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Derkomai's Mask de weivern



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» Auteur : weivern - Voir le profil
» Créé le 08/07/2022 à 12:08
» Dernière mise à jour le 11/10/2023 à 11:09

» Mots-clés :   Présence de personnages de l'animé   Présence de shippings   Présence de transformations ou de change   Romance

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Une odeur entêtante et persistante de menthe
Les lèvres de Serena ravissaient les dernières gouttes du breuvage alors que ses yeux glissaient au-dessus de l’horizon d’émail. Il dormait, face à elle, sans se cacher. Et ces traits qui la terrifiaient, à nouveau si familier. L’épuisement du petit Salamèche ayant outrepassé ses forces, les légers grognements accompagnés de flammèches d’un Reptincel vexé par ses rêves, la flamme caudale trop faible de son Dracaufeu.

Sucré et chaud, mais la dresseuse ne percevait que l’amertume. Elle délaissa la tasse pour s’approcher du dragon, lui caresser la tête tout en murmurant :

- Ton repas est prêt.

Depuis longtemps en vérité, Serena n’avait juste pas eu l’envie ni le courage de le réveiller. Mais il devait manger, reprendre des forces, et autant qu’il le fasse avant que le plat n’ait définitivement refroidi.

Le métamorphosé bougea la tête, faisant croire quelques secondes à son réveil avant de caler sa joue contre la paume de sa dresseuse. Son sourire. Ce sourire que le dragon semblait avoir volé à un certain dresseur.

- Dracau, souffla-t-il d’aise.

Serena se releva, les joues brulantes tandis que ses doigts effleuraient le ruban à son poignet. Elle s’empressa de monter à l’étage et de s’enfermer dans la salle de bain pour passer un peu d’eau sur son visage. La chaleur se dissipa et avec elle les quelques couleurs qui avaient redonné vie à la peau blême.

L’eau disparaissait dans un horrible bruit de succion, emportant le reflet de la jeune fille. Mais au-dessus de l’évier, depuis le miroir, son image la scrutait. Ce que Serena avait perçu dans l’onde mouvante, elle devait le fixer sur la surface inerte.

Les cernes, ses cheveux mal peignés, ses joues creusées, son visage encore atone alors qu’en elle s’agitait des émotions mêlant surprise et colère contre elle-même. Elle s’était négligée, elle le savait, mais ce n’était qu’à présent qu’elle le comprenait.

- Pas étonnant qu’ils s’inquiétaient tous en me voyant dans cet état, souffla-t-elle.

Enfermée dans la cabine de douche, elle nettoyait ses cheveux des derniers grains de sable, savonnait sa peau comme pour l’arracher. Revenir à la normale, les rassurer, elle voulait… Son regard coula vers l’épaule.

J’ai dit que je m’en fichais.

Sous la pression, le pansement humide se détachait, glissait lentement. Une baissée de rideau pour le début du spectacle et le ventre de Serena se tordait.

C’est juste une cicatrice.

Une sorte de carton brunâtre et fripé qui partait de l’épaule et remontait sur une partie de la clavicule. Une épaule. Une épaule incapable de sentir le froid, la chaleur ou le toucher. Son épaule.

Juste une cicatrice.

Elle s’extirpa vite de la cage et prit de quoi recouvrir la blessure. Mais les bandes ne tenaient pas, glissaient quand elle essayait de les serrer. Elle s’en fichait, c’était juste une cicatrice, mais ça ne voulait pas disparaitre.

Serena écarquilla les yeux en entendant qu’on grattait derrière la porte. C’était discret, comme si on testait le bois avant de s’essayer à toquer.

- Cau…
- N’entre pas ! hurla-t-elle.
- Dracau ?

Pourquoi l’avait-il rejoint et que voulait-il ? En tous cas, elle aurait du mal à deviner sa question sans les expressions de son visage. Heureusement, celui-ci allait l’aider vu comment la poignée tournait… Idiot, idiot, idiot, je t’ai dit ne pas entrer ! paniqua Serena en bloquant la porte.

- Qu’est-ce que tu fais !? s’époumona-t-elle.
- Caufeu, dra, expliquait-il.

La pression qu’il exerçait ne faiblissait pas et Serena ne résisterait pas si elle ne trouvait pas rapidement ce qu’il voulait. De la nourriture ? Un combat ? Peu importe ce que c’est, tu pourrais attendre que j’aie fini !

- Cinq minutes ! Laisse-moi juste cinq minutes pour remettre le pansement ! avoua-t-elle.

Il s’arrêta. Serena attendit un peu des fois qu’il recommence, mais rien, le dragon se tenait tranquille.

- Dracaudra, feudra.
- Tu me mimeras ce que tu veux une fois sortie, d’accord ?
- Dra-cau-dra, feu-dra, articula-t-il lentement chaque syllabe.

Elle regarda quelques secondes sa cicatrice, cette simple vision suffisait à la faire grimacer de dégoût.

- Crois-moi, tu ferais mieux d’attendre. Mon épaule n’est pas très belle à voir.
- Dracau.

La jeune fille sentit un haut le cœur monter alors qu’elle expliquait :

- Je te l’ai déjà dit, ce n’est pas très grave. Mais je n’ai pas forcément envie qu’on la voit.
- Cau…
- Ça ne prendra que quelques minutes. Juste le temps de couvrir… Enfin, je vais faire vite.

Quand elle fut certaine qu’il resterait immobile, Serena retourna prendre le bandage. Elle le fit tourner en évitant soigneusement de regarder le membre meurtri. C’était plus simple lorsque l’infirmière s’en occupait, plus cruel aussi… Ça la répugnait. Malgré ses mots d’encouragement, malgré son sourire, malgré l’attention qu’elle portait dans ses soins, à chaque fois que la femme déballait la plaie, elle reculait légèrement la tête. Si seulement elle était restée neutre, comme cela Serena n’aurait pas deviné à travers cette femme la forme hideuse de la plaie…

Il ne restait plus qu’à nouer la bande blanche et elle pourrait à nouveau oublier. Tant qu’elle ne la voyait pas, tant que personne ne la voyait, elle pouvait arrêter d’y penser.

Le pansement lui échappa et se défit. Ce n’était pas si simple de le faire tenir, mais mieux valait ici que dehors. De toute façon, mes vêtements la cachent. Et puis, à quel moment avait-on besoin de découvrir ses épaules ? Ma robe de scène… Serena mordit sa lèvre, elle aurait un peu de couture à faire avant son prochain concours. Et s’il y a des vestiaires communs ? Elle aurait juste à attendre que tout le monde sorte pour se changer, pas de quoi s’inquiéter. Au pire, il y aurait toujours le bandage pour la protéger. Il ne tient pas très bien dans l’eau… Enfin, ce n’était pas comme si Serena aimait particulièrement la piscine. La mer aussi, ce n’est pas très grave. C’est vrai, elle pourrait toujours rester sur la plage. Et on peut bronzer même en T-shirt.

Donc pas de quoi s’inquiéter. Une fois que sa main aurait retrouvé une casi-normalité de mouvement, la marque ne serait pas bien difficile à dissimuler. Serena s’adapterait ou se priverait s’il le fallait. Il n’y avait rien de grave.

- Dracau ?
- Pas encore, s’étrangla-t-elle.
- Caufeu, dra !

Ses yeux la piquaient. Mais si elle pleurait, il pourrait l’entendre, et cela c’était hors de question. Il fallut quelques secondes à Serena pour rassembler sa voix, trouver une idée pour l’occuper.

- C’était bon ?
- Cau ?
- Ce que je t’ai préparé.
- Dra ? Draaa… Dracau ! Dracaudra !
- Tu n’y as pas touché, comprit la coordinatrice.

Sacha se renfrogna, elle aurait pu faire semblant de croire à son petit mensonge. Et puis c’était de sa faute ! Elle n’était plus à côté de lui lors de son réveil et si jamais elle avait changé d’avis… Manger était bien sa dernière préoccupation.

- Va manger. Moi j’ai juste… Je vais me débrouiller.

Elle entendit la queue du monstre claquer violemment.

- Dracaufeu, c’est mon problème.
- Dra ! cria-t-il.
- C’était mon choix ! Alors c’est à moi de l’assumer, de l’accepter même si… C’était mon erreur !

Sur le point d’éclater en sanglot, le cœur gonflé, ses ongles griffaient la marque.

- Dacau.

Serena sursauta face à ce simple murmure. C’était… du remord ? Non, ce n’était pas possible, elle devait encore une fois comprendre de travers. Elle esquissa un geste vers la poignée avant de se raviser.

"Je la hais cette cicatrice."

La jeune fille se figea. Pourquoi avait-il l’air de s’en vouloir ? De se sentir coupable ?

" Je la déteste tellement et toi tu ne dis rien, tu fais comme si ça ne comptait pas. Je ne veux pas. Même si c’est pour me protéger, même si tu penses m’aider… Ne l’accepte pas. "

Ce qu’il lui disait était important. Et elle savait à quel point il lui en voudrait si elle ne faisait pas l’effort de comprendre. Elle tritura un peu sa serviette, se demanda si elle répondait correctement avant de se dire que de toute façon elle se devait d’être claire sur ce point :

- C’est moi qui t’ai ordonné de ne pas bouger.
" Je sais. Tu as accepté d’être blessée, qu’on te fasse du mal, ça aussi je le déteste, ça aussi j’y pense à chaque fois que je la regarde mais… Je t’ai fait confiance, tu comprends ? "

La bouche de Sacha était sèche. Tous ces remords accumulés, tout cet entrainement pour essayer d’oublier, tout ce magma qui loin de s’être apaisé lui faisait plus mal que jamais.

" Te faire confiance, c’était plus simple que chercher à te comprendre, à savoir ce que tu ressentais, à quel point tu étais… "

Il prit une grande goulée d’air, regarda ses mains griffues. Evoluer pour la sauver ? Tu parles ! S’il s’était métamorphosé, s’il s’était obligé à changer, c’était avant tout pour rattraper son erreur. Une erreur évitable.

" Si j’avais fait cet effort, tu n’aurais pas eu à endurer tout ça. C’est pour ça que… Cette cicatrice, c’est… c’est moi qui attendais. Qui acceptais d’attendre. Qui préférais attendre plutôt que te retenir ! "

De l’autre côté, Serena n’avait rien vu du visage douloureux, ni de la flamme qui s’affligeait de rouge, ni de l’angoisse qui blanchissait les écailles. Elle s’adossa contre la porte, se rendant compte à quel point elle était chaude.

- Pourquoi tu es monté ?

Ses regrets, sa douleur, même sans mots pour les porter, Sacha les avait transmis.

- Pourquoi tu m’attends ?

La porte continuait de s’échauffer dans son dos. Je bats des records. Je le sais déjà, et pourtant j’ai encore besoin de te le demander, d’en être certaine.

- Pourquoi tu t’en veux ?
" Serena ? "

Je veux te faire confiance. Je veux croire en toi. Même si c’est haut, même si j’ai le vertige, même si je préfèrerais mille fois rester au sol. Avec toi, ce n’est qu’avec toi que je…

- Dracaufeu… Mon bandage…
" Serena ! "

Elle passa sa main sur ses joues, sentant l’humidité qui les imprégnait. Lui, il avait dû les sentir, les larmes qui coulaient.

- Je n’y arriverai pas. Je n’arriverai pas à le faire seule.

Elle mit sa main sur sa blessure, commença à tourner la poignée, s’arrêta. Comment peut-il t’aider si tu ne lui montres pas ? Elle lâcha la plaie.

Sacha était humain. Cela il s’en souvint quand Serena apparue face à lui. Sacha possédait des ailes, une queue enflammée, des écailles, des griffes, l’apparence d’un pokémon. Quelque chose d’évident lorsqu’elle le regarda de ses yeux innocents, sans se douter un instant de la supercherie. Sacha était un garçon, un jeune adolescent. Et cette nature là le frappa bien plus violemment que toutes les autres.

Les flammes s’échappèrent de sa bouche, léchant ses joues déjà brûlantes. Une serviette, la jeune fille n’avait qu’une serviette ! Ses cheveux encore humides gouttaient sur ses épaules, longeaient les reliefs de son sternum jusqu’à… Quand ils voyageaient ensemble à Kalos, son amie devait faire un petit centimètre de plus que lui. Sauf que maintenant, avec sa forme de gros et surtout de grand reptile…

- Dracaufeu ? Tu… Tu n’as pas l’air bien.

Elle posa sa main contre sa blessure. Un simple mouvement qui suffit à faire descendre légèrement la serviette d’un côté. Un gargouillement rauque sortit de la gorge du métamorphosé. C’était une vue plongeante, vertigineuse ! Ce visage, ce corps bien plus exposé sous cet angle que s’il avait été à son niveau.

Elle avança d’un pas et le fin tissu suivit la courbe de sa jambe, s’étira, comme s’il était prêt à se rompre. Là, Sacha regrettait. De ne pas l’avoir écoutée, de ne pas être descendu immédiatement pour attendre qu’elle finisse... Mais il la croyait déjà habillée ! Et quelle idée de sortir de la salle de bain dans cette tenue !

Pourquoi serait-elle gênée face à son pokémon ?

Oh de la gêne elle en aurait. Quand il aurait repris forme humaine, quand elle découvrirait qui il était vraiment, cet épisode lui reviendrait au centuple ! Sauf que pour l’instant, tout ce qu’elle trouvait à faire, c’était s’approcher de lui sans penser une seule seconde à remettre ses vêtements.

La suite, Sacha ne s’en souvint que vaguement. Un peu comme s’il avait tourné la tête au moment où le film commençait. Il ne reprit le fil que quand il fut à nouveau dans le salon, avec Roussil et madame Roc qui le dévisageaient.

" Sacha ? Qu’est-ce qui te prends encore ? "
" S-Serena ! "

Il avait crié plus fort qu’il ne l’aurait voulu, provoquant la curiosité de la renarde.

" Oui ? "

Tu veux savoir Roussil ? Je sais que tu meurs d’envie de savoir ! Serena, ta dresseuse, elle est sortie avec une serviette, juste une serviette, je lui ai jamais demandé de sortir en serviette !

" Elle… Elle a besoin d’aide… De ton aide ! Pour son pansement… "

Aviez-vous déjà fait face au Jugement d’Arceus ? Sacha oui, et il pouvait assurer qu’en cet instant, il aurait largement préféré se retrouver sous la pluie de roches ardentes apocalyptique plutôt que face aux sourcils froncés de la renarde. Ceux-là même qui disaient : « Développe Sacha. Dis-moi ce qui t’as fait dévaler les escaliers comme si Giratina était à tes trousses. »

" Très bien, " céda-t-elle finalement.

Sacha retint son souffle pendant qu’elle quittait la pièce, s’attendant à ce qu’elle revienne soudain sur ses pas pour avoir le fin mot de l’histoire. Mais visiblement elle était décidée, ou avait-elle pitié, à ne pas chercher plus loin.

Toutes ces émotions lui avaient donné faim et tant pis si son repas était déjà froid. Il prit l’assiette, son ventre impatient de commencer, mais étrangement c’était son cœur qui se faisait le plus entendre. Il battait fort pour faire concurrence aux gargouillements. Il pulsait vite pour prouver que c’était lui le plus heureux. Lui qui, plus que tous les autres, désirait goûter la cuisine de Serena.

Alors qu’elle ne fut pas sa déception lorsque Sacha s’arrêta au bout de quelques bouchées. Non pas que la nourriture était mauvaise, loin de là. Mais son estomac lui semblait rigide, comme incapable de se détendre pour accueillir les aliments. Et peu importe à quel point les autres le pressaient de continuer, la reddition était déjà signée.

Sacha soupira de dépit, laissant son regard dériver vers la porte où apparaitrait bientôt Serena. Elle s’inquièterait s’il ne finissait pas et il voulait finir.

- Tu as une bonne dresseuse, s’amusa la vieillarde.

Sacha sursauta. Il avait presque oublié la dame assise sur son canapé. Elle le considérait en silence, les mains jointes sur sa canne. Une bonne dresseuse… Serena n’aurait plus été sa dresseuse du tout sans l’intervention de la vénérable.

" Pardon de vous avoir attaqué tout à l’heure et s’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous remercier… "
- Oulà mon petit ! Ne dis pas des choses que tu pourrais regretter. Surtout que tu vas bientôt m’en vouloir, finit-elle avec un clin d’œil espiègle.

Elle comptait l’obliger à affronter son Rhinastoc ? C’est vrai qu’on ne pouvait pas posséder un pokémon aussi puissant sans être passionné de combats. En soit, même s’il devait se faire ensevelir par plusieurs kilos de roches, il ne pensait pas pouvoir faire de reproches à la mamie.

" Qui êtes-vous exactement ? "

Elle ne pouvait pas être simplement une vieille dame ayant pour seule activité le tricot et le ménage.

- Oh ça t’ennuiera.
" Mais votre pokémon, la facilité avec laquelle vous comprenez les choses… Et même maintenant ! Je n’ai même pas besoin de mimer ! "
- Tu sais, si je devais me reposer sur les mots pour comprendre…

Elle se leva et se dirigea avec calme vers l’une des commodes. L’ancienne en tira un petit cadre photo, son dentier se dévoilant en même temps qu’elle le fixait.

- Ma petite sœur n’était pas très bavarde quand quelque chose n’allait pas en plus d’avoir une fâcheuse tendance à mentir sur ce qu’elle ressentait vraiment. Alors j’ai appris à me débrouiller pour savoir à quel moment je devais lui remonter les bretelles.

Elle posa le cadre photo et se tourna vers le faux-pokémon.

- Un pokémon, c’est rare que ça mente, donc en ce sens tu es bien plus simple à comprendre. A moins que tu aies quelque chose à m’avouer mon petit ?

Mais Sacha était déjà trop absorbé par le cliché sur la commode pour faire attention à ce que disait madame Roc. Il saisit le cadre à deux mains, voulant s’assurer qu’il ne rêvait pas.

- On a pris cette photo lors de sa dernière visite à Hoenn. Tu la connais ?

Bien sûr qu’il la connaissait ! Et surtout, il comprenait mieux la puissance de Rhinastoc. Pour remonter les bretelles d’un membre du Conseil 4, il fallait du lourd, du très lourd.

- Si tu ne veux pas répondre… se vexa la vieillarde d’être ignorée. Serena, tu connais ma petite sœur ?

Sacha tordit son cou, remarquant sa dresseuse qui venait d’arriver et s’approchait d’eux. Serena glissa un regard par-dessus le bras du dragon pour observer l’image avant de répondre :

- Je ne crois pas.
- Pourtant, mon petit semblait la connaître.
- Ce ne serait pas la première fois. Déjà quand il était Salamèche, il connaissait certaines choses que j’ignorais.
- C’est vrai qu’il aurait pu voir son visage à la télévision ou sur un journal sans que toi tu ne la remarques, concéda la vieillarde non sans faire la moue.

Pendant que madame Roc parlait, Sacha ne pouvait s’empêcher de fixer la kalosienne. Elle sentait bon le shampoing, ses cheveux avaient retrouvé leur brillance et son visage redevenait plus expressif, pas encore parfait, mais un léger mieux qu’il était capable de discerner. Elle plaqua soudain sa main à l’endroit où se trouvait sa blessure en grimaçant, surprenant le métamorphosé.

" Sacha, " entendit-il siffler derrière lui.
" O-Oui ? "

Max Repousse ! Pour un voyage en toute tranquillité. Oui, ce devait être ça que chantait le jingle. Sacha n’avait jamais su qui pouvait bien acheter ce genre d’objet. Max Repousse ! La sérénité pour vos voyages. Mais là, il n’aurait pas dit non d’en avoir un peu sur lui. Repousse Max ! Le partenaire indispensable !

De mauvais poil, c’était peu dire. Roussil semblait prête à l’égorger d’un coup de croc ou de griffe. Mais le vieux disque rayé qui swinguait en lieu et place de l’instinct de survie de Sacha ne lui permit de penser qu’à une seule chose : Ils ont changé le nom de la marque.

" Dis-moi mon cher Sacha, à quel moment tu t’enfuies en courant quand Serena te montre son épaule ? "
" Son épaule ? Mais… Ce n’est pas pour ça que… "
" Eh bien elle le croit crétin ! Surtout que c’était à toi qu’elle avait demandé de l’aide. "

Il n’y avait pas que son instinct de survie qui s’était transformé en vieux jingle. Ses paroles aussi vu comment il bafouillait en rythme.

" J’ai eu toutes les peines du monde pour qu’elle accepte que je m’en occupe. Et tu peux me remercier de lui avoir rappelé que de toute façon, tu fuyais à chaque fois qu’elle se déshabillait, cicatrice ou non. Si tant est que porter une serviette ne soit pas différent de ne rien porter du tout."

Si je te répondais que c’était tout comme, tu me tuerais. Et si je te disais que ce n’était pas le cas, tu me tuerais aussi.

" Serena… " supplia-t-il d’une petite voix.

Celle-ci n’avait pas attendu que Sacha demande pour saisir le bras de la renarde, lui faisant signe de ne pas aller plus loin.

- Je vais bien, assura-t-elle.

Roussil serra son poing avant de se tourner vers Sacha.

" Tu as intérêt à te rattraper. Et vite ! "

Une fois la dispute calmée, Serena ne tarda pas à remarquer l’assiette à peine entamée.

- Tu n’as presque rien mangé, se désespéra-t-elle.
- Ne le force pas trop non plus, intervint madame Roc. Il s’est privé pendant un moment alors trop de nourriture d’un coup pourrait le rendre malade.

La dresseuse n’était pas convaincue. Qu’il ne finisse pas tout, elle pouvait le comprendre. Mais là qu’avait-il mangé. Deux bouchées ? Trois au maximum.

- Fractionne ses repas pendant quelques jours et tu verras qu’il ne se privera pas, ajouta la dame.
- Bon, d’accord… Mais Dracaufeu, il n’y a vraiment rien qui te plairait ? Quelque chose dont tu as envie, là, maintenant.

Sacha détourna le regard et rougit un peu. Effectivement, il y avait peut-être bien quelque chose.

" Tes profiteroles… Celles que tu fais spécialement pour moi, avec les baies Tamato. "

Celles qu’il avait toujours refusées depuis son évolution. Au point que Serena avait cru que ses goûts avaient eux aussi changé. Les grognements étaient facilement compréhensibles pour Roussil, un peu moins pour la dresseuse. Elle décida donc d’aller chercher elle-même le panier d’osier et de le rapporter à Sacha.

" Elle les avait faites en même temps que ton repas. Mais comme ces derniers temps tu avais tendance à lui faire croire que tu les détestais… "

Serena tira vivement le panier hors des mains du dragon sous le regard ahuri de ses deux pokémons.

- Roussil, c'est gentil d'essayer, mais ces profiteroles… Je n'ai pas essayé de nouvelles recettes. Je les ai juste faites sans réfléchir, par habitude.

Elle se figea quand il prit ses mains, l’obligeant à lui montrer le panier.

- Tu es sûr ? Il y a encore quelques jours tu…
- Dracau, quémanda-t-il.

Elle acquiesça et défit l’attache, dévoilant le trésor tant convoité. Sacha ne se fit pas prier et goba une pâtisserie sous le regard étonné de Serena.

- Tu aimes ?
- Dra ! acquiesça-t-il tout sourire.

Il en prit une deuxième puis une troisième. Doucement, ses ailes se rapprochaient de la jeune fille, comme si elles étaient sur le point de l’envelopper. Mais il était trop absorbé par chacune des savoureuses bouchées pour le remarquer, tout comme il ne voyait pas cette main qui approchait.

Par contre il la sentit. Sacha cria de surprise et recula d’un coup sec, renversant au passage le panier et toutes les profiteroles.

- Dracaufeu ! Oh pardon, pardon, pardon ! Je sais que tu n’aimes pas ça, mais je pensais…
- Hu hu ! pouffa la vieillarde. Tu ne vas pas abandonner pour un si petit échec ?
- Je ne vais pas le forcer non plus !
- Serena, tu as déjà emmené Dracaufeu se faire soigner au centre pokémon, non ?

La jeune fille déglutit, croyant deviner où l’ancienne voulait en venir.

- En lui laissant le temps, peut-être que…
- Il a un gros travail à faire pour s’habituer, un travail nécessaire. Et il n’y parviendra que si tu décides de t’y investir.

Attendez, attendez ! Pourquoi vous insistez pour que Serena touche mes ailes !? s’affolait le faux pokémon.

- Drr…
- Dracaufeu, tend ton aile, le coupa la vieillarde.

Maintenant ? Mais… Je… Ah ! Je ne me suis toujours pas énervée contre elle ! Je dois lui faire la tête… ou quelque chose du genre.

Pour l’énervement, Sacha repasserait vu comment il collait son dos contre le mur avec les écailles de son visage qui alternaient du rouge ardent à l’orange pâle. Dire qu’il se promettait il y a peu de lui faire payer pour l’avoir autant inquiété. Sauf que les grands yeux bleus de son amie lui faisaient doucement abandonner l’idée d’une quelconque vengeance.

- Serena va croire que tu lui en veux si tu continues.
" C'est le cas ! Je... Je lui en veux, je lui en veux vraiment, donc hors de question qu'elle..."
- Tu tiens tant que ça à voir ses larmes ? se désola la vieillarde.

Serena soupira. Madame Roc pensait vraiment que c'était ce genre d'argument qui ferait changer d'avis le pokémon ? Toutefois, en voyant la fumée qui sortait des narines du monstre comme s'il était une machine à vapeur, elle se rendit compte qu'il y réfléchissait sérieusement.

- Tu sais Dracaufeu, je ne vais pas...

Un coup de canne discret sur sa jambe l'empêcha de continuer. L'ancienne lui fit signe de se baisser pour qu'elle puisse lui murmurer :

- Tu as toujours du mal à l'accepter. Mais peut-être serait-il temps d'admettre à quel point il tient à toi.

Sacha savait bien que la mamie lui mentait. Mais tout de même, ne risquait-il pas de la rendre triste ? Non ! Il devait la rendre triste ! C'était comme ça quand on faisait la tête à quelqu'un... Enfin, il ne voulait pas non plus qu'elle soit trop triste. Juste un petit peu, un tout petit peu...

- Tu vois, pouffa madame Roc en voyant le visage ébahi de la kalosienne.

Le dragon tendait son aile. Avec sa tête baissée et ses écailles qui frémissaient déjà de peur, on voyait bien qu'il était tout sauf heureux de sa décision. Mais il s'était rendu à l'évidence : un tout petit peu, c'était déjà trop pour lui.

- Tu es sûr ? voulut-elle quand même s’assurer.

Il était humain de base, alors il devrait pouvoir mieux se contrôler qu’un vrai dracaufeu. C’était juste une question de volonté. Tout de même, il préféra préciser d’une voix tremblante :

" Dou… Doucement. "

Il retint sa respiration alors qu’il sentait les doigts de son amie toucher la fine membrane. Imagine que c’est ton bras. Oui, ce ne devrait pas être compliqué… Il fit un bond sur le côté à la seconde où la main glissa sur le tissu. C’était sensible, vraiment très sensible, et elle venait de déclencher une véritable explosion d’émotions en lui.

Il sentait que leur hôte allait proposer de recommencer, et ça c’était hors de question. Déjà qu’il était sur le point d’imploser, il devait fuir loin de cette maison et de la vieille dame le plus vite possible !

Il prit son amie par la main, fit un détour par la cuisine pour récupérer les frères électriques ainsi que Pandespiègle, revint sur ses pas en remarquant que Roussil ne l’avait pas suivi.

- Vous partez déjà ? s’affligea la grand-mère, même si son sourire trahissait ses vraies pensées.
- Quoi ? s’étonna Serena.

Elle fut à nouveau embarquée par son dragon jusqu’à l’extérieur où somnolait Nymphali.

" Qu’est-ce qu'il y a ? " sursauta-t-elle en les voyant tous débarquer.

Sacha ne perdit pas de temps. Il s’accroupit, indiquant à sa dresseuse de monter.

- Tu devrais te reposer.
- Dra.
- Ce n’est pas grave si on n’arrive pas à temps pour le concours d’Autéquia, il y en aura d’autres.

Sacha zieuta la maison où attendait madame Roc et son soi-disant entrainement. Il fixa longuement Serena, misant tout sur cette simple demande :

" Je veux y participer avec toi. "

Serena se dandina sur place. Elle ne voulait pas que son pokémon outrepasse ses limites, mais le voir aussi déterminé…

" Et voilà, " soupira la renarde.
" Quoi ? " questionna Pandespiègle.
- Je compte sur toi Dracaufeu.
" Ça, " s’exaspéra Roussil.

***
Le croissant de mercure était le seul élément présent dans ce vaste néant. Il surplombait un désert sans fin éclairant chaque grain de sa clarté fantomatique et seuls les arbres desséchés, témoins d’une ère révolue, brisaient la monotonie du paysage. Ce monde se terrait dans un mutisme inquiétant, se contentant d’observer les créatures sinistres et difformes qui le sillonnaient.

Un kraknoix émergea du sel blanc, posant ses pattes sur la rude surface. Il s’arrêta net dès qu’il entendit le sol fulminer. Il porta son regard aussi loin que sa courte nuque lui permettait, parvenant ainsi à discerner la cause de son inquiétude. La silhouette d’un fantôme. Sa présence alourdissait l’atmosphère, comme si elle s’était transmutée en plomb ardent, accablant ses poumons, suffocant son esprit, étranglant ses sens.

" Enlève cette peau et viens. "

Kraknoix écouta. Kraknoix enleva sa peau. Kraknoix montra sa fourrure rose. Mew s’éleva. Mew demanda :

" Que veux-tu ? "

L’apparition leva son bec, révélant à la faveur de la lune ses orbites vides. Ses ailes d’un blanc nacré, pareil à une toge, couvraient son corps d’émeraude, cachaient le monstre sur son torse dont seuls les yeux rouges étaient visibles.

" Viens. "

Ce qu’on appelait aujourd’hui Ruines Désert, ce qui fut autrefois le Temple Xatu. Plus de trois mille ans passés, et pourtant Mew n’avait pas oublié. Il se heurta aux vagues, celles qui suivaient toujours les xatus, celles devenues incontrôlables sans le regard de leur maître pour les accrocher.

Un torrent à présent. Sa tête lui tournait, ses pouvoirs psychiques tournaient, suivant la courbe imposée par le temps lui-même.

" Tu ne devrais pas être ici, " siffla le pokémon rose d’une voix douloureuse.

Xatu aveugle. Les flots déchainés auraient déjà dû l’emporter au loin, le balloter entre les espaces, incapable de rejoindre la rive.

" Ne vole pas les mots de Xatu. Utilise les tiens. "

Les poils de Mew se hérissèrent. Il faisait le malin mais croyait-il qu’il ne l’avait pas remarqué ? Cet humain devenu marionnette entouré de la psychée de Xatu, cet appât qui avait attiré le porteur du masque. Il l’avait confiné dans ce temple pendant que Mew restait à l’extérieur, incapable de voir à cause des vagues.

" Que voulais-tu ? "
" Pourquoi Mew les suit ? Xatu cherchait réponse. Le temple Xatu autorisait depuis plusieurs jours les recherches de ces humains. Donc, comme il en a toujours été, Xatu a sollicité rétribution auprès de ses visiteurs. "
" Et dire que ce sont ces mêmes humains qui rêvent d’atteindre Groudon, soupira Mew. Mais cela n’aurait-il pas été plus simple de me demander directement ? "

Le pokémon leva ses trous béants vers le plafond de son ancienne demeure. Il attendait, les ailes écartées, comme si la parole divine devait venir le toucher.

" Ta venue dans la demeure de Xatu, c’est tout ce que Xatu pouvait exiger de toi. Voilà pourquoi, Xatu devait trouver lui-même les réponses. "

Une nouvelle déferlante. Elle montait à la tête, étourdissait, provoquait l’ivresse. Mew se posa à terre, prêt à utiliser toute sa puissance pour fuir s’il le fallait.

" Ceux que tu suivais. Xatu a regardé tout autour et, en cet instant, ils n’auraient pas dû être ici, pas dû être ensembles. Xatu a alors essayé de regarder plus loin cette singularité, mais seuls quelques jours du passé et du futur y correspondaient. Seulement quelques jours alors qu’encore maintenant, Xatu admire le temple à son âge d’or et pleure sur les grains de poussières qu’il deviendra. Mais cette incohérence, cette vision limitée, sais-tu quels souvenirs sont remontés dans la mémoire de Xatu ?"
" Difficile de jouer aux devinettes avec cette pression, " grinça le pokémon.
" La surprise. Celle de Xatu lors de ta première visite au temple en compagnie de ces deux humains. "

Les orbites vides fixaient Mew comme si elles étaient bel et bien capables de le voir.

" Xatu a regardé tout autour, aussi loin que la vision le permettait : passé, présent ou avenir, Mew n’existait pas. Pourtant, tu étais bien là, au plus proche des yeux de Xatu. Une anomalie isolée. Oh bien sûr, Xatu avait déjà été témoin de ce genre de phénomène. Mais ce n'était que choses banales, sans importance. Et surtout..."

Le pokémon leva son aile vers les deux trous noirs qui perçaient sa face.

" Les choses isolées disparaissent. Mais Mew n'a pas obéi à cela. Non, même s'il n'est pas partout, plus le temps passe, plus Mew devient visible. Plus le temps passe, plus le passé de Mew disparait. C'est bien là le problème de Xatu : comme Xatu n'a pas pu regarder avant, Xatu ne peut plus regarder à présent. "
" Désolé de ne pas pouvoir plus te divertir. Mais peut-être trouves-tu plus d'amusement dans mon avenir. "
" Avenir ? Non. Une stagnation, une somnolence, un statut quo qui ne progresse pas. Et tu devrais t’en contenter. "
" La prophétie d’un oracle ? "
" Le bon sens… Limiter les dégâts d’un pokémon qui un jour a fait sien les sentiments d’humains. "

La bouche de Mew se crispa, ses petits crocs apparents.

" Tu peux parler. Tes yeux… ne t’es-tu pas plié à leur volonté ? "
" Mew et Xatu n’ont pas le même rôle. Peu importe si Xatu a les valeurs d’un humain, peu importe s’il les imite, peu importe s’il est soumis à leur loi, Xatu ne changera rien. Alors que toi… "

Téléport. Alors c’était comme ça, il préférait l’ignorer, il préférait piétiner cette mémoire qu’il avait lui-même créée. A sa guise, Xatu était toujours là, Xatu persistait.

Seul dans son temple, certain de la disparition du petit monstre, l’oiseau étendit ses ailes et longea les pierres du plafond. Parmi elles, une trappe secrète qui menait au grenier. Un endroit censé protéger les xatus du temple s’ils étaient attaqués.

" Veuillez me pardonner. Je l’ai retenu moins longtemps que promis. "

Les combles restés longtemps vides étaient remplis de différents écrans affichant les images des caméras de surveillances dissimulées dans tout le temple. Au milieu, celle qui avait tout installé souriait enveloppée dans son manteau rouge.

- Tu en as déjà fait beaucoup. Dissimuler les caméras et moi-même à sa vue, les attirer, empêcher cette idiote de championne de gêner nos recherches. Sans ton aide, rien n’aurait été possible.

Xatu s’inclina. La joie qu’il ressentait était presque aussi forte que les vagues qui l’emporteraient à nouveau.

- Mais je ne pensais pas que tu accepterais si facilement.

Le visage des xatus était réputé pour toujours rester immobile, mais les yeux brillants sur leurs torses, eux, ne cachaient pas leurs émotions.

" La destruction d’Atellanes, elle n’existait pas non plus, dans aucun des avenirs visibles. Et pourtant, sa chute advint en une seule nuit. Alors à votre avis ? Qu’ont pensé les humains de ma ville en me voyant incapable de prédire une telle catastrophe ? "

Le fait de ne pas pouvoir regarder le monstre dans le blanc des yeux était déjà un bon indice pour Courtney.

- Le destin de ceux qui échouent dans leur rôle.
" Bien que j’aurais pu me dérober, bien qu’il n’y aurait eu aucune implication à mon refus, je l’ai accepté. Mais Mew… "
- Ton refus aurait juste condamné tes camarades. De toute façon ils t’auraient retrouvé, et la finalité n’aurait pas été différente. Le bilan aurait juste été plus lourd.

L’image de l’oiseau s’atténuait. Il baissait la tête, exténué par toute l’énergie déployée pour s’agripper à ce vieux temple. Courtney pris les ailes du pokémon, les joignit face à elle, dans une prière qu’elle espérait être entendue.

- Réussirons-nous Xatu ?
" Si seulement le destin n’était pas sujet à tant d’erreurs, je pourrais vous le promettre "

Le silence. Le pokémon s’était tût, emporté par une vague trop forte. Courtney observa ses mains vides. Il lui faudrait un sacré bout de temps pour ranger le matériel. Peut-être devrait-elle demander de l’aide à Kelvin et Ignacio… Mais ils n’étaient pas censés savoir qu’elle était ici, encore moins ce qu’elle faisait ici.

L’Admin soupira de lassitude. Au prochain appel de ses deux collègues, peu importe ce qu’ils auraient trouvé, Max les féliciterait et leur demanderait de rentrer à la base. Quant à elle…

- Foutu rangement !

***
Des pleurs.

Le vieux poste de télévision hurlait, des pokémons s’agitaient sur le petit écran au milieu de cette pièce plongée dans le noir. Des dresseurs, les combats, son futur, son… rêve. Sacha appuya sur la télécommande, les barres vertes apparaissaient une à une. Saturée, comme prise d’une violente toux, la télévision crachotait les sons.

Jamais assez fort pour masquer les pleurs.

Il quitta son sanctuaire pour retrouver sa mère. Assise à la table de sa cuisine, elle caressait la photo. La photo de son mari, du père de Sacha, de celui qui avait préféré son rêve à eux.

- Tu as fait un cauchemar ? demanda Délia.

Sa voix était toujours douce quand elle s’adressait à lui, toujours aimante. Et lui aussi, il aimait cette femme qui faisait tant d’efforts pour élever seul son fils, il aimait sa mère qui toujours lui souriait alors que… Ses yeux étaient rougis par les pleurs.

Elle était une dresseuse avec des rêves et des objectifs et pourtant elle devait rester ici, à vivre dans ce bourg perdu. Elle aurait pu l’abandonner dès la naissance, elle aurait pu poursuivre ses rêves sans se soucier de lui, elle aurait pu accompagner son père, elle ne l’avait pas fait.

Sacha lui était reconnaissant, Sacha connaissait sa chance, mais Sacha connaissait aussi ses torts. Ses camarades de classes le lui chantaient bien trop souvent.

- C’est la ligue en ce moment.
- Sacha Ketchum, ligue ou pas tu devrais dormir à l’heure qu’il est.

S’il avait mis le son de la télévision à fond, s’il avait patienté si longtemps avant de descendre, c’était parce qu’il espérait que la porte claquerait après les pleurs. Qu’elle partirait, qu’elle retrouverait enfin la vie qu’elle méritait, sans se soucier de lui.

- Je voulais regarder. C'était important.

Sa mère restait. Lui faisait de son mieux pour la remercier, pour ne pas lui attirer d’ennui. Il allait voir les parents de ceux qui se moquaient au lieu de se battre, il souriait, aidait du mieux qu’il pouvait sa mère. Un gentil garçon, mais ce n’était pas suffisant, pas assez pour l’empêcher de pleurer. A présent Sacha serrait son bas de pyjama, essayant de retenir ses larmes.

- Je deviendrai maître pokémon, je te le promets.

Et même s’il n’y parvenait pas, au moins elle serait libre. Elle n’aurait plus à se soucier de ce garçon vagabondant sur les routes, elle pourrait enfin vivre sa vie.

- Tu sais, quand tu me dis ça…

L’enfant ferma les yeux. La suppliant de ne pas le dire, de ne pas le briser définitivement.

- Tu me rappelles ton père.

Elle le prit dans ses bras, le porta jusqu’à sa chambre, le borda. Une fois partie, Sacha ralluma le vieux poste de télévision, monta le son pour n’entendre que les cris d’encouragements.


Tu ne partiras pas. Tant que je ne serai pas devenu maître, tant que je n’aurai pas accompli mon rêve, tu resteras ici à m’attendre, tout comme tu attends papa. Ne te préoccupe pas de moi, abandonne-moi, je ne veux plus que tu souffres par ma faute.

Le petit garçon aux cheveux noirs frissonna. Son rêve dans l’écran cathodique, cette image qu’il poursuivrait toute sa vie alors qu’en vérité, plus que tout…

Je voulais rester.