[L] Avis de recherche (1/2)
J'ai passé une très mauvaise nuit. Les événements de la veille ont tourné en boucle dans ma tête pendant des heures, et mes courtes périodes de sommeil ont été troublées par des mauvais rêves.
Je n'arrive pas à me dire que tout est terminé. Je n'ai même pas réussi à remporter mon premier badge d'arène, et la perspective de rentrer à Solbourg me terrifie.
Que va penser mon père en me voyant revenir ?
– Je suis une ratée.
J'ouvre mon sac pour à la recherche de vêtements propres, avant de me rappeler que j'ai sacrifié tous mes hauts pour tenter de stopper l'hémorragie de Macronium.
Je me demande bien comment va ce pauvre Pokémon. Sa blessure était impressionnante, et je redoute le moment où je devrai m'expliquer avec Massko. Il est hors de question que je conserve un partenaire susceptible de représenter un danger pour les autres.
Je finis par enfiler un short en jean et remets à contrecœur la blouse de la veille. Lorsque je constate qu'elle est aussi légèrement tâchée de sang, j'ai envie de pleurer.
Ce voyage initiatique n'aura été qu'une succession de tourments.
– On s'en va... je murmure en récupérant ma ceinture de Pokéball sur la table de nuit.
Je rassemble mes dernières affaires et quitte ma chambre sans me retourner. Il est fort probable que je ne remette plus jamais les pieds ici en tant que dresseuse. Et il est hors de question que je me réinscrive l'année prochaine au tournoi de la Ligue Pokémon.
Je m'approche de l'infirmière pour lui rendre les clés et force un sourire pour la remercier. Elle s'est toujours montrée charmante à mon égard, et je ne peux pas me plaindre d'avoir été mal accueillie.
– Attendez... me dit-elle tandis que je m'apprête à quitter le Centre. Vous êtes bien Lucille Laurens ?
Je me retourne et fronce légèrement les sourcils.
– Oui... je réponds en attendant la suite avec une certaine appréhension. Pourquoi ?
L'infirmière pose une boîte rectangulaire ainsi qu'un paquet grossièrement emballé sur son comptoir.
– Quelqu'un a laissé ceci pour vous... ajoute-t-elle avec un haussement d'épaules. Ça avait l'air important.
J'hésite à récupérer le colis. Je suis toujours en colère contre Thomas, et je n'accepterai aucun cadeau – aussi merveilleux soit-il – de sa part.
J'ai beaucoup trop de fierté pour ça.
– C'était qui ? je demande avec suspicion.
– Aucune idée... répond la jeune femme avec une moue désolée. Elle portait une capuche pour cacher son visage. Je dis elle, parce qu'elle devait être plus petite que vous... et plus fine aussi.
Je m'efforce de conserver un visage impassible pour ne pas paraître offensée par sa remarque. Ma silhouette est absolument parfaite, et il faudrait être une brindille comme cette fichue championne pour être plus fine que moi.
J'écarquille les yeux à cette idée et m'empresse de prendre les mystérieux paquets pour les ouvrir un peu plus loin, à l'abri des regards.
– Commençons par le plus petit... je souffle en sentant mon cœur s'emballer.
Mon intuition se révèle être la bonne. Le coffret rectangulaire ressemble par bien des aspects à une boîte à bijoux. Il contient huit emplacements de formes différentes, destinés à contenir des petits objets bien spécifiques.
Le premier est d'ailleurs déjà occupé par un cercle métallique vert sur lequel est joliment gravé un arbre de vie.
– Le Badge Racine... je murmure en sentant ma gorge se nouer. Elle me l'a finalement donné.
Les larmes se mettent à ruisseler le long de mes joues. J'ai l'impression de ne faire que pleurer, depuis que je suis partie de chez moi. Mais ces larmes-ci ne sont pas des larmes de tristesse ni de désespoir.
Ce sont des larmes de soulagement.
– Tout n'est pas encore terminé.
Je referme mon coffret avec précaution et le range soigneusement de la poche intérieure de mon sac à dos. S'il y a bien un objet auquel je dois faire attention, c'est celui-ci.
Je prends cette fois-ci le deuxième paquet enveloppé de papier kraft et constate avec surprise qu'il est beaucoup plus mou que le premier. J'en déduis qu'il ne doit pas être fragile et l'ouvre en hâte pour découvrir deux hauts flambant neufs accompagnés d'une petite note.
"Macronium va déjà mieux..." je lis avec un sourire. "Merci."
Je sens presque aussitôt un poids quitter ma poitrine. Si Iona avait perdu son Pokémon par ma faute, je ne me le serais jamais pardonné.
Je jette un œil aux vêtements offerts par la championne et esquisse un nouveau sourire. Ça ne me ressemble pas vraiment, mais l'attention est touchante. Et ce n'est pas comme si je pouvais me permettre de faire la fine bouche, avec mon unique blouse tâchée de sang.
Je décide donc de m'enfermer quelques minutes aux toilettes pour remplacer mon haut. Je choisis le vêtement le moins aguicheur des deux – un top court noir croisé à nœud au niveau du ventre – et active l'appareil photo de mon smartphone pour apprécier le résultat.
– Plutôt sexy !
Je réalise alors que je n'ai pas pris le temps de me maquiller ce matin. J'étais tellement persuadée de devoir rentrer chez moi, que je ne me suis même pas donné la peine de mettre un coup de crayon ou de camoufler mes cernes. Quelle horreur !
Je m'attarde un peu plus que nécessaire aux toilettes et fouille mon sac à la recherche de ma trousse de maquillages. Il me faut bien quinze minutes pour rattraper tout ça et compléter mon look avec une queue de cheval haute.
Trois coups sont alors frappés à la porte des sanitaires.
– Vous pourriez vous dépêcher un peu ? lance une voix féminine exaspérée. J'aimerais bien éviter les toilettes des hommes...
Je repousse une dernière mèche rebelle derrière mon oreille et déverrouille la porte en affichant une moue un peu gênée.
– Désolée... je souffle en risquant un nouveau sourire.
La fille me toise de haut en bas avec un air clairement dédaigneux. J'ai très envie de lui demander si elle veut ma photo, mais j'ai déjà engendré suffisamment de problèmes dans cette ville et ne tiens pas spécialement à en rajouter une couche.
Sylveterre est quand même un endroit où je pourrais vivre.
– Bonne journée ! je lance avec bonne humeur en adressant un dernier regard à l'infirmière. Et bon courage !
J'ose espérer que les prochains dresseurs auront plus de chance que moi en arrivant ici. Iona changera peut-être sa philosophie, après tout ce qui s'est passé entre nous.
Limiter les challengers à deux défis maximum est une erreur qui finira à terme par condamner la Ligue Pokémon. Et même si cette championne venait à entendre raison, je ne sais pas comment je pourrais convaincre les deux prochains d'en faire autant.
J'accueille la brise matinale avec satisfaction et ferme un instant les yeux pour me vider la tête. J'ouvre alors ma carte de la région pour étudier les différents itinéraires qui s'offrent à moi.
Je n'ai malheureusement pas trente-six solutions.
– Toujours au nord... je soupire en repliant le document.
Aquamielle héberge la seconde arène de mon voyage initiatique. Il s'agit d'une petite station balnéaire réputée pour ses sources chaudes et son miel parfumé très apprécié des habitants d'Arkephyr.
Autant dire que c'est une ville de vieux. Avec tout le respect que je dois aux personnes âgées, bien évidemment.
Je réajuste mon sac sur mes épaules et me dirige donc vers le nord pour rejoindre ma prochaine destination. Mais une voix familière m'interpelle dès lors que je quitte Sylveterre.
– Tu en auras mis, du temps...
Thomas est nonchalamment adossé à une barrière de bois bordant la ville, la capuche de son sweat rabattue sur sa tête. Malgré ma colère grandissante à son égard, je ne peux m'empêcher de noter que son regard s'est attardé sur ma nouvelle tenue.
Mais il est un peu tard pour s'intéresser à moi.
– Je n'ai rien à te dire... je réplique froidement avant de continuer mon chemin. Laisse-moi tranquille.
Ce qu'il fait à moitié. Cet idiot se contente de marcher en silence à plus de dix mètres derrière moi, les mains dans les poches. Je suis partagée entre l'exaspération et l'envie de rire, mais la deuxième option serait un terrible aveu de faiblesse.
Je focalise alors mes pensées sur les événements de la veille pour nourrir mon ressentiment, puis fais volte-face pour le confronter avec le plus grand sérieux.
– Tu n'as pas l'air d'avoir bien compris... je lâche en me plantant juste sous son nez. Je n'ai pas besoin d'un ami qui s'invite quand ça l'arrange sans que je le lui demande, et qui disparaît sans un mot au moment le plus critique.
Je n'ai plus besoin de faire semblant désormais. La rancœur que je ressens au plus profond de moi est bien réelle. Et si ce crétin ne me présente pas des excuses sincères, je n'hésiterai pas une seconde à l'envoyer bouler une bonne fois pour toutes.
– Je dois bien avouer que tu as un certain charme, lorsque tu te mets en rogne... fait-il remarquer d'un ton léger. Mais tu devrais essayer de ne pas trop froncer les sourcils. Ça risquerait de creuser la petite ride, au milieu du fr...
Ma gifle part spontanément sous l'effet de colère. Thomas semblait toutefois s'y attendre et bloque mon bras d'un geste vif à seulement quelques centimètres de son visage. Je crains un instant qu'il ne cherche à se venger, mais son attention est déjà ailleurs.
– Pas un bruit... souffle-t-il en approchant son visage du mien. J'ai entendu quelque chose.
J'essaie de me défaire de son emprise, mais sa poigne est bien trop forte. Il me presse alors contre lui et m'enveloppe de son bras libre avant de pivoter sur le côté.
J'entends presque aussitôt un déclic suivi d'un petit sifflement. Thomas me libère en serrant la mâchoire, puis cherche fébrilement – mais en vain – à s'emparer de sa première Pokéball.
– J'ai été négligent... grommelle-t-il en vacillant dangereusement. Fais attention...
Mon ami s'effondre lourdement à mes pieds sans que je ne comprenne ce qui lui arrive. C'est seulement lorsque je me penche au-dessus de lui que je découvre une petite fléchette logée entre ses deux omoplates.
– Quel abruti... siffle alors une voix derrière les buissons bordant la route. Tu as réussi à la louper !
– Ferme-la... grogne une seconde voix plus grave que la première. C'est son copain qui s'est interposé au dernier moment.
Les deux inconnus se redressent tranquillement pour me faire face. La première est une femme aux cheveux violets dont la moitié du crâne et rasé. Quant à son acolyte, il a l'apparence d'une brute épaisse dont le corps tout entier est recouvert de tatouages.
Mais c'est le pistolet qu'il pointe sur moi qui m'effraie le plus.
– N'y pense même pas... déclare-t-il d'un ton bourru tandis que je cherche des yeux mes propres Pokéball.
J'obtempère sans discuter et lève les mains en signe d'apaisement. J'ai bien envie de hurler pour appeler des renforts, mais ce malade aura le temps de vider son chargeur sur moi avant que quelqu'un n'arrive.
– Nous ne te ferons aucun mal si tu suis nos ordres à la lettre... intervient la femme d'une voix plus posée en lançant un regard sévère à son compagnon.
Ces deux-là n'en sont probablement pas à leur premier coup d'essai. Seuls des professionnels se risqueraient à attaquer des dresseurs en plein jour à la sortie d'une ville. Mais pourquoi nous ?
– Que... Qu'est-ce que vous voulez ? je bredouille en essayant de réfléchir à une solution. Je n'ai presque pas d'argent...
La femme ouvre à son tour ses mains pour me montrer qu'elle n'est pas armée et s'avance d'un pas vers moi.
– Nous voulons simplement que tu nous suives... souffle-t-elle avec douceur. Je te promets qu'il ne t'arrivera rien si tu fais exactement ce que l'on te dit.
Une idée un peu folle commence à germer dans mon esprit. Une idée qui requiert à la fois mes meilleurs talents d'actrice et une bonne dose de sang-froid.
Je lance un regard apeuré en direction de son acolyte avant de me laisser tomber à genoux auprès de Thomas.
– Et mon compagnon ? je sanglote en faisant trembler mes mains. Vous...
– Il est simplement endormi... rassure la femme en trahissant toutefois une légère impatience. Il se réveillera en pleine forme d'ici une heure.
Je laisse échapper un soupir à peine perceptible. Thomas est toujours en vie, et ces deux tarés ne cherchent pas vraiment à me tuer.
Mais ce n'est pas pour autant que je suis tirée d'affaire.
– D'accord... je finis par répondre en lançant un nouveau regard apeuré en direction du gars au pistolet. Est-ce que...
Je me tourne à nouveau vers la femme avec un regard implorant.
– Est-ce que je peux au moins lui dire au revoir ? je demande en laissant fuir quelques larmes. S'il vous plaît...
Je me trouve pitoyable. Et si c'est le sentiment que je me renvoie à moi-même, alors cette femme aussi doit avoir pitié de moi.
Son humanité est sa faiblesse.
– Dépêche-toi... concède-t-elle en fuyant le regard désapprobateur de son partenaire.
Je hoche la tête avec reconnaissance et me penche au-dessus de Thomas. Je retire la fléchette logée dans son dos et attrape ses épaules pour le retourner de manière à ce que son visage soit tourné vers moi.
Je saisis alors sa main avec une infinie douceur et fais de mon mieux pour le regarder amoureusement tout en forçant un sourire triste.
– Je reviendrai vite... je souffle dans un murmure en lui caressant le visage de ma main libre. Ne t'inquiète pas pour moi, d'accord ? Tout va bien se passer.
J'approche mes lèvres des siennes et lui donne un tendre baiser. Même s'il ne s'agit que d'une mise en scène, je ne peux m'empêcher de savourer l'instant.
Au même moment, ma main lâche discrètement la sienne pour trouver le chemin de sa ceinture.
Mes doigts activent alors au hasard l'une de ses Pokéball.
– Sale petite garce ! grogne aussitôt le gars en réajustant son pistolet tranquillisant. Tu t'es bien foutue de nous !
Je me recroqueville sur moi-même et me tourne pile au moment où la détonation retentit. Je sens une légère pression au niveau du dos qui m'indique que c'est mon sac qui a reçu la fléchette à ma place.
– Qu'est-ce que tu attends ? crie alors la voix apeurée de la femme. Dépêche-toi de tirer !
– Laisse-moi le temps de recharger !
Je me retourne rapidement pour évaluer la situation et me fige d'effroi lorsque j'aperçois une immense silhouette face à mes agresseurs.
Un corps orange massif muni d'une queue enflammée. Deux puissantes pattes griffues. Une paire d'ailes menaçantes. Un long cou avec deux crêtes à l'arrière de son crâne de dragon.
Le Dracaufeu de Thomas pourrait bien être la clé de ma survie.