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Liberté, Liberté de Feather17



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» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 31/10/2021 à 18:00
» Dernière mise à jour le 31/10/2021 à 18:00

» Mots-clés :   Mythologie   Présence de personnages du jeu vidéo   Sinnoh   Slice of life   Song-fic

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Chapitre 5 : Les jours de ta misère
« Quelle est-elle ? »

C’est avec cette question dans la tête qu’Huguette saisit la main qui apparaît au-dessus de sa tête et qui la tire vers la sortie du boyau étroit. Elle est remplie de poussière de la tête aux pieds et elle est persuadée de s’être éraflée tout le bras gauche en remontant la pente creusée dans la roche. Elle aimerait s’ausculter le corps, vérifier que tout va bien, mais il fait trop sombre dans la grotte où ils ont émergé. Elle attendra donc de retrouver la plage de l’Île de Fer pour se rassurer sur son état de santé.

— Tout le monde est présent ? s’assure l’accompagnateur en rectifiant la position de son casque sur la tête.
— Attendez, Armand, il me semble que votre Lucario n’est pas remonté ! s’inquiète un des participants à l’activité sportive.
— Oh oui ! Ne vous en faites pas, il a encore quelques petites pépites à découvrir avant de remonter.

Et Armand leur emboîte le pas vers la sortie de la grotte.

Huguette a passé la journée dans les souterrains de Sinnoh. Marchant silencieusement derrière le groupe de mineurs amateurs, elle retrace le fil des évènements dans sa tête pour s’assurer de sa mémorisation. Cela fait quelques jours qu’elle n’a plus eu l’occasion de prendre des notes dans son calepin et elle a peur d’oublier tous les éléments importants pour son enquête.

Après ses découvertes sur le commerce d’esclaves à Unionpolis, la journaliste s’est empressée de quitter la capitale pour se ressourcer auprès de son vieux père, au sud de Sinnoh. Elle ne connait plus les raisons qui la gardaient sur le bateau de pêche si rassurant de son géniteur : l’odeur iodée de la mer, la présence de son ami Doni, libre de se balader à cœur joie dans l’intimité de l’océan, ou bien le fait de savoir qu’en patientant en famille, le temps lui semblerait moins long avant le retour de Pierrick de son voyage d’affaire.

Elle n’a pas parlé de son idylle à son père : le pauvre n’aurait pas compris ce qu’une femme mature de son âge, noire de surcroit, pouvait bien faire en compagnie d’un si jeune homme scientifique… et blancs surtout ! Elle a donc simplement fait mine que sa vie n’avait pas brutalement basculé dans une autre dimension, et son père n’a rien remarqué, trop occupé, le pauvre, à remonter ses filets de pêche.

Néanmoins, quelque chose occupait son esprit depuis son retour d’Unionpolis. Certes, elle avait enfin compris les intrications économiques du commerce d’esclaves Pokémons, mais avait-elle seulement compris la réalité d’une telle épreuve qu’avait dû subir ses ancêtres et ceux de Dino. Si elle comptait écrire un livre — car c’était là son nouvel objectif —, ne devait-elle pas elle-même se plonger dans l’horreur d’une vie de travail forcé pour en être la meilleure restitutrice ?

Huguette s’est alors précipitée sur les bouquins historiques les plus détaillés du travail au Moyen-Âge et a très vite découvert les pôles économiques les plus friands du travail d’esclaves à l’époque : les mines et les champs. Une manufacture a attiré son attention en particulier, en ce qu’elle existait encore actuellement. La mine de l’Île de Fer. Il est dit qu’à l’époque particulière étudiée par la journaliste, c’était l’endroit qui employait le plus d’esclaves et qui, par conséquent, comptait le plus de décès au sein de la main d’œuvre.

Un jour de décembre, les yeux perdus dans les vagues qui cachaient derrière elles le cimetière de la rive du Lac Courage, Huguette a repensé à ces corps inconnus révélés au grand jour par la force du hasard. Se pouvait-il que ses arrière-grands-parents, nés avant la fin de l’esclavage, se soient retrouvés en cet endroit précis ? Le squelette sur lequel avait travaillé Pierrick le jour de leur rencontre était-il celui-là même d’un de ses ancêtres ?

Il fallait qu’elle se mette dans la peau de l’un d’entre eux. Juste pour comprendre. Non, plus que ça. Pour se sentir légitime. Pour être la voix de leur souffrance et pouvoir leur rendre leur dignité.

En quelques recherches à peine, Huguette a découvert ce programme d’aventure sur l’Île de Fer. « Revivez l’expérience des mineurs pendant une semaine avec le programme Explorakit ! Creusez, minez, et déterrez des trésors fabuleux ! Pendant sept jours, mettez-vous dans la peau d’un Kranidos ! » La publicité faisait rêver : incarner un Pokémon disparu pour le plaisir de découvrir de nouvelles richesses. Pile ce qu’il lui fallait pour comprendre le dur labeur qu’avait vécu les esclaves à cette époque. Enfin, probablement pas à un niveau égal de torture physique. Mais peut-être juste assez pour se rendre compte…

Le seul problème avait été la date de ce stage d’aventure. Il allait durer une semaine et commençait la veille du retour de Pierrick de son voyage à Littorella. Enfermée dans les souterrains de Sinnoh, Huguette n’allait pas pouvoir communiquer avec lui. Ce serait son tour de laisser des tonalités au répondeur. Après tout, si elle avait réussi à tenir un mois sans le voir, il tiendrait bien une semaine de plus de son côté. La chose était trop importante pour passer à côté.

Le soleil commence à apparaître au détour d’un couloir, ce qui indique que le groupe guidé par Armand arrive à la sortie de la grotte. Les souvenirs d’Huguette se bousculent dans sa mémoire, comme pour l’aider à recoudre le fil du temps plus rapidement. Huguette se revoit entrer dans le groupe d’aventuriers, pelles et pioches sur l’épaule, prêts à découvrir les plus grands trésors de la région de Sinnoh. Elle se revoit glisser dans le tunnel béant qu’à creusé le Rhinastoc d’Armand. Elle se revoit dresser une tente dans une sombre cavité qu’on lui avait attribuée pour y passer la nuit. Elle se revoit piocher, pelleter, creuser sans relâche, découvrir des pierres évolutives coincées dans la roche, des morceaux de pépites, du sable rare. Elle se revoit se masser la corne des pieds douloureuse en fin de journée, se masser les yeux fatigués de la fausse lumière naturelle dans les souterrains, se masser les bras, les jambes, les épaules après des heures de dur labeur.

Elle se revoit se poser en boucle la même question, encore et encore : « quelle est-elle, cette misère vécue par mes ancêtres ? » Combien de temps avaient tenu les esclaves Pokémons et humains dans la pénombre de ces souterrains ? Avaient-ils le droit de remonter à la surface de temps à autres ? Pouvaient-ils se reposer régulièrement ? À quelle fréquence devaient-il creuser cette roche infinie ? Combien sont morts, l’outil à la main, épuisés par la cadence infernale du travail forcé ?

Le groupe sort enfin à l’air libre et les narines d’Huguette sont agressées par l’odeur salée de l’océan. Sa peau est instantanément brûlée par les rayons du soleil qui lui ont tant manqué. Son corps est attaqué par le vent glacial de l’hiver qui approche. Et pourtant, elle ne s’est jamais sentie aussi libre et heureuse. Une semaine d’exploration dans les souterrains de Sinnoh lui a suffi pour se sentir déshumanisée, vidée de sa substance, remplacée par le sentiment de n’être qu’un outil de travail. Combien de temps avait-il fallu à ses ancêtres les esclaves pour ne plus se sentir que propriété de leurs maîtres ?

— Merci de déposer dans le bac tous les trésors que nous avons déterrés cette semaine, indique Armand en leur montrant une grosse benne verte à l’entrée de l’usine.

Le nom de l’entreprise « Explorakit » est dessiné sur la benne. Alors comme ça, ils ont « joué aux apprentis esclaves » pour ne pas même pouvoir repartir avec leur butin. Explorakit faisait-il travailler des citoyens à leur insu afin de récolter gratuitement le fruit de leur travail, tout en leur faisant payer la semaine de « stage » ? Un jour, il faudra qu’elle enquête sur cette étrange entreprise. Peut-être même qu’il s’agira de sa prochaine investigation.

Pour l’heure, elle préfère obéir et se débarrasse de pratiquement tout ce qu’elle a extrait dans les souterrains. Elle garde évidemment ce qui est précieux pour son enquête. Armand leur indique alors le chemin des vestiaires et la journaliste peut enfin récupérer ses effets personnels qu’on lui a fait sceller dans un box privé. Son premier réflexe est de jeter un coup d’œil à sa Pokémontre. Aucun appel en absence. Zéro message. Pierrick n’a même pas essayé de la contacter après son voyage à Littorella. Son cœur s’affaisse.

Huguette dort toute la journée le lendemain. Elle ne se lève ni pour manger, ni pour se dégourdir les jambes. Elle est trop épuisée de sa semaine dans les souterrains de Hoenn. Ou plutôt, c’est ce qu’elle essaie de faire croire à son Doni qui est bien impuissant face à sa maîtresse qui refuse de bouger. En vérité, une partie de son corps refuse de retourner au monde sensible. Elle n’a même plus envie de vérifier son existence en se palpant le corps. Huguette est vieille, moche, et seule. Elle n’est plus que l’esclave d’une réalité qui l’opprime.

Son réveille-matin sonne à huit heures. Pourquoi a-t-elle programmé une alarme ? Un coup d’œil par la fenêtre lui indique, par le givre qui s’est emparé du vitrage, que l’hiver s’est installé à Joliberges. Une raison de plus de rester dans le lit miteux de sa chambre d’hôtel bon marché. Son réveil sonne une seconde fois. Elle est pourtant persuadée de l’avoir coupé. Elle vérifie sa Pokémontre connectée et découvre qu’elle a planifié une série d’alarmes successives. Qu’avait-elle donc de si important à ne pas manquer ce jour-là ? Elle ne s’en souvient plus et préfère annuler toutes ses alarmes. L’hiver, c’est fait pour hiberner.

Doni bondit sur son lit et la tapote à l’aide de son crâne froid et métallique. Il a dans sa gueule une carte plastifiée. Huguette la saisit. Elle reconnait son visage sur la photo et un horaire très précis accompagne le titre « Accès réservé à la bibliothèque de Joliberges ».

— Mais c’est bien sûr !

Elle saute hors du lit et se retrouve instantanément dans ses vêtements sans passer par la case salle de bain. Elle a préparé son voyage à Joliberges de manière minutieuse en calculant chaque visite importante. Pour pouvoir consulter les fameux ouvrages dont lui avait parlé la guide touristique des ruines de Célestia, il faut qu’elle ait accès à la réserve privée de la bibliothèque de Joliberges, laquelle n’ouvre qu’à de très courtes périodes chaque semaine. Si elle manque son accès autorisé aujourd’hui, elle doit attendre un mois complet avant de pouvoir y retourner.

L’adrénaline lui fait oublier quelques instant ses maux de cœur, juste assez pour lui redonner la force de sortir de sa chambre et de courir dans les rues de Joliberges vers sa très célèbre bibliothèque qui lui semble si similaire à ce qu’elle a vu en peinture.

Dans les gigantesques allées interminables de livres en tout genre, Huguette se perd très rapidement au cœur de la section « Histoire » du quatrième étage. Les rayons à n’en plus finir, remplis à ras-bord d’ouvrages de toutes tailles, lui donnent le vertige. Elle se donne une heure pour trouver la documentation qu’elle recherche, après quoi elle abandonne et retourne se réchauffer dans son lit.

La journaliste a beau parcourir tous les compartiments de l’accès privé de la bibliothèque, cherchant parmi les titres les moins liés à la thématique de l’esclavage, tel que « Comment bien cuisiner ses baies : Histoire d’une tradition ancestrale », rien ne fait mention ni de l’Arcéisme, ni du Mythe de Sinnoh.

Huguette se laisse tomber sur un pouf, près d’un radiateur bruyant, et se plaque contre la source de chaleur pour se réconforter. En une demi-journée de recherche, la seule piste qu’elle a trouvée est un vieil article du quotidien national « La Dépêche Pokémon », pour lequel elle a déjà reçu par le passé quelques piges en échange d’articles d’investigation. Elle déplie à nouveau le périodique et lit la colonne qui l’intéresse :

« Le propriétaire de l’ancienne manufacture a cédé son bien pour la modique somme de cent cinquante mille Pokédollars à un jeune investisseur originaire de Charbourg. Monsieur Delforge, déjà actionnaire majoritaire de Charbourg, promet aux futurs ouvriers de la manufacture, située sur l’Île de Fer, de faire rimer travail avec plaisir afin de faire respecter la longue tradition qui y a existé durant des siècles. »

Huguette inspecte la date de rédaction de l’article et fait le calcul. L’article a été publié près de vingt ans avant sa naissance. Le Monsieur Delforge mentionné dans le papier ne peut qu’être lié à la famille de Pierrick, elle aussi originaire de Charbourg. Peut-être même s’agit-il de son propre grand-père. L’archéologue ne lui a-t-il pas avoué que son grand-père est un ancien mineur ?

Huguette relit la partie qui l’intéresse : « faire rimer travail avec plaisir afin de faire respecter la longue tradition qui y a existé durant des siècles ». Comment pouvait-on avoir de tel propos au sujet de l’esclavage qui a régit l’organisation d’une telle entreprise ? Monsieur Delforge avait-il seulement été mis au courant des horreurs qui avaient été perpétrés dans la manufacture qu’il venait de racheter ?

La journaliste froisse l’article de colère et le jette sans ménagement sur la table basse devant elle. La boulette de papier glisse contre un bouquin qui y a été abandonné. Une photo attire son attention du coin de l’œil. Sur la page à laquelle le livre est resté ouvert, le portrait du Professeur Sorbier lui sourit à l’aide de son fameux visage asymétrique. Même lorsqu’il est pris en photo, ce pseudo-scientifique transpire la condescendance.

Intriguée, elle se penche sur son pouf afin de décrypter une des phrases d’accroche qui se trouve sous la photo.

« …pour sa participation active à la création du commerce d’esclaves à Sinnoh. »

Huguette bondit hors de son pouf et manque de se cogner le crâne contre une étagère. La journaliste saisit le bouquin et relit la phrase dans son entièreté.

« En réalité, le Professeur Sorbier, de son véritable nom de famille Cormier, n’est nul autre qu’un lointain descendant du tristement célèbre Duc de Cormier, chef de file du Groupe Galaxie (première alliance scientifique de la région. NDLR.) et connu pour sa participation active à la création du commerce d’esclaves à Sinnoh. »

Huguette se tranquillise. Comme quoi, il faut toujours être vigilente lorsqu’on lit une information et vérifier l’information dans son intégralité. Ceci dit, que le Professeur Sorbier ait un lien avec l’esclavage dans Sinnoh ne la rassure pas intégralement. Quel est donc ce bouquin qui divulgue ce genre d’informations aussi sensibles ? La journaliste s’intéresse au titre du gros volume.

« De Cormier à Sorbier : Biographie d’un héritage scientifique à Sinnoh »

L’auteur : Vincent Flibustier. Un nom qui ne lui dit rien mais qui fait tout sauf sérieux. En parcourant quelques pages en diagonale, la professionnelle de l’investigation se rend compte du caractère peu rigoureux de l’ouvrage qu’elle a sous la main. Elle comprend maintenant pourquoi la dernière personne à l’avoir consulté l’a abandonné sans ménagement sur cette table basse. Cependant, elle ne peut se détourner de la lecture d’un chapitre en particulier.

Le chapitre s’ouvre sur la photo en noir et blanc d’une vieille masure nichée au creux d’une forêt sauvage. L’illustration n’est accompagnée d’aucune légende. Faute professionnelle, pense-t-elle. Il lui faudra lire le texte pour comprendre de quoi il s’agit. Huguette commence ainsi sa lecture.

« C’est dans leur splendide château, retiré au nord de la Forêt Vestigion, que les destins du Duc de Cormier, de sa fille et de son majordome, trouvent leur épilogue à la fin de l’année qui clôt le quinzième siècle. Sinnoh, alors appelé Hisui, est secoué par de terribles révoltes paysannes, menés par des Kranidos, des Dinocliers, et leurs maîtres, tous esclaves. En tête de la marche guerrière, une protagoniste dont le nom a été effacé par l’histoire, mais connue à travers les textes oraux pour ses exploits militaires réalisés en compagnie d’un féroce Charkos. A eux deux, l’on raconte qu’ils ont assassiné plus de de trois mille malheureux propriétaires. Les traces de ces batailles ne sont plus visibles aujourd’hui, quoi que certains archéologues découvrent chaque jour des indices révélant l’existence de tels massacres aux alentours des trois lacs de Sinnoh (voir chapitre suivant).
La défaite d’une telle entreprise meurtrière est précipitée, en cette année-là, par la découverte de ce qu’on appelle aujourd’hui « le massacre des Cormier ». Les enquêteurs de l’époque découvrent au petit matin les dépouilles mutilées, presque méconnaissables, du Duc de Cormier, de son héritière et de leur valeureux majordome. Surpris par la révolte des esclaves, il apparaît après enquête que les malheureux n’ont pas eu le temps de se défendre et ont été lâchement assassinés sans demi-mesure. Les lacérations sur leurs corps indiquent qu’à l’armée de Dinoclier et de Kranidos s’est probablement ajouté la force d’un Carmache, particulièrement violent et sanguinaire. Aujourd’hui, ces espèces Pokémons ont toutes disparu, à l’exception de la famille des Griknot dont l’espèce est actuellement classée « en voie de disparition ». On suppose qu’ils ont été éradiqués lors de la réplique des armées d’Hisui à ces violents assassinats. Le soir-même, des millions d’esclaves sont arrêtés dans les manufactures aux quatre coins d’Hisui, et exécutés sans procès. Leurs dépouilles sont jetées dans une fosse commune quelque part au sud de la région. Les scientifiques et historiens n’ont jamais pu retrouver sa localisation précise.
Certains défenseurs des droits des Pokémons militent encore aujourd’hui pour que cet évènement soit qualifié de génocide. Chaque année, les quelques descendants de ces peuples esclaves, libres depuis la période de la Restauration Démocratique, se réunissent en pèlerinage au Lac Courage afin de prier pour le salut de leurs ancêtres.
Nul doute que cet évènement marquant de notre histoire commune fera encore couler beaucoup d’encre dans les livres d’histoires. Peut-être parce qu’il s’est transformé en folklore local (ne voit-on pas chaque année au printemps de petits enfants se peinturer le visage de suie afin de se déguiser en guerriers), ou peut-être parce que le château des Cormier, qui est resté dans son état délabré pendant des siècles, au nord de la Forêt de Vestigion, protégé par la nature et les âmes vagabondes, attire encore aujourd’hui des visiteurs courageux qui en ressortent avec ce sentiment étrange d’avoir été observés par une force mystérieuse. »


Huguette reclape le livre avec mépris et le dépose en pinçant le nez, comme s’il s’agit d’un objet maléfique. Comment peut-on avoir édité un tel bouquin ? Comment l’auteur a-t-il pu avoir un tel parti pris ? Encore une fois, Huguette se rend compte que l’histoire est écrite à l’encre des dominants.

La journaliste se relève et se force à maintenir la tête haute. Elle est décidée. Elle va écrire un article de plusieurs pages pour rendre leur dignité à ses ancêtres.

*

Lorsqu’elle rentre à l’hôtel ce soir-là, après avoir avalé un rapide souper sans saveur dans un café du coin, Huguette se fige dans le couloir sombre et miteux. La porte de sa chambre est légèrement ouverte, tout juste assez pour laisser passer un filet de lumière. Elle est pourtant persuadée de l’avoir fermée derrière elle en quittant le bâtiment plus tôt dans la journée.

Quelqu’un se trouve dans sa chambre. Cela ne peut pas être le service de chambre, il est bien trop tard ! Qui pourrait vouloir fouiller ses affaires personnelles ? Est-ce un hasard ou bien est-elle personnellement visée par le larcin ?

Huguette n’ose plus avancer. Si elle se trouve particulièrement douée dans les joutes verbales, elle est toutefois terrifiée par le conflit physique. Elle a bien son fidèle Doni qui pourrait la protéger, mais elle n’a jamais engagé de combat de Pokémons. Elle pense même que Doni serait incapable de se battre. Malgré tout, la présence de son Pokémon à ses côtés la rassure et elle préfère l’extraire en dehors de sa Pokéball couleur rubis.

Le pauvre Pokémon frissonne autant qu’elle à l’idée d’engager un combat. Quelle paire ils font !, pense-t-elle mi-amusée, mi-apeurée. Huguette prend son courage à deux mains et se rapproche de la porte de sa chambre.

« Toc ! »

Un bruit à l’intérieur ! Cela ne fait plus de doute, il y a bien quelqu’un qui s’affaire à lui dérober ses effets personnels ! La colère monte en elle et elle compte bien s’en servir pour vaincre sa peur. Mais quelque chose l’intrigue. Il s’extraie de la petite chambre humide une odeur agréable, un parfum enrobant qu’elle ne connait pas, qu’elle ne possède pas. Serait-il possible qu’il s’agisse finalement du personnel du service de chambre, occupé tardivement à remettre ses affaires en état ?

Vu qu’elle ne peut plus reculer, et puisqu’il lui faudra bien percer le mystère, Huguette choisit sur un coup de tête de pousser la porte avec force et de la faire claquer contre le mur. Au premier coup d’œil, la chambre est vide. Au second, la chambre est rangée. Au dernier… Huguette sursaute sur place.

Aux quatre coins de la chambre ont été disposés des bouquets d’arum aux pétales blanches incurvées. Sur le bureau brûle un encens roc qui diffuse une odeur safranée et épicée, celle-là même qu’elle a senti depuis le couloir et qui enrobe toute la pièce. Au sol, quelques pétales de rose ont été disposées afin de tracer un chemin vers le lit sur lequel trône élégamment et panier de baies fraîches de toutes les couleurs.

Huguette est déstabilisée. Doni bondit sur le lit et renifle de sa truffe les baies alléchantes. La porte de la salle de bain s’ouvre à la volée et elle tombe nez-à-nez avec un jeune homme qui est tout aussi surpris de la voir.

— Oh, tu es déjà rentrée !

Pierrick. Huguette ne sait plus où se mettre. Le jeune étudiant paléontologue a encore eu un accès d’émotions. Cinq semaines qu’il ne donne plus de nouvelles et le voilà qui débarque avec des sentiments qui débordent de tous côtés. La quadragénaire ne sait même pas quoi en penser. Elle reste simplement debout dans l’entrebâillement de la porte.

— Mince, je n’ai pas eu le temps de déposer ceci…

Pierrick s’approche d’elle avec un petit paquet cubique et le cœur d’Huguette entre en suspension dans sa poitrine. Non, ce n’est pas possible !

— Qu’est-ce que tu fous ?

C’est la première fois qu’Huguette emploie un mot appartenant au lexique vulgaire, ce qui indique qu’elle est en dehors de sa zone de confort. En réalité, en voyant Pierrick s’approcher d’elle avec son paquet si symbolique dans la main, elle est terrorisée comme elle ne l’a jamais été. Elle est prête à prendre ses jambes à son cou, si seulement elles voulaient bien répondre aux ordres de son cerveau.

Pierrick se cale à quelques centimètres d’elle et ouvre la petite boîte devant elle. En son sein est logée un objet oblong et épais, aussi jaune qu’un citron.

— Pour me faire pardonner de ce long mois d’absence sans nouvelles.

Huguette ose lever la main pour approcher ses doigts de l’objet. Elle le touche précautionneusement, comme s’il peut exploser à tout moment. La chose est lisse et molle. Enfin, elle la reconnait au moment exact où Pierrick la lui révèle :

— Une Baie Tronci, ta préférée.

C’est établi : Pierrick est trop jeune et inconscient pour elle. Les Baies Tronci sont si rares dans la nature et si compliquée à cultiver que leur prix dépasse toute moralité sur le marché agroalimentaire de Sinnoh.

— Tu as complètement craqué, mon pauvre !
— Rien n’est trop cher quand il s’agit de te rendre heureuse.

Huguette ne préfère pas répondre, au risque de laisser échapper une exclamation de plaisir incontrôlée. Il vaut mieux qu’il ne sache pas qu’il est en train de marquer des points. Cependant, une partie de son cerveau, le côté rationnel, est toujours en colère contre lui. S’il pense qu’il va réussir à l’amadouer avec ce genre de phrases clichées…

— Si ça peut te rassurer, je n’ai pas dépensé un seul Pokédollar pour en avoir une.

Huguette fronce les sourcils. Ça, pour la rassurer, ça la rassure. Mais ce n’est plus très romantique. Pierrick a vu son renfrognement.

— Non pas que je ne voudrais pas dépenser de l’argent pour toi !

Considère-t-il qu’elle attende de lui qu’il la couvre d’or ? Ou plutôt qu’elle soit une femme vénale ? Pierrick constate une nouvelle fois sa désapprobation.

— Et je ne dis pas que tu veuilles que je dépense de l’argent pour toi !! Je m’enfonce, n’est-ce pas ?
— Mmmh…

Huguette a lâché un « Mmmh » si lent et puissant que son père, habitué de la réprimander de la sorte, en serait jaloux.

— Ce que je veux dire, c’est que le Professeur Sorbier possède, entre autres, un laboratoire expérimental et que j’ai pu avoir un échantillon de ce qu’ils y cultivent…

Huguette n’a pas changé d’expression : son visage transpire le scepticisme. Il va falloir qu’il use plus d’arguments pour la convaincre de lui pardonner son mois de mutisme.

— Et en voyant cette Baie Tronci pousser sur son plan si petit, si frêle, dans la serre à l’atmosphère si particulière, j’ai enfin compris pourquoi il s’agissait de ta baie préférée.
— Mmmh… ?
— Sa peau est aussi lisse que ne l’est ta beauté, sa chaire est tendre comme ton cœur, et son noyau aussi épais que ta conviction détient tout le matériel génétique pour faire pousser une nouvelle génération de Baies Tronci qui, à leur tour, devront lutter pour exister dans un environnement hostile à leur développement. Elle est si simple d’apparence, mais si profondément subtile lorsqu’on l’étudie patiemment.

C’est établi : Pierrick est l’homme idéal. Mesdames, Messieurs, ne cherchez plus. L’homme parfait se trouve dans cette chambre miteuse de Joliberges, et il est à elle. Rien qu’à elle.

D’un geste délicat, elle lui prend le paquet des mains et le referme précieusement tout en se collant à sa poitrine svelte. Elle approche son visage du sien tandis qu’il ferme les yeux, mais ne l’embrasse pas. Elle sait que repousser le moment va augmenter son niveau de désir et rendre le moment plus extraordinaire à vivre. Elle le fait reculer d’un pas, jouant toujours à ne pas l’embrasser, et les cuisses du jeune étudiant touchent le bas du lit. Doni comprend de suite que sa place n’est plus parmi eux et retourne dans sa Mémoire Ball.

Enfin, lorsque Pierrick ne peut plus reculer, Huguette l’embrasse. Délicatement, d’abord. Passionnément, ensuite. Pierrick lui rend son baiser fougueux et essaie de reprendre le contrôle de l’échange. Il glisse ses fines lèvres sur son cou qui s’échauffe en un instant. Les mains du jeune homme se dérobent sous son chemisier, dans son dos, et un coup de foudre lui électrise le bassin.

D’un coup brusque, mais contrôlé, Huguette repousse l’étudiant en arrière. Celui-ci chute sur le lit. Pierrick est dominé par l’immensité du corps d’Huguette. Il est à sa merci. Il est sous son contrôle. Il lui lance un regard de désir passionné. Il n’attend qu’une chose, c’est qu’elle prenne le contrôle.

Le reste de la nuit n’appartient qu’à leur pulsion charnelle.

Elle ne sait pas quelle heure il est, ni quand elle quittera ce lit. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle n’a jamais ressenti un sentiment si harmonieux à ne faire plus qu’un avec un homme. Pierrick a posé sa tête sur ses seins nus et elle lui caresse nonchalamment sa tignasse auburn. Le temps s’est arrêté. Tout va bien.

— J’ai cru que tu ne voulais plus de moi.

C’est la première fois qu’Huguette se sent assez en confiance que pour révéler ses plus sombres pensées.

— Je te demande pardon. Quand je suis concentré sur un travail qui me passionne, je peux oublier le reste du monde.
— Ça ne fait rien.

Pierrick se relève un instant. Les draps glissent sur son corps de bel éphèbe et dévoile une paire de fesses plus blanches que la neige. Il trifouille dans le panier de baies puis revient avec un petit pot rempli d’un liquide doré.

— Du Miel de Bonaugure.

Il glisse un doigt dans le pot et lèche le miel qu’il y récolte. Il trempe un deuxième doigt, mais cette fois Huguette est plus rapide et lui vole son butin sucré d’un coup de langue. Pierrick pouffe de rire.

— Le Professeur Sorbier n’a pas accepté de financer la partie expérimentale de ma thèse.
— Je pensais qu’il était intéressé par tes recherches…
— Je le pensais aussi. En réalité, il n’y comprenait rien. Il a passé un mois à me poser des questions toutes les plus farfelues, et quand il a compris que le sujet le dépassait, il m’a envoyé paître. J’ai perdu un mois de travail…
— Au moins, tu n’auras pas à travailler avec un charlatan.
— Son argent m’aurait bien arrangé.

Pierrick trempe ses cinq doigts en même temps dans le bocal de miel et étale le précieux nectar sur le ventre d’un noir de jet de la journaliste, après quoi il y fait glisser sa langue afin de ne pas en perdre une goutte, jusqu’à atteindre le niveau de sa poitrine où repose son vieux grigri au bout de sa cordelette. Huguette gémit de plaisir.

— Tu vas faire quoi ?

Pierrick se renfrogne.

— Malheureusement, je n’ai pas d’autre choix que de demander à un autre scientifique de financer ma thèse.
— Qui ?

Pierrick soupire et se laisse retomber sur son oreiller.

— Mon père.

**

De mémoire de femme, jamais Huguette n’a vécu une semaine plus belle que celle qu’elle a passé à Joliberges avec son amant. Si fréquenter un garçon deux fois plus jeune qu’elle lui avait été inconcevable, ne plus le faire lui est à présent impensable. Nul à Sinnoh n’a rencontré un couple dont les partenaires sont si différents, et si complémentaires. Huguette n’a qu’une seule crainte, que cette bulle de bonheur n’éclate trop vite et que la réalité du monde absurde qui les entoure les rattrape avant qu’elle ne se satisfasse entièrement de sa situation.

Alors que ses recherches journalistiques touchent à leur fin dans la ville portuaire, Pierrick décide de l’amener à une exposition passagère sur les richesses maritimes de Joliberges. L’évènement est organisé à l’occasion des fêtes de fin d’année par l’entreprise de son père, Charles Delforge, dont elle a appris qu’il est aussi le champion local, et se tient à l’Auberge du Port auquel ils n’ont obtenu un accès privé que grâce aux réseaux de connaissances dudit champion. Pierrick n’a qu’un seul but en tête : convaincre son père de financer sa thèse en plus de sa participation pécuniaire à leur projet familial dans le musée de Charbourg.

Cependant, Pierrick l’a prévenue : l’évènement auquel ils vont participer est en réalité une exposition d’objets authentiques retrouvés dans des épaves au large de Joliberges, à la suite de laquelle sera organisée une vente aux enchères. Huguette a compris son avertissement : ils vont pénétrer un endroit prisé par les bourgeois qu’elle exècre tant.

— Si c’est avec toi, il se peut que je passe tout de même un bon moment, l’a rassuré Huguette.

Le jour de l’évènement, Pierrick s’assure que tout est parfait, de l’élégante robe à paillette de sa partenaire, à son ravissant costume trois-pièces, deux atouts majeurs pour être considérés comme membres légitimes à la vente aux enchères. Rien n’est laissé aux hasards, si bien que Pierrick a répété toute la journée ses gestes, ses déplacements et le discours qu’il fera à son père pour essayer de le convaincre.

C’est ainsi que le dernier soir du mois de décembre, alors que la neige se met à tomber sur Joliberges, Pierrick et Huguette avancent d’un pas chaloupé vers l’entrée de l’Auberge du Port où a été déployé un épais tapis rouge. Un groupe de militants y a organisé une manifestation et crie à tue-tête des propos qu’elle n’arrive pas à déchiffrer dans le brouhaha. Néanmoins, elle remarque un détail : tous sont noirs et la dévisagent lorsqu’ils la voient avancer sur le tapis rouge.

Pierrick tend d’un geste courtois sa carte de membre à un hôte, nœud papillon et queue de pie, qui les invite à pénétrer dans la demeure luxueuse, loin des cris des manifestants. Le couple se dirige vers le salon d’exposition où ils se fendent dans la foule de bourgeois, tous blancs, coupes de champagne et petits-fours à la main.

Huguette se découvre une nouvelle passion pour la comédie. Elle salue poliment les convives, mordille délicatement les olives au fond de ses coupes de champagne, écoute attentivement les anecdotes des convives, et éclate d’un rire mesuré au moment de la chute. Tous apprécient sa compagnie, et Huguette prend plaisir à amuser son amant.

— Pierrick, mon garçon !

La tignasse auburn jumelle à celle de Pierrick les rejoint, et ce-dernier disparait dans l’accolade virile de son père.

— Papa, tu te souviens d’Huguette Tubman…
— …la journaliste a qui nous avons fait visiter notre musée ? Oui, bien sûr !

Charles Delforges s’incline afin de la saluer et Huguette lui rend la pareille.

— Que faites-vous donc dans un évènement si guindé ? s’amuse le champion de Joliberges.

Huguette hésite à répondre. Pierrick évite le regard de son père. Charles Delforge les observe tous les deux et comprend. D’abord, une expression de surprise trahit son visage pompeux, puis il se reprend.

— Eh bien je ne savais pas que tu serais de la partie pour la vente aux enchères, mon fils !

Loué soit le ciel, Charles Delforge préfère éviter le sujet. Après tout, s’il est bien une personne mal à l’aise, c’est Huguette qui se rend compte qu’elle a probablement le même âge que le père de son amant.

— Comment s’est passé ton entretien avec le Professeur Sorbier ?
— Justement, c’est la raison de ma présence ici… Je voulais te parler du financement de ma thèse.

Charles lève les yeux au ciel.

— Tu ne l’as pas obtenu à Littorella et tu aimerais que j’allonge encore un peu quelques Pokédollars ?

Pierrick évite à nouveau le regard de son père.

— Et si nous en discutions après la vente aux enchères ? propose Charles en jetant un coup d’œil discret à Huguette.

La journaliste n’est pas une professionnelle de l’investigation pour rien ; elle a bien compris que le riche propriétaire du musée ne compte pas discuter finance devant elle. Et il a raison de se méfier, car son calepin ne traîne jamais loin.

— À ce propos, j’ai une belle surprise pour toi.
— Oh ?

Le champion d’arène fait un clin d’œil à son fils et s’éclipse. Enfin, l’on dispose des sièges à dossier confortables au milieu du salon et on les invite à prendre place pour la vente aux enchères.

L’heure qui suit est un véritable calvaire pour la descendante d’esclaves qu’est Huguette. Les premiers objets qui sont soumis à la vente aux enchères partent pour de modiques sommes : des carnets de voyage maritime, des carte géographiques d’époque, et des ustensiles de marin. Mais plus la soirée avance, plus les pièces de collection rares leur sont présentées. Le premier objet à lui glacer le sang est un meuble contenant des vêtements authentiques retrouvés dans les cales d’une galère échouée au large de Joliberges. Huguette reconnait les tissus typiques des esclaves qu’elle a vu dans des photographies au Fan Club Pokémon d’Unionpolis. Les vêtements sont achetés pour quelques Pokédollars seulement. Le meuble, quant à lui, suscite d’ardentes luttes de pouvoir et est vendu à prix d’or.

La phrase du Président du Fan Club lui revient en mémoire : « certaines personnes aimeraient qu’une partie de notre passé n’ait jamais existé. » Huguette les complète : « d’autres remercient le ciel que ce passé ait existé pour pouvoir s’enrichir. »

La vente se poursuit tandis qu’Huguette ressent le besoin de disparaitre dans ses pensées, de se palper pour vérifier qu’elle existe, de s’enfuir loin de cette réalité absurde. Le coup le plus dur provient de la vente d’un objet qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son vieux grigri légué par sa mère, et dont elle apprend qu’il aurait été façonné par un esclave commandé par son propriétaire dans le but de vénérer le dieu Arceus.

S’opère ainsi, devant ses yeux ébahis, un véritable pillage de l’héritage de son peuple. Bijoux, œuvres d’art,… tout y passe et disparait dans les poches de ceux qui les ont eues remplies précisément dû au fait que l’esclavage a eu lieu dans Sinnoh.

— Enfin, notre dernière pièce mise en vente, annonce le commissaire-priseur, a été découverte par Monsieur Delforge en personne lors de ses fouilles en souterrains.

Un vieil homme se lève de son siège, au premier rang, et salue poliment l’audience d’un sourire édenté. Huguette reconnait le grand-père de Pierrick, « l’Homme du Souterrain » comme on l’appelle sur l’Île de Fer.

— Il s’agit du seul exemplaire de fossile de Pokémon, commente le commissaire-priseur, acheminé parmi les trésors des galères internationales depuis l’étranger, et datant de l’ère paléolithique. D’après sa forme, il s’agirait d’un fossile contenant un bout de crâne ayant possiblement appartenu à un Kranidos, une espèce de Pokémon aujourd’hui disparue. Les enchères commencent à deux cent Pokédollars.

La main du champion de Joliberges se lève instantanément.

Huguette se sent étouffer. Elle n’arrive plus à respirer. Elle a besoin de sortir de cet environnement empoisonné. Il lui faut respirer de l’air pur. Elle se lève, vacille sous le regard inquiet de son amant, et quitte le salon d’un pas pressé. Plus elle s’approche de l’entrée, plus elle entend les cris des manifestants qui n’ont cessé de militer durant toute la soirée.

Elle sort. Elle a besoin de les voir. De comprendre ce qu’ils veulent.

— Rendez-nous ! Notre histoire ! Rendez-nous ! Notre histoire !

Elle ne sait pas combien de temps elle reste plantée là, debout devant le groupe de militants noirs qui scandent le poing levé, si bien qu’elle bondit de surprise lorsque Pierrick la rejoint en lui glissant une main dans le dos.

Il est accompagné de son père et de son grand-père. La famille Delforge au complet. Huguette n’arrive pas à comprendre leur conversation. Elle n’arrive pas à se concentrer sur leurs échanges.

— …aussi cher…
— …quand on a les moyens, on ne se prive…
— …petit caillou tout de même…
— …richesse de notre musée…

Elle touche son vieux grigri et décuple de courage pour s’ancrer dans la réalité qui lui donne la nausée. La première phrase compréhensible qu’elle entend est celle du champion de Joliberges :

— Si nous sommes capables de copier les gènes qui se trouvent dans ce fossile, imagine ce que nous pourrions en faire !
— Tu veux dire que… nous pourrions réanimer un Pokémon disparu ? s’étonne Pierrick, impressionné.
— Tu serais le premier propriétaire de Kranidos de l’histoire de Sinnoh ! s’exclame l’Homme du Souterrain.
— Fabuleux ! s’enthousiasme Pierrick.

C’en est trop pour elle. Huguette ne réfléchit pas. Ses membres agissent sans sa volonté. Elle gifle violemment la joue de son amant. Le fossile lui glisse des mains et tombe au sol à l’instant où un feu d’artifice lumineux éclate dans le ciel nocturne.

La famille Delforge est pétrifiée d’effroi. Huguette ne répond plus d’elle-même. Elle se laisse bercer par le chant des militants. Elle recule d’un pas, puis de deux, puis se fond dans la foule des manifestants et elle scande, le poing levé :

— Rendez-nous ! Notre histoire ! Rendez-nous ! Notre histoire !

***