9: La traîtresse ou le tyran
C’est une vision d’horreur qui glace le sang d’Aron. Le corps de Nora pend dans le vide, à peine retenu par la tête dont le cou est enserré dans le nœud de la corde reliée à l’échafaud. La jeune femme a eu le temps de placer ses doigts entre la corde et son cou. On ne sait dire si son regard ahuri témoigne de son incapacité à respirer où s’il témoigne de son incrédulité face à l’échec de son plan.
Aron bondit hors de la charrue dans une bourrasque de paille, Medhi à ses trousses. Le cri de guerre que l’enfant sauvage a lancé a perturbé la cérémonie de pendaison public. Les villageois cherchent du regard la source du hurlement et les deux amis profitent de l’instant de flottement pour se mêler dans la cohue et courir à toute vitesse vers l’estrade.
— Mon esclave ! s’écrie le Seigneur Bartolomé.
Ils sont repérés. Le Seigneur Bartolomé hurle des ordres dans la Langue de Sunn et les gardes se mettent en mouvement. Une horde de Machoc leur tombe dessus tandis qu’ils atteignent l’estrade où Nora lutte toujours, les pieds dans le vide, contre l’asphyxie.
Un Machoc brandit son poing mais Medhi est plus rapide et l’envoie valser, ce qui permet à Aron de sauter sur l’estrade. Il s’apprête à soulever Nora pour l’aider à respirer quand une cinglante douleur lui soulève la poitrine. Le téra qui fait deux fois sa taille a quitté son poste de bourreau et lui a asséné un coup de crâne fracassant. Aron se retrouve plaqué au sol par la masse musculaire solide et inflexible du téra. Il est incapable de bouger.
Le désordre règne sur la Place du Marché. Peu habitués aux scènes de combats, les villageois courent dans tous les sens afin de s’éloigner du danger, mettant en pagaille l’organisation des gardes du Seigneur Bartolomé. Les prisonniers enfermés dans la cage en fer forgé profitent du tumulte pour prendre la fuite, tandis que le taureau sur lequel siège le Seigneur Bartolomé galope à leur poursuite.
Du coin de l’œil, Aron ne peut qu’observer, impuissant, la chorégraphie de lutte qu’applique Medhi contre plusieurs Machoc. Il évite les coups autant que possible tandis que le sol tremble sous le gallot du taureau qui fait fouetter sa triple queue pour dissuader les prisonniers de quitter leur cage. Le vieux notable court se protéger derrière un garde et le reste des troupes arrive enfin à traverser la foule. Les deux amis sont coincés, ils vont passer à l’échafaud une fois que Nora y aura péri.
— Allez-y, abattez-les ! ordonne le Seigneur Bartolomé. Machopeur, écrase cet enfant sauvage !
Aron est aplati encore plus durement contre les planches de bois. Le téra qui le maintient au sol a décidé de l’étouffer par son poids, et il est en train d’y parvenir. L’oxygène commence à lui manquer et sa vue se floue. Il ne discerne plus que les contours de Medhi qui s’écroule sous les coups des Machoc, il ne distingue même plus le corps de Nora qui se tortille dans tous les sens afin de ne pas laisser la corde autour de son cou l’étouffer.
C’est alors que quelque chose brûle sur sa poitrine. Le Machopeur qui le plaque au sol se retire de quelques centimètres, surpris par la chaleur aiguisée qui lui irradie le sternum. Le Talisman d’Aron s’est activé sans aucune volonté de la part de son propriétaire et quelque chose gronde dans les sous-sols de la Place du Marché. Enfin, une explosion retentit et le corps de l’énorme téra est soufflé par l’onde de choc.
La respiration saccadée, Aron se relève d’un coup et découvre que le puits attenant à l’estrade a volé en éclat par la pression de l’eau bouillante qui y a jailli. Les cris de terreur jaillissent dans la foule qui peine à fuir la Place du Marché. Les gardes et les Machoc sont déstabilisés par le phénomène auxquels ils viennent d’assister. Medhi en profite pour répliquer à l’aide de sa célèbre technique martiale : ils assènent des coups dans tous les sens et bientôt, une pile de Machoc et de gardes s’amoncèle à ses pieds.
— Stopevos leiosoni ecsistenz! Tuez-les tous !! hurle le Seigneur Bartolomé, possédé par la rage.
Son taureau mugit, prêt à passer à l’offensive, tandis qu’une armée de gardes se précipitent vers eux, la lance à la main, et que des Machoc arrivent en renfort.
Aron n’a pas le temps de réfléchir à un plan. Il doit libérer Nora dont la volonté de survivre commence à faiblir. Ni une, ni deux, il bondit dans les airs et, d’un mouvement sec et puissant, arrache la corde de l’échafaud. Le corps de Nora tombe à la renverse sur les cadavres des prisonniers passés avant elle. Aron l’aide à lui retirer la corde du cou et la jeune femme inspire douloureusement une bouffée d’air chaud.
— Tu aurais pu intervenir plus tôt ! balbutie-t-elle difficilement.
— Il faut partir, et vite ! s’alarme Aron en la pressant à se relever.
— Je dois d’abord récupérer quelque chose qui m’appartient !
Nora titube douloureusement et se relève en s’aidant d’Aron. Elle balaie la Place du Marché du regard tandis qu’un Machoc s’écrase derrière eux suite au coup qu’il a reçu de Medhi qui combat seul la horde de téras. Aron évite un gourdin qui file au-dessus de sa tête et écrase son pied contre un garde qui les a rattrapés. Il repousse celui-ci contre son collègue qui le suit et permet à Nora de se faufiler vers le notable qui prend ses jambes à son cou.
— Viens ici, le vieux plouc !
La guerrière bondit sur l’estrade en bois et contourne les ruines du puits afin de prendre le notable par surprise alors qu’ils accèdent à la sortie de la Place du Marché. Le vieil homme tremble de peur et lâche tous ses effets en se recroquevillant au sol.
— Je vous en supplie, ne me faites pas de mal !
Nora récupère la bourse qui contient ses effets personnels et lui lance un regard de dégoût. Elle extirpe une boucle d’oreille qu’elle agrafe à son lobe d’oreille gauche, puis souffle dans sa flûte de pan. Une douce mélodie envahit la scène de combat et Aron ne peut s’empêcher de se déconcentrer de son affrontement contre un garde. La mélodie joue dans les notes aigues et rappelle le sifflement du vent. Il y a comme quelque chose d’apaisant dans l’air siffloté par Nora.
Le garde en profite pour taper de son gourdin et Aron s’effondre sous le choc. Une douleur lancinante le désoriente et sa vue se trouble par l’apparition de milliers d’étoiles scintillantes. Il se sent brandit par l’étoffe qui lui sert de vêtement, puis soulevé dans les airs. Son visage est proche de celui du garde qui s’apprête à lui asséner un coup fatal.
Mais il hésite. Car quelque chose vient de le troubler. Une ombre, gigantesque, les a enveloppés. Au-dessus d’eux, le soleil au zénith est caché par une masse imposante qui masque le ciel. Deux ailes se déploient. Un cri strident déchire le ciel. La masse retombe sur l’estrade dont le plancher se fend en deux. Le diplodocus de Nora vient de faire son apparition.
— On se tire ! s’écrie Nora.
Dans un mouvement agile et grâcieux, la dompteuse aérienne ondule dans les airs et retombent sur le dos de son téra apprivoisé. Elle saisit Aron hors de l’emprise du garde et le fourre dans le feuillage du diplodocus.
— Medhi !
— Où est-il ?
— LÀ !!
Aron a poussé un hurlement de terreur. Medhi vient de se débarrasser du dernier Machoc qu’il affrontait, au milieu de la Place du Marché, mais le Seigneur Bartolomé n’attendait que cela. Il a brandi une lance au-dessus de sa tête et l’a lancée à toute vitesse vers le téra impuissant. Medhi se retourne alors que la lance arrive au niveau de son torse.
— MEDHI !!
« SLATCH ! »
Le bruit est sec, déchirant. Une gerbe de sang gicle sur le sol poussiéreux de la Place du Marché. Medhi recule de quelques pas sous les regards horrifiés d’Aron et de Nora. C’est alors qu’une petite masse informe s’écroule devant Medhi. La lance a transpercé net le ventre d’un jeune homme au corps frêle. Sa peau matte se recouvre de son sang pourpre, ses longs cheveux noirs tressés restent en suspens dans les airs tandis que le reste de son corps retombe tel une poupée inerte. Son regard marron se perd dans l’obscurité de la mort. Adorón a donné sa vie pour sauver celle de Medhi.
— AAAAAAARGH !!!
Aron ne maîtrise plus la colère qui le transperce. Il ressent la douleur de milliers de lances, la peine du sacrifice, l’effroi de l’injustice. Le monde disparaît autour de lui tandis que sa colère se concentre au centre de son Talisman qui brûle de plus belle. L’eau du puits, dispersée aux alentours, bouillonne et se dresse atour d’eux, formant une barrière infranchissable auquel se heurtent les Machoc les plus téméraires. Ils poussent un cri de douleur, brûlés par la paroi brûlante du mur aquatique.
Nora donne un coup de fouet à son diplodocus qui galope vers Medhi. Elle aide le téra à se hisser sur le monstre ailé et jette un dernier regard à leurs ennemis. De l’autre côté de la paroi aquatique, la forme trouble du Seigneur Bartolomé sur son taureau se dessine entre les vagues. Il cherche un moyen de briser le mur et de les empêcher de fuir.
Aron se sent fatigué, et les gouttes d’eau perdent de leur excitation. Son pouvoir diminue. Nora ordonne à son diplodocus de quitter les lieux et, dans un bruissement de ses énormes ailes, le téra prend son envol. Le village disparaît sous eux, tandis que le cri de rage du Seigneur Bartolomé déchire les cieux.
Aron sent son énergie quitter son corps. Son Talisman se refroidit sur sa poitrine. Il perd connaissance.
Le ciel s’est nappé d’une teinte orangée lorsqu’Aron reprend connaissance. C’est une odeur douce et sucrée qui le ramène à la réalité. En ouvrant les yeux, il découvre un paysage exotique ravissant. De très hauts palmiers strient le coucher du soleil qui ne sera pas visible depuis la jungle dans laquelle ils ont mis pied à terre. Medhi se repose, allongé contre le corps du gigantesque diplodocus, et Nora est occupée à concasser une série de baies dans un bol en bois épais.
Les évènements de cette journée l’ont épuisé. Aron a l’impression qu’il a quitté son Île de Nede depuis des années. Des cachots, au champ de coton, jusqu’au jugement sur la Place du Marché, Aron retrace le long chemin parcouru depuis son réveil et sa tête fourmille de milliers de questions. La principale lui brûle la langue : qui est Nora ? Elle s’était présentée comme son alliée, elle lui avait proposé une aventure à la recherche des Talismans de Cosmos, puis l’avait entraîné dans des affrontements contre des puissances supérieures dont il n’aurait jamais pu imaginer l’existence avant de quitter son paradis.
Cependant, le discours prononcé par le notable du Seigneur Bartolomé tourne en boucle dans sa tête. Déserteuse, voleuse, Nora avait été membre de l’armée du Seigneur Bartolomé avant de saborder ses navires de guerre et de s’opposer à lui. Officiellement, Nora était une traitresse. Et on lui reprochait également d’être originaire de la région d’Enn. Si seulement Aron savait de quoi cela s’agissait, il pourrait mieux appréhender le monde autour de lui. Et décider si Nora était son alliée… ou son ennemie.
Aron se lève d’un bond, déterminé à confronter la dompteuse aérienne, mais une douleur lancinante lui transperce le crâne et le fait vaciller. Nora s’approche de lui et lui tend son bol :
— Tiens, bois ça.
Aron renifle longuement le contenu du bol : un jus bleu, visqueux, à l’odeur sucrée. Il n’a pas entièrement confiance en Nora, mais un réflexe animal contrôle ses muscles. Son corps se souvient qu’il n’a rien avalé depuis bientôt une lune, et il ingurgite d’une traite le breuvage. Aussitôt, son mal de tête s’atténue.
— Tu aurais pu m’en laisser un peu… maugrée Nora en lui retirant sèchement le bol des mains. Tropius aurait bien profité aussi d’un petit jus de baie oran.
— Tropius ?
— C’est le nom que j’ai donné à mon diplodocus, maintenant que je l’ai complètement apprivoisé.
Nora lui montre sa flûte de pan qu’elle époussette par reflexe.
— Quand tu as joué de la musique dans cet instrument, le diplodocus est directement apparu, se souvient Aron.
— Tu es plus malin que tu ne le laisses croire, fait remarquer Nora avec un clin d’œil.
La dompteuse s’assied à nouveau sur l’herbe chaude de la jungle et se remet à écraser des petites baies rondes et bleues.
— Ma flûte de pan est un artefact précieux, explique-t-elle. Seules certaines personnes entraînées ont la capacité de l’employer à bon escient. Elle permet, entre autres, de mobiliser certains téras qui répondent à sa mélodie. Je suis une des rares personnes à pouvoir l’utiliser.
— Parce que tu viens de la région d’Enn ?
Aron a touché en plein dans le mille. Nora s’est arrêtée de concasser ses baies et l’observe attentivement. Puis, elle se fend d’un sourire coupable.
— Je vois que tu as assisté à tout mon jugement sur la Place du Marché. Tu aurais pu intervenir avant qu’on me pende !
— Je voulais savoir si ça en valait vraiment la peine.
Nora affiche une moue d’étonnement sincère.
— Tu ne me fais pas confiance ?
— Aujourd’hui, j’ai appris que j’étais l’esclave du Seigneur Bartolomé qui est le propriétaire de toutes les îles de Sunn. L’Île de Nede d’où je viens en fait partie. Je suis donc le sujet du Seigneur Bartolomé. Et toi, d’après lui, tu es une traitresse.
— Et que penses-tu du Seigneur Bartolomé.
— Je pense qu’il est un tyran et qu’il faut le neutraliser.
— Et dans quel camp te situes-tu ? Celui de la traitresse, ou celui du tyran ?
Aron réfléchit un instant. Il palpe son Talisman, comme à la recherche du soutien de son grand-père.
— Je préfère ne faire confiance à aucun être humain, comme me l’a fait promettre mon grand-père.
Aron lui tourne le dos et rejoint Medhi qui ouvre un œil à son approche.
— Attends, où tu vas ? s’inquiète Nora.
— Je retourne sur mon Île de Nede.
— Mais… tu ne peux pas juste partir comme ça !
— Pourquoi pas ?
— Premièrement parce que nous en sommes loin, et que nous sommes sur l’Île Bartolomé. La Mer Bartolomé est très vaste, tu ne pourras pas rejoindre ton île aussi facilement.
— Je n’y comprends rien.
— Écoute, la région de Sunn est énorme. Tu as vu la distance que nous avons parcouru à dos de Tropius pour atteindre cette île ? Imagine que ce n’est qu’une infime partie de la région de Sunn. Et elle-même est une infime partie de Cosmos. C’est un territoire gigantesque ! Je ne connais personne qui en ait fait le tour complet en toute une vie.
Aron est perplexe. Il découvre la géographie pour la première fois de sa vie et sa douleur au crâne réapparaît contre son gré. Nora saisit une flèche de son stock harnaché à Tropius et trace un dessin dans un carré de terre près d’elle. Elle invite Aron et Medhi à y jeter un coup d’œil.
— Bon, la cartographie, ce n’est pas ma discipline préférée, donc ne m’en veuillez pas si je ne suis pas très précise. Ça, en gros, c’est Cosmos. Nous, on se trouve ici.
Elle plante sa flèche en dehors du gros cercle qu’elle a dessiné, vers le sud.
— Nous sommes dans la région de Sunn. Cosmos est divisé en quatre régions : Sunn, Oenn, Nonn et Enn.
En les citant, elle montre quatre régions en faisant tourner sa flèche de la gauche vers le haut, puis vers la droite. Ensuite, elle se met à dessiner un tas de petits ronds à droite du dessin.
— Là, dans l’océan, il y a encore tout un tas d’îles qu’on appelle « les Îles Monarchiques » avec en son centre « La Cité ». C’est là que vit le Monarque Unique. C’est lui qui nous dirige tous. Il est le Seigneur de tous les Seigneurs.
— C’est Seidon ?
Aron se souvient du nom qu’a prononcé le Seigneur Bartolomé lors du jugement de Nora. D’après lui, Nora avait été engagée par ce fameux Seidon pour comploter contre lui.
— Non, pas du tout. Le Seigneur Seidon est le Protecteur de la région de Sunn. En gros, il est le grand chef le plus puissant à qui tout le monde, dans la région de Sunn, doit obéissance. Chaque région a son Protecteur. Chaque habitant d’une région doit obéissance à son Seigneur et chaque Seigneur doit obéissance à son Protecteur. Tu comprends ?
— Pas trop. Par exemple, toi, tu es Seigneur ou Protecteur ?
Nora soupire. Elle ne s’attendait pas à devoir enseigner aussi la politique et l’organisation hiérarchique de Cosmos.
— Dans la région d’Enn, c’est un peu différent. Disons que je ne suis pas n’importe qui à Enn mais que je ne suis pas non plus au sommet de la hiérarchie.
— Mais alors, si tu viens d’Enn, pourquoi est-ce que tu étais engagée dans l’armée du Seigneur Bartolomé ?
— C’est une très longue histoire dont tu ne comprendrais quasiment pas grand-chose, mais je vais essayer de la résumer assez simplement. Disons que mon Protecteur m’a envoyée auprès du Protecteur de Sunn…
— Seidon ?
— Le Protecteur Seidon, oui, rectifie Nora pour lui faire remarquer son manque de courtoisie. Ma mission était de former une alliance avec lui pour des raisons politiques qui n’ont pas une grande importance pour l’instant. Le truc, c’est que le Seigneur Bartolomé n’est pas un sympathisant du pouvoir du Protecteur Seidon. C’est un dissident. Tu as pu constater toi-même sa barbarie et la manière avec laquelle il traite ses sujets. Ce genre de pendaisons publiques, de traitements inhumains envers les esclaves et les téras, c’est complètement interdit dans les lois du Protecteur Seidon. Ainsi, pour former une alliance politique avec la région de Sunn, le Protecteur Seidon a testé ma fidélité envers lui en me confiant la mission d’infiltrer l’armée du Seigneur Bartolomé.
— C’est pour cela qu’il t’a appelée la « traitresse d’Enn » ?
— Tu peux comprendre à présent pourquoi il a vu rouge quand il a appris qu’une guerrière de la région d’Enn avait infiltré son armée sous les ordres du Protecteur Seidon.
Aron pense qu’il a compris. Il se détend quelque peu. Si Nora dit vrai, il n’a aucune raison de la considérer en tant qu’ennemie. Néanmoins, une question le taraude. Quelque chose ne rentre pas dans son récit.
— Pourquoi est-ce que tu es venue me chercher sur mon Île de Nede ? C’est à propos de mon Talisman ?
Nora hésite, et Aron l’a bien vu. Quelque chose lui dit qu’elle ne va pas être complètement sincère envers lui.
— Disons que le Protecteur Seidon aimerait mettre en sécurité ce Talisman, au cas où il tomberait entre de mauvaises mains.
— Celles du Seigneur Bartolomé ?
— Par exemple, oui.
— Alors pourquoi la première chose que nous avons faite, c’est de venir sur son île avec mon Talisman ?
— Parce que malheureusement, quand j’ai dû fuir son armée, je n’ai pas eu le temps de récupérer mes effets personnels, répond simplement Nora. Et je ne pouvais certainement pas continuer mes missions d’alliance avec le Protecteur Seidon sans ma flûte de pan et… le reste de mes affaires.
Nora a détourné le regard. Aron constate qu’elle lui cache quelque chose. Mais il commence à la connaître, et il sait aussi qu’elle n’en dira pas plus sur ce sujet. Ou bien elle lui mentira. Et Aron est incapable de déceler le mensonge.
— Donc, maintenant que je les ai récupérées et que nous sommes sains et saufs, il est temps d’aller retrouver le Protecteur Seidon ! annonce Nora en clapant dans ses mains avec détermination.
— Il se trouve où ?
— À Portoasis, bien sûr ! Allez, en scelle !
Nora récupère ses flèches, efface avec sa semelle son dessin dans la terre, et grimpe sur le dos du diplodocus ailé. Elle tend une main à Aron qui refuse de bouger.
— Nous ne sommes pas tous sains et saufs.
— Comment ça ?
— Il y a une amie qui nous a aidés, Medhi et moi, à nous enfuir des cachots du Seigneur Bartolomé.
— Qui ça ?
— Qispi.
Nora soupire. Ce n’était vraisemblablement pas son nom qu’elle attendait comme réponse.
— Une esclave qui a risqué sa vie pour nous.
— J’espère que tu l’as remerciée comme il se doit, rétorque Nora sans considération. Allez, on va profiter de la nuit pour quitter cette île.
— Hors de question de partir sans Qispi !
Aron plante ses pieds dans l’herbe de la jungle et croise les bras. Medhi l’imite et affronte Nora du regard. Aron est déterminé. Il a vu Adorón sacrifier sa vie sous ses yeux pour les aider à s’enfuir, il ne permettra pas qu’une autre personne meurt à cause d’eux. Surtout pas lorsqu’il s’agit d’esclaves qui lui sont égaux et qui subissent les conséquences d’évènements dont ils ne sont pas les protagonistes.
Face à sa détermination, Nora lève les yeux au ciel.
— Et j’imagine qu’il n’y a rien qui puisse te faire changer d’avis ?
— Si tu veux mon Talisman, tu vas devoir m’aider à sauver Qispi.
— Évidemment…
Nora baisse la tête, vaincue, et lui fait signe de monter sur le dos du diplodocus.
— Et où se trouve ta Qispi ?
— Elle est retournée à son poste, dans les cachots.
— Je suppose que tu parles des cachots qui se trouvent sous le manoir du Seigneur Bartolomé ?
— Oui.
— Le manoir de l’homme qui nous cherche activement avec toute son armée pour nous abattre ?
— Celui-là-même.
Nora soupire.
— Qu’est-ce que je ne ferais pas pour ton Talisman…
Et elle ordonne à Tropius de prendre son envol.