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Les Capsules-Mime de Cryoleaf



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» Auteur : Cryoleaf - Voir le profil
» Créé le 10/08/2022 à 22:52
» Dernière mise à jour le 10/08/2022 à 22:52

» Mots-clés :   Action   Drame   Médiéval   Sinnoh

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L'ingénieur
Le dresseur lança la sphère qu’il tenait à la main depuis le début de l’affrontement. Constitué de deux hémisphères, l’un carmin et l’autre blanc, l’objet tournoya quelques instant avant de frapper le Tortipouss en plein sur sa coquille de terre. Le petit bouton gris qui liait les deux parties du projectile s’enfonça automatiquement et de son centre naquit un rayon rouge qui fusa vers le Pokemon. Touché de plein fouet, celui-ci jappa de terreur en rapetissant subitement. Les deux hémisphères de l’orbe se séparèrent, uniquement retenus par une charnière argentée, et la créature à présent pas plus grande qu’une noisette fut aspirée à l’intérieur. La petite boule se referma d’un coup sec, expulsant quelques étincelles dorées, puis retomba sur le chemin sablonneux en émettant un son mat.
Elle remua de gauche à droite, d’abord frénétiquement puis de plus en plus faiblement, reflétant en tous sens la lumière matinale. Par deux fois les coupoles semblèrent sur le point de se disjoindre à nouveau, laissant alors entendre les gémissements désespérés du Pokemon, mais le bouton gris brilla et tint bon.

Le sol s’entrouvrit alors subitement et une fine colonne de pierre brune fusa de ses entrailles en projetant des gerbes de sables. Elle heurta la sphère en plein cœur, la brisant en mille morceaux de métal translucides teintés de rouge et de blanc. Le Tortipouss retrouva sa taille initiale en même temps que sa liberté et fuit vers les fourrés qui bordaient la route.

« Flûte ! Mais elle sort d’où cette Lame de Roc ? J’en ai jamais vu d’aussi petite. Bon aller Ignis, cours-lui après ! Je voudrai pas qu’on loupe cette occasion unique de capturer un Pokemon aussi rare ! »

L’Elecsprint s’apprêta à foncer à la poursuite de sa proie, mais un puissant souffle de feuilles vertes et tranchantes lui coupa la route. Les sens en alerte, il chercha des yeux l’origine de l’attaque. Les buissons les plus proches avaient été complètement déracinés et une trouée qui n’était pas là quelques instants plus tôt laissait apparaître un chêne massif.

« Prépare un Lance-Flamme Ignis. Quelque soit le Pokemon qui a lancé cette TempêteVerte, il s’agit probablement d’un type Plante ! »

Le chêne se mit soudain à bouger. Il s’éleva dans un nuage de poussière et deux yeux jusqu’alors enfouis dans l’humus frais du bosquet apparurent, luisants, rouges et cerclés de noir. L’Elecsprint eut un mouvement de recul devant cette menace encore indéterminée. Lorsque les longs rochers pointus qu’il avait de prime abord identifié comme un vulgaire éboulis de la falaise avoisinante se dressèrent en même temps que l’arbre, révélant en dessous quatre pattes massives d’un brun terreux, il comprit que ces éléments à priori naturels étaient en fait les composants d’une seule et même créature.

L’humain sursauta en comprenant ce qui se trouvait devant lui :

« Un Torterra bon sang ! Un énorme et majestueux Torterra ! J’étais venu chercher un Laporeille et voilà que je me retrouve face à un Torterra ! »

Le vieux Pokemon souleva l’une de ses lourdes pattes avant, puis l’abattit contre le sol avec fracas. La secousse renversa un peu de la terre sablonneuse qu’il portait sur le plateau minéral qui lui faisait office de carapace et quelques baies tombèrent des arbustes qui bordaient le chêne. Les branches de ce dernier s’écartèrent, laissant apparaître les têtes juvéniles de trois Tortipouss.

L’Elecsprint, quant à lui, bondit en arrière pour ne pas être touché par l’onde de choc. Il regarda l’humain avec appréhension. Celui-ci perdit son sourire en percevant l’angoisse de son ami. Il jeta un œil à sa ceinture, où pendaient un œuf de Pokemon ainsi que trois de ces sphères rouge et blanche.

« Tu as raison Ignis. Les autres sont KO, c’est trop risqué de te faire affronter un Pokemon Sol aussi puissant. »

L’Elecsprint sourit pauvrement, compatissant à la déception de son dresseur.

« Tant pis pour ma Pokeball toute neuve, on en rachètera d’autres. Allez, partons vite avant qu’il s’énerve pour de bon ! »

L’humain attrapa l’une des « Pokeballs » à sa ceinture, la tendit vers son partenaire et appuya sur le bouton. La sphère s’ouvrit, expulsa son rayon cramoisi vers l’Elecsprint qui adressa un clin d’oeil bienveillant à la famille de tortues avant de se miniaturiser et d’être aspiré dans sa capsule.
Le jeune homme recula doucement en esquissant un timide geste d’adieu au Torterra, puis prit ses jambes à son cou en direction de la ville humaine la plus proche.

Le Torterra resta un moment là, les yeux dans le vague, à contempler sans les voir les débris translucides de la Pokeball, avant de céder à l’insistance de sa descendance et de faire demi-tour pour s’aventurer dans les profondeurs de la forêt.

* * *

« Waouw Papy ! C’était génial le coup du caillou qui explose la boule !
– Oui et la tornade de feuilles ! Le chienchien à sa mémère a failli se faire découper en rondelles !
– Oh ouais il était à deux pattes de chialer, c’était trop marrant ! »

La fratrie de Tortipouss sautillait en tout sens sur le dos de leur grand-père, tandis que celui-ci marchait paisiblement en direction de la clairière où ils avaient établi leur terrier.

« En tout cas merci Papy. Sans toi j’étais cuite ! C’était tellement effrayant à l’intérieur de la boule…
– Eh mais c’est vrai ça, comment t’as su ce qu’il fallait faire pour libérer Brindille ?
– Eh ! Arrêter de m’appeler Brindille ! »

Le Torterra arrêta sa marche. Ils étaient arrivés à destination. Ses petits-enfants cessèrent de se chamailler en remarquant son mutisme et descendirent de son dos. Il attendit qu’ils s’alignent devant lui pour prendre la parole :

« L’humain a appelé ça une « Pokeball ». Mais c’est sous un autre nom que je connais cette technologie humaine.
– Sérieux ? Toi Papy, tu connais des trucs d’humains alors que tu sors jamais de la forêt ?
– J’ai beaucoup voyagé durant ma jeunesse. Et j’ai été au cœur des événements qui ont conduit à la création de la première « Pokeball ». Je savais donc où se trouve leur point de rupture.
– Waah trop classe ! C’était avant notre naissance ?
– Oh oui bien avant. Je vous parle d’un temps où je n’avais même pas encore rencontré celle qui deviendrait votre grand-mère. À cette époque, je vivais avec un humain et je veillais sur lui. Il m’appelait son Partenaire.
– Oh trop bien, une histoire de Papy Horthym !
– Chut, coupe-le pas !
– Cette histoire prend place pas si loin d’ici. Les sociétés humaines étaient bien différentes à l’époque, et surtout bien moins étendues.

* * * * *

« Bontemps et bienvenue à cette réunion mensuelle du Conseil de Célestia. Mesdames et Messieurs asseyez-vous, ne perdons pas de temps. Vous noterez l’absence de Faber, qui n’a pas pu nous donner de son temps. Les Armuriers seront donc représentés par son petit-fils Atar, le seul autre membre de ce Corps.
– Faber est encore absent ? commenta une femme à la ceinture garnie d’outils. Ça fait des semaines qu’il sort plus de son atelier, il commence à me manquer ce vieux brigand !
– Il nous manque à tous, Hépha. Sur ce, Lyn, commençons sans plus tarder par le volet Médecine. »

Une jeune femme élancée aux longs cheveux châtains se leva. Elle portait le vaste manteau brun inhérent à sa profession, s’étendant jusque sous ses genoux et bardé de poches remplies d’herbes et de feuilles séchées. Son cou et ses poignets étaient graciles mais vigoureux et disparaissaient sous une myriade de pierres colorées, de flacons et de sachets de toile minuscules.

Seuls les humains étaient conviés à ces réunions, mais Horthym suivait de son mieux depuis l’extérieur en regardant par la fenêtre. Même d’ici et malgré le piètre odorat de son espèce, il pouvait profiter des riches senteurs qu’exhalait l’herboriste. D’aucuns la critiquaient pour ces odeurs, mais lui l’appréciait justement pour cela. Il en reconnaissait d’ailleurs certaines car elles provenaient de plantes que la soigneuse prélevait directement sur les arbustes de sa carapace.

Les cinq autres membres du Conseil, assis à même le sol sur un large tapis en lamelles de bois, levèrent la tête pour l’écouter lorsqu’elle commença à parler :

« Merci chef Elon. Je serai brève. Notre situation est satisfaisante. Bien que les conflits qui nous opposent aux Perlés continuent d’abreuver notre infirmerie d’un flux constant de blessés, nous parvenons à les soigner au fur et à mesure. Aucune mort n’est à déplorer depuis sept lunes. »

Horthym tiqua en entendant cette dernière assertion. Aucune mort humaine n’était à déplorer, mais qu’en était-il de Plume l’Étourvol, tombée au combat, et Cendra la Ponyta, qui succomba aux blessures infligées par le partenaire d’un de ces chefs Perlés, cette troublante Étoile aquatique ? Leurs Partenaires humains ne s’étaient toujours pas remis de leur décès.

« Pour ce qui est des naissances, leur fréquence est toujours aussi alarmante. Durant la dernière lune nous en avons comptabilisé trois, mais deux bébés n’ont pas survécu à leur première semaine. Il devient impératif que les jeunes du village encore célibataires se marient pour engendrer une nouvelle génération rapidement. »

À ces mots, les membres les plus âgés du Conseil émirent quelques ricanements en la regardant. Lyn rougit en les entendant et réajusta ses bracelets pour se donner une contenance. Pour ce qu’en savait Horthym, les humains de ce côté-ci du Mont Couronné avait coutume de s’unir aux alentours de leurs seize printemps, quelques années après leur floraison. Or, malgré ses vingt ans, l’herboriste en chef du village n’avait quant à elle jamais été au-delà des fiançailles et n’avait à priori aucun homme en vue actuellement.
Cela faisait circuler les rumeurs les plus déplaisantes à son égard, mais elle savait les affronter la tête haute. Cela n’augmentait que plus encore le respect qu’Horthym éprouvait pour elle. Bien qu’elle ne fût pas sa Partenaire, cette jeune humaine sentait bon, était bienveillante et voyait plus loin que le bout de son nez. Il n’en fallait pas plus pour qu’il éprouve beaucoup d’affection pour elle.

Le Torterra en profita pour guetter la réaction de son propre Partenaire, qui prenait part au Conseil. À son grand soulagement, lui n’était pas amusé du tout et n’esquissa pas même un sourire. Son visage sembla même s’assombrir encore plus, si cela était possible. Il leva la main et prit la parole, préservant ainsi la dignité de la femme-médecine :

« Vous avez parlé de la gestion des blessures que nous infligent les Perlés, mais où en sont vos recherches sur les maladies incurables ?
– J’ai bien peur qu’elles n’aient guerre avancé, s’empressa-t-elle de répondre en le regardant droit dans les yeux, reconnaissante. Nous aimerions notamment en apprendre plus sur la Malédiction d’Arceus. Cependant, les porteurs de cette tare sont rares et il est compliqué de l’étudier. Atar, tu es d’ailleurs bien placé pour savoir que le dernier d’entre eux est mort il y a plusieurs…
– Ça suffira Lyn, la coupa un homme en tunique blanche en adressant à Atar un regard noir. Nous nous écartons du sujet. Atar, tu nous rendras à tous un grand service en nous épargnant tes questions chronophages et inutiles. En outre, permettez-moi de vous rappelez que la Malédiction d’Arceus n’est pas une maladie mais un châtiment divin. Si un Adamantin est frappé par ce mal, notre devoir est de le dénoncer pour que nous puissions l’expulser au plus vite avant qu’il ne prêche ses idées impies. Tenter de le « soigner » ne serait que pure batifolage et hérésie.
– Père Adhémar, encore une fois, est une véritable source de sagesse, intervint Elon. Merci à vous pour ce rappel essentiel.
– Veuillez m’excuser, articula Atar à contrecœur en soutenant le regard d’Adhémar.
– Je ne m’éterniserai pas plus longtemps, s’empressa de poursuivre Lyn, désireuse de rendre la pareille à son comparse. Pour finir sur une note plus agréable, sachez que la récolte d’ingrédients médicinales est également satisfaisante. Nos réserves sont toujours assez fournies pour pallier au rythme des saisons et aux aléas des intempéries. C’est principalement dû à nos Partenaires de type Végétal qui sont capables de nous fournir en plantes tant qu’ils sont en bonne santé. Enfin, la formation des deux jeunes soigneurs suit son cours. La relève est assurée.
– Merci Lyn pour ce compte-rendu détaillé et ces bonnes nouvelles, conclut le vieil Elon. Nous ne te retarderons pas plus longtemps, tu peux prendre congé. Que ton temps soit efficient.
– Que le vôtre le soit également. »

La jeune femme quitta la hutte sans tarder, non sans un dernier sourire à l’attention d’Atarax. Mais celui-ci se livrait à une bataille de regard avec Adhémar. Horthym détestait cette homme. Il passait son temps à expliquer aux humains de Célestia ce qu’ils devaient faire ou ne pas faire, ainsi que comment et à quelle vitesse le faire. Le pire, c’est que la plupart lui obéissait sans discuter. Même les plus réfractaires finissaient toujours par céder lorsque l’homme en blanc prononçait sa phrase fétiche : « Telle est la volonté du Grand Arceus ». Étonnamment, si quelqu’un d’autre avait le même comportement, cela ne suscitait que rire ou mépris. L’information finissait de toute manière invariablement aux oreilles d’Adhémar, qui veillait à châtier l’imitateur.

Mais si Horthym haïssait tant cet individu, c’est surtout parce qu’il passait son temps à les critiquer, lui et son Partenaire. « Atar, cela fait six jours que je t’ai commandé ce Sceptre de Lumière ; quand daigneras-tu servir le Culte avec la déférence qu’il mérite ? », « Atar, ton Partenaire est bien trop lent, pourquoi l’as-tu choisi ? », « Avance, sale bête, tu gaspilles mon précieux temps ! » n’étaient que quelques-unes des charmantes tirades dont il parsemait leurs journées.

La tortue dût donc mobiliser tout son sang-froid pour rester impassible lorsque l’exécrable individu apostropha son ami :
« Atar, depuis quelques lunes ton comportement est inacceptable. Que dirait ton grand-père, le grand Faber, s’il apprenait que son petit-fils prend un malin plaisir à interrompre les rapports des membres du Conseil en remettant en cause leur efficacité?
– Comment ? s’étouffa Atarax. Mais ma question ne remettait pas en cause les compétences des Herboristes, je voulais seulement…
– Elle n’avait pas lieu d’être et nous a fait perdre notre temps.
– Écoute Atar, l’interrompit Elon d’un sourire qui se voulait compatissant. Ta grand-mère, paix à son âme, ne peut plus être sauvée aujourd’hui. De plus, c’est probablement difficile à entendre, mais les maudits méritent leur sort. Tourne-toi vers l’avenir, c’est la meilleure chose à faire. Père Adhémar, ce Conseil est le premier auquel participe Atar, et il est encore jeune. Loin de moi l’idée de vouloir vous apprendre votre métier, mais Arceus ne nous enseigne-t-il pas la tolérance ?
– Tant qu’elle n’est pas un prétexte pour paresser. Veillez néanmoins me pardonner pour ce contretemps, s’excusa-t-il en s’adressant à l’ensemble de l’assistance. Mon rôle est de remettre dans le droit chemin les Wattouats égarés avant qu’ils ne soient définitivement perdus.
– Ça ne se reproduira plus, grinça Atarax. Merci de m’avoir remis dans « le droit chemin », Père Adhémar.

Horthym pouffa. Son ami n’avait fait que dire ce qu’il fallait pour plaire au religieux, mais il ne pouvait s’empêcher de trouver ça comique.

– Bien, continua Elon. Volet suivant : l’Armurerie. Atar, tu as la parole.
– Notre activité concerne exclusivement l’effort de guerre, puisque nous fabriquons des armes serties de Gemmimes aux Adamantins en âge de se battre. Nos créations sont toujours aussi efficaces, mais mon grand-père et moi ne sommes que deux et le nombre de nouvelles commandes ne cesse d’augmenter. Il devient compliqué pour nous de satisfaire tout le monde, surtout lorsque certaines personnes demandent une autre arme Gemmine alors qu’ils en possèdent déjà une ou qu’ils ne sont plus en âge de se battre. »

Les quatre personnes qui lui faisaient face haussèrent un sourcil. Elles comptaient parmi les personnalités les plus influentes de Célestia, et chacune d’elle était concernée par l’un ou l’autre des critères cités, si ce n’était les deux. Faber s’en était suffisamment plaint lorsqu’il regardait la liste des commandes.
Horthym s’inquiéta. Son Partenaire était bien imprudent d’exposer aussi crûment leurs torts à des gens aussi fiers et puissants. Il avait beau être l’élève et successeur du prestigieux Faber, ce n’était que sa première réunion du Conseil.

Réalisant sa bévue, Atarax s’empressa de poursuivre, gêné :

« De plus, contrairement aux Herboristes, certains de nos stocks diminuent sans que nous ne parvenions à les réajuster. Tout va pour le mieux pour tout ce qui est cuir, métal ou bois ; mais les Gemmes-Mime se font de plus en plus rares.
– Les Gemmes-Mime ? interrogea Hépha, la cheffe des Bâtisseurs, incrédule. Qu’est-ce que c’est que cette ressource ?
– Vous… Vous ne savez pas ce que sont les Gemmes-Mimes ? Mais il s’agit du matériau principal de la technologie Gemmime ! »

Atarax chercha du soutien dans l’assemblée. Certains attendaient la suite, d’autres semblaient passablement ennuyés – notamment Adhémar qui souffla, exaspéré par ces contretemps – mais personne n’eut l’air de savoir ce qu’était une Gemme-Mime.

– Mon grand-père ne vous a jamais expliqué le processus de fabrication de…
– Pourrais-tu abréger s’il te plaît ? le coupa Adhémar. Le grand forgeron Faber n’a jamais eu besoin de nous bassiner avec les détails. Vos armes sont magiques et nous permettent d’utiliser par nous-mêmes les attaques de nos Partenaires. Elles nous permettent de triompher de ces païens de Perlés et leur interprétation déformée du Culte, et grâce à elles, un seul de nos guerriers vaut dix des leurs. Voilà tout ce que nous avons besoin de savoir. »

Horthym fut assez étonné de cette explication. Il n’aurait pas été capable de faire mieux, mais pour lui tous les humains de Célestia connaissaient le fonctionnement de cette technologie révolutionnaire dont ils étaient si fiers. Leur ignorance ne les empêchait pas de se vanter auprès des étrangers en tout cas.

– Bref, reprit un peu sèchement Atarax, vexé de s’être ainsi fait rabrouer. Nous n’avons pas assez de Gemmes-Mime et de temps pour honorer toutes les commandes. Étant donné que les combats contre les Perlés ne cesseront pas de sitôt, Faber et moi hiérarchiserons la pertinence des commandes.
– Très bien, faites cela ! se hâta de conclure Elon. Je vois que le versant sud du Mont Couronné est déjà entièrement illuminé, hâtons-nous Messieurs-Dames. Merci pour ta venue Atar, transmets le bontemps à Faber de notre part à tous !
– Avant de partir, glissa Adhémar, j’aurai une commande personnelle à te transmettre Atar. J’ai bien saisi vos contraintes de temps, mais Faber ne saurait utilisez son temps plus utilement qu’en aidant le Culte. Une arme Gemmime pour le Haut-prêtre du Culte Adamantin, c’est une commande qu’il placera en haut de cette fameuse liste que vous compter établir, à n’en point douter.
– À n’en point douter, crissa le jeune forgeron. Que vous faut-il ? »

* * *

« Leur faire perdre leur temps, hein ? Ses discours à lui ont duré bien plus longtemps que ma pauvre question et mes explications. Et c’est pas comme s’il n’avait fait que répéter les mêmes choses avec lesquelles il nous bassine tous les jours. »

Horthym et son ami traversaient Célestia en direction de la forge de Faber. Le soleil venait d’atteindre son zénith et commençait à redescendre de l’autre côté du Mont Couronné. Célestia, perchée sur l’un des haut-plateaux du versant est de la montagne, était déjà complètement à l’ombre. Les cascades avoisinantes approvisionnaient le village en eau, les plateaux en contrebas étaient utilisés pour la culture de céréales, de fruits et de légumes ; et quelques Célestiens audacieux avaient réussi il y a de cela quelques années à faire pousser des champignons comestibles en quantité industrielle dans les grottes à l’ouest du village. Celui-ci était donc complètement auto-suffisant, ce qui expliquait probablement sa richesse malgré le faible nombre d’habitants. Même Horthym le savait : les marchands qui entraient dans Célestia la bourse pleine en ressortaient les poches vides, mais la carriole remplie de mets rares et de marchandises de valeur.

Les deux amis progressaient doucement, Atarax s’adaptant au rythme de son partenaire. L’humain grommelait à voix basse, ce n’était pas la peine d’entacher encore plus sa réputation aux yeux des Célestiens.
De toute façon, personne n’aurait perdu du temps à les écouter. Autour d’eux, les villageois vaquaient à leurs occupations. Là un jeune herboriste cueillait des fleurs en récitant les ingrédients nécessaires à l’un de ses remèdes, ici une chasseuse vendait de la volaille de Hoothoot en taillant des flèches. Sur le terrain d’entraînement, une douzaine de combattants s’exerçaient avec entrain à la lance en échangeant tantôt des encouragements, tantôt des quolibets. L’une d’eux possédait une lance Gemmime et lançait des Cru-Aile sur son Partenaire, un svelte Chaglam qui les esquivait avec d’élégantes Vives-Attaque.
Fidèle aux enseignements du Culte, tout le monde se déplaçait rapidement, utilisant la moindre seconde de sa journée dans un but bien précis. Les quelques personnes qui marchaient dans la même direction qu’Horthym et Atarax finissaient toujours par les dépasser en les contournant, leur jetant au passage un regard réprobateur. Il était mal vu de se déplacer lentement chez les Adamantins. En cheminant, Horthym se rappela son enfance dans la grande forêt à l’ouest du Mont Couronné. Là-bas, la vie était bien plus paisible. Il ne se rappelait pas que les humains étaient aussi pressés. D’ailleurs ils bougeaient sans cesse et ne construisaient pas de « village ».

« Et son Épée de Lance-Flamme là ! Comment je vais créer ça moi ? On ne peut pas lier une attaque à distance à une arme de corps-à-corps, c’est une des règles fondamentales de la technologie Gemmime ! Et quand bien même, où est-ce que je pourrai trouver une Créature qui connaît cette attaque moi ? Il faudra bien la copier dans une Gemme-Mime à un moment ou à un autre. Mais non, ils n’ont pas le temps pour écouter mes explications. Comment il faisait leur grand Faber pour leur faire comprendre ?
– Torterra (Atarax, rappelle-toi du Fer de Pluie.) »

Horthym pointa le ciel nuageux de son museau, avant de tendre une branche vers l’épée d’une humaine qui les dépassait en pestant et une autre vers un puits.

« Le Fer de Pluie… Oui tu as raison, Papy avait bien réussi à lier une Danse Pluie à une épée. Son chef d’œuvre, ses confrères de Verchamps l’en croyaient incapable, blablabla. Mais c’est une attaque de statut, c’est encore différent. J’y réfléchirai… Je trouverai bien un moyen, même si ça doit encore me supprimer quelques heures de sommeil supplémentaires. »

Horthym s’arrêta pour regarder son ami. Même pas vingt ans et ses yeux marrons étaient déjà cernés de larges cernes violacées. Ses cheveux bruns en bataille peinaient à cacher un front ridé par le stress, lui donnant un aspect fatigué et contrarié. Seule sa barbe, encore clairsemée et duveteuse, rappelait son jeune âge.
Horthym frotta sa tête contre la main d’Atarax. Cela fit naître un maigre sourire sur son visage, le premier de la journée. Il soupira :

« T’inquiète pas Horthym, on va y arriver. Les commandes se multiplient, mais ils demandent tous des armes. Tant qu’ils ne demandent pas de pièces d’armure, je peux tout faire rapidement. »

Horthym ne pouvait s’empêcher de penser que son Partenaire cherchait à se convaincre lui-même…

« Et pour cette histoire d’épée Lance-Flammes, si j’étais seul je te cache pas que ça serait compliqué, mais Milen m’aidera à trouver un moyen de forger cette lame. Elle est très créative. Si on y arrive, Adhémar nous laissera peut-être enfin tranquille. Pendant un temps du moins.
– Bon Atar tu bouges ta tortue ? »

Un homme en armure de cuir, accompagné d’un Mustéboué, nous toisait de toute sa stature. Une épaisse bande de cuir ceignait sa taille, à laquelle était fixée une lourde masse en Fer de Steelix, ornée en plusieurs endroits de gemmes mauves à la lueur dorée. Horthym la reconnut immédiatement : le Marteau-Foudre, la première arme que créa seul Atarax pour un client. Son porteur peut choisir le nombre de gemmes qu’il active pour ajuster la puissance de sa frappe. Atarax était monté sur l’un des plus hauts plateaux du Mont Couronné pour que Milen puisse copier dans les Gemmes-Mime le Poing-éclair des Elektek qui vivaient là.

« Bontemps Hector. Oui, excuse-nous, dit Atarax en s’asseyant sur le dos d’Horthym pour dégager la rue.
– Pas trop tôt. Faudra que tu m’expliques pourquoi tu t’obstines à garder un Partenaire aussi lent. Heureusement que ta Milen rattrape le tir !
– Il est affectueux…
– Tss, à quoi ça sert ?
– … et il est utile aux herboristes.
– Ah les herboristes ! Tu veux dire Lyn surtout ! Mais elle est déjà raide dingue de toi mon gars, pas la peine de feindre l’amitié avec un jardin botanique !
– Si c’est tout ce que tu as à me dire, je ne vais pas gaspiller ton temps plus longtemps.
– Attends. Ton Marteau-Foudre est sympa, mais il est très lourd. Il est pas adapté aux combats à flanc de falaise. À cause de lui j’ai basculé en arrière l’autre fois, j’ai bien failli tomber dans ce précipice, près de la Cascade Brumeuse. En plus il attire les attaques électriques des tarés de l’ouest. Il me faudrait une autre arme, un truc plus léger. Comme ça je pourrai m’adapter plus facilement selon le terrain, tu vois.
– Désolé, ça va pas être pour tout de suite. Adh… Père Adhémar vient de me commander une arme. Ça va me demander du temps, surtout qu’il faut que je dégotte une Créature qui connaît Lance-Flammes et j’ai aucune idée d’où…
– T’es sérieux ? Faber refusait jamais une commande lui, il était tellement efficace qu’il pouvait tout faire en même temps. Un vrai modèle !
– Certes, mais le nombre de comma…
– Ouais, pas la peine de me raconter ta vie. Je veux pas d’ennui avec Arceus moi, mais t’as pas intérêt à lambiner pour me faire mon arme juste après, espèce de Perlé ! »

Sur ce, il partit au pas de course, son Mustéboué sur ses talons. Mutique, tout en muscle, celui-ci ne semblait remarquer les Créatures et les humains autour de lui que lorsqu’il les combattait.

« Et quelle arme tu veux ? Quelle attaque j’insère dedans ? Quelle taille, quelle poids, quelle matériau, combien de gemmes ? Pfff… Les commandes comme ça je les mets en bas de la liste moi. »

Les deux camarades reprirent leur marche. Horthym repensa aux paroles d’Hector. Lyn aurait envie de s’unir avec Atarax ? Ou tout du moins de s’accoupler. C’est vrai qu’elle semblait toujours plus enjouée en sa présence. Et puis il y avait cet anneau doré stylisé qu’elle portait au doigt. Atarax avait le même chez lui, bien qu’il ne le portât jamais. Il faudrait qu’il interroge Milen.
Il n’était entré dans la vie d’Atarax que depuis trois printemps, et le jeune homme n’était pas vraiment du genre à parler de son passé. Il ne savait pas grand-chose de l’enfance et l’adolescence de son ami. Après tout, la société adamantine était plutôt du genre tournée vers l’avenir.

« En tout cas mon vieux Horthym, on peut dire que je suis un sacré babilleur. À aucun moment ils ne se sont doutés que Papy avait arrêté de forger. Je ne sais pas combien de temps ça va durer, d’autant qu’ils ont envie de le revoir. »

Horthym sourit. Atarax était sûrement l’humain le moins babilleur qu’il connaissait. Le duo grimpait maintenant une pente escarpée. L’agitation urbaine des Célestiens et de leurs Partenaires avait laissé place à la verdure foisonnante du printemps et au chant des Melokrik. Le chemin qu’ils empruntaient était si peu fréquenté que de l’herbe poussait dessus en plusieurs endroits.

« Si seulement Milen pouvait me rapporter un gros tas de Gemmes-Mime, ça me ferait un problème de moins. Oh non, pas lui…»

Horthym releva la tête et suivit son regard, ce qui n’était guerre aisé avec sa lourde carapace qui lui maintenait le museau si près du sol.
Un adolescent en bure écrue s’escrimait contre la porte de la forge, sans succès. Le frère d’Atarax.

« Bontemps Seren.
– Atar. Je viens voir Grand-Père, ouvre-moi sans tarder.
– J’espère que tu vas bien, c’est vrai que ça fait un moment que tu n’es pas venu.
– Ce n’est pas toi que je viens voir. Ma dernière visite remonte à trois semaines et Grand-Père n’avait fait que dormir. Je veux le voir cette fois.
– Je peux lui faire parvenir ton message.
– Laisse-moi entrer.
– Papy est en train de forger. On a la tête complètement sous l’eau en ce moment, tout le monde veut son arme Gemmime. Même des Adamantins des autres villages de l’Est font le voyage juste pour passer commande. J’ai même dû prendre sa place au Conseil de ce matin. Il ne recevra personne tant que cette période de travail intensif ne sera pas terminée.
– C’est mon grand-père Atar ! Il peut bien m’accorder quelques minutes ! Je le fais bien moi…

Seren était connu pour être un des membres du Culte d’Arceus les plus zélés de Célestia. Encore novice, il était pressenti pour devenir le plus jeune prêtre de l’histoire du Culte adamantin. Son intronisation au Temple de Bonville aurait d’ailleurs lieu dans moins de trois mois.
Horthym ne l’aimait pas beaucoup, à l’image de bon nombre d’humains. Seren plaçait la foi plus haut que tout et respectait à la lettre les préceptes du Culte. Cela l’amenait à régulièrement sermonner les Célestiens qu’il jugeait trop peu investis dans leur foi, sans pour autant prendre le temps de les guider sur le « droit chemin ». En plus de ça, il sacralisait Adhémar comme personne et exécutait dans la seconde chacune de ses instructions.
Malgré tout cela, il n’en restait pas moins un jeune humain de quinze printemps et ses réactions juvéniles reflétaient bien souvent son manque de maturité.

– Seren, tu le connais. Papy est peut-être l’homme le plus pieu de tout le versant Est d’Hisui, après Adhémar et toi bien sûr.
– Le « Père » Adhémar !
– Papy est d’une efficacité redoutable, il abat une somme de travail incroyable pour un homme de son âge. Il ne veut pas être dérangé, pas même par son petit-fils. Je te rappelle que nos armes permettent à nos fiers guerriers adamantins de repousser les invasions de ces terribles païens de Perlés.
– Je sais tout ça, et je ne l’en admire que plus encore, mais il est la seule famille qui me reste. Il commence à me manquer…
– Il me semble que tu as aussi un frère, juste en face de toi d’ailleurs.
– Je sais pas comment on appelle un gars qui laisse son petit frère se faire cramer la jambe, cracha Seren avec hargne, mais certainement pas un frère !
– Bon écoute, le Père Adhémar lui-même vient de me passer commande lui aussi. Je vais devoir annoncer ça à Papy. Ça lui fera plaisir de mettre son art au service du Culte, mais ça rajoute encore une couche de travail.
– Et alors ? Le Père Adhémar a raison, tu prends vraiment beaucoup de temps pour dire bien peu de choses, Atar !
– Je vais être bref alors : Papy va se plaindre de ne pas avoir un autre forgeron sous la main, et te voir ne fera que lui rappeler tes échecs répétés à l’exercice de la forge.
– Toi… Tu… Comment tu veux que je sois efficace avec une jambe en moins ?
– Même avant l’accident tu restais un incapable.
– Ah toi tu peux parler ! T’es le plus mou de tous les Adamantins du coin ! Ta tortue est la Créature la plus lente que je connaisse, tu gambades gaiement dans les rues de Célestia au lieu de chercher à améliorer tes compétences et t’as même pas été fichu de te marier avec une Adamantine aussi exemplaire que Lyn ! En plus de ça tu entraînes deux Créatures en même temps à même pas vingt ans ! Dois-je te rappeler les enseignements d’Arceus ? Ce n’est qu’après avoir atteint l’osmose avec ton Partenaire que tu seras autorisé à en prendre un second.
– J’ai jamais compris le sens de ce précepte-ci.
– Mais c’est pourtant évident ! Comment veux-tu être efficace si tu fais trop de tâches simultanément ? Il faut rechercher l’efficacité oui, mais là on parle de l’osmose entre deux êtres, pas de cueillir des fleurs en réciter une stupide formule d’herboriste !
– Qui te dit que je n’avais pas atteint l’osmose avec Milen avant d’accueillir Horthym dans ma vie ?
– Ben tiens ! Tes chevilles ne t’empêchent pas de passer la porte de la forge, ça va ? Le temps est la plus précieuse des ressources dont Arceus nous ait fait don, et toi tu la gaspilles comme si ta vie était éternelle !
– Qui est-ce qui gaspille mon temps en me rappelant ce que je sais déjà au lieu de me laisser aller m’améliorer ? Je pourrais soulager le Grand Faber d’une ou deux commandes afin de le laisser se consacrer corps et âme à celle du divin Père Adhémar au lieu de t’écouter, non ?
– Je te hais Atar ! Quelle honte pour moi d’entrer dans les ordres avec un frère comme toi ! Papa et Maman seraient scandalisés par ton comportement impie, eux qui étaient si fiers d’appartenir au Clan des Adamantins ! »

Sur ces mots, il lâcha la poignée de la porte sur laquelle sa main était crispée depuis maintenant plusieurs minutes pour attraper sa canne, puis fit volte-vace en claudiquant furieusement. S’il marchait péniblement lorsqu’Horthym l’avait rencontré pour la première fois, trois printemps plus tôt, la force de l’habitude et sa fureur le faisaient à présent avancer à une vitesse presque normale.

Il se retourna subitement pour lâcher une dernière joyeuseté :

« Si tu persistes sur cette voie, tu finiras maudit d’Arceus, comme Grand-Mère ! Quant à toi la tortue, tu n’es qu’un suppôt des Perlés ! Quitte notre famille si tu tiens vraiment à Atar ! »

Ni Horthym ni Atarax ne bronchèrent. Les rencontres avec Seren se terminaient toutes plus ou moins de la même manière. Cette fois néanmoins, les deux parias avaient risqué gros. Le petit frère frustré avait failli découvrir le pot au Roserade.
Heureusement, il n’avait pas remarqué que la forge n’avait émis aucun bruit durant leur conversation.

« Ah… Pauvre petit Seren, soupira Atar en tirant une clé de sa poche. Il n’arrive pas à m’oublier, quoiqu’il en dise. »

Horthym vit ses yeux mouillés briller à la lumière du soleil. Les humains faisaient ça parfois, de l’eau salée coulait de leurs yeux lorsqu’ils étaient tristes.

« Bon, assez bavassé, se reprit Atarax en déverrouillant la porte de la forge. Voyons quelle adorable petite facétie Papy nous a concoctée cette fois-ci… »