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Sous la poussière de Ashenere



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Informations

» Auteur : Ashenere - Voir le profil
» Créé le 31/10/2021 à 16:42
» Dernière mise à jour le 31/10/2021 à 16:42

» Mots-clés :   Mythologie   Sinnoh

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Chapitre 5
Bip, bip, bip, bip...

Encore une fois, la sonnerie retentit. Encore une fois, j'ouvre les yeux avec difficulté. L'enthousiasme d'il y a deux jours a disparu. Deux jours seulement ? On dirait qu'une éternité s'est écoulée, engloutie dans le sang des fresques. Li me regarde, épuisé. Après un petit-déjeuner en silence et des préparations rapides, nous nous retrouvons, encore une fois, sur le chemin du Centre.
Il ne pleut pas, mais le ciel est couvert. Un vent froid souffle et la brume a envahi les ruelles grises. Le cliquetis métallique des bracelets résonne par moments, évoquant des âmes damnées rôdant dans le brouillard. Je marche lentement, mes pas étouffés par le silence, mes pensées embrumées par la fatigue. Une seule question résonne dans mon esprit : et si la fresque avait raison ? Et si la seule façon d'endiguer l'épidémie était de tuer tous les Pokémon contaminés ? La violence est-elle la seule réponse à cette crise ?

Le couinement de Li me sort de ma torpeur. Je cligne des yeux un instant, en essayant de revenir à moi. Je suis devant le Centre. Il me faut redescendre dans cette grotte et continuer l'exploration. Ignorer la peur de tomber sur des images encore plus terrifiantes. Ignorer les idées qu'elles font naître dans mon esprit au sujet de l'épidémie. Dans le hall, les officiers et l'infirmière sont toujours là. Mais aucune trace de la Professeure Sogwa. Je regarde ma montre et je comprends pourquoi : je suis en retard, d'une bonne demi-heure. Je suis un peu surpris, ai-je mis tant de temps à me repérer dans le brouillard ? Je me dépêche de passer les portiques, attrape l'ascenseur juste avant que les portes ne se ferment et me dirige vers la galerie perdue. C'est un sentiment étrange de parcourir le long tunnel sombre seul, sans la présence rassurante d'une autre personne. Je sais que c'est une ligne droite, sans embranchements, et pourtant je me sens perdu, écrasé par les mètres de terre et de roche au-dessus de ma tête. Au bout de ce trop long chemin, j'aperçois enfin une lanterne, posée sur le sol près du petit autel. La lumière projette les ombres de la Professeure et de Karl sur la fresque principale. Mais... Une autre ombre se découpe sur le mur ! Je m'approche avec prudence et salue ma tutrice.
— Professeure, bonjour ! Désolé pour le retard, je me suis un peu perdu dans le brouillard.
— Ah Archie, vous voilà ! s'exclame-t-elle en se retournant. Pendant un instant, j'ai craint que vous ne viendriez plus... Surtout que nous avons un invité aujourd'hui.

Elle tourne la tête vers l'autre homme. La façon dont elle a prononcé le mot "invité" semble indiquer qu'elle est loin d'être ravie de sa présence. Je me tourne vers lui et l'examine rapidement. Il semble avoir la trentaine, sérieux et distant. Avec son costume noir et sa cravate rouge, sa présence semble complètement absurde dans ce lieu poussiéreux. Le ridicule est augmenté par son casque de protection, d'un jaune éclatant. En dessous ses yeux bruns me dévisagent. Il finit par me tendre un badge.
— Agent Daï. Je travaille pour le gouvernement. Plus précisément, pour la cellule de crise mise en place pour gérer l'épidémie de folie Pokémon.
Je reste interdit un instant avant de demander :
— Pourquoi êtes-vous ici ?
— Nous sommes à l'affût de chaque indice qui pourrait nous aider à comprendre cette maladie. En plus de toutes les analyses sur les Pokémon enragés capturés, nous avons examiné les mouvements de meutes d'Absol, l'apparition de Pokémon Spectre et même effectué des recherches dans les mythes et légendes. Hier soir, nous avons reçu un signalement du Centre de Vestigion à propos d'une grotte qui pourrait avoir un rapport avec l'épidémie. C'est pour ça que je suis là, pour voir cette grotte.
— Un signalement du Centre ?
La Professeure prend la parole à son tour :
— En tant que tutrice et responsable de l'inspection de cette grotte, je dois rédiger chaque jour un rapport d'exploration. Évidemment, j'ai dû mentionner les ressemblances entre les fresques et la situation actuelle. Et le Centre a dû juger bon d'en informer la cellule de crise.
— Exactement, approuve l'agent. Comme je l'ai dit, nous devons examiner chaque piste, et celle-ci semble prometteuse. Si les anciens d'Hisui ont vécu la même tragédie que nous, il se peut qu'ils nous aient laissé un moyen de régler la situation.
Je sens mon cœur se figer. Et si la fresque que nous avons découverte servait de base à un massacre ? Tuer les victimes de la maladie, c'est la seule conclusion de la fresque !
— Et bien, nous n'allons pas pouvoir répondre à cette question tout de suite, reprend la Professeure. Comme je vous l'ai expliqué, nous n'avons pas encore terminé l'étude de cette grotte et il ne faut pas tirer de conclusion hâtive. Je vais commencer par vous présenter ce que nous avons découvert jusqu'à présent. Suivez-moi.
Elle accompagne l'agent vers la fresque de gauche et commence à la lui décrire. Je la suis, l'espoir revenant peu à peu. Il reste des morceaux à nettoyer sur le mur de droite, nous trouverons sûrement une autre solution là-bas ! J'essaie de me calmer tandis que la voix de la Professeure retentit dans la salle :
— Nous pensons que cette fresque représente le début de l'histoire contée dans ce temple. Tout à gauche, il y a un élément déclencheur : un éclair qui frappe un arbre.
— Pensez-vous qu'un phénomène météorologique puisse être à la racine de cette épidémie ? demande Daï.
— Cela se pourrait, même si j'en doute. Il me semble plus probable que ce soit une représentation de la colère divine.
J'interviens :
— Observez les couleurs du ciel. Vert, rouge, noir. À l'époque d'Hisui, ces trois couleurs évoquaient le regard d'un Pokémon bien précis.
— Arceus... murmure la Professeure.
L'agent semble pensif à l'évocation de ce nom.
— Arceus... Des rumeurs courent sur le dresseur qui avait vaincu la Team Galaxie il y a quelques années. Il paraît qu'il avait réussi à l'apercevoir aux Colonnes Lances. Je vais demander qu'on le retrouve.
Il griffonne quelque chose dans son carnet tandis que la Professeure reprend.
— Bien continuons. Ici, on peut voir des Pokémon aux yeux rouges, dévastant un village. Le Luxray est le principal protagoniste, mais on distingue d'autres formes au fond. Ils ont tous en commun leur regard pourpre.
— Luxray, Ursaring, Tyranocif, Léviator... Ils sont déjà tous sur la liste des Pokémon dangereux, mais il va peut-être falloir les classer dans une catégorie à part.
Il baisse les yeux vers Li.
— Peut-être faudrait-il rajouter leurs pré-évolutions dans la liste aussi...
Je sens ma gorge se serrer. Obliger Li à porter cet horrible bracelet... Vais-je vraiment devoir m'y résoudre ? Le rire de la Professeure résonne soudain. Nous nous tournons tous vers elle, surpris par cet éclat.
— Vous allez vraiment classer Magicarpe dans la liste des Pokémon dangereux ? s'esclaffe-t-elle.
L'image d'un Magicarpe, barbotant dans une flaque, un bracelet autour de la queue, s'impose à nos esprits, et nous éclatons tous de rire, même Daï.

— Pardonnez-moi, s'excuse-t-il après avoir repris son souffle, cela fait des semaines que je ne pense qu'à l'épidémie. J'essaie de trouver des solutions, et je note toutes les idées qui pourraient m'y aider, mais je perds parfois contact avec la réalité.
Ce court interlude a permis de détendre un peu l'atmosphère et la Professeure reprend sa présentation avec un peu plus de chaleur.
— Ici nous voyons un jeune homme, armé d'une épée. Comme mentionné dans mon rapport du premier jour, il se pourrait que ce soit le même jeune homme que celui du mythe de Voilaroc.
Elle s'interrompt, incertaine quant aux connaissances de l'agent.
— Je l'ai lu ce matin avant de venir. Je vois les similitudes en effet.
— Parfait. Comme vous le voyez, il semble traverser la région de part et d'autre, comme le montre le Mont Couronné placé au milieu des 2 plaines.
— Ainsi que les fleurs, remarqué-je.
— Les fleurs ?
Il se tourne vers moi, surpris par cette remarque.
— Oui, regardez les buissons de la partie de gauche. On y distingue des fleurs roses. À droite, ces mêmes buissons ont des fleurs bleues. Ces deux couleurs sont des références aux Sancoki et aux Tritosor, qui, comme vous le savez sûrement, sont roses à l'est du Mont Couronné et bleus à l'ouest. C'était une règle très commune à Hisui pour montrer de quel côté du Mont se situe une scène.
— Et bien, je suis impressionné par votre expertise. Remarquer de si infimes détails... Attendez...
L'agent fouille dans son carnet, passant d'une page à l'autre, à la recherche d'une information précise.
— C'est bien ce que je pensais. Voilaroc, Unionpolis, Verchamps, Rivamar... Tous les cas de folie ont eu lieu à l'est du Mont pour l'instant.
Nous sommes tous surpris par cette conclusion. Ce détail que j'ai remarqué presque par hasard nous a mené à une information importante concernant l'épidémie. La Professeure réfléchit un instant avant de reprendre sa présentation de la fresque centrale.
— Ici, on voit le jeune homme tuer un Luxray. Mais la quantité de sang semble exagérée pour un seul Pokémon. Il est probable que ce Luxray ne soit pas la seule victime.
— Donc la réponse d'Hisui à l'épidémie a été l'élimination des contaminés ? interroge Daï.
Le silence lui répond. Aucun de nous ne souhaite envisager cela.
— Il reste la fresque de droite, rappelle la Professeure. Nous devons finir de la nettoyer avant de faire des hypothèses.
— Je comprends, mais chaque minute qui passe augmente le nombre de cas. Si l'euthanasie est la seule façon d'endiguer cette épidémie, alors attendre augmente le nombre de victimes.
— J'en suis consciente. Mais je refuse de croire que la population d'Hisui a érigé un temple avec des matériaux aussi précieux, tout ça pour nous dire de massacrer des Pokémon à la chaîne ! Il nous faut continuer.
Il hésite un instant, ébranlé par la conviction de la Professeure.
— Très bien. Mais il faut vous dépêcher.
Encore une fois, nous nous approchons d'une fresque couverte de poussière. La curiosité du premier jour, l'appréhension du deuxième, laissent aujourd'hui place à la détermination. Il nous faut nettoyer cette fresque, il nous faut trouver une solution, une alternative à l'horreur d'un massacre organisé. Je respire profondément avant d'examiner le mur. Comme celle de gauche, cette fresque est découpée en deux morceaux.
— Si nous travaillons sur deux images différentes, nous risquons d'être distraits par les découvertes de l'autre. Nous devons rester concentrés aujourd'hui.
J'approuve l'idée de la Professeure et nous nous attaquons tous deux à la partie gauche. La présence de l'agent derrière nous m'angoisse un peu. Je sens son regard peser sur mes épaules. Li s'en aperçoit aussi puisqu'il commence à grogner en direction de Daï.
— J'ai compris petit, je dérange. Je vais examiner les autres fresques et vous laisser travailler en paix.
Li bombe le torse et Karl grogne pour le féliciter. Soulagé, je me remets à l'ouvrage. Comme ce morceau est en meilleur état que celui d'hier, il ne nous faut que deux heures pour en venir à bout.

Lorsque le frottement des brosses s'arrête enfin, Daï nous rejoint, et nous contemplons ensemble ce nouveau passage d'une histoire oubliée. Oubliée et tragique.
Aucune vie n'émane de la forêt en arrière-plan. Les buissons sont vides. Pas de fleurs, ni roses, ni bleues. Au milieu de ce désert végétal, le jeune homme est là. À genoux, son épée brisée en mille morceaux. Le soleil, pour la première fois, brille au-dessus de lui.
Il a réussi sa mission. Il a stoppé l'épidémie. Il a sauvé le monde. Mais à quel prix ?
Son visage, effacé sur les autres fresques, est ici bien visible. C'est un visage jeune, presque un adolescent, et qui pleure, désespéré.
— C'est impossible, ce ne peut être la solution, murmure la Professeure, abattue.
C'est Daï, le visage fermé, qui lui répond :
— Parfois, il n'y a pas de bonne solution à un problème. Parfois, il faut faire un choix, et se sacrifier.
— Ou sacrifier les autres... dis-je amer.
L'agent se tourne vers moi, puis vers la fresque.
— Il pleure. Il s'est sacrifié lui aussi. Son âme est aussi brisée que son épée. Il a fait tout ça pour que cette épidémie s'arrête. Saurons-nous en faire autant ?