Pokémon : L'étoile d'Arkephyr de Arkephyr

Je cours sans relâche, le cœur battant à tout rompre. Nous n'aurions jamais dû entrer dans cette grotte. C'était une grave erreur.

Je lance un regard furtif par-dessus mon épaule et me fige d'effroi. L'immense serpent s'est désintéressé de moi pour prendre en chasse ce qui semble être un dragon. En contrebas, non loin d'un gouffre béant, je distingue la silhouette familière d'un homme qui hurle des ordres à son Pokémon sans que je ne puisse l'entendre.

Une explosion assourdissante retentit au-dessus du dresseur. Le corps sans vie du dragon amorce alors une chute vertigineuse et disparaît au fond du gouffre, ne laissant derrière lui que le hurlement déchirant de son partenaire.

– Thomas !

J'ouvre brusquement les yeux et me redresse si vite que ma tête se met à tourner. Il me faut près d'une minute pour habituer mes yeux à la lumière de l'aube.

– Pika ?

Le Pokémon de mon ami m'observe avec inquiétude. C'est la deuxième fois en seulement cinq nuits que ce cauchemar étrange vient troubler mon sommeil. Je ne sais pas d'où sort ce gigantesque reptile volant, mais je suis presque certaine d'avoir identifié le dresseur qui m'accompagne.

Thomas se mettrait sans doute à chercher une explication rationnelle si je lui parlais de ce rêve, et je ne tiens pas particulièrement à l'inquiéter pour si peu.

– Ne lui dis rien, s'il te plaît... je souffle à Pikachu.

Le rongeur me lance un regard réprobateur avant de rejoindre Arcko et Dynavolt au bord du lac. Ces derniers se sont rapidement habitués à leur nouvel environnement. Les Pokémon sauvages les ont acceptés dans leur petite tribu, et ils passent le plus clair de leur temps libre à s'amuser tous ensemble sans se soucier de nous.

Par nous, je veux bien sûr parler de Thomas et moi. Mon mystérieux allié, derrière son air taciturne, cache en réalité une personnalité sensible et attachante. Il n'est certes pas très loquace de manière générale, mais devient intarissable lorsqu'il s'agit de parler de Pokémon.

Ces derniers jours à ses côtés ont été plus fructueux que mes trois années de préparation au milieu de mes bouquins.

– Tu es prête ?

Je tourne la tête et le vois revenir de sa baignade, sa serviette nonchalamment posée sur ses épaules nues. Il m'a fallu un peu de temps pour m'y habituer, mais je parviens désormais à conserver un visage impassible sans rougir – j'en suis très fière.

– Je n'ai pas encore mangé... je grimace en songeant que je me suis levée plus tard que d'habitude. Désolée.

Thomas s'avance vers son sac à dos et en sort plusieurs baies ainsi que son canif en forme de Cizayox. Il coupe rapidement les fruits en cubes et me les présente dans une petite boîte.

– Il reste aussi du jus de Nanab... dit-il en me montrant une gourde bien entamée.

Je le remercie d'un sourire et commence à manger en silence. Mon nouvel ami a bien compris que je ne lui serais d'aucune utilité le ventre vide, mais rien ne l'oblige à se montrer aussi prévenant à mon égard.

Quelques jours plus tôt, j'aurais été convaincue qu'il cherche à me séduire par tous les moyens.

Aujourd'hui, je me dis qu'il est juste gentil.

– Nous ne nous entraînerons que ce matin... déclare-t-il avec son sérieux habituel. Tu auras besoin de te reposer cet après-midi pour affronter Iona ce soir.

J'écarquille les yeux sous l'effet de la surprise et manque de m'étouffer avec mon jus de fruit.

– Ce... Ce soir ? je balbutie en secouant la tête malgré moi. C'est beaucoup trop tôt ! Je ne suis pas pr...

– Nous devons avancer... coupe Thomas sur un ton sans réplique. Les champions aussi progressent pendant que tu t'entraînes. Je serai plus tranquille lorsque nous aurons passé Vulcanor.

Je laisse échapper un long soupir. Quand nous sommes arrivés dans cette clairière, je ne voulais pas entendre parler d'une nuit à la belle étoile. Désormais, je serai prête à rester une semaine supplémentaire pour pouvoir continuer à m'entraîner.

Mais mon ami a raison. Notre priorité est d'atteindre Vulcanor au plus vite pour vaincre le troisième champion d'arène. Passé ce cap, je pourrai m'accorder le temps de souffler et appréhender plus sereinement la suite de mon voyage.

Les autres champions m'accorderont autant de tentatives que nécessaire pour remporter mes prochains badges.

– D'accord... je lâche en terminant mon dernier morceau de fruit. Amène-toi, je vais t'éclater.

Thomas esquisse un sourire à peine perceptible.

– Voilà... répond-il avec un hochement de tête appréciateur. Ça, c'est le bon esprit. Pikachu ?

Le rongeur électrique ne se fait pas prier et quitte immédiatement ses compagnons de jeu pour rejoindre son dresseur. Il affiche une mine déterminée qui me fait comprendre qu'il ne prendra pas cet affrontement à la légère – pas plus que les précédents.

Je cherche du regard mes propres Pokémon et pousse un nouveau soupir en les voyant se chamailler pour un bout de bois.

Deux salles, deux ambiances.

– Ramenez-vous, les crapules ! je crie en posant mes poings sur les hanches. C'est l'heure de l'entraînement !

Mes partenaires relèvent innocemment la tête et se dandinent vers moi sans se presser. Je n'ai absolument aucune autorité sur eux, mais ils me respectent tout de même en tant que dresseuse et ne rechignent jamais à suivre mes directives.

Un situation qui me convient tout à fait.

– Toujours deux contre un ? je demande à Thomas.

Mon ami acquiesce d'un hochement de tête. Lors de notre premier combat, je me suis fortement vexée quand il m'a proposé d'envoyer Dynavolt et Arcko en même temps.

Mais c'était avant de voir Pikachu à l'œuvre.

– On l'encercle ! je commande à mes Pokémon. Dynavolt, utilise Vive-Attaque pour te positionner derrière lui. Arcko, reste où tu es et tiens-toi prêt.

Coordonner deux Pokémon est un exercice difficile. Certains tournois sont exclusivement dédiés aux Combats Duo, mais ces derniers requièrent une stratégie totalement différente des matchs classiques.

Seuls les dresseurs spécialisés se risquent à y participer.

– Ne te laisse pas cerner... murmure Thomas. Vive-Attaque sur Arcko.

– Détection ! je contre aussitôt. Dynavolt, utilise Flair !

Arcko mobilise toute sa concentration et parvient à éviter in extremis l'assaut de Pikachu. Dynavolt s'imprègne alors de l'odeur du rongeur pour s'assurer de pouvoir le toucher au prochain coup.

Ces deux capacités ne semblent pas très utiles au premier abord, mais elles permettent de préparer le terrain pour prendre l'avantage ensuite.

– C'est intéressant... apprécie mon ami avec un sourire en coin. Pikachu, Danse Pluie !

Je fronce les sourcils tandis que le rongeur se lance dans une étrange chorégraphie. D'épais nuages noirs se forment subitement au-dessus de nos têtes, libérant presque aussitôt un déluge de pluie sur la clairière.

– Go... bou ! couine joyeusement l'un des Pokémon sauvages en se rapprochant de la zone du combat.

Mon regard se pose machinalement sur la petite créature. Ce Gobou est probablement le moins farouche de tout le groupe, et il accompagne régulièrement Arcko et Dynavolt quand vient l'heure du déjeuner.

L'appel de la nourriture est plus fort que tout le reste – un point commun que nous partageons !

– Reste concentrée ! gronde Thomas.

Je reporte mon attention sur notre match en esquissant une moue désolée. Même si ce match est amical, je ne peux pas me permettre de rêvasser. Une seule seconde de distraction pourrait me coûter la victoire contre Iona. Ce qui entraînerait ma disqualification immédiate du tournoi de la Ligue Pokémon.

Pikachu vient de me donner un avantage sans même s'en apercevoir. Je compte bien tirer profit de cette pluie qui transforme progressivement la terre en boue.

– Gliss'Herbe, Arcko ! j'ordonne avec sérieux. Dynavolt, utilise Vive-Attaque de l'autre côté. Mets-y toute ta puissance !

Toutes les conditions sont réunies pour frapper vite et fort. La végétation abondante permet à mon reptile de se mouvoir avec aisance, et l'humidité ambiante renforce d'autant plus sa capacité Gliss'Herbe.

Le Pokémon de Thomas n'a aucun échappatoire. Dynavolt le percute de plein fouet et le fait valser quelques mètres plus loin. Le rongeur n'a pas le temps de réagir et encaisse dans la foulée la puissante attaque d'Arcko. L'enchaînement était parfait.

– Bravo, Lucille... félicite mon mentor en inclinant brièvement la tête. Fatal-Foudre, Pikachu.

Je comprends que j'ai perdu à la seconde où notre adversaire se charge en électricité pour lancer sa plus puissance capacité. Renforcée par la pluie torrentielle qui a été invoquée dans ce but précis, la foudre se disperse dans toutes les directions et vient frapper tous les Pokémon présents dans la zone de combat.

Dynavolt. Arcko. Et même Gobou. Aucun d'eux n'est en mesure de se relever après un tel choc.

– Eh bien... je souffle en observant Pikachu avec admiration. C'est... décourageant.

Thomas esquisse un sourire tandis que son partenaire se hâte de revenir vers lui pour grimper sur son épaule.

Je rappelle quant à moi mes deux compagnons en les félicitant pour leur combativité.

– Tu es sûr que ce n'est pas toi, le Maître ? je demande avec suspicion.

Je n'ai rien pu faire malgré toute ma bonne volonté. Pikachu a encaissé quelques dégâts, mais ça n'a pas suffi à l'inquiéter. Je suis convaincue qu'il ne s'est même pas donné à fond.

Et cet adorable petit rongeur ne représente qu'un seul de ses Pokémon. Si les cinq autres ont ne serait-ce que la moitié de son niveau, alors je ne pense pas qu'il existe un seul dresseur capable de vaincre Thomas.

– Il existe de nombreux dresseurs talentueux en Arkephyr... répond-il en éludant ma question. Et tu atteindras très vite leur niveau.

Je ne suis pas vraiment convaincue par ses louanges. Mes Pokémon ont certes progressé au cours de ces cinq derniers jours, mais je me suis quand même fait ratatiner à chacun de nos entraînements.

Pour la confiance en soi, on repassera.

– Dépêche-toi de le capturer... lance mon ami en désignant Gobou du menton. On lève le camp dans cinq minutes.

Mon regard ce pose sur le petit monstre aquatique. Le pauvre bougre a été attiré par la pluie et s'est approché de nous par curiosité. Il ne s'attendait sans doute par à recevoir la terrible attaque électrique de Pikachu.

– N... Non... je bredouille en me tournant vers les autres Pokémon sauvages. Tous ses amis vivent dans cette forêt. Et puis je n'ai aucun mérite – ce n'est même pas moi qui l'ai affaibli.

– Dépêche-toi de le capturer... répète Thomas en affichant son air le plus sérieux. Ou je le mange.

Je cligne plusieurs fois des yeux en attendant la chute de sa blague. En admettant qu'il s'agisse bien d'une blague.

– On va dire que je n'ai rien entendu... je murmure avec effarement en sortant une nouvelle Pokéball de mon sac à dos.

Je m'approche lentement du corps inconscient de Gobou et l'observe avec un léger pincement au cœur.

– Désolée... je soupire en posant la capsule contre son front. J'aurais préféré t'affronter en combat singulier.

Une douce lueur écarlate vient envelopper le petit Pokémon avant de l'enfermer dans la Pokéball. L'objet émet aussitôt un pop indiquant la réussite de sa capture.

Je serre alors la mâchoire et plante mon regard dans celui de Thomas.

– C'est la dernière fois que tu me pousses à capturer un Pokémon, quel qu'il soit... je préviens d'un ton glacial. Tu m'as bien comprise ?

Mon ami conserve une expression neutre qui ne fait qu'accroître mon sentiment de colère.

J'adore Gobou – ce n'est pas la question. Mais je veux d'abord être sûre que les membres de mon équipe acceptent de me rejoindre avant de les capturer. Si Arcko avait fait le choix de fuir plutôt que de me combattre, jamais je ne lui aurai lancé de Pokéball.

Ce petit monstre aquatique n'avait peut-être aucune envie d'appartenir à un dresseur.

– Ce Gobou avait projeté de voyager avec toi dès le premier jour... déclare finalement Thomas en me contournant pour regrouper ses affaires. Tu devrais plutôt t'inquiéter de ne pas l'avoir remarqué plus tôt.

J'ai bien envie de lui balancer quelque chose à la figure. Je n'ai malheureusement rien d'autre que mes Pokéball sous la main, et j'ai déjà gaspillé une chouette paire de chaussettes pour un Dodrio qui n'en valait clairement pas la peine.

– Tu n'en sais rien du tout... je murmure en ramassant mon sac à dos.

Pour la première fois depuis notre rencontre, j'entrevois une part d'ombre chez ce garçon.

Une partie de lui que je ne suis pas certaine d'apprécier.