[L] Une porte fermée
– Dynavolt est comme neuf... déclare l'infirmière en me lançant un regard sévère. Tâchez de ne pas trop le surmener, à l'avenir.
– Promis... je soupire en récupérant ma Pokéball. Je ferai attention.
Je repasserai pour l'amabilité. Cela dit, je ne peux pas vraiment me plaindre de son attitude à mon égard. Combien de dresseurs poussent leurs Pokémon dans leurs retranchement sans se soucier une seconde de leur bien-être ?
Je suis seule responsable de mon Dynavolt. C'est à moi de faire en sorte qu'il ne se retrouve plus dans ce genre de situation.
– Savez-vous où je pourrais acheter des Pokéball ? je demande en accrochant celle de mon partenaire à ma ceinture.
Je pourrais sans aucun doute trouver cette information en activant le GPS de mon smartphone, mais Papa m'a toujours conseillé de privilégier les contacts humains.
D'après lui, il est essentiel de construire un réseau de connaissances pour mieux appréhender les difficultés à venir. Je n'ai jamais compris ce qu'il voulait dire par là, mais je veux bien le croire sur parole.
– Il y a une boutique à moins de cents mètres... répond l'infirmière avec un hochement de tête. En sortant du Centre Pokémon, sur votre gauche.
Je la remercie d'un sourire et cale mon sac sur mes épaules pour reprendre la route.
J'ai l'impression de partir pour l'école, tant mes affaires sont lourdes à porter. J'ai pourtant dû me débarrasser de la moitié de mes flacons de vernis, qui se sont brisés lors de notre rencontre avec les Canarticho. Ma trousse de maquillage ne s'en remettra jamais, mais j'ai quand même pu sauver tout le reste.
Le magasin dédié aux dresseurs est... décevant. Je m'attendais à une grande enseigne remplie de produits high-tech exposés dans une vitrine flambant neuve, et je me retrouve face à un banal assortiment de potions dispersées en vrac.
– Bonjouuur... je murmure en ouvrant doucement la porte de ce qui semble être une véritable boutique d'antiquités.
– Bonjour, jeune fille ! lance alors une vieille dame avec un sourire chaleureux. Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?
Je ne sais pas quel âge à cette femme, mais sa place n'est certainement plus derrière le comptoir d'un magasin. D'autant plus qu'il n'y a personne pour lui prêter main-forte.
– Je voudrais acheter cinq Pokéball... je réponds d'une petite voix. Et trois potions, s'il vous plaît.
– Ne bouge pas d'ici ! fait-elle avec énergie. J'ai tout ce qu'il te faut !
Je ne peux m'empêcher d'avoir un pincement au cœur en voyant cette vieille dame s'affairer dans le seul but de me faire plaisir. Je voudrais avoir le courage de lui demander pourquoi elle travaille encore dans cet endroit lugubre au lieu de profiter tranquillement de sa retraite, mais j'ai bien trop peur de faire une gaffe.
Peut-être a-t-elle simplement choisi de vivre ainsi...
– Et voilà pour toi ! dit-elle finalement en regagnant le comptoir. Ça te fera donc...
Elle sort une calculatrice devant moi et approche son visage des touches pour être sûre de ne pas appuyer à côté.
– Mille-neuf-cents Pokédollars ! conclut-elle avec satisfaction. Disons mille-huit-cents, parce que tu m'as l'air bien sympathique.
J'esquisse un large sourire et lui tends mon smartphone pour procéder au paiement. Heureusement, tous les services à la Ligue Pokémon ont été équipés de bornes permettant de payer directement depuis l'application.
Ma carte de dresseuse affiche désormais un solde de deux-mille-neuf-cents Pokédollars. Je ne devrais pas avoir de nouvelles dépenses avant la prochaine arène, mais il est essentiel que je trouve au plus vite un moyen de gagner de l'argent. Hors de question que je demande de l'aide à Papa.
– Vous seriez d'accord pour prendre une photo avec moi ? je demande subitement à la dame. Pour garder un souvenir de mon passage ici.
Je ne sais pas pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt. La plupart des dresseurs ne font qu'un seul voyage initiatique au cours de leur vie. J'aimerais ainsi pouvoir immortaliser tous les moments marquants de mon aventure.
Cette rencontre en fait assurément partie.
– Avec plaisir ! répond la mamie avec enthousiasme.
Je la laisse se placer à côté de moi et passe affectueusement un bras autour de son épaule avant de tendre l'autre main pour prendre le selfie.
– À trois ! je lance en affichant mon plus beau sourire. Un... Deux...
J'appuie une seule et unique fois sur mon écran pour capturer l'instant présent. J'ai horreur des gens qui prennent quarante clichés identiques pour être sûrs d'obtenir la photo parfaite. lls sont juste trop nuls pour réussir du premier coup.
Le résultat est tout simplement génial. Je m'imagine déjà faire imprimer un album avec mes meilleures prises de vue pour l'offrir à mon père à mon retour.
– Comment vous appelez-vous ? je demande alors à la vieille dame en me tournant vers elle.
– Évelyne ! répond-elle en illuminant son visage d'un sourire.
– Eh bien, je suis vraiment ravie de faire votre connaissance... dis-je en lui tendant ma main pour faire les présentations en bonne et due forme. Moi, c'est Lucille.
La gentille mamie ne se formalise pas d'une poignée de main et me prend dans ses bras avant de déposer un baiser sur ma joue.
– J'espère que tu accompliras ton rêve, jeune Lucille... me souffle-t-elle avec un regard complice.
Je lui adresse un dernière sourire rayonnant avant de quitter sa boutique. Il y a quelques minutes encore, j'aurais tout donné pour avoir la possibilité d'aller dans un autre magasin. Désormais, je songe avec impatience à la prochaine fois où j'aurai l'occasion de venir saluer Évelyne.
Papa serait fier de moi. J'ai commencé à construire mon fameux réseau de connaissances !
– Mais vous vous foutez de moi ! hurle subitement un gars à l'autre bout de la rue. C'est toujours fermé, ici ! Vous êtes vraiment des bons à rien !
Je hausse un sourcil en constatant que cet homme est en train de s'adresser à une porte. Une porte dans laquelle il vient de mettre un violent – mais inutile – coup de pied.
J'espère qu'il s'est fait mal.
– Attends voir... je murmure en plissant les yeux. C'est l'arène !
J'attends que le mec bizarre soit parti pour m'avancer à mon tour vers le bâtiment. Ses vitres teintées m'empêchent de voir ce qu'il y a à l'intérieur, mais je peux au moins affirmer qu'il est en bien meilleur état que la boutique Pokémon.
Je m'approche de la porte et tourne naïvement la poignée. Bien évidemment, c'est fermé. Ce n'est pas comme si elle allait s'ouvrir juste pour moi.
– Je ne comprends pas... je marmonne en sortant mon smartphone pour vérifier le calendrier de la Ligue Pokémon. La nouvelle saison a bien commencé il y a deux jours, et nous sommes en plein dans les horaires d'ouverture. Ça devrait être ouvert !
Je ne prendrai pas le risque d'envoyer un coup de pied. Ma course d'hier m'a donné des ampoules, et le simple fait de traverser la rue me coûte déjà beaucoup.
– Celle-ci ouvrira plus tard... lance alors une voix derrière moi.
Je sursaute légèrement et me tourne d'un coup pour me retrouver face à un garçon plus âgé que moi. Un très beau garçon. Assez grand, musclé comme il faut. Des cheveux blonds mi-longs qui lui donnent une allure de surfeur, des yeux d'un bleu profond qui évoquent les plages du sud, et un doux parfum de monoï qui me donne envie de voyager.
Lui, je veux absolument l'ajouter à mon réseau de connaissances !
– Je... vous... tu... je bafouille, incapable d'organiser correctement mes pensées. Plus tard ?
Mon bel inconnu esquisse un sourire en dévoilant des dents blanches. Finalement, je veux bien mettre de côté mon voyage initiatique et me marier avec lui.
– Le champion de Jasélia est le plus fort des huit... explique-t-il avec une lueur malicieuse dans le regard. Les dresseurs doivent d'abord réunir les sept premiers badges pour espérer avoir une chance de le vaincre.
Tout s'explique. Cela dit, la nouvelle ne m'enchante pas vraiment. Je comptais défier le premier champion dès aujourd'hui pour me faire une idée de la difficulté de l'épreuve, mais il faudra que je prenne mon mal en patience encore quelques jours.
D'autant plus que je ne sais pas encore quelle sera ma prochaine destination.
– Je vois... dis-je en m'efforçant de masquer ma déception. Et saurais-tu où se trouve l'arène la plus proche ?
Je ne manque pas de remarquer les six Pokéball accrochées à sa ceinture. Ce gars n'est pas seulement un homme séduisant. C'est aussi un dresseur expérimenté.
– Je te conseille de commencer par Sylveterre... répond-il après s'être donné le temps de la réflexion. C'est au nord d'ici. Il te suffit de traverser la Forêt des Soupirs. Ça sera peut-être l'occasion de capturer des Pokémon intéressants !
Mon visage s'illumine. Voilà qu'il se soucie de mon bien-être et me donne des conseils ! Nous sommes faits l'un pour l'autre, il n'y a plus aucun doute là-dessus.
– Tu cherches aussi à défier les champions d'arène ? je demande avec un sourire aguicheur. Si c'est le cas, on pourrait peut-être faire un bout de chemin ensemble. Je ne sais pas si j'aurai le courage de traverser la forêt toute seule...
Je m'étais promis d'attendre un peu avant de jouer la carte de la demoiselle en détresse, mais les circonstances exigent le meilleur de moi-même.
Aux grands maux, les grands remèdes !
– Désolé... me dit-il finalement avec un sourire enjôleur. J'aurais adoré parcourir la région avec une compagnie aussi charmante que la tienne, mais j'ai du travail ici.
Tous mes espoirs volent en éclats. Pourtant, je ne me sens pas plus déçue que ça. Peut-être un peu ridicule, mais ça s'arrête là.
Qu'est-ce que j'imaginais, au juste ? Que le premier garçon rencontré tomberait dans mes bras et serait prêt à me suivre aveuglément jusqu'au bout du monde ?
Ce n'est certainement pas ce à quoi j'aspire. Je suis bien trop indépendante pour cela. Bien sûr, je ne me priverai pas d'une chance de m'amuser un peu – on ne vit qu'une fois ! Mais tomber amoureuse, c'est hors de question.
Je ne dois pas perdre de vue mes principaux objectifs.
– Puis-je au moins connaître ton nom ? je demande en abandonnant toute mièvrerie.
Mon nouvel ami surfeur esquisse un sourire amusé avant de répondre.
– Érik... dit-il en avançant une main tendue.
Je la serre sans l'ombre d'une hésitation en le défiant du regard.
– Lucille... je déclare à mon tour. J'imagine qu'on se reverra à la Ligue Pokémon.
Je devrai sortir victorieuse de tous mes combats pour espérer un jour décrocher le titre de Maître. Cela implique de triompher des champions d'arène, bien sûr, mais aussi de surpasser tous les autres dresseurs qui seront parvenus à réunir les huit badges.
Érik et moi seront forcément amenés à nous affronter un jour ou l'autre. Et c'est moi qui vaincrai.
– Il me tarde d'y être... conclut-il sans se départir de son air charmeur.
Je lève les yeux au ciel et tourne les talons pour rejoindre la rue principale de Jasélia. De là, je pourrai quitter la ville et rejoindre cette fameuse Forêt des Soupirs qui me permettra d'atteindre la prochaine étape de mon voyage.
J'envoie un rapide message à mon père pour lui dire que tout va bien. Inutile de rentrer dans les détails pour le moment. Je l'appellerai quand j'aurai vraiment accompli quelque chose.
Et mon intuition me dit que ça ne devrait plus tarder.