc de ce monde un monde mort.
Giratina tourna sa tête triangulaire vers les cieux, ses yeux luisants d'une lueur sauvage.
- Arceus est déjà ici...
- Bien évidemment. Et nous l'écraserons. Wrathan... tu peux enfin revêtir ta vraie forme, et laisser libre cours à ta colère infinie.
Celui qui ressemblait à un petit garçon semblait n'avoir attendu que ça. Un sourire horrible étira son visage, et son corps commençant à rougir et à fumer, comme si son sang était soudainement entré en ébullition. Puis il grossit, grandit, jusqu'à atteindre près de cinq mètres de hauteur. Deux paires d'ailes lui sortirent du dos, recouvertes de poils noirs à l'extérieur, mais rouge et membranées à l'intérieur. Ses jambes poilues et ses sabots rouges fissurés et crochus avaient l'allure de celles d'un bouc, si ce n'était ses poils noirs. Il avait une queue rouge se terminant en pointe. Si la partie inférieure de son corps lui donnait déjà un aspect démoniaque, la partie supérieure semblait elle tout droit sortie des enfers.
La créature avaient six bras, chacun se terminant par des mains différentes. Pinces, mandibules en tout genre, et même une qui ressemblait à l'embout d'un lance-flamme. Ses bras, puissants et musclés, étaient d'une couleur rouge vif, et dans leurs veines semblaient circuler de la lave en fusion, encore plus visible. Sa tête était clairement d'allure draconique, mais avec une toison noire qui faisait office de barbe et de cheveux. Il avait pas moins de sept cinq cornes sur le crâne, et les deux supérieures étaient si longues qu'elles étaient enroulées sur elles-mêmes. Et enfin, une flamme d'une étrange couleur écarlate sombre entourait son immense cou comme un collier.
Tel était Wrathan, le Dragon du Péché, Démon de la Colère, et incarnation du diable dans de très nombreuses cultures. Un Démon Majeur, oui, mais il n'avait pas grand-chose à voir avec les six autres. Sa puissance et sa cruauté dépassaient l'entendement. Lyre pouvait ressentir toute la fureur explosive que ce corps géant abritait. Elle avait l'impression que si elle tentait d'aspirer ce Pokemon, ce serait son propre corps qui imploserait. D'ailleurs, sa chaleur résiduelle faisait que Lyre dut reculer tant il faisait chaud près de lui. Les dalles de pierres sur lesquelles il se tenait commencèrent à fumer et à fondre.
Giratina, lui, venait de sortir entièrement de la brèche noire, mouvant son corps longiforme comme un serpent dans les airs. Et à sa suite, une véritable marée noire, mouvante et ininterrompue sortie du Monde des Esprits. C'étaient des âmes. Des milliers, des millions, des milliards d'âmes désincarnées, qui, répondant à l'appel de leur gardien et maître, se déversèrent dans le monde des vivants, prêtes à tout engloutir, prêtes à étouffer la lumière la vie qu'elles jalousaient.
- Les Portes de la Mort sont entièrement ouvertes, clama Giratina. Sortez, ô mes âmes. Sortez toutes, et prenons notre revanche sur cette vie qui nous opprime !
Avec à sa droite Wrathan, à sa gauche Giratina, et derrière elle un flot continu d'âmes qui commencèrent à recouvrir tout le paysage par leur nombre, Lyre Sybel, devenue Lyrrorscor, eut un large sourire qui tordit son visage à moitié spectral, et ses yeux en spirale rougeoyèrent comme jamais. Elle leva les bras au dessus-d'elle, comme prenant le monde entier à témoin.
- Le temps est venu du Jugement Dernier ! La vie a été jugée coupable d'apporter des souffrances sans fin, et a été condamnée à mort ! Réjouissez-vous, vivants ! Réjouissez-vous de cette libération qui arrive ! Abandonnez vos corps fugaces et imparfaits, laissez vos âmes se mêler aux autres dans une éternelle harmonie ! Laissez la mort vous prendre dans sa douce étreinte pour l'éternité !
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Image de Wrathan (le dernier mais pas le moindre)