Une rencontre décisive
Conditions météo normales, une légère brise qui ne devrait pas s’intensifier, mise en place des planches en bois effectuée, localisation proche de la rivière par mesure de sécurité. J’ai l’outil dans la main, une fois que j’appuierai sur le bouton, il devrait mettre 5 secondes à s’activer. Le chronomètre est prêt, j’ai également pris l’outil de mesure pour vérifier la zone d’effet une fois fini.
Tout est en place, début du test de la version 1.128.
— Flavia, tu peux y aller.
— Okay ! Saly attaque Flammèche sur les planches de bois !
Le Salamèche s’exécute et les planches se mettent à brûler. Je ne sais pas si ça suffit pour reproduire des conditions réelles, mais avec nos ressources actuelles, on ne peut pas faire mieux. J’attends que toutes les planches prennent feu. Mon traumatisme est derrière moi depuis longtemps, mais j’avoue que ça me fait toujours un effet de voir des flammes de si près.
Je fais signe à Flavia de reculer.
— Toutes les conditions sont réunies, test 128 de la Mouss’bomb.
J’appuie sur le bouton et lance l’objet au milieu des planches, je m’éloigne et 5 secondes plus tard la mousse commence à se répandre. Contrairement aux précédentes fois, la mousse ne s’est pas étendue d’un coup sur toute la zone d’action, ce qui permet d’éviter que les planches et braises ne soient éjectées à cause de la pression exercée. La mousse grossit sur un diamètre de 1,5 mètre conformément aux calculs. La zone étant plus grande que celle du feu, celui-ci s’éteint complétement. C’est parfait.
La dernière amélioration est un succès, la Mouss’bomb est prête à l’emploi.
Je me tourne vers Flavia et lui fait un ok de la main, un sourire se dessine sur son visage, on se débarrasse des débris et on rentre à l’atelier.
— Alors André ? Tu vas aller présenter la Mouss’bomb à la professeure ?
— Oui, dès qu’elle revient de son voyage demain. Elle est partie à Azuria, apparemment, elle y travaille sur un projet avec le professeur Léo. Elle a dit qu’elle regarderait mon invention, mais je sens que ça va finir comme toutes les autres que j’ai créées auparavant.
— Oh ! Ne sois pas défaitiste comme ça, tu n’en sais rien ! Peut-être que cette fois, elle reconnaîtra ton talent et ton génie !
Flavia arbore toujours un grand sourire, ça contraste avec ma nature assez pessimiste, mais je dois avouer que ça fait du bien d’avoir un aussi grand soutien.
Cependant, ça ne change pas les faits qu’il y a peu de chance que ma création soit reconnue. La professeure a refusé toutes les autres et, à chaque fois, pour les mêmes raisons. Mais je n’abandonnerai pas. Même si je suis seul, je suis sûr que petit à petit, je peux faire bouger les choses…
La journée d’après, je me rends au laboratoire. Flavia n’est pas avec moi, mais elle m’attend avec son Salamèche au bord de la rivière et prépare les planches pour le test. Avant de partir en voyage pendant deux semaines, la professeure Julie m’avait promis que je pourrais lui présenter ma Mouss’bomb à son retour.
Le laboratoire n’est pas très grand, mais il est neuf et c’est une aubaine d’en avoir un ici à Jadielle. La ville est en plein développement, grâce à la présence de l’arène mais aussi au fait que beaucoup de dresseurs passent par ici pour emprunter la Route Victoire. En rentrant dans le laboratoire, je salue les assistants de la professeure, ils me connaissent tous maintenant à cause de mes passages fréquents. On m’avait même proposé un poste, mais je l’avais refusé puisque ça m’aurait obligé à travailler sur des projets imposés sans me laisser de temps pour les miens.
En me dirigeant vers le bureau de la professeure, je remarque qu’ils ont quasiment fini la machine à potions qui devrait permettre de créer de meilleures potions que celles actuellement sur le marché grâce aux propriétés curatives des baies. La machine est bien conçue, je me demande quel nom ils lui ont donné. Je l’aurais probablement nommée Poti’baies ou quelque chose de ce genre.
Enfin arrivé dans le bureau, je remarque que madame Julie n’est pas seule, un homme qui a l’air d’avoir la trentaine est avec elle. Il porte également une blouse blanche, ça doit être une connaissance de la professeure.
— Bonjour André, je t’attendais. Je te présente le professeur Cédric, j’ai eu l’occasion de travailler avec lui pendant mon voyage. Il est venu m’assister dans mon travail quelque temps.
Le professeur Cédric se dirige vers moi et il me serre la main. On se salue respectivement.
— Bonjour, c’est un honneur de te rencontrer, comme l’a dit Julie, je suis Cédric, scientifique-chercheur en nouvelles technologies. Tu t’appelles André, c'est bien ça ?
— Andréas pour être plus précis, mais tout le monde m’appelle André.
La professeure Julie nous interrompt.
— André, tu es venu me présenter ta nouvelle invention, n’est-ce pas ? Est-ce que tu l’as sur toi ?
— Oui, on peut aller tester l’objet dès maintenant.
— Une nouvelle invention ? Oh ça m’intéresse aussi, puis-je vous accompagner ? demande Cédric.
La professeure hésite un instant, mais finit par accepter en soupirant. Merci pour le soutien, je me dis tout bas.
Nous nous dirigeons vers la zone de test pour rejoindre Flavia. Je me demande qui peut bien être ce Cédric. Jusqu’à présent, je n’ai eu que des retours négatifs, mais peut-être que lui serait intéressé, j’avais une chance à saisir, je n’allais pas la laisser passer.
Une fois arrivés, je présente mon amie au professeur et j’explique comment se déroulera l’expérience.
— Voici la Mouss’bomb, c’est un outil qui permet d’éteindre un incendie, la zone d’action de ce prototype est de 1,5 mètre. Il faut appuyer sur le bouton puis lancer l’objet, une fois le bouton pressé, il met 5 secondes à se déclencher, puis 5 secondes pour s’étendre sur toute la zone d’effet. Mais voyez vous-mêmes. Salamèche allume les planches en bois comme demandé.
Je leur fais une démonstration et tout se déroule comme prévu. Je craignais qu’on rencontre un problème pendant l’expérience, comme ça arrive très souvent avec de nouveaux prototypes, mais je suppose que je suis très chanceux aujourd’hui. Je me tourne vers les professeurs et j’essaye de lire leurs avis sur leurs visages.
Le professeur Cédric prend un air pensif :
— Hum… C’est intéressant, mais il y a quelque chose qui me gêne. Vous savez Andréas, j'aime beaucoup les gens comme vous qui cherchent la nouveauté, après tout c’est aussi mon travail. Cependant, il faut que ça reste utile, pourquoi utiliser votre création quand nous pouvons tout simplement faire appel à des Pokémon de type Eau ? Ils seraient bien plus efficaces ne pensez-vous pas ?
— C’est ce que je lui répète à chaque fois, dit Julie. Même si ses inventions sont bien pensées, je n’arrive pas à trouver une situation où elles seront viables. Si une zone est à risque, on y place les Pokémon adaptés pour y palier, pourquoi devrions-nous y mettre un énorme stock de Mouss’bomb quand quelques Carapuce suffisent.
Je m’y attendais, on me refait le même discours à chaque fois. Pourquoi utiliser un de mes objets quand un Pokémon peut faire mieux ? Je sens que Flavia s’excite et veut prendre la parole, mais je lui fais signe de ne rien faire. Je suis en rogne, toujours le même argument. Que ferez-vous s’il n’y a pas de Pokémon adapté un jour ? Comptez-vous tout simplement rester là sans rien faire ? L’humain est-il incapable de se débrouiller sans Pokémon ?
Je ferme les yeux et prends une grande inspiration. Je me calme et réfléchis quelques secondes. Puis je regarde Cédric dans les yeux.
— Dites-moi Professeur, à quoi servons-nous ?
— Euh… nous les scientifiques ?
— Non, nous les humains.
Le professeur plisse les yeux et prend un air confus.
— Les Pokémon sont plus forts que nous, plus intelligents que nous, plus agiles que nous, plus endurants que nous, ils possèdent diverses capacités, ils pourraient très facilement se débarrasser de nous. Alors finalement à quoi sert-on ? Je me demande parfois comment il se fait que ça soit nous qui utilisions des Pokémon pour se battre entre eux et non l’inverse. Ils sont devenus un point central, une nécessité pour l’homme. C’est bien normal me direz-vous, ils nous sont d’une trop grande aide pour s’en passer, mais ne trouvez-vous pas ça frustrant ? Nous les humains sommes-nous destinés à vivre aux dépens des Pokémon ? Peut-être bien que oui après tout, mais je veux changer ça. J’en ai marre de cette mentalité de toujours vouloir se reposer sur un Pokémon au moindre problème, car s’il y a bien quelque chose que nous avons, c’est la faculté de pouvoir créer des choses. Nous sommes capables de grandes prouesses scientifiques, mais nous ne les utilisons quasiment que pour les Pokémon. Je veux que les humains puissent se débrouiller seuls, je veux créer des technologies pour les hommes !