Chapitre 14 : On and On
L'ambiance dans le train était on ne peut plus électrique. On pourrait croire que la foudre allait s'abattre à chaque instant si bien que les quelques passagers avaient changé de wagon. Dans celui-là, il ne restait plus que Shiori, Sorbier, Niels et sa mère. Shiori et Sorbier était à l'autre bout, terrés dans un coin, ayant peur de bouger ne fusse que le petit doigt. Niels regardait par la fenêtre, sa main devant son visage. En cet instant, il trouvait le temps bien long alors que le voyage ne devait durer qu'une bonne demi-heure. Il essayait tant bien que mal de ne pas regarder sa mère même s'il sentait son regard glacial sur lui.
Il ne savait pas quoi faire, ni quoi dire. Il était partagé entre le fait de se murer dans le silence ou de confronter sa mère. Il redoutait malgré tout de parler de son frère oublié à sa mère. Il sentait bien qu'elle était prête à exploser à n'importe quel moment, en témoigner ses tics nerveux qui consistaient à des froissements de robes ou des mains passées rapidement dans les cheveux, à deux doigts de les arracher. Il était complètement perdu et tétanisé. Pourquoi sa mère lui avait menti et caché l'existence de son frère ? Pourquoi était-il considéré comme un paria ? Devait-il en parler ou se taire, d'autant plus que son anniversaire était... aujourd'hui ! Avec toutes ces révélations, il en avait complètement oublié la date de son anniversaire ! Il plaqua sa main contre son front, se maudissant ! Superbe anniversaire en perspective !
Mais en attendant, il ne savait toujours pas quoi faire, comment agir, comment se comporter, perdu comme un petit enfant égaré dans un magasin après s'être éloigné de papa/maman. Les dires de Lucifer et de Seth l'avaient encore plus embrouillé et il sentait une affreuse migraine poindre le bout du nez. Il était à bout et avait envie d'hurler, d'exprimer sa tristesse, sa colère, sa rage. Il avait envie de tout détruire comme si une créature étrange et insidieuse avait prit possession de son corps et lui dictait des choses horribles, des choses inimaginables dépassant la pauvre imagination limitée de l'espèce humaine ! Il se sentait dépassé, complètement dépassé, se sentant petit dans l'immensité de l'univers. Jusqu'ici tout avait été facile : école, devoirs, amitié, quelques embrouilles avec certains camarades de classe, travail au laboratoire du professeur Sorbier. Il avait choisi la bonne voie, la voie honnête, mais maintenant, il sentait que tout ça était vain, que tout n'était que mensonge et tromperie ! Il avait toujours travaillé dur, se surpassant la plupart du temps, repoussant sans cesse les limites. Mais à quoi ça avait servi quand on apprenait que tout ça était vain et inutile ? Il avait l'impression que son monde s'effondrait et ça l'effrayait. Il était presque en proie à la terreur et il se roula en boule sur le siège avant de tomber lourdement par terre, secoué par les soubresauts légers du train. Il pleura sans se rendre compte, de manière automatique, faisant abstraction de la douleur qu'il avait ressenti quand il avait chuté. La douleur n'avait plus d'importance à cet instant précis.
Listen here, try me out (Ecoutez ici, essayez-moi)
Can you understand a word that I say ? (Pouvez-vous comprendre un mot de ce que je dis ?)
Life will never turn out the way you want it (La vie ne sera jamais comme tu veux)
Working hard like a slave, cause you choose to take the honest way (Travaillant dur comme un esclave parce que tu as choisi la voie honnête)
Why do the wind always blow cold and always the wrong way ? (Pourquoi le vent souffle toujours froid et dans la mauvaise direction ?)
Perdu, complètement perdu ! Dans sa vie, son semblant de vie qui n'avait été qu'une vaste blague jusqu'à ce jour, sa pathétique vie qu'il avait mené sans se rendre compte que tout n'était que mensonge et tromperie. Il ferma les yeux, cherchant le réconfort de Lucifer, mais il ne trouva rien à part le vide et le néant. Tout était noir, vide, triste et pitoyable. Il sentit quelqu'un le prendre dans ses bras. Il pensa un instant qu'il s'agissait de Lucifer, mais c'était des mains de femme et d'après l'odeur de rose, il s'agissait de sa mère. Il essaya de se débattre, ne voulant pas être dans les bras de cette femme qui lui avait menti toutes ces années, mais il ressentait en même temps une pointe d'amour envers elle, même s'il essayait de détruire le lien qui le reliait à sa mère, même s'il essayait de faire abstraction de ses sentiments. Il essayait de détruire ce lien qui le dégoûtait mais qui à la fois le rassurait ! Mais même cet amour, avait-il un jour existé ? Etait-il un mensonge éhonté comme tout le reste ? Où était la vérité, le mensonge dans tout ça, dans ce tumulte orageux et désordonné ? Il se sentait faible comme un nouveau-né qui venait de poindre le bout de son nez dans ce monde inconnu et étrange. Il avait l'impression que tout lui échappait : sa vie, la vérité, le mensonge,... Qu'est-ce qui était encore vrai, qu'est-ce qui ne l'était pas ? Il ne savait pas, il ne savait plus ! Que devait-il ou pouvait-il faire ou dire ? Quelle porte était la bonne, l'échappatoire vers une vie meilleure, une vraie vie ? Les portes qu'il avait jusqu'alors empruntées tout au long de sa vie étaient-elles des mauvaises portes ? Des portes pourries en quelque sorte ?
You got to keep your head high and try to be strong (Tu dois garder la tête haute et essayer d'être fort)
They will try to steal everything you own (Ils essaieront de voler tout ce qui t'appartient)
Il se sentait triste, désemparé, avec des pensées brouillonnes et désordonnées. Le chaos ! Le chaos régnait dans sa pauvre petite tête prête à exploser en mille morceaux ! Des vents furieux mugissaient emportant tout sur son passage. Il avait l'impression de se faire balayer comme un vulgaire fétu de paille arraché avec aisance du sol ! A moins que même ces vaines émotions ne soient que tromperie, induites par une quelconque créature démoniaque. Il ne savait même plus ce qui lui appartenait ! Il ne savait même plus s'il existait ou s'il n'était qu'une relique morte depuis longtemps qui aurait laissé une forte empreinte énergétique ici-bas ! Peut-être était-il mort et enfermé dans une boucle temporelle !
It goes on and on (Il en est ainsi)
On and on (encore et encore)
On and on (encore et encore)
On and on (encore et encore)
Il sentait toujours la présence de sa mère, son odeur, sa chaleur. Mais s'il ressentait tout ça malgré sa sensation de vide perpétuel, peut-être était-il vivant après tout ? Quoiqu'il pût être mort mais fortement marqué par ses bons sentiments qui, elle aussi, avait laissé une marque indélébile dans ses maigres souvenirs ! Il entendit un "bats-toi, bats-toi ! Bats-toi pour ta vie, misérable créature ! Regarde-toi, toi là par terre à te rouler en boule PATHETIQUEMENT ! Tu vas finir par mourir, telle la misérable créature que tu es ! Tu as été choisi par Lucifer et tu oses gâcher cette opportunité pour quelques sentiments inutiles que tu arbores en ce moment ! Tu te roules par terre comme une vermine ! Honte sur toi ! HONTE alors que tu as été choisi par le puissant Lucifer ! Tu te prends pour qui pour oser gâcher sans remords ce merveilleux cadeau ! BAT-TOI ou meurs dans d'atroces souffrances, plongé dans la terreur, la folie, la destruction, la plus pure, la plus parfaite et la plus magnifique qui soit !!!"
La voix macabre, lugubre et rauque se dissipa. Il se sentit à quelques millimètres de basculer dans la folie la plus totale et de tuer. Oui, il avait envie de détruire, de tuer, de faire mal. Il ne savait pas d'où venait cette envie mais elle était incontrôlable, presque démoniaque, induite par la voix qu'il venait d'entendre. Cette voix qui lui donnait des frissons les plus indescriptibles qu'un humain a eu à subir, a eu à ressentir ! Dans quoi s'était-il embarqué ? Dans quelle folle péripétie tout cela allait-il l'amener ? Il avait envie de savoir, une forte envie même, une soif irrépressible de savoir. Il se sentit déborder d'une énergie nouvelle, même s'il avait encore des instincts psychopathes en éveil. Il tenta tant bien que mal de réprimer, de supprimer ses pulsions destructrices. Il ne voulait pas être entraîné dans un tourbillon sans fin de violence et de souffrance ! Pas maintenant, pas comme ça ! Sa vie venait juste de commencer, de recommencer à zéro ! Il devait profiter de ce nouveau départ, de cette chance, cette opportunité magique que lui offrait Lucifer. Il était fait pour changer le monde, pour en faire un endroit meilleur et plus sécuritaire. Il se sentit pousser des ailes. Le feu dans ses yeux qui avaient failli s'éteindre se raviva de plus belle, mu par une énergie nouvelle ! Niels se sentit renaître comme le phénix qui renaît de ses cendres !
Grab the bull by the horn (Attrape le taureau par les cornes)
Try to make something of your life (Essaie de faire quelque chose de ta vie)
You are the only one that can make it happen (Tu es le seul qui puisse y arriver)
The fire in your eyes is slowly fading out (Le feu dans tes yeux est en train de diminuer)
You can not give up your dreams (Tu ne peux pas abandonner tes rêves)
You got to go (Tu dois y aller)
Il décida qu'il était temps de se reprendre en main ! D'arrêter de se lamenter pour un oui, pour un non ! La voix de la créature qu'il n'avait point aperçue mais dont il avait senti la force incommensurable, l'avait ébranlé même dans ses plus fortes convictions ! Comment avait-il failli se perdre, s'égarer à ce point dans la folie ? S'il ne l'avait pas arrêté à temps... Non, il préféra ne pas y penser. Il se secoua la tête énergétiquement avant de plonger son regard dans celui de sa mère morte d'inquiétude. Il réprima un frisson de dégoût et laissa quelques secondes passés. Quelques secondes lourdes de sens, de désir réprimé, de tristesse, de souffrance. Quelques secondes hors du temps, hors de la vie.
On and on and on (Encore et encore)
On and on (Encore et encore)
On and on (Encore et encore)
Le temps semblait suspendu, comme perturbé par le futur échange de parole qui se ferait entre Niels et sa mère. On pouvait sentir les gouttes perler et descendre lentement des tempes des deux personnes. Un soupir de la mère, un petit râle du côté du jeune garçon. L'ambiance était électrique, instable, prête à éclater comme un orage tonitruant lors des jours chauds d'été. Shiori et Sorbier se regardèrent un peu inquiet pour la suite des évènements. L'appréhension se sentait, la nervosité, la rage dégageaient comme des odeurs, des relents démoniaques ! On dirait que même la mort n'oserait pas s'approcher de cette scène presque macabre et hideuse. Niels était aux abois, tel un Grahyèna, qui n'avait pas mangé depuis des lustres, prêt à bondir sur sa proie et à la déchiqueter ! Sa mère était plus comme un Poichigeon apeuré, sentant sa fin proche, sentant qu'elle allait finir dans l'estomac du redoutable prédateur impitoyable qui n'en laisserait pas une miette !
Giving up is easy (Abondonner est trop facile)
Just to throw away your life (Juste pour renoncer à ta vie)
If you want to take control (Si tu veux prendre le contrôle)
You can't give it without a fight (Tu ne peux pas le faire sans combattre)
Finalement, sa mère aussi avait oublié quel jour on était. Elle se dit qu'elle pouvait tenter le tout pour le tout et esquiver le sujet d'Hélio en rusant ! Elle considérait la journée comme gâchée mais elle n'avait pas envie d'en rajouter une couche. Elle arbora un petit sourire carnassier qui n'échappa pas à Niels qui frissonna un instant ne sachant pas à quelle sauce il allait être mangé. Les rôles venaient de s'inverser : sa mère était devenue le cruel Grahyèna pendant que lui s'était transformé en petit Poichigeon inoffensif comme une pauvre petite créature. Sa mère venait de prendre l'ascendant psychologique et le blond se sentit coincé, à la merci de sa génitrice. Il avait envie de pleurer et d'exprimer sa rage mais la ravala difficilement.
- Bon anniversaire, lâcha faiblement mais suffisamment audible sa mère
Niels détourna la tête, en proie à une joie non dissimulée, mais aussi à de l'énervement, de l'agacement ! Sa mère esquivait encore une fois le sujet et ça le mettait hors de lui, il avait envie de lui rendre la gifle qu'elle lui avait assenée une heure plus tôt. Il serra le poing tellement fort que quelques gouttes de sang perlèrent. Elle le remarqua mais ne dit rien de peur d'envenimer la situation qui était on ne peut plus explosive. Finalement, il lâcha un faible merci, juste au moment où le train s'arrêtait à la petite gare de Bonaugure dans un petit crissement strident. Ils sortirent du train sans un bruit. Sorbier et Shiori partirent de leur côté pour rejoindre Littorella. Ils adressèrent un petit signe de tête poli avant de s'éloigner. Niels et Erika s'éloignèrent dans la forêt bordant le village, faisant route vers leur cabane.
It goes on and on and on (Il en est ainsi)
On and on (encore et encore)
On and on (encore et encore)
On and on (encore et encore)