Chapitre 1 : l’Enchaînement parfait
— Et bien Cyril, tu hésites ?
— …
— Qu’est-ce que tu attends ? Je croyais que c’était toi, l’expert des combats ultra-rapides ! La coqueluche de cette nouvelle génération de dresseurs et leurs enchaînements éclairs ! Le maître incontesté du smoothswitch, le virtuose des arena combos.
— C’est toi qui hésite, Thierry. Tu as l’avantage n’est-ce pas ? Qu’est-ce que tu attends pour finir ce combat ? Non, tu n’es pas si confident que ça. Tu sais que ma prochaine action sera décisive. Tu es trop intelligent pour ne pas le voir.
— Effectivement. Contrairement à toi, je ne suis pas une petite tête brûlée prétentieuse qui se prend déjà pour un maître parce qu’il a appris quelques techniques soit disant nouvelles chez les showmen des stades de Galar. Tu as encore beaucoup à apprendre Cyril. La rapidité d’exécution n’est pas la maîtrise, la maîtrise n’est pas la planification, la planification n’est pas l’expertise. Et surtout Cyril, surtout, la complexité ne rend pas insaisissable, elle rend au contraire prévisible.
Le public de Méanville retient son souffle. Cinquante mille personnes se sont réunies pour assister à cette finale du tournoi d’été de qualification des challengers de la ligue Pokémon. Les deux dresseurs d’exception présents sur le terrain ont d’ores et déjà validés leur ticket d’entrée pour participer au défi le plus difficile et le plus prestigieux que peut proposer la scène compétitive régionale. Tous deux pourront tenter d’arracher son titre au Maître en place à partir de septembre, si néanmoins ils parviennent, avant, à traverser la Route Victoire d’une seule traite.
Mais cette échéance est encore lointaine dans leurs esprits. Il n’y a actuellement que deux choses qui comptent pour eux : remporter ce tournoi et sa confortable somme de huit millions de pokédollards accompagnant la première place, mais surtout, surtout, montrer à la face du monde la supériorité de leur style de combat, trancher le conflit entre la tradition et la modernité, entre l’ancienne génération et la nouvelle, entre le recul des années et la l’audace de la jeunesse. Ce qui se joue dans ce combat, c’est peut-être l’émergence d’un nouveau paradigme, une révolution irréversible de la scène compétitive. Les organisateurs des tournois officiels, pour contrôler un peu cet engouement et essayer de sauvegarder la lisibilité des combats, ont déjà limités le nombre de switchs autorisés à dix par minutes, sous peine de disqualification immédiate. Mais pour Cyril, c’est déjà bien suffisant. Avec seulement cinq ou six switchs enchaînés et des combos parfaitement exécutés, il est déjà possible de réaliser à peu près n’importe quoi, y compris des choses qui n’ont encore jamais été vues de mémoire de dresseur.
— Cyril, cyril. Je sais ce que tu as en tête. D’ici je vois tes bras se raidir, prêts à passer à l’action. Je vois ton regard qui se perd au loin. Je te vois en train de regarder se dérouler sous tes yeux un combat qui n’a pas encore eu lieu et qui n’aura pas lieu.
— Tes tentatives de provocation ne m’intéressent pas. Il n’y a que la victoire qui m’intéresse. Il n’y aura de toute façon plus besoin de débattre lorsque le réel aura tranché.
La seule chose en mouvement dans le stade, se sont les ailes du Ptera de Thierry. Face à lui, un Maganon déjà éprouvé par le combat, bien qu’encore parfaitement capable de se battre. Pour venir aider le Ptera, un Brasegali en parfaite forme est prêt à intervenir à tout moment. Maganon n’a absolument pas l’avantage dans cette fin de match, mais il peut encore compter sur Bekipan, ainsi que sur la carte maîtresse de son dresseur : Cizayox. Trois contre deux, la situation semble avantager Cyril. Mais il a face à lui des Pokémons très offensifs. Bekipan a certes l’ascendant au niveau de ses types, mais ce n’est pas un Pokémon très puissant. Il a surtout un rôle utilitaire dans l’équipe. Une lame de roc bien placée de Ptera pourrait décider de l’issue du match. Il faudrait un miracle pour que le jeune dresseur parvienne à récupérer le rythme dans ce combat, et trouve une ouverture pour porter le coup décisif. D’autant plus avec un Maganon qui n’est plus vraiment autre chose qu’un poids mort à ce stade. À moins que…
— Ecoute Cyril… Au-delà de notre petite rivalité qui sert surtout le spectacle et que je ne prends pas réellement au sérieux, je t’aime bien. Tu es un dresseur très prometteur et je le crois sincèrement. Mais je pense que tu es en train de t’engager dans une voie qui n’est rien d’autre qu’une impasse, et que tu es trop fier pour le reconnaître. Tu sais que ta fierté est ton plus gros handicap, et tu sais que je ne suis pas le premier à te le dire.
— Ma fierté… C’est ce qui fait que je crois en moi, et c’est parce que je crois en moi que je vais changer la face de la compétition de haut niveau. Je ne pratique déjà plus la même discipline que toi. Mais est-ce que tu peux seulement le comprendre ?
— Tu sais… Tes petits tours de passe-passe… Vous n’avez rien inventé. Tu crois que tout ça est nouveau parce que tu es trop jeune et parce que les termes techniques ont changés. Il y a eu une vague comme ça il y a une quarantaine d’années, qui a durée presque un an, avec des dresseurs qui avaient développés un style très proche du tient. Tout ça ce sont des modes, des cycles. Ca ne s’était pas vraiment exporté en dehors de Johto à l’époque. Je connaissais un gars qui était très fier d’être capable de combattre à un rythme de prêt d’un switch par seconde à certains moments du combat, et en continuant à faire des actions cohérentes. Ca pouvait être très fort contre des novices ou même des dresseurs intermédiaires, mais aucun dresseur du top niveau n’en a jamais fait un style durable. Les Pokémons qui viennent de sortir de leur Pokéball ont une liberté de mouvement très limitée. Ils sont faciles à prévoir et à intercepter. Et puis, c’est un enfer en termes d’entraînement. Le nombre de synergies que tu peux réellement mettre en place est très limité. Un petit changement dans le plan, et tes Pokémons feront n’importe quoi. Et je ne parle même pas de ce que tu perds en capacité à adapter ton équipe en fonction de la compétition. Vraiment, tu vas bientôt te prendre une claque Cyril. Tu n’as pas conscience de la différence ne serait-ce qu’entre le niveau de ce tournois et les meilleurs du monde. Et lorsque tu auras réalisé ton erreur, il te faudra des années pour tout réapprendre. Tu peux encore t’épargner ça.
Il semble que rien ne s’est vraiment passé depuis pas loin d’une minute. L’on commence même à entendre de nouveau du bruit dans les gradins. Quelques supporters se mettent à encourager leur favori. Il ne faudra pas attendre longtemps pour qu’ils soient rejoints pas d’autres et que les adversaires ne puissent même plus s’entendre. Le spectacle doit continuer !
En fait, le combat a déjà repris. Sous l’effet du battement des ailes de Ptera, des pierres sont en train, lentement, de se rassembler sur le terrain, à des endroits stratégiques, en dehors du champ de vision de Cyril et de son Maganon. Et le jeune dresseur semble beaucoup trop absorbé par la planification de son prochain enchaînement pour le réaliser. C’est Maganon qui, le premier, selon toute évidence, se met à sentir que quelque chose est différent, et commence à faire chauffer ses bras sans même avoir reçu d’ordre de son dresseur, afin de pouvoir réagir aussi rapidement que possible. À ce niveau là de maîtrise, les Pokémons sont dressés pour acquérir un semblant d’autonomie. Ils sont capables de s’ajuster spontanément, dans une certaine mesure.
— Ca y est, tu as trouvé ce que tu allais faire ? Tu veux que je te dise ce qui va se passer ?
* * *
Ce combo est assez simple. La difficulté réside surtout dans le fait de l’adapter à la situation et aux menaces adverses. Tout d’abord, l’on commence avec Maganon, qui va lancer deux puissantes salves d’ebullilave en réalisant un tir en cloche. Les chances de toucher l’adversaire sont faibles, surtout si celui-ci est rapide, mais ce n’est pas le but. Il s’agit avant tout de le forcer à regarder vers le haut, et de limiter ses mouvements en répandant plusieurs gros tas de roches en fusion sur le terrain. Maganon doit déjà être revenu dans sa Pokéball avant même que l’attaque touche le sol. Dans l’idéal, le Pokémon suivant est déjà sur le terrain au moment où les salves retombent, et il profite du chaos engendré pour agir.
Tout se joue en termes de timing et de dextérité. Même le lieu d’atterrissage de la Pokéball a son importance, ni trop loin, ni trop prêt. Pour s’adapter à l’évolution de l’intensité des matchs et permettre de meilleures trajectoires de lancer, les panneaux en plexiglas extrêmement résistants servant à protéger les dresseurs ont récemment vu leur hauteur diminuer et leur forme être optimisée. Mais les meilleurs dresseurs sont suffisamment braves et ont une connaissance du combat suffisamment approfondie pour oser s’exposer au moment opportun, même lorsque deux mastodontes de puissance sont en train de s’affronter et provoquent un chaos indescriptible autour d’eux.
Des jours, des semaines à s’entraîner à bondir de derrière un muret et à y retourner le plus vite possible. La scène compétitive des combats Pokémon, c’est du sport de haut niveau. Même pour le dresseur.
* * *
— J’ai analysé tes matchs précédents. Je connais tes options. Je connais ton style. Je sais quels sont les dernières cartes que tu peux encore jouer. Ca commence avec ton Maganon. Une Ebullilave pour tenter de déstabiliser mon Ptera et créer un terrain favorable pour ton équipe. Ca va être son chant du cygne. Auras-tu même le temps de le rappeler ?
* * *
Après, il y a plusieurs possibilités. L’on peut venir directement sur Bekipan. Mais Cizayox peut aussi arriver en premier pour servir de pivot. Il peut venir et repartir très rapidement avec Demi-Tour. Il s’agit d’harceler l’adversaire en lançant chaque nouveau Pokémon à des endroits opposés du terrain, pour limiter sa capacité à anticiper la prochaine attaque en se plaçant au bon endroit. Cizayox est assez résistant, il est capable d’encaisser certains assauts pour laisser une ouverture à Bekipan.
Lorsque l’oiseau marin arrive sur le terrain, sa présence seule suffit à invoquer une pluie battante qui affaiblira toute attaque feu pouvant menacer Cizayox. De plus, elle aura pour effet de refroidir la lave rapidement. Pour accélérer encore les choses, une attaque surf aussi vaste que possible et renforcée par la pluie pourra alors permettre de maintenir la pression offensive sur l’adversaire, tout en transformant les blocs de lave en fusion présents sur le terrain en roches magmatiques tièdes pouvant servir à tout un tas de choses.
* * *
— Tu vas alors vouloir ramener Bekipan mais… Compliqué n’est-ce pas ? Cizayox servira sans doute de pivot pour me pousser à échanger avec Brasegali. Ce serait un scénario favorable pour toi. Mais tu n’y compte pas trop non-plus. En tout cas Bekipan va forcément venir, pour éteindre l’attaque de Maganon.
* * *
Une fois que c’est fait, Bekipan peut revenir avec son propre demi-tour. Mais dans certains cas, il sera préférable de le rappeler directement sans prendre le risque de l’exposer à l’adversaire le temps d’une dernière attaque. À partir de là, le terrain est mis en place et il est possible de s’amuser. Il pourrait être tentant pour l’opposant de se servir lui-même des blocs de magma, mais cette stratégie contient une subtilité supplémentaire : bien souvent, certains blocs, ou l’une des face au moins de certains blocs resteront très chauds. Il est facile de planifier à l’avance un terrain miné que l’adversaire n’aura pas le temps d’analyser complètement dans le feu du combat. C’est encore mieux lorsqu’un Mackogneur arrive par la suite sur le terrain, soulève les rochers par leur partie tiède, et les projette en plaçant en avant la partie encore incandescente. Mais cette option n’est plus d’actualité si le Mackogneur n’est déjà plus en état de se battre. Dans une autre variation, Maganon revient à un moment, et peut tenter quelques strikes en projetant les rochers à la puissance de ses canons. Mais le mieux, c’est encore de faire venir Cizayox, afin de se servir de ce nouveau terrain improvisé comme de plateformes permettant de gagner grandement en mobilité et d’harceler l’adversaire de pisto-poings éclairs tout en étant très difficile à coincer. La plupart des gens n’y pensent pas, mais bien que Cizayox perdre son type vol après son évolution, il a toujours des ailes, et peut même planer légèrement, malgré son type acier. Dans les faits, cela lui sert surtout à augmenter la taille de ses sauts. Mais avec la petite préparation de Maganon et de Bekipan, il peut littéralement bondir d’un roc à l’autre, et augmenter progressivement sa vitesse jusqu’à atteindre un certain niveau de portance, lui permettant de passer pratiquement pour un Pokémon de type vol.
Même si je n’en suis pas l’inventeur, j’ai probablement perfectionné cette technique plus que quiconque. Aucun Cizayox au monde ne peut l’exécuter avec autant d’efficacité que le mien. C’est comme si j’avais créé un nouveau Pokémon.
* * *
— Après, retour sur Cizayox, où tu vas nous faire ta spéciale et tenter quelques actions désespérées pour prendre Ptera de vitesse et le harceler de pisto-poings. Tu espères ainsi me forcer à utiliser Braségali, puis avec un nouveau switch sur Bekipan au bon moment et deux ou trois arnaques dont tu as le secret, tu penses avoir encore une chance de remporter le match.
— Thierry…
— Enfin… Tu crois que tu vas pouvoir faire tout ça, tu ne te rends même pas compte que tu as déjà commis une erreur fatale…
Cyril s’apprête à crier un ordre à son Pokémon. Mais soudain, il s’arrête, comme frappé de stupeur. Il semble enfin réaliser ce que Tierry préparait depuis tout ce temps ! Le Ptéra a déjà rassemblé une grande quantité de pierres, et il est maintenant clair qu’il est sur le point de préparer une lame de roc d’une puissance impressionnante. Ni Maganon, ni Bekipan ne pourront encaisser une attaque pareille. S’il reste encore un petit espoir de remporter ce match pour Cyril, il repose sur les épaules blindées et rouges vifs de Cizayox.
— MAGANON, EBULLILAVE !
— Ah, tu comprends enfin ? Tu vois, je n’hésitais pas. Tu aurais dû maintenir ton rythme.
À partir de là, les choses s’enchaînent très vite. Une puissante lumière blanche se met à rayonner autour des canons de Maganon. Soudain, dans un spectacle digne d’une performance pyrotechnique, d’impressionnantes gerbes rouge-orangées en jaillissent et viennent décrire des arcs de cercle au dessus de l’arène de combat. Un premier jet part directement en direction du Ptera, qui se met immédiatement en mouvement. Aucune chance que ce tir touche sa cible. Mais tous les tirs suivants semblent ne même pas avoir pour objectif de toucher leur opposant. En fait, Maganon se met soudain à lancer des salves presque à la verticale au dessus de sa tête.
— PTERA, VA-Y ! hurle Thierry en tapant sur sa cuisse.
Avec le temps, les meilleurs dresseurs finissent tous par développer avec leurs Pokémons une forme de langage codé, afin de communiquer des informations précises lors des combats, sans pouvoir être facilement anticipés par leur adversaire. Certains s’amusent même à crier le nom d’une attaque, tout en ayant appris à leur Pokémon à en lancer une autre, si l’ordre donné s’accompagne de signaux discrets bien précis. Parfois, l’issue d’un combat se décide sur la capacité des compétiteurs à capter et à interpréter ces signaux. Thierry cherche à communiquer une certaine stratégie à son Pokémon, et Cyril ne peut pas l’ignorer.
Le Ptera se met à fondre sur Maganon, de façon très agressive. Ce Pokémon préhistorique est un effet connu pour sa vitesse, avec laquelle son adversaire ne peut pas rivaliser. Les choses peuvent dégénérer très vite. Thierry s’attend sans doute à ce que Cyril rappelle son Maganon aussi vite que possible. La première étape du combo est en effet déjà en grande partie réalisée, mais le nombre de tirs est encore assez faible, ce qui pourrait limiter les possibilités par la suite. Pourtant, le Pokémon de type feu ne s’arrête toujours pas, et les premières salves sont déjà en train de retomber, telles des tirs de mortiers, rendant toute attaque frontale dangereuse.
Mais Ptera l’a vu. Il s’avère que cette première charge était une feinte, et après avoir esquivé sans difficulté une boule de lave en fusion tombée pile entre lui et son adversaire, il amorce soudain un virage aérien à quatre-vingt-dix degrés pour tenter une attaque par les flancs, bien plus exposés. Ce faisant, il se rapproche aussi dangereusement du tas de pierres tranchantes qu’il a rassemblé quelques secondes plus tôt, pendant le discours de son dresseur. C’est cette zone précise que Maganon aurait dû couvrir depuis le début, mais ses tirs semblent surprenamment anarchiques, et laissent une ouverture béante dans laquelle Ptera ne peut pas ne pas s’engouffrer. Alors que l’impact est imminent, le Pokémon de Cyril continue à tirer, imperturbable.
À partir de là, seul un œil vraiment exercé est capable de lire la suite de l’action. Ptera arrive à seulement quelques mètres du Maganon, fait mine de vouloir placer un coup de queue rapide, mais il ne s’agit que d’une nouvelle feinte pour déstabiliser son adversaire afin de continuer à tourner de façon très rapide autour de lui. Maganon interrompt enfin ses salves d’Ebullilaves et tente de viser son adversaire dans un geste défensif, pendant que celui-ci est déjà en train de rassembler une énorme quantité de pierres afin de préparer une Lame de Roc d’anthologie.
Claquement de langue très appuyé de la part de Cyril.
À la stupeur générale, Maganon dirige soudain le canon qu’il avait commencé à charger, dans un geste apparemment défensif, vers le sol, et tire une nouvelle salve qui le propulse plusieurs mètres en hauteur, comme pourrait le faire un réacteur. Ptera lève la tête, et a un très bref moment d’hésitation, oh, à peine une demi-seconde ! Mais le piège s’est déjà refermé ! Avec ses deux bras, Maganon décrit deux grands arcs-de-cercle enflammés qui viennent se rejoindre pour invoquer une Danseflamme tout autour du Pokémon préhistorique. Les flammes sont si grandes et si intenses que Ptera va devoir s’envoler très haut s’il espère y échapper en passant au dessus. Malheureusement, bien qu’étant un Pokémon volant, il reste lourd, et la nouvelle arène enflammée autour de lui limite ses mouvements, ne lui permettant pas de réaliser une telle trajectoire verticale. Bien que Ptera soit de type roche, tenter de traverser directement les flammes resterait dangereux, en particulier en plein combat, et Thierry ne pourra maintenant plus rappeler son Pokémon non-plus jusqu’à ce que l’effet de la technique commence à se dissiper.
Mais Cizayox est déjà sur le terrain. Déboussolé par le cercle de flammes autour de lui et par l’arrivée du nouveau Pokémon, Ptera ne perçois l’ultime Ebullilave en train de lui tomber dessus qu’au dernier moment, et se jette sur le côté dans un geste désespéré. Trop tard ! Le pire est évité, mais son aile gauche a été légèrement touchée. À priori, rien de vraiment invalidant, mes ses mouvements devraient s’en trouver encore plus limités. Profitant de cette ouverture, Cizayox se rue sur son adversaire en passant par le seul petit espace laissée soigneusement par Maganon dans le cercle de flammes. Mais la terreur des cieux venue des temps anciens est bien trop habituée à la rudesse des combats de haut niveau pour perdre le contrôle de la situation si facilement. Le Pokémon insecte se met en position défensive et contracte tous ses muscles, tandis qu’un véritable torrent de pierres acérées le frappe de plein fouet. Il parvient malgré tout à toucher sa cible et à effectuer son Demi-Tour. Mais Cyril ne rappelle pas son Pokémon assez vite pour que qui que se soit puisse manquer le fait qu’il vient de subir de sérieux dégâts.
— C’était bien joué, mais tout ça pour quoi ? Tu crois que cette Lame de Roc était pour qui, depuis le début ? Ton Maganon ne peut quasiment rien faire à ce stade du combat, il n’est pas une menace ! Ton Cizayox en revanche…
— Réfléchis… Pourquoi j’aurais laissé Maganon sur le terrain si longtemps, si je pensais que c’était ta cible ? Tais-toi, ça rendra les choses moins embarrassantes… Bekipan, c’est à toi !
— Lame de Roc, encore, intercepte-moi ça !
Alors que le Pokémon à l’énorme bec jaune arrive sur le terrain, un petit nuage gris se forme presque immédiatement au dessus de lui, et une forte pluie commence à en tomber. Presque tous les blocs de lave se trouvent à l’intérieur du cercle de flamme, et les éteindre sans risquer de dissiper la Danseflamme par accident est un exercice périlleux que peu de dresseurs seraient assez ambitieux ou fous pour tenter. Mais Cyril aime les défis et les choses compliquées, ainsi que garder les tours les plus sophistiqués qu’il a appris à ses Pokémons pour les grandes occasions. Et c’est ainsi qu’en secret, il a réussi à dresser son Bekipan à maintenir la pluie de sa compétence passive Crachin à l’intérieur de la Danseflamme de Maganon. D’une pirouette aérienne, le voilà qui rentre dans le cercle infernal suffisamment vite pour que la pluie qu’il génère n’ai pas le temps d’affaiblir le piège, tout en esquivant plusieurs pierres coupantes qui filent droit vers lui. Malheureusement, le terrain rend sa trajectoire prévisible, et l’une d’entre elles parvient à frapper son bec de plein fouet.
— C’est rien, tu peux le faire ! Ebullitioooon !
Oui, effectivement, dans un espace clos comme celui-ci, utiliser Ebullition plutôt que surf pour tirer des jets d’eau plus précis est la seule alternative qui semble logique, et l’eau bouillante reste beaucoup plus froide que le magma en fusion. Enfin, si l’on met de côté qu’éteindre tous ces blocs de lave va prendre aussi plus de temps ; ce même temps durant lequel Bekipan sera exposé à des salves de roche projetées par Ptera. Et puis, quel dommage de passer autant de temps à attaquer l’environnement, lorsque l’on pourrait attaquer directement l’adversaire ! Mais, depuis quand est-ce que Cyril prolonge ainsi la dernière syllabe du nom des capacités qu’il crie ? Est-ce seulement l’effet de l’excitation ?
— Ptera, maintenant !
Le Pokémon de Thierry saute soudain dans les airs, et d’un grand geste circulaire de ses deux ailes, il repousse le nuage de pluie au dessus de Bekipan. L’intensité des rayons lumineux se met alors à augmenter brutalement. Ce Ptera est capable d’utiliser la capacité Zénith !
— Ca, c’est pour ton magnifique combo Cyr… Mais ! QUOI ? !
Bekipan a profité du fait que la salve de pierre s’était interrompue temporairement pour arrêter ses pirouettes aériennes et se mettre lui aussi à battre vigoureusement des ailes. Le voilà qui génère un Vent Violent intense et frais, qui refroidis les blocs de lave de Maganon tout en ballottant son adversaire préhistorique dans tous les sens. En bonus, les flammes de la Danseflamme situées en périphérie de l’attaque s’en retrouvent revigorées ! Propulsé par son propre courant d’air, voilà que le Pokémon de Cyril se met à fondre sur le Ptera. Celui-ci parvient bon gré mal gré à se stabiliser en se posant au sol en catastrophe, et se met aussitôt à préparer de nouvelles salves de roches. Mais Bekipan semble l’ignorer. En fait, ses trajectoires ne sont pas cohérentes, ce qui le rend difficile à viser. C’est comme s’il cherchait juste à agiter l’air encore plus. Méfiance cependant, une attaque de type eau pourrait surgir à tout instant ! Même affaiblie par le Zenith, elle resterait dangereuse.
— Pour… Pourquoi ? À quoi est-ce que tu joues ? ! Cet enchaînement n’a aucun sens !
— C’est bon, reviens !
Thierry n’a pas le temps de comprendre ce qui se trame, que le Pokémon de Cyril est déjà revenu dans sa Pokéball. Voilà Cizayox de retour pour achever cet avant-dernier acte, avant l’affrontement contre Brasegali. Il ne lui reste plus qu’à passer par l’entrée de la Danseflamme, prendre appui sur le premier rocher magmatique devant lui, et effectuer l’enchaînement à base de sauts hyper rapides et de pisto-poings dont il a le secret. S’il y parvient, la victoire contre un Ptera essoufflé, affaibli et passablement désorienté est pratiquement assurée.
— Allez Cizayox, c’est ton moment !
Mais son adversaire a une surprise pour lui. Une effrayante teinte orangée se met à émaner de la gueule du Pokémon préhistorique. Celui-ci attend sa proie, prêt à lui infliger une morsure brûlante, renforcée par le soleil. Ce Ptera ne connait pas seulement la capacité Zenith, mais aussi Croc de Feu ! Et il l’a cachée jusque là, attendant le bon moment pour pouvoir agir. Même si le Cizayox de Cyril est connu pour être particulièrement puissant et solide, étant le produit d’une génétique avantageuse provenant d’un élevage soigneux de plusieurs générations d’Insécateurs, associée à des années d’entraînement de haut niveau, si une telle attaque le touche, surtout après avoir déjà été blessé, il finira directement au tapis ! Une fois que Cizayox est lancé, il devient très difficile à toucher, et peut espérer ainsi esquiver les attaques. Mais il n’y a qu’un seul chemin pour entrer dans ce cercle enflammé, et Ptera a déjà anticipé la trajectoire du Pokémon insecte.
Pourtant, celui-ci est déjà lancé, et ne montre pas le moindre signe d’hésitation. Il semble déterminé à atteindre le premier rocher, coûte que coûte. Il franchit le cercle, bondis, va prendre appui sur le bloc de magma quand soudain… Il étend ses ailes et s’envole, tandis que la mâchoire rougeoyante du Pokémon préhistorique se referme dans le vide avec un claquement sec ! Aussitôt, un enchaînement extrêmement rapide de Pisto-Poings s’abat sur le crâne du Pokémon de type roche. Seuls deux ou trois coups trouvent leur cible, pas plus. Difficile d’ailleurs d’être sûr, à cette vitesse. Mais des coups terriblement bien placés, et tout à fait efficaces dans une stratégie de harcèlement.
— Toi qui aime le jargon Galarisant, tu connaissais le baitmove et le sneakymove, je te présente le sneakymove caché dans un baitmove !
Voilà l’explication au comportement si étrange de Bekipan ! Juste après avoir lancé un Vent Violent, il a discrètement déclenché un Vent Arrière ; ou plutôt, un vent ascendant, puisque dirigé vers le haut. Les petites ailes de Cizayox ne lui permettent pas seulement de planer légèrement lorsqu’il atteint des vitesses très élevées… Elles peuvent aussi le faire décoller, avec un vent ascendant suffisamment puissant !
— Ptera, reprends-toi, tu peux l’utiliser aussi !
— Tu penses pouvoir te servir de mon terrain de jeu si facilement ?
Cizayox, après un vol plané d’une quinzaine de mètres, sort du courant aérien pour se réceptionner sur un rocher magmatique. Et le voilà qui bondit sur un deuxième, puis un troisième, tout en cherchant à maintenir la distance avec un Ptera qui ne sait plus où donner de la tête. Le Pokémon insecte s’apprête à prendre appui sur un quatrième rocher. C’est le bon moment, la posture de son adversaire est déséquilibrée, il y a une opportunité à saisir !
Un hurlement métallique retentis soudain dans l’arène.
L’un des rochers n’était pas encore complètement éteint ! Et il ne s’agit pas d’un piège, il aurait dû l’être. Peut-être que l’eau est plus efficace que le vent pour refroidir le magma en fusion, finalement. Sous l’effet de la surprise et de la douleur, Cizayox effectue un saut beaucoup moins puissant que prévu. Il entre dans un courant aérien, mais sa posture est mauvaise, et sa trajectoire s’en retrouver complètement perturbée. Trop heureux de pouvoir saisir une telle opportunité de renverser le cours du combat, Ptera étend ses propres ailes, saute et essaye de trouver un courant ascendant. Mais son aile blessée précédemment par l’Ebullilave de Maganon le trahis, et il perd lui aussi sa posture. Ce qu’il ne réalise pas non-plus, c’est que s’il est possible de piéger des blocs de magma, piéger des courants aériens l’est tout autant. C’est même encore plus facile ! Le voilà bientôt balloté dans les courants, ne sachant même plus où se trouve le haut et le bas.
Plus personne ne maîtrise rien dans ce combat, ni les dresseurs, ni leurs Pokémons, ni même les commentateurs. Le public ne comprend rien à ce qui est en train de se passer. Il n’y a qu’un chaos rouge et gris tourbillonnant au milieu d’un cercle de feu.
Nouveau hurlement métallique, encore plus fort et effrayant que le précédent.
En se débattant, Ptera est parvenu semble-t-il à érafler Cizayox. Dans une sorte de réaction instinctive, le Pokémon insecte parvient à reprendre un instant le contrôle de sa trajectoire. D’un coup de patte, il repousse son adversaire. À l’aide de battements d’aile désordonnés, il arrive non sans peine à sortir des courants et à toucher à nouveau le sol. Ce serait l’occasion idéale pour achever le Pokémon préhistorique, toujours prisonnier des courants, mais Cizayox semble l’avoir complètement oublié. Tout ce qu’il cherche, c’est la sortie du cercle de feu. Cyril réalise alors que son Pokémon a deux grandes plaies rougeoyantes au niveau de l’œil gauche, et qu’il ne se dirige que d’un seul œil.
— A… Allez mon grand ! Qu’est-ce qui se passe ? Finis-le, et tu pourras revenir dans ta Pokéball ! Je n’ai pas besoin de toi pour terminer ce match !
Il l’a trouvée ! Cizayox se met à courir à toute vitesse vers la sortie, mais il trébuche, et roule plusieurs fois sur le sol. Il se relève et reprend sa course en poussant de nouveaux hurlements. Il commence alors à se frapper la tête avec ses pinces. Plus rien ne semble pourvoir le raisonner, c’est à croire qu’il est devenu fou ! Ce n’est maintenant qu’un Pokémon sauvage qui ne sait même plus où il se trouve et où il va. Et il hurle et hurle de plus en plus fort, comme s’il était à l’article de la mort.
— Cizayox ! CIZAYOX ! ECOUTE-MOI ! ON VA FINIR CE COMBAT ENSEMBLE, OK ? CIZAYOX !
— Cyril ! Rappelle ton Pokémon. RAPPELLE TON POKEMON !
Le Pokémon insecte court maintenant dans l’arène, mi sur deux pattes, mi sur quatre pattes. Il fonce tout droit vers l’un des murs bordant le terrain, le percute avec fracas, et reprend immédiatement sa course. Une cacophonie terrible commence à monter des tribunes, ce qui ne fait encore qu’amplifier sa détresse et son déboussolement.
— Cyril ! Le combat est terminé. RAPPELLE TON POKEMON !
— Cizayox… Qu’est-ce qui t’arrive ? C’est notre victoire ! Retourne te battre ! CIZAYOX !
Le voilà qui s’arrête un instant. Il semble enfin avoir entendu la voix de son dresseur. Il tourne la tête dans sa direction. Nouveau hurlement, plus long, plus strident, plus douloureux, plus terrible que tous les autres. Le dernier hurlement. Et il reprend sa course, cette fois droit sur Cyril.
— CYRIL ! J’AI RAPPELE PTERA ! JE L’AURAIS FAIT AVANT SANS TA FOUTUE DANSEFLAMME ! CYRIL BORDEL !
— Cizayox… Pourquoi… Tu me fais ça ?
Cizayox continue sa course folle. Cinquante mètres. Vingt mètres. Dix mètres.
— CYRIIIIIL !
— Cizayox ?
* * *
La dernière image que j’ai gardée de ce jour là, c’est Cizayox, l’œil droit lacéré, juste devant moi, levant sa pince. L’espace d’un instant, je n’étais plus un dresseur, mais un Pokémon, face à un combat auquel je n’avais pas choisi de participer, et que je ne pouvais gagner. Puis le noir.