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Liberté, Liberté de Feather17



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» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 31/10/2021 à 18:02
» Dernière mise à jour le 31/10/2021 à 18:02

» Mots-clés :   Mythologie   Présence de personnages du jeu vidéo   Sinnoh   Slice of life   Song-fic

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Chapitre 7 : Une idée de révolutionnaire
« Qui serons-nous ? »

Son livre traine sur la table basse. Elle ne le regarde que d’un œil distrait. Elle n’en a plus besoin : elle le connait par cœur. De toute manière, elle ne peut plus en parler. Trop, c’est trop. Elle a mené son combat. Elle a enquêté, elle a milité, elle a débattu, elle a convaincu. Maintenant, le combat se situe sur un tout autre niveau.

Le temps a passé et la société s’est disloquée. D’un coup de vent qui a délogé des cadavres enfuis dans une plage, Sinnoh est secoué à présent par une véritable tempête sociale.

L’écran dans sa loge diffuse une émission d’actualités en continu. Toute la journée sont répandues les horribles images des attentats perpétrés par la Team Galaxie aux quatre coins de la région. Ils sont en roue libre. Plus personne ne semble capable de les arrêter.

Huguette a bien réfléchi. Elle n’a jamais cru aux forces supérieures, elle n’a pas d’ami imaginaire, et elle ne croit qu’en la rationalité de la matière. Il doit y avoir quelque part dans les forces de l’univers une loi qui décrit comment surgit une force malveillante proportionnellement égale à une force bienveillante. C’est comme si plus elle s’était épuisée à faire ouvrir les yeux du peuple de Sinnoh sur son passé esclavagiste, plus les partisans les plus extrêmes se sont alliés pour revenir à cette époque de destruction sociale.

Une page de publicités explose dans l’écran et Huguette sort de sa rêverie. On lui présente la Ligue Pokémon qui va faire sa grande réouverture dans les jours qui viennent. Déjà l’été ! Comme le temps est passé vite ! Cela va faire bientôt un an qu’elle a commencé son enquête. Huguette soupire et se laisse absorber par la publicité qui couvre un évènement qu’elle exècre.

La Ligue Pokémon va rouvrir. Fort bien. Le Professeur Sorbier y participe en tant que sponsor. Quelle bonne idée. Il propose à trois dresseurs de recevoir un Pokémon de départ dans leurs aventures, rare et difficile à entraîner. Ô joie. Les champions d’arène défilent, et Huguette n’est plus étonnée de rien. Florine de Vestigion, Charles Delforge, Kiméra et Lovis le Teigneux sont rejoints cette année par trois nouveaux apprentis sorciers qu’elle a déjà rencontré : la frêle et craintive Mélina (a-t-elle était placée là par son grand-père membre d’un club privé de Vestigion ?), la détestable journaliste de Frimapic, Gladys Bourdain (encore une qui a dû jouer de ses réseaux pour accéder à une institution prestigieuse), et — elle manque de s’évanouir en le reconnaissant — le bel éphèbe, jeune docteur en paléontologie Pokémon, Pierrick de Charbourg (ayant sans aucun doute reçu un petit coup de pouce de la part de son père, déjà champion).

Toute la bande est prête pour dominer Sinnoh. Tous blancs. Tous riches. Tapez les douze coups sur le plancher, la comédie va commencer ! Surtout, taisez-vous. Il ne faudrait pas les déranger dans leurs palais dorés.

Un seul n’a pas encore été cité, car il faut bien qu’ils soient huit à régner sur Sinnoh. Le huitième champion est en pour-parler. Il veut renégocier les termes de son contrat. En réalité, il aimerait quitter l’institution. Il en est dégoûté. S’il ne le fait pas, c’est qu’il subit des pressions internes. Car lui aussi il est riche. Et blanc. Et puissant à Rivamar.

Huguette connait Tanguy personnellement. Non pas parce qu’elle a des passe-droits dans les hautes sphères de la société à Sinnoh, mais parce qu’elle l’a déjà interrogé une fois dans le cadre d’une enquête précédente. Et parce qu’elle l’a vu grandir à Rivamar lorsqu’elle y habitait, sur le port de pêche, avec son vieux père.

Tanguy est un jeune homme… spécial. Elle n’a pas d’autres mots pour le définir. D’un naturel rêveur, il a toujours l’air d’être à la fois présent dans la réalité, et absent dans ses songes éveillés. C’est ce qu’elle aime chez lui : on ne sait jamais vraiment où se trouve son cerveau. Cela le rend imprévisible. Il peut très bien vouloir une chose et son contraire dans la même journée. Comme la fois où il a donné son accord pour la construction du nouveau phare à Rivamar, celui qui était censé remplacer le vieux qui tombait en ruines. Le soir-même, il était revenu sur sa décision après avoir réfléchi à des politiques d’économie budgétaire. Puis, il avait à nouveau changé d’avis et avait attendu que le projet de construction soit avancé pour tourner une nouvelle fois sa veste aux investisseurs et aux banques. Si bien que Rivamar a possédé tout un temps deux phares : un en ruines, l’autre en chantier interrompu. Il aura fallu l’intervention d’Adrien, son meilleur ami, pour enfin terminer la construction du phare si précieux au développement économique de Rivamar.

Adrien est incontestablement l’ange-gardien de Tanguy. Les deux camarades sont nés le même jour dans la même clinique, et ont grandi toute leur vie ensemble. Lorsqu’ils étaient petits, l’un ne se promenait jamais sans l’autre, à l’image de leur Luxray et Simiabraz respectifs. Parfois, les habitants de Rivamar confondaient leur champion local avec son meilleur ami. Pas étonnant que ce-dernier finisse membre du Conseil des Quatre, une espèce d’entité hiérarchique supérieure à la comédie des huit champions d’arène.

C’est la raison pour laquelle Adrien est moins souvent présent à Rivamar. C’est la raison pour laquelle Tanguy se sent à nouveau hésitant. Poursuit-il son contrat avec la Ligue Pokémon ? Arrête-t-il tout sur un coup de tête ?

Après son passage à l’émission sur la chaîne nationale « Féli-Télé » à Féli-Cité, Huguette a reçu un appel via sa boîte PC. Tanguy, le maire de Rivamar, lui proposait un rendez-vous important. Un rendez-vous qui expliquera que douze jours plus tard, Huguette se retrouve affalée sur ce divan, dans cette loge, épuisée comme elle ne l’a jamais été.

— Madame Tubman, comme j’avais hâte de vous voir !
— Combien de fois je t’ai dit que tu pouvais m’appeler Huguette ?
— Trop de fois pour que je m’en souvienne.

Tanguy avait éclaté d’un rire franc et l’avait pris dans ses bras. Puis, il s’était ressaisi et lui avait serré la main. Il est comme ça Tanguy. Il change d’avis selon son humeur.

— Huguette, je dois t’avouer que ton discours à la télévision m’a secoué. Installe-toi !

Il lui propose une tasse de thé. Assise au beau milieu de son arène vide, en chantier elle aussi depuis qu’il a décidé d’en changer la décoration pour la quatrième fois de l’année, la journaliste s’amuse à touiller dans sa tasse afin d’entendre l’écho de sa petite cuillère résonner dans l’espace infiniment grand qui les entoure.

— Tu as de la chance que ce n’est que mon discours qui t’a secoué. Moi, je n’arrive toujours pas à me remettre de cette émission.
— Oui, il paraît que le petit Pierrick ne t’a pas loupée.
— Comment ça ?!

Huguette redépose brusquement sa tasse de thé, dont le claquement sur la table éclate dans toute la salle.

— Bah… toi et Pierrick… Non ?
— Comment tu sais ça, toi ?
— Oh… euh… C’est Adrien… qui l’a su de son pote Aaron… qui l’a su de son cousin Lucio… qui l’a su de Charles…
— Mmmh…

Tanguy déteste quand elle fait cette moue et Huguette en profite pour décupler la lenteur avec laquelle elle l’exécute.

— Madame Tubman, l’heure est grave ! reprend Tanguy en changeant de sujet du tout au tout. J’ai pris une très grande décision.
— Attention…

Huguette reprend sa tasse de thé et la porte à sa bouche.

— J’ai décidé de ne pas renouveler mon contrat de champion d’arène de Rivamar !

Tanguy espère une réaction de sa part, mais Huguette poursuit son geste et boit calmement.

— Madame Tubman ?
— Mmmh… ?
— Tu ne me crois pas ?
— Mmmh…
— Je t’assure que ma décision est prise !
— Mmmh… !
— Allez, dis quelque chose !

Huguette redépose sa tasse et échange avec lui un regard sceptique.

— Et demain matin tu vas m’appeler pour dire que tu as changé d’avis et que tu veux repeindre les murs en bleu et te spécialiser dans le type aquatique.
— Mm ! s’exclame Tanguy dans une imitation ratée de la moue de son amie.

Il se lève d’un bond et court au fond de la pièce d’où il disparait derrière une turbine.

— Tu me laisses en plan, là ? s’écrie Huguette, perplexe.

Il revient tout de suite, les mains pleines de Pokéballs.

— C’est quoi, ça ?
— Mes Pokéballs. Vas-y, actionne-les !
— Tu n’as pas fait ça…

Huguette appuie sur le bouton central d’une Pokéball, mais rien ne se passe. Elle n’a pas besoin de répéter le procédé, elle sait que les autres sont vides aussi.

— Je les ai tous relâchés. C’est toi qui m’as ouvert les yeux. On ne fait que répéter le système d’esclavage qui a existé par le passé. On ne peut plus continuer à le dénoncer et à l’embrasser en même temps.

Tanguy attend une réaction de sa part. Elle sait qu’il aimerait être félicité. Il n’est qu’un enfant, après tout.

— C’est de la folie… Tes Pokémons… Tes amis depuis toujours…
— Je ne garde pas mes amis en cage. Je préfère les savoir heureux dans la nature, là où ils ont choisi de vivre, plutôt qu’enfermés dans ma poche pour mon plaisir sportif personnel.

Huguette est atterrée. Elle vient de se prendre une leçon de vie par un garçon de vingt ans son cadet. Elle pense à Doni, son plus fidèle ami, caché dans sa poche depuis près d’un demi-siècle. Comment peut-elle agir à l’encontre-même de ses propres valeurs ? Finalement, tous ces journalistes n’avaient-ils pas raison en essayant de lui faire admettre l’hypocrisie de ses propos ? N’est-ce pas elle qui va complètement à l’encontre de la réalité de la vie ?

— Madame Tubman, j’ai décidé de changer de direction, politiquement.

Huguette préfère le laisser parler. Elle le connait : si elle l’interrompt, elle risque de le faire changer d’avis et ne saura jamais le fin fond de sa pensée.

— Je pense que j’ai été un maire médiocre pour Rivamar. J’ai fait ce que j’ai pu, mais j’ai pas mal échoué. Je n’ai jamais voulu l’être. Vous connaissez mes parents, je n’avais pas trop le choix et ils m’ont carrément assis sur le trône, si j’ose dire. Mais… depuis que je vous ai lue… depuis votre émission télévisée, je sais que je fais fausse route. Je dois rectifier cela.
— Qu’est-ce que tu as fait, Tanguy ?
— J’ai réuni toutes mes connaissances, tous mes réseaux, enfin, ceux que ça pouvait intéresser, et on a pensé à une nouvelle structure politique. On s’est basé sur une idéologie plus Poké-humaniste. Une doctrine plus respectueuse des droits et des libertés des Pokémons. On a monté un parti et on a gagné pas mal d’adhérents très rapidement. Je crois que votre discours est vraiment bien passé dans certains milieux de la société. Vous seriez étonnée de voir le nombre de personnes qui appuient nos idées.
— Je ne comprends pas bien pourquoi tu me racontes tout cela.
— Madame Tubman, j’ai besoin de vous ! Accepteriez-vous de m’aider à lancer une campagne politique pour défendre un projet radical, prendre le pouvoir à Sinnoh et changer complètement notre système économique pour qu’il ne repose plus sur le travail forcé des Pokémons ?

Huguette se réveille brutalement.

Elle s’est assoupie sur ce divan, dans cette loge. Il faut dire que la chaleur externe a rarement dépassé un tel niveau sur le thermomètre et qu’il est difficile de se rester éveiller. Surtout après tant de semaines de préparations. Surtout après tant d’heures de travail et si peu d’heures de sommeil.

Son rêve s’estompe peu à peu, mais elle est persuadée qu’elle a encore rêvé de Tanguy. De toute manière, quand elle ne travaille pas et qu’elle dort, elle rêve de son travail. Les dernières semaines ont été si intensives que son corps commence à la lâcher. Mais elle le fait pour la bonne cause. Les efforts furent rudes, les camarades et leurs collègues Pokémons, tous rémunérés, ont travaillés d’arrache-pied,… tout est prêt pour lancer le premier meeting fondateur de leur parti.

Il ne reste plus qu’à espérer qu’il y ait du monde.

*
Jamais Huguette n’a vu les rues de Rivamar si animées : de partout s’élèvent des chants militants, des rires d’enfants qui s’amusent à se lancer des ballons à l’effigie de Tortipouss, Ouisticram et Tiplouf, des conversations chaleureuses de citoyens marchant dans la même direction. De mémoire de femme, c’est la première fois qu’Huguette voit la Place de la Révolution Technologique aussi remplie de personnes si différentes : des femmes, des hommes, des jeunes, des plus âgés, des noirs, des blancs, des marrons clairs, des marrons foncés, des roux, des blonds, des ocres,… C’est la première fois que la foule ne la terrifie pas.

— Allez, approchez ! Et goûter à notre nouvelle gamme de bière à base de baies ! Baie Papaya ! Baie Ceriz ! Y’en a pour tous les goûts !
— Vous avez à la Baie Tronci ? elle demande assez fort pour se faire entendre malgré la foule.
— On n’est pas chez les bourgeois, ici ! s’amuse le vendeur avant de s’occuper d’un autre client.

Huguette camoufle un rire franc. Elle se souvient des coupes de champagne et des petits-fours. De sa nuit torride et de la Baie Tronci, si chère et si petite dans sa boîte cubique. Il lui semble qu’elle a vécu ces évènements dans une autre vie.

Le rassemblement est, de toute évidence, une réussite. Huguette s’autorise une petite larme de joie ; c’est elle qui a tout organisé. Ou plutôt, qui a dirigé les opérations : combien d’animation il y aurait dans la foule, quels musiciens inviter, où placer les stands de nourriture et de boissons,… Ce fut un véritable défi, particulièrement de trouver des travailleurs qui n’exploitent pas des Pokémons mais qui décident de les payer pour leurs prestations, mais elle y était parvenue.

La journaliste militante se dirige vers l’énorme scène sphérique qui a été érigée au milieu de la place. Dans quelques instants, Tanguy ferait son apparition, déclamerait son discours et lancerait le meeting fondateur de leur parti. Vu la foule extraordinaire qui s’est rassemblée en si peu de temps pour écouter ce qu’ils ont à dire, Huguette se met à rêver. Ils ont une chance. Une petite chance, infime même. Mais elle existe. Sinnoh peut changer. Ils peuvent le faire.

Le temps passe et Tanguy n’apparaît toujours pas. Évidemment, il faut qu’il ait du retard le jour le plus important de sa vie. Cinq minutes sont passées. Il va bien finir par venir. Les animations dans la foule commencent à s’évaporer. Tout le monde se rapproche de la scène. Dix minutes. Vingt. Que se passe-t-il ?

Un Coudlangue apparaît de nulle part et l’emmène avec elle à travers la foule.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?!

Le Coudlangue travaille pour le parti. Il s’occupe du respect du timing. Le gros Pokémon rose l’amène jusqu’au pied de la scène ou un adolescent bénévole lui cale un micro-cravate sur le blouson.

— Que se passe-t-il ?! répète-t-elle, affolée.
— Tanguy s’est barré ! C’est toi qui y vas !
— DE QUOI ?!

Et Huguette est poussée sur la scène sphérique. Tanguy est parti. Il a changé d’avis. Il les a tous plantés là.

Huguette est pétrifiée de terreur. La peur de la foule la reprend maintenant qu’elle en est en dehors. Mais la foule, elle la voit bien de là où elle est : humains et Pokémons se confondent en une masse gigantesque qui s’étend sur toute la place, jusque dans les rues alentour, et s’arrête au bord de la mer qui se dresse en son dos.

Huguette se racle la gorge. Le son est amplifié par son micro. Tout Rivamar entend son raclement de gorge. Pour l’encourager, le peuple de Rivamar explose dans un tonnerre d’applaudissement. Le bruit tonitruant de la foule en délire la transporte dans un souvenir furtif qui disparait à peine lui revient-il en mémoire. Son vieux père se démène pour ne pas faire chavirer son bateau et lui crie : « J’ai bien cru que ti allais laisser ton vieux se battre contre li tempête tout seul. »

La tempête approche. Elle l’a réveillée. Le combat pour ressusciter ses ancêtres ne fait que commencer. Et elle ne laissera plus son vieux père, seul, les ramener à la vie. Elle se sent transcendée.

Pour marquer le coup, elle décroche sa Mémoire Ball de sa ceinture, l’observe un instant, puis libère à jamais Doni. La foule se tait en découvrant le dernier individu vivant de l’espèce des Dinoclier.

— Ah ! qu’il est bon de se retrouver si nombreux dans un endroit aussi beau, aussi symbolique historiquement !

La foule acclame ses propos et Huguette se sent entraînée par l’immensité de l’énergie qui s’en dégage.

— Ils nous bassinent depuis des semaines, reprend-elle. Alors comme ça, je serais seule dans ce combat ? Et nous voilà par milliers réunis pour leur montrer notre détermination !

La foule se fend d’une nouvelle ovation. Huguette se sent pousser des ailes. Elle ne sait pas d’où lui vient son inspiration. Sans aucun doute connait-elle déjà par cœur le discours préparé pour Tanguy, étant donné qu’elle l’a partiellement écrit. Elle sait exactement quoi dire, à quel moment, et quelle intonation prendre. Car elle l’a répété avec Tanguy.

— Quel défilé ! Aujourd’hui, ils fêtent le record du monde de la distribution de dividendes amassés sur le dos des Pokémons qui usent leur corps pour leurs combats d’arène violents ! Nous, les Poké-Humanistes, nous avons décidé à la place de nous retrouver en ce lieu hautement symbolique. Regardez le Phare Panorama derrière moi. Regardez-le, tourné vers l’horizon de l’océan universel où, quelque part derrière la brume, se trouve la terre natale de ceux qu’on a arraché de force pour les faire travailler jusqu’à la mort et qui, dans un dernier espoir, ont trouvé la force de faire parvenir leur culture jusqu’à vous, jusqu’à nous tous. Regardez ce rocher, planté au beau milieu de notre rivage depuis des siècles, taillé sous les formes d’un Goinfrex non pas par caricature de l’abondance et de la richesse comme certains aiment le dire, mais pour se moquer sans aucune vergogne des esclaves de l’époque, pour se moquer des Pokémons qui se battaient pour leur liberté, pour leur dignité ! Quoi de plus vil que de les rendre indignes en les représentant sous la forme d’un Goifrex, Pokémon réputé pour son oisiveté ! Regardez-vous, vous tous, présents en masse, vous emparant pacifiquement de Rivamar, la ville d’origine d’Hélio, ce fou-furieux candidat à la destruction de notre belle région, candidat au rétablissement de l’esclavage systémique des Pokémons ! Regardez-vous, tous ensemble, lui faire un pied-de-nez en marchant dans la ville de ses origines pour lui montrer que le peuple de Sinnoh veut une politique humaniste et d’entraide entre les humains et les Pokémons plutôt que de haine généralisée !

Huguette élève le ton sur sa dernière phrase, ce qui entraîne un cri de joie dans la foule et une vague d’applaudissement interminable. Doni court dans tous les sens, excité comme jamais il ne l’a été, de pouvoir côtoyer d’autres êtres vivants que sa maîtresse et sa famille proche.

— Je m’adresse à celles et ceux qui ne nous prennent pas au sérieux, reprend Huguette dont la voix amplifiée par le micro couvre la voix unifiée de la foule. Je m’adresse aux puissants de Sinnoh, aux hommes et femmes dans leurs clubs privés, à vous dans vos auberges où la dernière carte de membre a été distribuée il y a cinquante ans, à vous dans vos cercles fermés qui, au sommet de vos tours d’argents, loin de nous, décidez de ce que seront les souffrances quotidiennes des Pokémons que vous exploitez : entendez le peuple de Sinnoh qui réclame l’émancipation des Pokémons et des humains ! Entendez leur détermination !

La foule rugit de plus belle et des drapeaux flottent avec agitation. L’un d’eux, planté dans le dos d’un Torterra, représente une Pokéball rompue, brisée, dont l’ouverture laisse apparaître une plante naissante de la décomposition de l’objet. Le message est clair : de la chute de ce système opprimant pour les Pokémon naîtra un futur équilibré. Ce drapeau sera le leur à présent. Il faudra qu’elle pense à retrouver son propriétaire.

Il est temps de passer au pathos. Huguette lève la main vers la foule et fait un signe qui ne trompe personne. Son regard s’est alourdi, ses yeux sont embrumés. Elle cherche le silence et dirige son attention vers la mer calme derrière elle.

— Entendez-vous le silence de tous ces Pokémons assassinés dans leurs camps d’extermination qu’ils appellent « Ligue Pokémon » ? Entendez-vous le silence de la mort qui accompagne chaque Pokéball qu’ils portent à leur ceinture ? Six cents Pokémons meurent chaque année dans les centres Pokémons suite à des blessures subies dans des combats forcés.

Un frisson s’empare de la foule. Les Pokémons se crispent et s’échangent des regards abattus.

— En conséquence de quoi, poursuit Huguette avec dépit, cinquante dresseurs par an souffrent de troubles psychologiques sévères. Ils se suicident deux dresseurs tous les ans, et un dresseur mineur tous les deux ans ! Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment pouvons-nous laisser cette liste d’horreurs s’agrandir ? Comment pouvons-nous laisser un système aussi abject poursuivre sa cruauté, toujours dirigée vers les mêmes personnes, depuis des siècles ? Chers amis, Pokémons, humains, je vous demande d’honorer la disparition de nos sœurs, de nos frères, de nos amis les Pokémons, depuis le début de la période de l’esclavage, en respectant une minute de silence.

Huguette ferme les yeux. La foule disparaît. L’année d’enquête s’évapore. Un an de fatigue accumulée part en fumée. Il ne reste plus qu’elle, Doni, la mer, et Sinnoh. Le vieux grigri vibre sur sa poitrine. Sa mère la prend dans ses bras. Ses ancêtres la remercient.

— Plus jamais nous ne laisserons ce silence nous accabler, reprend Huguette après la minute de silence, car à présent d’une voix unie s’élèvent nos cris de dignité, et je vous propose ma candidature pour la défendre. Je suis la voix des accablés, des abandonnés, des laissés-pour-compte. Celle des rejetés, des opprimés et des ségrégués. Je suis la voix des humains qu’on animalise, des Pokémons qu’on brutalise. La voix des monstres, et des fantômes ! Prenez garde, tout-puissants, car le peuple de Sinnoh s’est rassemblé et s’est donné un objectif commun : la dignité !

D’une force collective et détonante, la foule rompt le silence dans un éclat d’applaudissements le plus long de l’histoire de Sinnoh, et scande en chœur :

— DIGNITÉ ! DIGNITÉ ! DIGNITÉ ! DIGNITÉ ! DIGNITÉ ! DIGNITÉ !

**
Une notification apparaît sur sa Pokémontre : « Soixante-sept blessés et quatorze morts lors d’une attaque à la "Bombe Acide" dans les rues de Vestigion. »

Une deuxième : « Disparition de deux adolescents en voyage initiatique. La Team Galaxie suspectée. »

Une troisième : « Lac Savoir asséché. Lac Vérité bombardé. Qui s’attaquent à nos lacs ? »

Une quatrième : « Menaces terroristes simultanées sur Voilaroc et Vestigion. La police conseille de rester chez vous. »

Une cinquième : « La Team Galaxie prend le contrôle d’Unionpolis, de Voilaroc et de Vestigion. L’armée de Gallame est envoyée sur place. »

Un message privé prend la place des notifications : « J’avais tort. Ton combat est légitime. »

Plus tard, un second : « Si seulement nous nous étions aimés pour ce que nous sommes et non pas déchirés pour ce que nous voulions être. »

Elle répond : « Si seulement nous nous étions tous aimés depuis le début. »

Elle ne lui répondra plus.

Que serons-nous demain, lorsque les combats cesseront ?

***