Derrière l'écran de bigbowser2

Annette remonte en coup de vent les escaliers et s’enferme dans sa chambre en claquant la porte.

Elle allume son ordinateur, une antiquité qu’elle a récupéré de justesse avant que le centre Pokémon ne l’envoie à la casse, puis retapé à coups de pièces récupérées çà et là (c’est fou le nombre de composants que contient un micro-ondes) et de lectures compliquées – des ouvrages que sa mère, mi-honteuse mi-inquiète, a emprunté pour elle au rayon « sciences et techniques » de la bibliothèque.

Mis à part dans les centres Pokémon, les ordinateurs restent rares à Kanto, et intéressent peu la population. La petite fille fait figure d’exception : l’informatique a été pour elle une révélation, devenue passion. C’est probablement la seule de sa classe (voire de Jadielle) à disposer de son propre terminal. En attendant que la machine démarre dans un vrombissement de ventilateur, elle rumine les paroles du professeur. Le Pokédex, qu’elle attendait avec tant d’impatience, n’est encore loin d’être confié aux jeunes dresseurs et dresseuses. Elle qui était (presque) prête à relever le défi de la ligue rien que pour en avoir un, comprendre son fonctionnement - et bien sûr, le bidouiller ! Mais pour le moment, elle compte bien jeter un œil à la mystérieuse disquette égarée par le professeur ! Qui sait, peut-être contient-elle le résultat de recherches top secrètes ? Ensuite, elle ira lui rendre en mains propres, une occasion en or d’obtenir une dédicace et pourquoi pas, une visite des laboratoires ?

Un bip annonce que la disquette est détectée. Annette lance alors une série d’analyses destinées à extraire en toute sécurité son contenu.

« On est jamais trop prudent », se dit-elle, sa bécane est somme toute fragile. L’analyse est terminée : aucun fichier détecté. Déçue, une intuition la pousse cependant à vérifier les propriétés de l’espace de stockage. La mémoire se révèle pleine à 98 %.

« Bingo », songe-t-elle avec excitation. La disquette contient bien quelque chose, et on ne veut pas que ce soit lu par n’importe qui. En quelques minutes, la fillette craque le cryptage.

« Rudimentaire « , se dit-elle avec une pointe d’orgueil. La disquette contient en tout et pour tout un unique exécutable, « 137-001.exe ». Elle pianote une ribambelle d’instructions pour en savoir plus, en vain. Le risque de lancer le logiciel sans savoir à quoi il sert est énorme : elle pourrait y laisser son ordinateur.

Mais la curiosité est trop forte : elle appuie fébrilement sur « Entrée »...mais rien ne se passe. Anne soupire, déçue. Peut-être que son système d’exploitation est trop vétuste ?

Soudain, l’écran se fige, et le ventilateur de l’unité centrale s’emballe.

« Par pitié, implore-t-elle, c’est pas le moment de lâcher ! »

Elle essaie d’interrompre l’application, mais plus rien ne répond. Son luminaire se met alors à papilloter. Puis son réveil se déclenche. En quelques secondes, c’est tout son bric-à-brac électronique qui s’anime, comme possédé par un Ectoplasma.

Puis tout s’arrête. Sous le choc, la petite fille passe la tête par la porte de sa chambre : il semble que sa mère, occupée dans la cuisine, n’ait rien entendu. Elle soupire de soulagement…pour s’affaler de tout son long sur l’épais tapis au centre de sa chambre (onré d’un Florizarre). En découvrant ce sur quoi elle a trébuché, la petite fille étouffe un cri : à ses pieds, la plus étrange créature qu’elle ait jamais vue essaie sans succès de se remettre debout, ses deux uniques pattes pédalant dans le vide. De la taille d’un gros aspirateur, on l’aurait crue sortie d’une borne d’arcade, toute en facettes, en arêtes et en formes géométriques roses et bleues. Fascinée, la fillette s’approche en rampant, et aide l’apparition à se rétablir. Celle-ci se révèle étonnamment lourde. Sa peau, lisse est tiède, ressemble à du verre coloré. A présent immobile, elle observe Annette de ses yeux hexagonaux.

« Tout va bien, Annette ? »

La voix de sa mère, toute proche, la fait sursauter. En proie à la panique, elle cherche un endroit assez grand pour cacher son visiteur impromptu, en vain. La porte s’ouvre en grand :

« Pour ce soir, j’ai préparé un gratin de baies Repoi...dis-donc, tu fais une de ces têtes ! Quelque chose ne va pas ? »

Hébétée, la petite fille se retourne : la créature avait disparu.

« Tout – tout va bien. C’est juste que...je suis un peu déçue de ne pas avoir pu faire dédicacer mon livre par le professeur Chen.

- Tu trouveras une autre occasion, j’en suis sûre. Maintenant éteins-moi cette affreuse machine, ordonne-t-elle en désignant du menton l’ordinateur, et rejoins-nous en bas. Nous dînons dans quelques minutes. »

La porte se referme en claquant. La petite fille s’empresse de fouiller tous les recoins de sa chambre : aucune trace de l’extraordinaire apparition. S’est-elle enfuie par la fenêtre entre-ouverte ? Annette balaie du regard le paysage : aucun signe de la créature rose et bleue. Encore un peu sous le choc, la petite fille referme la fenêtre et descend rejoindre ses parents.