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Un monde en vrac de Red-Moon



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Informations

» Auteur : Red-Moon - Voir le profil
» Créé le 15/07/2022 à 01:10
» Dernière mise à jour le 01/08/2022 à 19:42

» Mots-clés :   Action   Aventure   Fantastique   Slice of life   Suspense

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CHAPITRE 2 : Rayan
CHAPITRE 2 :

Rayan posa sa fourchette et se cala au fond de sa chaise. Par ces chaleurs, il se forçait à avaler un repas complet, sans vraiment avoir faim. Le Coca par contre, ou Coke comme on disait chez lui, savait le rafraichir comme rien d’autre au monde! De sa terrasse, il contemplait la route et le bout de terrain propret qui bordait sa maison. Les petites familles sortaient sagement de leur tanière climatisées, pour profiter de l’extérieur malgré tout. Chacun lui disait bonjour, et il rendait un signe amical à chacun. Parfois, Rayan se demandait ce qu’il foutait là. Il aurait davantage eu sa place dans un loft en centre ville, proche de tous les commerces, des restaurants, bref, de la vie. Il se voyait dans un immeuble de briques rouges, plutôt que dans un pavillon dortoir, alors qu’est-ce qui lui avait pris? Acheter une maison, c’est un sacré investissement pour un jeune comme lui. Mais il avait de l’argent de côté : économisé par ses parents depuis sa naissance, dans l’espoir que leur rejeton fasse les grandes études qu’ils n’avaient jamais fait, eux. Quand il eut l’âge de décider, Rayan avait préféré investir dans une maison. Pas bien grande certes, mais agréable à vivre. Plutôt que de moisir dans des universités hors de prix, il avait opté pour un bon métier, devenir indépendant le plus rapidement possible, et accéder à son image de la vie à l’américaine. The American way of life pour Rayan, c’était simple : une maison, une voiture, du travail et un bon Coke bien frais en fin de journée. La vie de Rayan était comme lui : être heureux sans prétentions. Alors non, il ne se sentait pas toujours à sa place dans cette banlieue en voie de boboïsation, mais il s’attachait à sa parcelle de terrain chaque jour un peu plus. Puis les gens étaient sympas.

- Salut Ray, lança sa voisine. Bon appétit!
- Bonjour Mrs Harrigan. Merci, je viens de finir de diner.
- Bien. Surtout mettez tout à l’abri ce soir, je sens venir un orage, et un gros. Mes rhumatismes ne se trompent jamais.

En effet, les rhumatismes de Mrs Harrigan voyaient arriver le mauvais temps avec la précision d’une horloge suisse. Si la vieille dame prenait la peine de préciser que ce serait un gros orage, alors il fallait la prendre au sérieux. Déjà en règle générale, les orages se défoulaient pas mal ici, au Colorado. À mi chemin entre plaines et montagnes, la région était propice à la foudre et aux tornades. Rayan se levait lorsqu’une sonnerie se fit entendre. Mary? Qu’est-ce qu’elle voulait? C’était rare que sa correspondante demande une visio. D’habitude, ils échangeaient via messages écrits, ou par les micros interposés de leurs consoles. Rayan et Mary étaient sparing partners. Ils avaient pris l’habitude de faire combattre leurs pokémon, mais Brayan doutait que la petite française le contacte pour un match. Pas à cette heure.

- Mary? Dit-il en décrochant. Je suis surpris : il doit être… 3 heures du mat’ chez toi?

En face un visage se dessinait maladroitement dans l’ombre. Une lueur laissait deviner un sourire, et des yeux surexcités.

- Ray, faut absolument que tu vois ça. J’arrive pas à dormir, j’y pense trop. C’est juste pas possible, ce qu’il m’arrive!
- Mary, Mary calme toi. Prends les choses dans l’ordre d’accord. Qu’est-ce que tu veux me montrer?

Le faisceau lumineux oscilla, trembla un peu, puis se recentra sur une peluche blanche. Rayan ne comprenait pas très bien où son amie voulait en venir, mais pour ne pas la vexer, il résolut de trouver une formulation positive.


- Géniale ta nouvelle peluche! T’es allée dans un Pokemon Center ou quoi? Ne me dis rien. Je crois que vous avez un truc en France qui s’appelle Japan Expo, non? C’est là-bas que tu l’as achetée?
- La Japan c’est en juillet. Non, c’est un vrai pokémon!
- Plus vrai que nature, articula Rayan dans un rire gêné. Il est trop bien fait. Puis, voulant dissoudre le malaise dans un autre sujet : tu veux faire un combat? Moi ça me dérange pas, je viens de finir de diner, mais chez toi c’est la pleine nuit. Ça ira quand même?
- Écoute, répondit-elle. Je voudrais bien te prouver ce que je dis, mais si je le réveille, il va sauter partout, il va crier… Le seul moyen de le tenir tranquille, c’est avec des barres de chocolat. Ce serait un miracle si ma mère et mon frère ne remarquent rien.
- Files lui des jouets pour bébé, ça l’occupera, dit Rayan, franchement hilare maintenant. Il rentrait dans le jeu de Mary pour faire bonne figure, mais elle ne devrait pas trop insister, ou il perdrait patience.
- Je me doutais que tu ne me croirais pas, soupira-t-elle. Mais à qui d’autre je peux en parler? J’ai promis de le ramener chez lui, mais je ne sais même pas où ni comment.
- Mary. Il voulait mettre toute la bienveillance possible dans son ton. Tu as rêvé que des pokémon étaient réels. Je te comprends. Moi aussi j’adorerais ça. Rendors toi et tout ira mieux demain, je te l’assure.
- Tu m’énerves Rayan, brailla-t-elle avant de raccrocher, purement et simplement.

Il resta planté là, l’écran devant ses yeux. Qu’est-ce qu’elle avait, Mary? C’est la première fois qu’elle lui faisait un coup pareil. Il aurait voulu croire que c’était un jeu, mais ses yeux exprimaient le contraire. Les délires de son ami l’avaient mis dans un état de perplexité total, et il ressentit de la colère en allumant la télé. Peut-être que Mary était atteinte d’hallucinations ou de Schizophrénie, et qu’elle ne lui en avait pas parlé. Pourquoi l’aura-telle fait du reste? Lui-même, au début, avait menti sur son âge pour paraître plus jeune, afin de ne pas effrayer une adolescente et ses parents. Décidément se dit-il, les gens d’Internet restent des inconnus.

Le salon s’emplit des babillages d’un présentateur météo. Le gars au physique de top modèle confirmait les prévisions de Mrs Harrigan et de son arthrose. Il y aurait bien une tempête sur le Colorado. L’orage estival se déplaçait de l’ouest en direction du sud. Rayan termina de ranger ce qui devait l’être, puis prêta une plus grande attention au bulletin météo, lorsque des images satellites s’animèrent. Une journaliste hyper pulpée fit remarquer au top modèle que l’orage se déplaçait extrêmement vite. En effet, fit-il.

- Nous avons là une dépression particulièrement imprévisible. Nos correspondants sur place ont mesuré des impacts de foudre bien supérieurs à la moyenne, c’est pourquoi nous vous recommandons de vous mettre à l’abri. Ne sortez pas (son regard se fit plus sérieux et sa voix plus grave). Ne sortez pas de chez vous même si vous pensez que l’orage est loin. Je le répète, cette perturbation est inhabituelle.

Après la tempête de neige sans précédent qui avait eu lieu au Texas, le présentateur ajouta qu’on ne pourrait être sûr de rien, mais que du moins ce qui se déplaçait là, ne serait pas qu’un simple orage d’été.
Rayan écouta, désormais scotché à l’écran plat, sur lequel les images satellites s’animaient toujours. La pensée que tout cela n’était pas normal, lui vint à l’esprit. Ça se déplace trop vite, dit-il. Plus vite même qu’une tornade! Comme le bulletin se terminait, il alluma son ordinateur et suivi la courbe de la dépression en temps réel sur Internet. Sur un fond blanc représentant les terres émergées, la tempête était matérialisée par des nuances de bleu en fonction de son intensité. La plus grande partie du nuage, bleu clair, se déplaçait effectivement très vite. En zoomant toutefois, Rayan comprit ce qui l’avait dérangé à la télé. Plus le nuancier fonçait, plus on remarquait qu’en fait de "courbe", la perturbation suivait un étrange schéma en zigzag. Bizarrerie supplémentaire : au coeur du plus sombre des bleus, se distinguait une petite tache blanche. Le coeur du cyclone? C’est précisément cette tache qui bougeait, comprit Rayan, et qui de fait, déplaçait toute la tempête à la vitesse de l’éclair. Mais qu’était-ce donc?

Soudain, il s’empara de ses clés de voiture et prit la route 74 en direction du nord ouest. Son acte était insensé, il le savait, mais quelque chose le titillait. Il devait savoir.
La route qui filait, prise en sandwich entre deux falaises, était un vrai couloir de vent. Des nuages sombres se déversait une allée d’éclairs, si bien que la nuit prenait des teintes mauves inquiétantes. L’orage qui venait de l’ouest, n’avait fait qu’une bouchée d’un trajet qui aurait demandé 13h à un automobiliste! Rayan était sidéré par l’arrivée précoce de la tempête, mais il n’était pas inquiet pour sa propre vie : tout le monde sait que si la foudre frappe un habitacle comme le sien, le tout agit comme une cage de Faraday, et conduit le courant électrique droit vers le sol. Aussi continua-t-il son chemin, jusqu’à ce que le tonnerre devienne assourdissant. Il grondait maintenant en continu, tels une cascade. Les éclairs mauves commencèrent à bleuir. C’est à ce moment là que le jeune américain eut une certitude : cette tempête là était tout sauf naturelle.
L’impact, qui toucha soudain le véhicule, termina comme prévu sa course vers le sol. Rayan n’avait aucune égratignure, mais il était sonné. Tout avait tremblé. L’habitacle s’était teinté de jaune, de mauve et de bleu. Un arc-en-ciel électrique qui lui fit lâcher le volant. Le temps de reprendre ses esprits, un nouvel impact fit faire une embardée à la voiture, qui rebondit contre la rambarde de sécurité, et termina sa course dans un matelas végétal, au pied de la montagne. Rayan émergea de la tôle abasourdi. Il avait gravement sous estimé l’importance du chaos, et il se sentait vulnérable, petit face au déchaînement de… De quoi au fait? Pouvait-on vraiment appeler "ça" la nature? Non, certainement pas. Autour de lui, la foudre tombait droit vers la terre en de solides et épaisses colonnes. Elles avançaient comme si elles étaient mues par une volonté destructrice. Elles avalaient le bitume, grignotaient les bordures végétales, grillaient les arbres. Comme si elles avaient leurs vies propres. Lorsqu’il comprit que l’une d’entre elles se dirigeait droit vers lui, Rayan piqua un sprint effréné. On lui avait dit qu’en cas critique, il devait s’accroupir les pieds ancrés au sol, et se replier en boule avec les mains sur la tête. Ainsi, la foudre qui le toucherait n’’endommagerait pas son corps avant de passer dans la terre. Mais ce soir, plus aucune règle n’avait cours. Ce soir, l’orage défiait toutes les lois de la nature ou de la physique. Si une colonne électrique le touchait, s’en serait fini de lui.
Conscient qu’il serait moins rapide que la foudre, Rayan roula sur le côté en une figure qui lui aurait value la médaille d’or aux jeux olympiques. Comment avait-il réussi un tel exploit? C’est le mystère de l’adrénaline. Toujours est-il que la foudre continua, et explosa sa voiture en chemin.
En se retournant, prêt à faire face à un nouvel assaut assassin, Rayan ne s’attendait pas à ce qu’il devrait contempler. Devant lui, la route se fondait dans une nuit d’un bleu d’encre. Le roulement assourdissant disparut dans l’oeil du cyclone. Soudain, tout était calme. Plus de vent, plus de menaces. Rien qu’une forme qui, stoppant sa course, marcha, puis s’arrêta. Elle trôna la, majestueuse, à la fois terrifiante et merveilleuse. Rayan sut que son geste insensé de ce soir avait un sens. Il avait risqué sa vie, il n’avait plus de voiture, il n’était pas encore sorti du pétrin. Mais en ce moment même, il était le seul témoin au monde de l’impensable.

Son pelage luisait d’un éclat magnétique. Ses griffes, fermement arrimées à la route, se prolongeaient de zébrures noires. Comme s’il eut porté tous les éclairs en lui, un nuage s’épanouissait le long de sa colonne vertébrale. Sa crinière cotonneuse contrastait avec une face métallique, implacable. Des crocs aussi longs que des dents de sabre, soutenaient des yeux saillants, profonds, féroces et puissants, tout cela à la fois. Mais aussi emplis de curiosité, Rayan l’aurait juré. Malgré la violence de l’orage, malgré l’aspect sanguinaire de la créature, Rayan lui trouvait un air de chaton. Il n’aurait su expliquer comment ni pourquoi, mais à ce moment précis, il se serait bien vu jouer avec le pokémon, qu’il connaissait sous le nom de Raikou.
Sauf que ce n’était pas un chaton mais un chien, et que le jeu ne serait pas bien innocent. Surtout si Rayan y laissait sa peau.

La magie se brisa lorsque Raikou poussa un cri effroyable. Un son capable de fendre l’air, au point que Rayan leva un bras pour s’en protéger. En un clin d’oeil, la bête prit son élan et bondit. Le jeune homme la vit passer par dessus lui comme au ralenti. Porté par son instinct, vif comme une attaque Vitesse Extrême, l’humain saisit une patte arrière et s’y accrocha de toutes ses forces.
Il se laissa entrainer vers les montagnes. Tout son corps se meurtrissait sur la roche, se cambra et se congestionna, mais il tint bon. Au gré d’un opportun mouvement, il fut brièvement projeté en l’air, et parvint à s’agripper au dos de l’animal. Raikou poursuivait son chemin à toute allure. Loin de la curiosité de chaton que Rayan avait cru déceler, le chien laissait éclater sa fureur par centaines d’impacts électriques. Le top modèle de la météo aurait du grain à moudre cette nuit. En attendant pour Rayan, les secondes s’étirèrent, et il dut mobiliser toutes ses ressources pour se cramponner. C’était sans doutes les pire rodéo de son existence! Un jeu dans lequel il ne pourrait plus tenir longtemps. Alors, il se concentra pour tenter d’identifier un endroit suffisamment sûr pour lâcher prise. Mais l’orage vivant allait trop vite. Le paysage défilait comme un lot de pixels indistinct. "C’est quitte ou double mon vieux", se dit-il. "Soit tu atterris en limitant la casse, soit tu es en haut d’une falaise, d’un pont ou je ne sais quoi et là… Tu meurs."

À bout de forces, il finit par glisser, et fut projeté parmi les éclairs. Il n’aurait pas dû sortir ce soir, mais il était heureux de l’avoir fait. Mary n’était pas schizophrène. Chacun dans leur partie du monde, ils avaient vécu une expérience extraordinaire, avec des pokémon en chair et en os.

Rayan fut persuadé qu’il allait mourir cramé par la force de Raikou. Il pensa furtivement que tout ce qu’on racontait à propos de sa vie qui défile devant soi, c’étaient de sacrés mensonges. Rayan ne voulut pas voir sa fin, alors il ferma les yeux fort. Très fort. Aussi fort qu’il put. Et il dériva.