Chapitre 411 : Le retour des Marquises
Le jeune roi Alroy de Cinhol avait été séparé du gros de ses troupes après la charge générale. En fait, c'était tellement le chaos sur ce champs de bataille, avec des fronts qui se formaient un peu partout, que la cavalerie de Cinhol avait largement été dispatchée par la force des choses. Actuellement, Alroy avait perdu sa monture, et se battait au sol contre une cohorte de zombies, avec une dizaine de membres de sa garde royale qui le protégeaient, mais aussi des soldats de la FAL de plusieurs nationalités, des dresseurs, et même un de ces mystiques G-Man qui portait une cape vert émeraude flashy.
En dehors des membres de sa garde royale, Alroy ne connaissait aucun d'entre eux, et ne parlait peut-être pas la même langue. Mais ils se battaient tous pour un même but, contre un ennemi commun, et se sauvaient entre eux sans même se connaître. Pour Alroy, qui avait toujours vécu dans un monde quasiment unifié avec un seul pays dirigeant, cela était incroyable.
On lui avait également, il y a peu, fait passer le mot que le Grand Empire de Johkan venait d'arriver pour se joindre à la bataille. Ils menaient leurs propres combats dans leur coin sans vraiment se battre aux côtés de la FAL, mais c'était déjà quelque chose. Alroy connaissait bien Sire Erend et son jeune protégé, le désormais empereur Julian, et avait toujours cru en eux malgré ce qu'on disait d'eux désormais.
Alroy comptait bien les revoir et leur parler, pour mettre les choses au clair. Se faisant, il décida d'en finir rapidement ici. Il déploya plus que jamais la puissance d'Hafodes, son Dieu Guerrier à l'apparence d'une fourche rouge, pour consumer des rangées entières de morts-vivants. Mais alors que les forces ennemies commençaient à s'épuiser sur ce front-ci, un des gardes royaux d'Alroy l'interpella :
- Sire ! Les bataillons 5 à 12 de notre cavalerie viennent de se faire décimer d'un coup, par un seul ennemi !
Alroy grimaça. Huit bataillons de cavalerie représentaient environ mille six-cent hommes.
- C'était un Démon Majeur ? Demanda le jeune roi.
- Non, Majesté. Une humaine.
Très probablement un ancien Marquis donc. Ces gars-là avaient été ramenés d'entre les morts par la magie païenne de Lyre Sybel et de Silas Brenwark, et ce avec leurs anciens pouvoirs ou capacités. Qu'un seul ait pu venir à bout de tant de cavaliers de Cinhol pouvait parfaitement s'expliquer. Sauf qu'Alroy, lui, n'était pas un simple soldat. Il avait Meminyar, une épée en Vifacier. Hafodes, le Dieu Guerrier de feu, et les quatre autres anciens Pokemon royaux que les descendants de Castel Haldar se sont transmis. Sa mère, Leaf, serait sans doute en colère d'apprendre qu'il s'était permis d'aller défier un de ces monstres, mais c'était son devoir de roi que de venger tous ses sujets tombés au combat.
- Je vais aller voir ça. Libre à vous de m'accompagner, mais il y a de grandes chances que je ne puisse vous protéger.
Le Garde Royal se mit la poing sur le cœur et s'inclina.
- Nous vous accompagnerons même si vous décidiez d'aller affronter Horrorscor et ses Démons Majeurs en même temps, mon souverain !
Alroy et sa dizaine de gardes quittèrent donc ce coin de la bataille pour se rendre là où près de deux milles de leurs hommes avaient trouvé la mort. Et c'était un véritable carnage. Il y avait des morceaux d'humains et de chevaux dispersés partout sur le sol montagneux. Alroy, qui n'avait jamais vu pareille horreur de si près, se retint de vomir. La seule personne debout était une femme, vêtue d'une robe rouge et tenant une faux ensanglantée dans sa main.
C'était visiblement la responsable de ce massacre, mais Alroy avait peine à croire qu'une femme seule, même armée d'une faux, avait pu faire tout ceci. Pourtant, quand elle se tourna vers lui, et qu'Alroy put voir son visage de porcelaine, ses yeux verts glacés et ses cheveux argentés, il frissonna. Il était sûr de n'avoir jamais vu cette femme, et pourtant, elle lui était familière.
- Ça par exemple, fit-elle d'une voix doucereuse. Ne serait-ce pas le jeune prince Alroy ? Tu as bien grandi, mon garçon. Tu es devenu un parfait petit Haldar !
Si cette femme le connaissait de l'époque où il était encore prince, ça ne laissait que peu de possibilités sur son identité.
- Venisi... non. Enysia Haldar !
Les gardes royaux furent épouvantés en entendant ce nom, mais aussi furieux. Enysia Haldar, la neuvième Marquise des Ombres, était bien connue des gens de Cinhol pour avoir été la responsable de tous leurs malheurs depuis des siècles.
- Pitié, épargne-moi ce nom de Haldar, soupira la Marquise. Je les méprise de tout mon être. Mon mariage avec Castel était des plus factices, uniquement pour mener à bien mes projets. Mon vrai nom est Kangros. Enysia Hel Kangros. Revenue d'entre les morts, à nouveau. J'ai été surprise de voir la cavalerie de Cinhol dans une bataille du monde réel, mais faut croire que le destin a choisi à nouveau de me mettre en face de la route de mes descendants.
Enysia était la femme de Castel Haldar, le fondateur de Cinhol. Elle avait fait mine de l'aider dans sa révolution d'il y a cinq siècles contre la République de Bakan, mais en réalité, elle ne faisait que le manipuler pour le compte de son maître, Horrorscor, tout comme elle avait manipulé l'ensemble de ses descendants, dont la propre mère d'Alroy, Nirina.
S'étant cachée sous l'identité de Venisi, une femme mystérieuse et constamment voilée, elle avait tiré les ficelles d'un plan tordu pour se servir d'une météorite de Vifacier afin d'atteindre le royaume céleste d'Arceus et le tuer. Elle a finalement été détruite par les efforts combinés de Castel et d'Erend Igeus, et une fois la vérité rétablie, désignée comme la source de tous les maux de Cinhol. Alroy ne s'attendait pas à la trouver là, et pourtant, c'était logique, étant donné son appartenance aux anciens Marquis des Ombres. Le jeune roi pointa la fourche d'Hafodes dans sa direction.
- Vos manigances m'ont arraché mes vrais parents, et ont provoqué d'innombrables conflits. Le nombre de vie que vous avez détruites est incalculable. Et même morte, vous persistez à répandre le malheur. Je le jure sur mon épée sacrée Meminyar : moi, Alroy Haldar, 27ème souverain de Cinhol, je vais clore à jamais votre sinistre histoire !
Guère impressionnée, Enysia sourit d'un air mi-attendri mi-ironique.
- En voilà de fortes paroles. Mais laisse-moi te dire une chose, mon brave petit descendant : les serments sur l'honneur et la justice, ce n'est pas très Haldar. Vous vous contentez généralement de tuer quiconque vous dérange sans vous soucier de justification. Vous aimez les tueries, et vous désirez les conquêtes. Je ne le sais que trop bien, après avoir passé cinq siècles à conseiller et manipuler dans l'ombre les héritiers de Castel les uns après les autres. Votre sang est corrompu, et cela ne s'effacera jamais. Tous autant que vous êtes, vous êtes des outils pour le Seigneur Horrorscor.
Alroy, qui avait grandement étudié sa généalogie et l'histoire de sa famille, savait bien sûr de quoi elle parlait. Le fils qu'Enysia avait eu avec Castel il y a cinq cent ans, Dorfias Haldar, avait été un Enfant de la Corruption. Les rares textes de l'époque lui prêtaient des pouvoirs effrayants, et surtout, une mégalomanie tendant à la folie pure. Il était mort assez jeune, mais avait transmis les gènes malfaisants d'Horrorscor à ses descendants, ce qui avait fait des Haldar les conquérants égoïstes et violents qu'Enysia décrivait.
Bien sûr, après cinq cent ans, les traces d'Enfants de la Corruption dans le sang Haldar avaient quasiment disparu. Alroy était un enfant normal, sans pouvoir maléfique ni envie de conquête mondiale. Mais il en resterait toujours un petit quelque chose, et ce jusqu'à la fin des temps. C'était l'une des raisons pour laquelle Alroy avait pris part sans hésiter à cette dernière bataille contre Horrorscor, afin de laver le sang et l'honneur de sa famille, en aidant à annihiler le Maître de la Corruption à jamais.
- Ce sont nos actes qui importent, bien plus que notre sang, répliqua Alroy. Ma mère Nirina et Castel lui-même l'ont démontré, en sacrifiant leur vie pour les autres. Mais vous ne pouvez pas comprendre ça, car vous n'aimez personne !
Alroy fit jaillir un torrent de flammes d'Hafodes, tandis que sa garde royale fondit sur Enysia, leurs épées au poing. La Marquise des Ombres se contenta de tourbillonner sur elle-même, en se dissimulant sous son large manteau rouge. Et la seconde d'après, elle disparut avec un éclat de rire, laissant les soldats de Cinhol qui s'apprêtaient à se jeter sur elle médusés.
- Elle s'est juste rendue invisible ! Leur cria Alroy. Son manteau et sa faux sont ceux de Shinecros, son Pokemon Spectre artificiel, qui peut fusionner avec elle !
- Je vois que tu as bien appris ta leçon auprès de ceux qui m'ont défié à Bakan, garçon, retentit la voix d'Enysia. Mais ça n’empêchera rien.
La tête d'un des soldats d'Alroy vola dans une gerbe de sang après s'être fait coupée d'un coup net par la faux d'Enysia, sortit de nulle part. Les autres gardes, naturellement, paniquèrent et se mirent à donner des coups d'épées dans le vide, jusqu'à qu'un autre se fasse couper en deux au niveau de la taille.
- Calmez-vous, ordonna Alroy. Revenez auprès de moi !
Il fit tourbillonner au dessus de lui la fourche d'Hafodes, et quand le dernier soldat l'eut rejoint, il utilisa tout autour de lui une attaque Danseflamme gigantesque. Mais comme Enysia ne réapparaissait pas, il y avait peu de chance que son manteau rouge ait brûlé.
- Restez autour de moi, en cercle, murmura Alroy à ses hommes. Je vais la dénicher.
Il prit l'une des quatre Pokeball incrustées dans la lame dorée de Meminyar, et la lança. Le Pokemon qui en sortit était en fait trois créatures posées l'une sur l'autre. Elles avaient le corps gris et poilu, d'énormes queues noires et blanches, et de grands yeux jaunes qui leur donnaient l'air constamment surpris.
- Etrurien, attaque Clairvoyance !
Le Pokemon Normal – ou plutôt les trois – se mirent à passer au crible tout les alentours avec leurs yeux soudains devenus rouges, comme des rayons X. Et finalement, même un Pokemon créé avec un esprit désincarné, du Vifacier et la magie noire d'Horrorscor comme Shinecros ne put échapper à l'attaque. Enysia redevint visible à quelques mètres d'eux.
Contrariée, l'ancienne Marquise créa une attaque Ball'Ombre avec sa faux et l'envoya sur ses ennemis. Alroy se contenta d'attendre qu'elle soit à portée pour la frapper avec la fourche d'Hafodes et l'envoyer se perdre dans les cieux, tel un joueur de base-ball. Tandis que ses gardes chargeaient à nouveau Enysia, il envoya un second Pokemon royal au combat : Squablarto, un Pokemon Sol à l'allure de requin-marteau, mais avec la peau jaune et granuleuse, et des dents terriblement impressionnantes. Il creusa le sol montagneux avec une facilité déconcertante avec l'attaque Tunnel.
- Ces fichus Pokemon... marmonna Enysia pour elle-même. Je ne les aies jamais supportés, même quand je jouais le rôle de la femme aimante de Castel. Enfin, à part Hafodes bien sûr. Lui, je sais comment lui parler...
Elle sourit et caressa sa faux. Alroy sentit alors la fourche d'Hafodes trembler dans sa main, comme s'il se débattait. Et puis, un jet de flamme jaillit alors qu'Alroy n'avait rien demandé, manquant de le brûler lui-même.
- Que...
Le métal dont était fait la fourche se mit à vibrer furieusement, à tel point que le son fut perceptible aux oreilles humaines. Et son toucher devint de plus en plus chaud.
- Hafodes, que se passe-t-il ? Demanda Alroy.
Mû par une volonté propre, la fourche du Dieu Guerrier se mit à bouger toute seule, se débattant pour quitter la poigne d'Alroy. L'adolescent ne put la conserver plus longtemps, sauf à voir sa main droite s'enflammer. Dès qu'il lâcha la fourche, cette dernière vola dans les airs, jusqu'à docilement se poser entre les mains d'Enysia. Satisfaite, la Marquise frappa ensuite le sol avec le haut de la fourche, provoquant une attaque Séisme qui fit sortir prématurément Squablarto du sol.
- Pourquoi ? Fit Alroy, abasourdi. Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Le pauvre enfant a perdu son jouet ? Ricana Enysia. Et il se rend compte que sans lui, il n'est rien ? Ah, tu me fais tant penser à Castel que c’en est écœurant... Finalement, tu n'as pas retenu grand-chose me concernant. Tu savais que Shinecros était partiellement fait de Vifacier, pourtant. Tu pensais que ça s'arrêtait là ? J'ai bâti mon pouvoir et ma réputation de Marquise sur mon contrôle de ce métal légendaire ! De mon vivant, je m'étais moi-même implanté des particules de Vifacier dans les veines. La faux de Shinecros est comme une extension de mon corps. Par son biais, je peux entrer en contact avec le Vifacier et instiller ma volonté en lui. Il est aisé pour moi de prendre le contrôle des Dieux Guerriers quand ils ne sont que sous leur forme Arme.
Privé de sa carte maîtresse, Alroy se sentait en effet bien impuissant. Même ses quatre Pokemon Royaux ne feraient pas le poids face à Hafodes. Et de toute façon, le Dieu Guerrier ne l'avait jamais reconnu comme son véritable maître. Il restait bloqué sous sa forme Arme avec lui, et c'était pour cela qu'Enysia avait pu s'en emparer si facilement. Si Alroy s'était uni sous la forme Revêtarme avec lui, comme Sire Erend l'avait fait avec Triseïdon, ou encore la mère de Julian avec Ecleus, jamais Enysia n'aurait pu briser leur lien. Comme si elle lisait les pensées d'Alroy, Enysia déclara :
- Sans doute que ce pauvre Hafodes en a assez de servir votre engeance de blondins couronnés. Je sais ce que c'est, de devoir vous supporter pendant un demi-millénaire. Nul doute que le Marquis actuel lui trouvera un usage bien plus noble et utile... Hihihi !
Alroy tomba à genoux sous l'effet du rire cruel de son ancêtre. Il avait perdu Hafodes, et l'avait remis entre les mains de leurs ennemis. Il aurait mieux fait de rester à Cinhol, loin de cette guerre. Ça aurait plus arrangé la FAL qui n'aurait pas eu à affronter Hafodes, et ça aurait épargné bien des vies de chevaliers de Cinhol. Quel piètre roi était-il...
- Relève-toi, héritier de Castel. Plus jamais une seule personne de ton sang ne devrait avoir à plier les genoux devant cette femme !
Alroy rouvrit les yeux et chercha du regard l'origine de cette voix à la fois sombre et cybernétique, mais qui lui était familière pour autant. Enysia aussi se retourna, perplexe. Un individu en armure intégrale noire s'avançait vers eux. Il avait une lame de la même couleur obsidienne que son armure, et derrière lui, il y avait une sorte d'écran en verre noir circulaire qui le suivait. Dernières choses : son armure semblait par moment immatérielle, comme faîte de fumée, et son œil gauche synthétique, derrière son masque oculaire, brillait d'une intense lueur rouge. Alroy n'avait jamais vu une telle personne, si tant est qu'elle soit bien humaine, mais elle n'avait clairement pas le look d'un gentil.
- Qui es-tu, impudent ? Demanda Enysia. Un des sbires de l'actuel Marquis ?
- Allons bon, juste parce que je porte une armure noire ? Ce n'est pas bien de juger les gens à leur apparence. Vous avez fait la même erreur il y a quelques années quand vous n'avez vu en moi qu'un gamin idéaliste et inoffensif.
L'individu passa une main sur son masque, qui se dématérialisa en partie comme s'il était fait de fumée. Il laissa entrevoir un visage blafard avec pas mal de cicatrices, surtout au niveau de la bouche, mais qui restait parfaitement reconnaissable pour Alroy. Et pour Enysia aussi, visiblement.
- Toi... l'héritier d'Uriel ! Crachat-elle comme une malédiction.
- Et Sauveur du Millénaire, accessoirement, ajouta Erend Igeus en se recouvrant à nouveau de son masque. Pas parce que je vous ai détruit il y a huit ans, Enysia. Vous n'étiez qu'une menace risible. Non, pour ce que je vais faire bientôt, grâce à mon Requiem de l'Innocence. Aussi, je vous prierai de bien vouloir retourner dans votre monde spectral et d'y rester, cette fois ci.
Si les yeux pouvaient lancer des éclairs, Erend aurait déjà été foudroyé mille fois par le regard emplit de haine de l'ancienne Marquise, qui trouva néanmoins la retenue nécessaire pour ricaner.
- Ces quelques années ne t'auront pas ménagé pour ce qui est de l'arrogance, mon garçon. Mais aujourd'hui, tu n'as pas ton épée « Espérance » avec toi, et Arceus n'est pas là. Je vais te tuer lentement et te donnant un avant goût de l'enfer... hein ?
Enysia regarda bêtement son bras droit qui tenait sa faux... et qui n'était plus là. Il gisait au sol, et une flaque de sang se formait tout autour. Erend soupira d'ennui, et se fendit de son épée une nouvelle fois, séparant la tête d'Enysia du reste de son corps.
- L'enfer, je connais déjà. Je suis sûr que vous êtes une petite nature comparé au capitaine Naulos de la GSR.
La tête d'Enysia tomba au sol et roula tandis que son corps s'effondrait. À en juger par l'air de total ahurissement qui était resté sur son visage, elle n'avait pas compris pourquoi l'épée d'Erend avait pu l'atteindre, alors qu'elle avait fusionné avec son Shinecros et donc revêtu le type Spectre. Elle ignorait bien sûr que la Dark Armor, y compris l'épée qui allait avec, avait été conçue pour pouvoir se dématérialiser à volonté, et donc pouvait atteindre ceux qui se dissimulaient dans la dimension spectrale.
Mais Erend ne prit même pas la peine de lui expliquer cela dans ses derniers moments. Elle n'en valait pas la peine. Il regarda juste d'un air distrait son masque, personnification de son âme, s'élever hors de son corps et voler dans les airs, irrémédiablement attiré par la présence du Marquis des Ombres et d'Horrorscor. Erend en déduisit donc qu'il pourrait encore l'avoir face à lui prochainement, si quelqu'un parvenait à lui recréer un nouveau corps.
- S-Sire Igeus ! Fit Alroy en s'approchant de lui. Je savais que vous n'aviez pas pu rejoindre le camps de la corruption, malgré ce que dit la FAL !
- En effet, il ne faut pas écouter les mensonges de la Reine Eryl, Votre Majesté. Je vais au contraire faire en sorte de nous débarrasser à jamais de la corruption aujourd'hui-même. Et après cela, j'espère que vous réévaluerez à nouveau vos alliances, et que le Royaume de Cinhol rejoigne le Grand Empire de Johkan, sous la dirigeance éclairée de l'Empereur Julian.
Alroy baissa les yeux, gêné.
- Je... je vous fait confiance, Sire Igeus. J'ai une dette envers vous. Vous avez tant fait pour le Royaume de Cinhol. Et Julian est mon ami. Mais... mes parents... ce sont des officiels de la FAL. Je ne peux pas...
- Leaf et Deornas ne sont pas tes vrais parents, répliqua Erend. Mais j'espère qu'ils ouvriront vite les yeux et verront la grandeur de ce que Julian et moi essayons de bâtir. Leaf est assez intelligente pour cela.
Alroy savait qu'Erend parlait en connaissance de cause. Le père de Leaf et la mère d'Erend avaient été des politiciens partenaires, et Leaf et Erend avaient tous deux étudié à la Haute Académie de Bakan, l'une des plus prestigieuses université du monde. Avant qu'Alroy n'ait pu poser plus de question à son sauveur, ce dernier reprit nonchalamment sa route.
- Sire Erend ? Où allez-vous ?
- Où irai-je, sinon au combat ? Atlantis, stationnée en orbite, va bientôt annihiler l'Armée des Ombres d'un coup d'un seul, mais il faut avant que j'élimine quelqu'un moi-même.
Le jeune roi fronça les sourcils sans comprendre.
- Pourquoi, si vous comptez détruire tous les ennemis d'un coup ?
- Je ne vais pas faire feu sur la FAL et ses alliés, ce serait un peu mal vu, et Sa Majesté Julian ne veut pas faire de victime innocente.
Erend s'éloignant, laissant Alroy à ses interrogations. Il frissonna après avoir saisi la seule logique possible de la réponse d'Igeus. S'il comptait tuer quelqu'un avant le tir d'Atlantis, et qu'il disait vouloir épargner cela à la FAL... c'était que ce quelqu'un devait lui-même faire partie du camp de la FAL !
***
En voyant revenir à lui un autre masque d'anciens Marquis, le Marquis actuel soupira sous le sien. À ses côtés, ses lieutenants : le Premier Marquis Deveran, le Démon Majeur Wrathan, Lyre et Fantastux, Maxwell étant parti pour le champs de bataille pour raisons personnelles, observèrent en silence la réaction de leur chef.
- Encore un. Ça commence à faire beaucoup... se contenta-t-il de dire.
Ce n'était pas peu dire. Les anciens Marquis tombaient comme des mouches, alors qu'ils étaient quasiment tous censés être les plus terribles criminels de leurs époques. Deux de ses prédécesseurs les plus récents qu'il avait lui-même connu, à savoir Vaalzemon et Funerol, avaient été vaincus. Et maintenant celui-ci, et pas des moindres...
- C'est celui d'Enysia non ? Fit Fantastux qui était le seul ici à avoir connu tous les Marquis. Elle était pourtant imbattable au sommet de sa toute puissance.
- Nous n'avons pas pu ramener avec elle son Trio des Ombres, hélas. Mais oui, même sans eux, Enysia aurait dû être un des fers de lance de notre armée. La situation devient problématique.
Lyre choisit précisément ce moment pour ajouter une mauvaise nouvelle en plus.
- Je n'ai plus l'anneau que Hoopa m'avait laissé pour ranimer les cadavres à distance et à la chaîne. Il s'est soudainement envolé il y a dix minutes. Soit Hoopa l'a temporairement repris pour se battre, soit...
- Il nous a trahi, acheva le Marquis. Ça ne m'étonnerait qu'à moitié de lui. Le Baron nous a certifié de son allégeance, mais je sais bien que ce Pokemon ne sait même pas ce que ce mot veut dire. Et qu'en est-il du Baron lui-même ?
Il interrogea Fantastux du regard.
- Fantastux ne le sent plus, Marquis. Il n'est pas mort, ça c'est sûr, mais il semble avoir quitté le champ de bataille d'un coup...
Wrathan, sous sa forme de jeune garçon colérique, tapa du poing contre la table en bois d'acajou du Marquis, qui se mit à fumer sous le choc.
- Cela est assez ! Je sors, et je vais réduire en cendre tous nos ennemis !
- Non, renchérit le Marquis. L'heure n'est pas venue. Le second hôte du Seigneur Horrorscor approche, je le sens. Nous attendrons ses ordres directs si besoin est d'annihiler toute la région. En attendant, nous pouvons encore lutter. Et j'ai moi-même encore une carte que je n'ai pas sortie.
- Moi, Seigneur ? Demanda Deveran.
Le Premier Marquis, illustre dans son corps parfaitement sculpté et sa robe noire d'un côté et blanche de l'autre, avait tout aussi hâte que Wrathan d'aller au combat.
- Non, Deveran. Vous ne devez aller au combat qu'en cas d’extrême nécessité. Je vous rappelle qu'on a lié à votre âme toutes celles des anciens Marquis que Giratina nous a temporairement remises. Si jamais vous venez à être détruit, tous les Marquis restant vous suivront automatiquement.
- Certes. Je comprends. Néanmoins, la possibilité qu'un de nos ennemis soit assez puissant pour pouvoir me vaincre me paraît risible.
Le Marquis savait que ce n'étaient pas des paroles en l'air. On n'avait pas donné à Deveran le titre de Demi-Dieu Binaire pour rien.
- Je vais utiliser mon dernier atout, reprit le Marquis. Si jamais la situation décline à nouveau, alors vous pourrez vous déchaîner. Veuillez me laisser maintenant. Ce que j'ai à faire est... personnel.
Fantastux et Deveran sortirent du carrosse volant. Wrathan aussi, bien qu'à contrecœur et avec colère. Lyre reprit elle le chemin de ses quartiers, mais le Marquis l'arrêta.
- J'ai besoin de toi, Lyre. Tu sais qui je m'apprête à ramener, n'est-ce pas ?
La jeune femme hocha la tête, le regard sombre. Ses yeux qui rougeoyaient depuis que ses pouvoirs s'étaient emballés brillèrent encore plus.
- Je ne veux pas croiser cette femme. Je la tuerai dès l'instant où je la verrai.
- Elle est déjà morte, donc retiens-toi. Je veux que tu la ressuscites puis que tu la contrôles. Tu l'enverras sur les Pokemon du Zodiaque avec tous les morts-vivants qu'il nous reste. Libre à toi, quand nous aurons gagné, de la retuer de la façon dont tu voudras, si ça peut te soulager.
Lyre acquiesça lentement, mais son visage était toujours crispé, et ses mains tremblaient. Le Marquis lui mit une main réconfortante sur l'épaule, et tous deux se rendirent dans ses quartiers personnels, la pièce centrale du véhicule volant. Une fois dedans, le Marquis poussa une étagère remplie de livre pour se rendre dans une petite salle derrière qu'il gardait secrète de tous ses Agents. À l'intérieur, il n'y avait qu'un seul objet : un cercueil noir de jais.
Le Marquis actuel était le 36ème, et il avait ramené 34 anciens Marquis pour cette bataille. Pourtant, Giratina lui avait bien livré 35 âmes, plus celle de Zelan, comme convenu. Alors, où était celle qui manquait ? Le Marquis la gardait tout simplement près de lui depuis le début. Il sortit de son ample manteau un masque blanc très similaire au sien, si ce n'était que les rayures rouges ne se trouvaient pas au même endroit. C'était le masque du 35ème Marquis, que le Marquis actuel avait toujours sur lui, et qui luisait désormais de la présence de l'âme de son propriétaire.
Pourquoi Silas n'avait-il pas créé de corps pour ce 35ème Marquis, comme les autres ? Parce qu'il n'y en avait nul besoin. Le Marquis actuel avait conservé le corps de son prédécesseur, et ce dans un parfait état. Ce cercueil était totalement hermétique, ne laissant rien pénétrer, et il était rempli de Glace Éternelle. Le corps à l'intérieur était dans un état identique qu'à sa mort, il y a quatorze ans.
Le Marquis avait conservé ce corps non pas dans l'idée de le ranimer des années plus tard. Il ne savait même pas que c'était possible, à l'époque. Il l'avait fait pour satisfaire aux rares traces d'émotions que son ancien lui conservait, et pour se souvenir. Toujours se souvenir. Mais s'il avait décidé de ne pas le ressusciter avec les autres et de l'envoyer combattre, ce n'était pas par faiblesse d'âme. Non. C'était parce qu'il avait préféré ne pas lâcher ce Marquis là dans la nature à nouveau. Car de tous les Marquis des Ombres qui s'étaient succédé, celui-là... non, celle-ci était la plus cruelle et la plus instable.
Mais la situation le justifiait, désormais. En ouvrant le cercueil, le Marquis des Ombres eut quand même un peu pitié de ses ennemis. Il s'arrêta un moment pour observer la silhouette endormie à l'intérieur, son visage inchangé qu'il avait gardé en mémoire. Mais l'emprise d'Horrorscor en lui était désormais à un tel niveau que ces souvenirs et ces sentiments disparus n'avaient plus la moindre importance. Il approcha le masque chargé de l'âme de la glace, qui commença à se fissurer, comme si l'énergie spectrale du masque qui voulait retrouver son propriétaire s'instiller en elle et la détruisait peu à peu. La Glace Éternelle vola en éclat, laissant le cadavre intact. Une forme noire et brumeuse s'échappa du masque pour aller se loger à l'intérieur du corps.
- À toi, Lyre, ordonna-t-il.
L'Enfant de la Corruption s'approcha comme si elle marchait vers l’échafaud, et quand elle posa les yeux sur le corps dans le cercueil, elle manqua avoir une crise d'angoisse. Elle dut retrouver sa respiration un long moment avant d'oser tendre la main et à peine effleurer un bout de peau du corps, comme s'il était toxique et radioactif.
Mais ce fut suffisant. Les yeux de la femme à l'intérieur s'ouvrirent d'un coup, si semblable à ceux de Lyre. L'ancienne Marquise se redressa et s'assit dans le cercueil, examinant son corps avec un certain détachement. Puis elle posa les yeux sur le Marquis actuel. Lyre, elle, avait déjà filé sans attendre.
- Ça faisait longtemps, ma vieille amie... fit lentement le Marquis. Le temps est venu pour les vivants de se souvenir de la terreur que tu inspirais, 35ème Marquise...