Chapitre 414 : Par delà le temps et la mort
Lyre ne se sentait pas bien. Avoir revu sa psychotique de mère, l’avoir ranimée et être obligée de la contrôler – et donc d’avoir un lien mental avec elle – suffisait à lui donner la nausée, mais c’était plus profond que ça. C’était depuis que ses pouvoirs d’Enfant de la Corruption avaient totalement dégénéré, qu’elle pouvait aspirer les êtres vivants et se nourrir de leurs âmes et de leurs pouvoirs. Elle sentait toujours en elle, au plus profond de son être, la présence torturée de Tilfas, le 14ème Marquis, qu’elle avait absorbé. Il hurlait, la suppliant de le libérer. Avec ces cris se mêlaient les sons inhumains que faisaient les Pokemon qu’elle avait aussi « dévoré » avec sa main gauche.
- La ferme… leur disait-elle en se prenant la tête entre ses mains. Taisez-vous ! Vous êtes morts ! Vous n’existez plus ! Et ce n’était pas ma faute ! Je ne savais pas… je n’y pouvais rien…
Un mensonge, elle le savait. Elle avait expérimenté avec beaucoup de Pokemon, volontairement. Avec Tilfas aussi, et en plus, elle avait savouré ce moment, cette sensation. Et c’était ça surtout qui l’inquiétait. Lyre n’était pas une cinglée qui jouissait de la souffrance des autres, comme sa mère. Du moins, elle ne se voyait pas comme ça. Mais depuis qu’elle s’était découvert ces nouveaux pouvoirs, elle ne pouvait plus se faire confiance à elle-même. Elle sentait en elle de nouveaux instincts, de nouveaux désirs… comme celui de dévorer le plus de monde possible et d’en exulter !
- Non ! Se cria-t-elle à elle-même, ou aux voix accusatrices qu’elle entendait. Je ne suis pas comme ça ! J’ai toute ma raison, oui ! Le Marquis va me guérir. Il me l’a promis ! Je deviendrai enfin une fille normale. Alors FERMEZ-LA !
Elle cria tellement fort que le Marquis, alors en pleine discussion stratégique avec Deveran, Wrathan et Fantastux, releva la tête et se dirigea vers elle, après un court moment d’hésitation qui n’échappa pas à la jeune femme.
- Lyre, contrôle-toi, lui intima-t-il d’une voix douce.
- Mais maître… ils crient tellement… c’est insupportable ! Et j’ai cette autre voix, que j’entends parfois en moi depuis toujours, qui elle me pousse à dévorer d’autre personnes…
Fantastux parut grandement s’inquiéter de l’état mental actuel de Lyre et s’éloigna d’elle le plus possible. Deveran la regardait d’un air de pitié, tandis qu’étrangement, Wrathan, qui n’avait toujours eu que mépris pour elle, semblait à présent s’intéresser à elle.
- Tu es maître de ton corps et de ton esprit, lui dit le Marquis. Ce ne sont ni ton sang d’Enfant de la Corruption, ni tes pouvoirs qui te contrôlent. Mais toi. Uniquement toi. Tu es forte. Tu peux tenir. Tout sera bientôt fini. Le second hôte d’Horrorscor approche, je le sens plus que jamais. Je vais aller à sa rencontre, l’éliminer, et reprendre sa partie d’âme, pour que notre Seigneur et Maître soit enfin complet à nouveau.
En disant cela, il prit la Pierre d’Obscurité - alias le Cœur d’Horrorscor – que Fantastux lui tendait. Le rocher maléfique frétillait d’une aura noire, comme s’il sentait que son âme allait enfin être réunie après tous ces siècles. Quand celui qui aura en lui l’entièreté de l’âme d’Horrorscor tiendra la Pierre d’Obscurité, alors le Maître de la Corruption renaîtra, retrouvant son corps et ses pouvoirs.
- Vous... vous allez y aller seul ? S'inquiéta Lyre.
- Penses-tu que je puisse perdre ?
- Bien sûr que non ! S'empressa de répondre Lyre. Mais...
- Maxwell me rejoindra. Nous nous le sommes promis il y a des années, que nous serons ensemble à la toute fin... Reste ici. Continue de diriger nos troupes et les anciens Marquis restant. Gagne juste du temps et empêche l'ennemi de me gêner. Une fois le Seigneur Horrorscor de retour, cette bataille n'aura plus aucune importance, car nous aurons dors et déjà gagné.
Le Marquis lui posa sa main gantée sur l'épaule, et Lyre acquiesça, non sans inquiétude. Elle n'aimait pas être séparée de son maître, maintenant plus que jamais, surtout depuis que Silas avait disparu. Mais elle ne comptait pas non plus rester sous la surveillance de Fantastux comme si elle était une petite fille turbulente. Aussi, quelques minutes après que le Marquis fut sorti du carrosse, Lyre fit de même.
Comme il y avait pas mal de zombies autour de leur centre de commandement, Lyre en profita pour mener à bien une autre expérience. Elle avait déjà essayé de les aspirer avec son nouveau pouvoir, mais sans succès. Elle s'était dit que c'était parce qu'ils n'étaient pas vivants, juste des cadavres se déplaçant grâce à sa seule volonté. Mais son pouvoir ne servait pas qu'à aspirer la vie, mais aussi la matière. Peut-être qu'en se concentrant différemment...
Au bout de dix minutes d’essais infructueux, elle était parvenue à aspirer la moitié supérieure d'un zombie, ne laissant sur place que ses jambes. Elle pouvait donc bien dévorer la chair morte. Ça ne calmait en rien sa « faim », pas plus que ça lui donnait de nouveaux pouvoirs, mais ça parut faire un peu taire les voix des âmes qu'elle avait aspiré.
Elle ne s'arrêta pas aux zombies. Une fois qu'elle eu saisi comment aspirer de la matière dépourvue de vie, elle pouvait l'appliquer à d'autre chose du même genre. La roche. La terre. Un arbre mort. Elle pouvait tout décomposer à sa guise et l'aspirer dans sa main gauche, pour ensuite utiliser de nouvelles propriétés. Tout comme elle avait pu se servir d'attaque Feu après avoir absorbé le Flamiaou que Silas lui avait créé avec ses pouvoirs imaginatifs, elle pouvait désormais transformer sa peau pour qu'elle prenne l'aspect de la roche qu'elle venait d'aspirer.
Les possibilités se bousculèrent dans l'esprit de la jeune femme. Pouvait-elle aussi faire de même avec quelque chose d'immatériel, comme du feu, puis se transformer en torche humaine ? Y avait-il seulement des limites à ses nouveaux pouvoirs ? Elle continuait à les craindre, et à craindre ce qu'elle était en train de devenir, mais en même temps, un autre sentiment commençait à naître dans son esprit : l'excitation.
- Oui. Grisant, n'est-ce pas ? Découvrir qu'on peut faire une chose dont les autres sont incapables, et qui pourrait faire de nous une déesse toute puissante. Je connais ça...
Lyre sursauta. Elle pensait n'être entourée que de zombies, et pourtant, quelqu'un de bien vivant avait réussi à tromper leur vigilance pour arriver derrière elle. C'était une femme d'âge mûr aux cheveux châtain clair, qui portait une tenue étrange, mélange de gothique et de science-fiction. Lyre était sûre de le n'avoir jamais vu, pourtant, son visage et ses yeux gris et froids lui disaient quelque chose. Elle avait l'impression de les avoir déjà vus... mais chez quelqu'un d'autre.
- T'es qui toi ? S'exclama Lyre. Comment t'es arrivée jusqu'ici ?!
Les zombies aussi venaient de tourner leurs visages morts vers l'inconnue, comme s'ils ne l'avaient pas remarqué avant. Et vu le nombre de morts-vivants tout autour, il semblait que cette femme venait carrément d'apparaître de nulle part.
- Je me nomme Eonie Dialine. Je porte aussi le nom de War, l'un des Sept Cavaliers de l'Apocalypse.
Lyre fronça les sourcils. Elle n'avait jamais entendu parler de ces Cavaliers de l'Apocalypse, mais le nom de Dialine lui était familier. L'une des Hauts Conseillers de la FAL, qui était aussi la meneuse des Gardiens de l'Harmonie, se nommait pareil. Mais la mère de Dialine ne s’appelait pas Eonie, et Adélie n'avait pas de sœur, juste un frère aujourd'hui en exil. Du coup, qui diable était cette femme ?
- Je dévoile rarement mon identité, poursuivit Eonie. Je fais une exception avec toi pour deux raisons. La première, c'est qu'on est pareil, toi et moi.
- Ah ouais ? Et en quoi on serait pareil ?
Lyre se retenait à peine de la tuer sur le champ, par vague curiosité.
- En ça, répondit Eonie.
Ses yeux gris changèrent d'un coup de couleur, prenant une teinte entièrement noire avec des pupilles rouges flamboyantes. Lyre en resta abasourdie. Cette couleur, c'était celle de ses propres yeux actuellement. Celle des Enfants de la Corruption quand ils naissaient. Ils reprenaient une teinte normale après quelques mois, mais depuis qu'elle avait ses nouveaux pouvoirs et qu'elle s'y adonnait, Lyre avait bien remarqué que ses yeux d'ordinaire marrons clairs étaient redevenus de la sorte.
- C-comment ? Balbutia-t-elle. Ce n'est pas possible... Je suis... Je suis censée être la seule Enfant de la Corruption de mon époque, et depuis des siècles ! Tu es bien vivante ! De quel Marquis tu descends au juste ?
- D'aucun. Ma mère... enfin, ma génitrice était une hôte sans être une Marquise. Et elle a eu l’inélégance de violer mon père alors qu'Horrorscor se trouvait dans sa tête.
Lyre plissa dangereusement les yeux. Sa main la démangeait, ainsi que le désir d'absorber cette femme, qui qu'elle puisse être.
- Tu mens. Avant Venamia, le Seigneur Horrorscor n'a eu aucun hôte femelle qui ne soit pas devenue Marquise.
- Je ne mens pas, mais je ne vais pas chercher à t'expliquer, renchérit Eonie. Car après tout, la seconde raison pour laquelle je me suis présentée, c'est que je compte te tuer, ici et maintenant.
Eonie disparut d'un coup, en laissant derrière elle une vague de petites particules brillantes. Et avant que Lyre n'ait pu regarder autour d'elle pour essayer de la localiser, elle sentit une morsure à la fois froide et brûlante au niveau de sa poitrine. Baissant la tête, elle frémit en voyant une lame traverser sa poitrine au niveau de son cœur. Eonie était désormais juste derrière elle., tenant le manche du poignard.
- C-comment ? Coassa Lyre tout en crachant du sang.
- Ce n'est pas de la téléportion, fit Eonie. Mais des sauts dans le temps. C'est mon pouvoir d'Enfant de la Corruption. Nous héritons tous d'un concept d'Horrorscor. Toi, c'est la mort et la résurrection. Moi, c'est la temporalité. J'ai remonté le temps quelques années plus tôt, je me suis placée juste derrière où tu étais, puis je suis revenue. Basique, mais absolument imparable.
Lyre hurla de rage et se retourna, tentant de la toucher avec sa main meurtrière, mais Eonie avait encore disparu, pour revenir devant elle, à deux mètres de sécurité. Lyre toussa une autre gerbe de sang, et tomba à genoux, sentant ses forces disparaître à vitesse grand V. Mais faute de pouvoir bouger elle-même, elle envoya à l'attaque tous ses morts-vivants autour d'elle. Eonie se laissa encercler sans bouger.
- C'est inutile. Tu ne peux pas vaincre le temps.
Pour preuve, elle se laissa assaillir par les zombies, sans opposer de résistance. Elle se fit mordre, griffer, et se fit même arracher un bras sans émettre un seul cri. Puis elle se volatilisa à nouveau en particules de lumières, pour réapparaître, une seconde après, à côté de Lyre, totalement intacte.
- Je peux changer de place à volonté, mais aussi revenir à un temps où je n'ai subi aucune blessure et ainsi me régénérer à ma guise, dit-elle placidement. Contrairement à mon équipier Judicar qui a assez de puissance pour anéantir la planète si ça lui chante, je n'ai aucun pouvoir offensif, mais pourtant, je suis mieux classée que lui dans la hiérarchie des Sept Cavaliers de l'Apocalypse. Je peux tuer mes ennemis les plus féroces alors même qu'ils sont encore dans le ventre de leurs mères. Je peux défaire les empires les plus grandioses avant même qu'ils ne soient fondés. Je fais et je défais les guerres à ma guise. Je forge l'Histoire comme je le souhaite, et j'en retire qui je veux, à tout moment. Et hélas pour toi, Lyre Sybel, tu es devenue – ou plutôt tu vas devenir – un danger pour l'Histoire que je veux écrire.
Lyre serra les dents, sa main crispée sur sa blessure mortelle. Mais son instinct de survie pris le dessus, et son corps puisa naturellement dans la réserve d'êtres vivants qu'elle avait absorbé pour réparer son cœur et refermer la plaie. Elle n'avait même pas besoin de chercher en elle une quelconque attaque Soin d'un Pokemon qu'elle aurait pu absorber. Elle pouvait sacrifier une vie aspirée pour sauver la sienne. Eonie haussa les sourcils en la voyant se relever, son saignement stoppé. Elle fut d’autant plus surprise que la peau qui se régénérait n’était plus de la même teinte de couleur que celle d’origine, comme s’il s’agissait de la chair d’une autre personne qui venait combler le vide.
- J’en ai croisé plein, commença Lyre, de gens qui voulaient ma peau sous prétexte que j’étais différente, que j’étais un monstre, une abomination, quelque chose qui ne devrait pas exister. Étrangement, je suis toujours là, alors que la plupart d’entre eux n’existent plus.
- Je compatis, répondit Eonie. C’est aussi mon cas. J’ai pu être sauvée de la folie et de l’autodestruction par une mère adoptive aimante puis par un être surpuissant et sage. Mais j’entends toujours cette voix en moi, qui pousse chaque cellule de mon être à vouloir me déchaîner, à me servir de mes pouvoirs pour faire le mal, à corrompre les autres et moi-même. Garder mes pouvoirs sous contrôle et les mettre au service d’une juste cause est un combat de tous les jours, même tant d’années après.
- Et donc ? Toi, tu as le droit d’être sauvée et de vivre, mais pas moi, hein ? On t’a accordé une chance. Moi, je n’ai jamais rien eu !
Lyre Sybel avait l’air si misérable en ce moment, si triste, que cela ébranla momentanément la conviction d’Eonie. Mais mal lui en pris. Car Lyre décela cet éclat de doute dans les yeux de son adversaire et en profita pour prendre le plein contrôle des mouvements des morts-vivants, et les repositionna en cercle serrée tout autour d’elle, comme une garde rapprochée. De telle sorte, Eonie ne pourra plus l’atteindre, sauf à remonter le temps en plein dans le corps d’un zombie.
- Je crois que tu n’as pas très bien compris… fit Eonie. Tu m’empêches de t’atteindre dans cette temporalité, soit. Mais j’en ai plein d’autre dans lesquelles t’atteindre. Une pour chaque secondes passées, approximativement.
Eonie se contenta de remonter le temps d’une minute, pour réapparaître là où elle était juste après avoir expliqué à Lyre ses pouvoirs. Selon la théorie de la trame temporelle, il y aurait normalement dû alors avoir deux Eonie. Mais pour éviter ce genre désagrément qui auraient pu provoquer de multiples failles temporelles en série, Eonie avait appris à faire voyager sa conscience dans le temps en lieu et place de son corps, justement pour les cas où elle retournait dans un passé où elle se trouvait déjà.
C’était le moment où Lyre se relevait et où sa blessure se refermait. Cette fois, avant que Lyre ne reprenne la parole en affirmant s’être débarrassé de tous ceux qui ont voulu sa mort, elle repassa à l’attaque, lui enfonçant cette fois son poignard dans la gorge, sectionnant la carotide.
Les yeux de Lyre étincelèrent plus que jamais sous l’effet de sa rage et de sa douleur, véritables rubis dans un océan de ténèbres. Elle se tint sa blessure béante en produisant des borborygmes étouffés et sanguinolents, mais encore une fois, sa peau se mit à fumer et à se refermer tandis qu’elle « recyclait » l’énergie vitale d’une des victimes qu’elle avait absorbées.
Sous les ordres mentaux de Lyre, plusieurs zombies se jetèrent sur Eonie pour l’attraper et la jeter à terre. Cette fois, Eonie ne voyagea pas dans le temps pour s’échapper, mais utilisa ses pouvoirs pour envoyer les morts-vivants autour d’elle dans une autre époque. Une où la Terre n’était qu’une terre volcanique sans aucune vie et où ils n’allaient déranger personne, par exemple.
Lyre essaya à nouveau de toucher Eonie avec sa main meurtrière et absorbante, mais avec des réflexes nés de toute une vie d’entraînement au combat, elle esquiva et planta à la place son poignard dans sa paume. Lyre hurla, mais le poignard fut aussitôt réduit en infimes particules qui pénétrèrent le corps de l’Enfant de la Corruption. Et alors, avec un sourire torve, la peau de Lyre prit une teinte métallique, ayant absorbé les caractéristiques de l’acier.
- Tu ne peux rien contre moi ! cracha Lyre. J’en ai croisé plein, des gens qui voulaient ma peau sous prétexte que…
Eonie ne prit pas la peine d’écouter le reste de sa phrase qu’elle avait déjà entendu d’ailleurs, et remonta une nouvelle fois le temps, cette fois de quelques secondes, juste au moment où Lyre tentait de l’attraper. Au lieu de lui planter son poignard dans la main, et connaissant très bien la trajectoire de Lyre, elle lui enfonça à la place dans l’œil gauche, le faisant remonter jusqu’au cerveau, et le tournant même pour faire bonne mesure. Lyre s’immobilisa immédiatement, le second œil exorbité, le corps agité de spasmes.
- Bon, cette fois ça devrait suffire je crois… marmonna Eonie.
Elle ignorait la nature exacte des pouvoirs de Lyre et jusqu’où ils pouvaient aller, mais elle présumait qu’ils nécessitaient un effort conscient pour être activés. Avec le cerveau endommagé de la sorte, Lyre ne pourrait pas se régénérer. Sauf qu’elle avait tort. Les pouvoirs de Lyre, à leur niveau actuel, étaient presque distincts de son propre esprit. Ils étaient autonomes, comme une seconde conscience, et pouvaient prendre le relais d’eux-mêmes si la vie de leur hôte était menacée.
Eonie dut reculer en catastrophe en laissant le poignard dans le crâne de Lyre afin d’éviter de se faire attraper, et fronça les sourcils de dégoût et d’exaspération quand Lyre retira lentement le couteau de sa tête, et que son œil se reconstitua. Son visage déformé par les nouveaux fragments ainsi ajoutés pour la réparer fixa Eonie avec haine et colère.
- Sérieux, tu es casse-pied, soupira-t-elle. Une mort rapide serait pourtant une délivrance pour toi.
Lyre ricana doucement.
- Pour quelqu’un qui se dit Enfant de la Corruption, tu es bien prompte à juger les autres et à décider de ce qui est mieux pour eux.
- Ouais, mais moi, j'ai l'avantage de connaître l'avenir. Et toi, tu le menaces d'une façon que même moi je ne peux discerner. Enfin, tu t'es regardée ?
En effet, actuellement, Lyre Sybel, avec son visage plein de sang, son physique totalement déformé par ses multiples réparations, ses yeux noirs à la pupille rougeoyante écarquillés et son sourire démoniaque, n'avait plus grand-chose d'humain. On aurait dit une bête sauvage avide qui ne pouvait contrôler sa faim et ses instincts.
Bon, se dit Eonie. Vu qu'elle arrive à régénérer n'importe quelle blessure, voyons voir si elle peut se faire pousser une nouvelle tête...
Seul souci : décapiter cette fille tout en évitant de se faire toucher allait être coton, sans parler de l'aspect repoussant de la chose. Eonie avait été élevée dans une famille d'aristocrate, elle n'était pas faite pour ces tâches vulgaires et salissantes. C'était plus le boulot de Judicar. Et en plus, il aimait bien ça. Lui, il aurait pu annihiler Lyre d'un claquement de doigt lui. Elle aurait sans doute dû accepter qu'il s'en occupe. Mais voilà, Eonie avait tenu à s'en charger, étant donné la nature de leur cible, identique à la sienne. Elle avait pensé se revoir en cette fille, mais finalement, sa pitié n'aura pas fait long feu.
Eonie remonta le temps une nouvelle fois, juste au moment où elle esquivait la main de Lyre pour contre-attaquer tout de suite après. Sauf que cette fois-ci, Lyre réagit. Alors qu'Eonie s'apprêter à viser la gorge une nouvelle fois mais dans le but de la trancher totalement, Lyre s'empara carrément de la lame entre sa main.
Eonie la lâcha immédiatement et recula, perplexe. Dans les deux dernières temporalités, Lyre était prise à dépourvue et ne réagissait pas assez vite pour éviter quoi que ce soit. Ça n'aurait pas dû changer. Que diable s'était-il passé ?
Tout en absorbant le poignard, Lyre sourit à sa mine surprise.
- Eh bien, Miss-j'ai-l'avantage-de-connaître-l'avenir ? Un souci ?
Eonie écarquilla les yeux à cette phrase, dont les mots étaient parfaitement choisis. Lyre venait de répéter ce qu'Eonie avait dit d'elle lors de la dernière temporalité, et clairement à dessein. Sauf qu'elle n'aurait pas dû s'en rappeler... vu que pour elle, ça ne s'était jamais produit !
- Qu'est-ce que tu as fait ?
C'était rare qu'Eonie soit prise au dépourvu. Très rare, car étant donné ses pouvoirs particulier, elle savait généralement tout à l'avance.
- Moi ? Rien du tout, répondit Lyre. Moi toi, je sais que tu t'amuses à revenir du futur depuis tout à l'heure. À chaque fois que tu le fais, j'ai en tête tout ce qui s'est passé lors de ces fois là et tout ce que tu as dis, comme des souvenirs qui viendraient se greffer tout d'un coup dans ma tête.
Une telle chose n'était jamais arrivée à Eonie, mais d'un autre côté, jamais deux Enfants de la Corruption ne s’étaient retrouvés ensemble. Même Arceus n'arrivait pas à assimiler les anomalies qu'ils représentaient. Peut-être qu'un lien entre elles s'était créé du fait de leur proximité ? Un lien né de leur ADN d'Horrorscor, qui s’illustrerait par une résonance de leurs pouvoirs ? Auquel cas, Lyre serait capable de discerner les souvenirs d'Eonie après chaque saut temporel ? Et si elle été capable de ça... alors Eonie avait perdu son avantage de surprise sur elle.
OK, ça commence à puer, cette histoire, se dit-elle. Je retourne dans le passé, et je dis à Ardulio de s'en occuper...
- Oh non, tu ne vas nulle part, intervint Lyre comme si Eonie avait parlé à voix haute.
Lyre tendit sa main gauche vers elle, mais resta où elle était. Lyre fronça les sourcils, sans comprendre ce qu'elle faisait, car aucun zombie ne venait l'attaquer. Pourtant, elle sentit quelque chose, comme une pression qui entoura son corps. Et cette pression se changea très vite en traction, tandis qu'Eonie sentit ses membres s'engourdir.
C'est la merde ! Ses pouvoirs viennent encore d'évoluer ! Elle peut absorber les autres sans contact direct !
Eonie se dépêcha d'activer ses pouvoirs pour voyager dans le temps et lui échapper, mais elle n'y arriva pas. C'était comme si le trou noir qu'était devenue Lyre lui coupait toute échappatoire, même temporelle. Comme si l’absorption était plus rapide que la vitesse à laquelle elle pouvait remonter le temps. Son âme même subissait une pression terrible, tandis qu'elle vit avec horreur ses mains commencer à se dissoudre. Elle tenta en dernier recours d’ouvrir un portail sous ses pieds pour se laisser glisser dedans, mais elle ne parvint pas à tomber. Elle était maintenue sur place. Tout son être, jusqu'à sa dernière étincelle de vie, se liquéfiait et était réduit à néant, absorbé par la main maudite de Lyre Sybel. Eonie tenta un temps de se débattre, mais c'était inutile.
Résignée, et alors qu'il ne restait plus d'elle que le haut de son buste et sa tête, elle s'excusa mentalement envers Judicar. Elle avait lu l'avenir de travers. Elle avait pensé que Lyre provoquerait une catastrophe mondiale qui aurait pour conséquence sa propre mort. Elle était donc venue la tuer pour empêcher ça. Sauf que c'était l'inverse. Si Eonie était morte dans l'avenir, c'est parce qu'elle avait échoué à tuer Lyre, et sa mort serait le déclenchement de la fameuse catastrophe mondiale qu'elle avait cherché à éviter.
Comment avait-elle pu rater ça ? Avec tout ce qu'elle savait sur les trames temporelles, sur l'extrême précaution qu'on devait prendre quand on voulait changer l'avenir, et sur le fait que le destin était tenace et pouvait se réparer lui-même. Et visiblement, le destin ne voulait pas que Lyre Sybel ne meure aujourd'hui de sa main. Il avait prévu quelque chose d'assez abominable pour elle...
Au final, une fois son corps entièrement absorbé, Eonie fut surprise d'avoir encore accès à un semblant de conscience. Mais elle se retrouva bloqué dans une éternité sombre, sans fond ni horizon, avec pour seule compagnie une douleur continue et éternelle, et les complaintes des êtres qui, comme elle, avaient été aspirés par Lyre.
Quant à cette dernière, l’absorption d'Eonie fut comme le déclencheur d'un autre stade de son évolution, encore plus marqué. Elle sentait désormais en elle la présence d'un autre Enfant de la Corruption, et de ses pouvoirs contre-nature. Ce raz-de-marée émotionnel et de puissance menaça de faire imploser son corps comme son esprit. Une aura sombre l’entoura entièrement, se contractant sur elle, avant que Lyre ne jette la tête en arrière pour pousser un grand cri. Alors, le nuage sombre autour d’elle explosa comme un geyser, montant tel un pilier d’ombre avec des nuances rouges jusqu’aux cieux.
Quand Lyre eut quelque peu récupéré, mais le souffle toujours court, elle se rendit compte qu’elle voyait les choses comme jamais, et qu’elle savait des choses qu’elle devrait ignorer. Des vérités sur la Grande Histoire, sur cette guerre, sur Horrorscor, et sur les divers protagonistes cachés qui s’affrontaient derrière la scène. Et surtout, des vérités sur l’actuel Marquis des Ombres.
Tout cela la fit rire comme jamais, à tel point qu’elle en eu mal à l’estomac. Les absurdités en cascade qu’elle venait d’apprendre lui donna la preuve de ce qu’elle suspectait déjà : ce monde était risible, et ceux qui le peuplaient aussi. Elle avait gardé un maigre espoir, un maigre soupçon de confiance envers le Marquis. Qu’il pourrait la sauver, comme il lui avait toujours promis. Qu’il pourrait créer un monde où elle se sentirait accepté. Mais ce qu’elle venait d’apprendre sur lui balaya tout cela.
Le regard sombre, elle leva sa main gauche avec laquelle elle venait d’aspirer cette autre Enfant de la Corruption, et fit tournoyer ses doigts. Ça lui vint instinctivement, mais elle sut alors ouvrir un passage temporel. Et pas qu’un. Elle en créa plusieurs autour d’elle, chacun d’une époque différente. Des époques qui grouillaient de vie et d’innocence, et qui attisa sa toute nouvelle faim.
Elle éclata une nouvelle fois de rire quand elle se rendit compte d’une touchante ironie. Toute sa vie, elle avait voulu être quelqu’un d’autre, pour échapper à sa cruelle condition et à son destin funeste. Mais finalement, elle n’avait pas à être quelqu’un d’autre. Car elle pouvait être bien plus.
- Les humains, les Pokemon… Tous les foutus êtres vivants de cette planète, et de toutes les époques… Tous ne feront qu’un avec moi, décréta Lyre Sybel. Je serai tout le monde, et je serai partout…