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Ardents Souvenirs de Zyeber



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» Auteur : Zyeber - Voir le profil
» Créé le 29/09/2021 à 23:16
» Dernière mise à jour le 31/10/2021 à 23:36

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Sommets immortels
Cornil évoluait sur les sentiers – du moins quand il y en avait – du Mont Abrupt avec une aisance déconcertante, se faufilant entre les rochers et les racines des nombreux pins qui se dressaient. Tanguy suivait tant bien que mal mais son guide avait souvent à s’arrêter pour ne pas creuser un trop gros écart entre eux. Lixy n’avait pas toutes ces peines et n’hésitait pas à faire des détours pour explorer cet environnement nouveau. Le chemin était escarpé et la densité des éléments rendait l’ascension lente et difficile, heureusement l’altitude atténuait la chaleur pesante qu’on ressentait au pied de la montagne.

Tanguy se contentait de suivre les pas de Cornil qui naviguait à l’aveugle, il ne lui avait pas donné de destination précise car lui-même ne savait pas vraiment ce qu’il venait faire ici. Le message de son ami avait été aussi expéditif qu’avare en information, ne révélant ni les intentions de sa présence ni point de rendez-vous. « ENFIN ! Rejoins-moi au Mont Abrupt. Tu trouveras un guide à la boutique Ardents Souvenirs, tu verras c’est le meilleur de toute la région », disait-il. Depuis il n’avait plus eu de nouvelle de sa part malgré ses relances. Cornil se contentait pour l’instant d’arpenter les chemins qu’il connaissait mais n’avait pas remarqué de traces particulières qui témoigneraient d’un passage récent mais si son ami était familier de la région il avait forcément dû emprunter la même voix. Il finirait bien par tomber dessus à un moment donné. Ils arrivèrent face une falaise. Tanguy leva la tête à s’en briser la nuque mais ne parvenait pas à déceler le sommet.

– Il va falloir monter, dit Cornil d’un ton tout à fait banal et il l’emmena vers un escalier en bois construit à même la falaise. J’espère pour vous que vous n’avez pas le vertige.

Au pieds de l’escalier se trouvait un petit autel qu’on avait incrusté dans la paroi rocheuse. De l’encens y avait été brûlé récemment. Cornil s’en approcha en silence et y déposa une des statuettes à l’effigie de Pokémon du magasin. C’était un Miaouss, il devait apporter chance et bonne fortune. Avant leur départ, il avait proposé à Tanguy d’en choisir une sans lui en expliquer la raison. Il comprenait maintenant qu’il s’agissait d’offrandes. Il déposa à son tour le Luxray de bois auprès de ses semblables, il y en avait tout une panoplie. Était-ce Cornil qui les avait toutes amenées ? Il imita également le jeune homme lorsqu’il joignit les mains pour la prière. Il ne savait pas exactement à qui ou pour quoi il s’adressait. Pendant cet instant de communion, ils furent interrompus par une secousse.

– Qu’est-ce que c’était, demanda le champion dont la voix trahissait un léger sentiment de panique.

– C’est l’âme de la montagne, répondit posément Cornil.

– L’âme de la montagne ?

– Heatran si vous préférez. Lui et la montagne ne font qu’un. Ce que la montagne voit, Heatran le voit, ce qu’elle ressent, il le ressent et inversement, elle réagit à lui. Quand il est en colère, elle le manifeste.

Tanguy n’était d’ordinaire pas sensible à ce genre de superstition, il aurait attribué la secousse à un tremblement de terre, après tout ils se trouvaient dans une région à forte activité volcanique mais la conviction avec laquelle Cornil avait brandi ses paroles le faisait douter.

– Dites moi, votre ami n’a pas de mauvaises intentions ?

Le ton de Cornil s’était fait d’un coup sérieux, presque menaçant. Tanguy en fut déconcerté de prime abord mais se reprit aussitôt.

– Non, ne t’inquiète pas pour ça, finit-il par répondre avec sourire.

– Tant mieux. Mieux vaut ne pas trainer pour ne pas être surpris par une autre secousse.

Tanguy se trouvait minuscule face à ces escaliers dont la trajectoire s’efface et surgit toujours plus en hauteur au gré des courbes du mur ; suspendus dans le vide, ils semblaient adresser un défi aux les lois naturelles, un affront à la gravité. Le souvenir encore frais du matin, quand Lixy descendait du bateau, lui revint en tête et il regrettait maintenant d’avoir éprouvé une forme d’amusement devant ses craintes ; il éprouvait les mêmes à cet instant. Il voulait faire rentrer Lixy dans sa Poké Ball pour éviter un accident mais Lixy refusait, il était déterminé à surmonter ce défi mais les étincelles reparurent sur son pelage à peine les premières marches franchies. Tanguy dut se résoudre à porter son compagnon. Les planches de bois qui faisaient office de marches se transformaient parfois en marches de pierre taillée à même la montagne avant de reprendre leur consistance ligneuse. Pas après pas ses peurs s’estompèrent, il osa finalement détourner le regard de Cornil qu’il n’avait pas quitté des yeux – plus précisément ses pieds. Il était son assurance, sa lumière dans l’obscurité ; il n’avait qu’à lui emboiter le pas, littéralement, placer son pied sur sa trace pour que rien ne lui arrive.

Le cri perçant d’un volatile le poussa à se tourner vers le paysage et le vide pour en chercher la provenance. Il aperçut le vol majestueux d’un Pokémon qu’il ne reconnaissait pas, peut-être était-ce un Etouraptor ou un Gueriaigle. Lentement ses sens sortaient de leur léthargie. Dès le moment où il avait entrepris l’escalade de la falaise, tous ses efforts s’étaient concentrés sur le tracé de Cornil. Il n’avait pas ressenti la fraîcheur de la brise qui filait entre ses cheveux, il n’avait pas entendu les feuilles s’agiter , le piaillement affamé d’une porté de Furaiglons nichée sur un pic avoisinant, il n’avait pas senti le parfum âcre des fumées qui s’échappent d’entre les fissures de la falaise, il n’avait pas vu la brume recouvrir la vallée, s’écoulant tel un torrent, naviguant entre les hautes aiguilles de granite recouvertes d’une végétation ancestrale ; elles semblaient avoir été abattues là par des forces supérieures.

Des armes déchues,
une bataille innomée,
nées d’un ciel furieux.

Au loin, il apercevait la Tour de combat, elle paraissait si ridicule et si fragile ; tous ces millions investis dans ce qui a été présenté comme un manifeste à la gloire de l’homme – ou plutôt d’un homme – le summum des progrès de la science réduit à un rien, le monstre de fer et de béton qui l’avait plongé dans les ténèbres s’inclinait modestement, presque trop facilement, face aux géants de pierre.

Cornil observait Tanguy du coin de l’œil. Lui aussi n’avait pas prêté attention au décor, il n’y prêtait plus attention depuis longtemps. Il enviait son émerveillement. A force d’arpenter ces lieux, il avait fini par s’habituer à cette beauté primitive, que la sainte machine de la modernité était incapable de souiller. Quand l’exceptionnel devient banalité triviale du quotidien. L’émotion vive qui envahit l’esprit de ceux qui osent s’aventurer dans ces lieux pleins d’une magie primaire ne parvenait plus à l’atteindre. Mais qu’on ne si trompe pas, même si sa ferveur juvénile s’est endormie dans les tréfonds de son être, Cornil passait le plus clair de son temps dans les Monts Abrupt ; c’était son terrain de jeu. La montagne l’avait vu grandir de jour en jour et lui de jour en jour pensait l’apprivoiser, jusqu’à l’avoir intégralement dominée. Il savait pourtant qu’elle était bien plus redoutable, qu’elle le laissait faire mais qu’en échange de ce sentiment triomphant de liberté, elle verrouillait les portes de ses entrailles, ses secrets tenus soigneusement à l’écart des intrus. Elle n’avait pas résisté des siècles – des millénaires même ! – à la succession de peuples assoiffés de conquête pour se laisser dompter par un modeste gamin. En voyant Tanguy et Lixy en pleine contemplation, la même qu’il avait ressenti jadis, il se demandait si la montagne lui accorderait encore des esquisses de son intimité.

– Tu t’es déjà mesuré à la Tour de Combat ?

Cornil ne s’attendait pas cette question aussi soudaine qu’impromptue, Tanguy n’avait pas prononcé un mot depuis qu’ils s’étaient embarqués sur les escaliers.

– Oui, une fois. Mais il n’y a rien à en tirer. La plupart des dresseurs sont des amateurs, ils viennent en touriste s’en aucune volonté de victoire et repartent comme si de rien n’était, même pas déçue par la défaite. Ils ne voient dans les combats qu’une distraction passagère.

– J’ai ressenti la même chose…

Tanguy marqua un silence, toujours à admirer la vue puis se tourna vers Cornil et lui demanda s’il voulait se lancer dans un combat.

– Quoi ? ici ?

– Tu m’as bien dit qu’il fallait se battre pour survivre ici. J’aimerais moi aussi connaître ce grand frisson, voir ce dont est capable un enfant de la montagne.

Et Tanguy se munit d’une Poké Ball de laquelle il fit jaillir une masse d’acier luisant sous les effets du soleil. Magnézone fit tourner vivement ses aimants, il était prêt à en découdre. Cornil loin de se laisser démonter s’arma d’une Ball qui grossit sous l’impulsion d’un coup donné par son index.

– Très bien ! Vous l’aurez voulu ! dit-il tout en lançant sa Ball dans le vide. Noctunoir je te choisis !

Les deux Pokémon se tenaient face à face, ils flottaient au dessus du gouffre que les deux dresseurs avaient gravi après de longues minutes. Un seul faux pas et ils se retrouveraient au fond du précipice en quelques secondes à peine. Magnézone comme Noctunoir attendaient les instructions de leur dresseur. Cornil fut le premier à se lancer dans cette bataille atypique loin des terrains tout apprêtés des arènes et du regard des caméras. La scène de ce spectacle intime s’étendait à perte de vue, aucune limite ne viendrait restreindre leur talent.

– Noctunoir ! Poing Feu, s’écria le jeune garçon.

Des flammes se formèrent autour du poing droit de Noctunoir et il se précipita vers Magnézone. Mais Noctunoir était lent, très lent. Tanguy n’eu aucun mal à réagir et ordonna à son partenaire de lancer une attaque Luminocanon qui heurta sa cible de plein fouet. Magnézone n’était pas Pokémon réputé pour sa vitesse mais il outrepassait aisément celle de Noctunoir, Tanguy n’avait qu’à maintenir la distance pour garder l’avantage.

– Allez Noctunoir ! On recommence ! Poing Feu !

Cornil accompagnait le geste à la parole et brandissait son poing vers l’avant. Noctunoir se lançait à nouveau à l’assaut de Magnézone.

– J’espère que ce n’est pas tout ce que tu en réserves, dit Tanguy. Luminocanon !
Magnézone agita ses aimants et envoya la boule de lumière sur Noctunoir. Cette fois Noctunoir esquiva l’attaque en se laissant tomber dans le vide, comme si sa capacité à flotter avait cessé. Mais dès qu’il vit le spectre s’échapper, Tanguy ordonna aussitôt son Pokémon de reculer. Il ne comptait pas laisser Noctunoir s’approcher.

– Vous compter fuir encore longtemps, dit Cornil.

– C’est mal me connaître que d’essayer de me provoquer, mais soit ! Puisque tu insistes … Magnézone ! Elécanon !

Les aimants de Magnézone se mirent à vibrer et de l’électricité se concentrait devant lui. Elécanon était d’une puissance destructrice à tel point que même son utilisateur ne parvient pas toujours à la contenir. Prendre le temps de viser, c’est prendre le risque qu’elle vous explose dessus, par conséquent il se voit souvent dans l’obligation de balancer la boule d’énergie dans la précipitation et d’espérer qu’elle atteigne la cible désirée. Tanguy était bien au fait du danger que pouvait représenter une telle attaque et qu’en cas d’échec, son Pokémon se retrouvait vulnérable à une contre-attaque. Cependant, Noctunoir est la cible parfaite ; lent et massif, il n’aurait pas le temps d’esquiver. Ça y est ! Le canon était parti – propulsant Magnézone quelques mètres en arrière à cause du recul de l’attaque – et fusait en plein sur Noctunoir qui ne semblait pas réagir. Elle se rapprochait de plus en plus, à toute vitesse, l’impact était imminent !

– Distorsion !

Noctunoir joignit ses mains et disparut. La boule d’énergie alla s’écraser sur un pic et y forma un large cratère, le souvenir éternel de leur combat. Tanguy ne s’attendait pas à un tel retournement mais la tournure que prenait l’affrontement faisait monter en lui une excitation rare, celle qui vous gagne lorsque l’incertitude parvient à se tracer une voie vers l’évidence d’une réussite car il savait qu’il était désormais en mauvaise posture, qu’il était la proie et qu’on ne lui laisserait pas l’occasion de s’échapper. Il tournait la tête dans tous les sens pour localiser son adversaire.

– Poing Feu !

Il était en haut, il fondait sur Magnézone ! Le champion voulut minimiser les dégâts avec Protection mais trop tard, il était déjà sur lui. Magnézone fut violemment frappé. Tanguy comprit vite que son partenaire ne tiendrait pas le rythme sous la Distorsion c’est pourquoi il lui demanda de s’éloigner à pleine vitesse. Magnézone poussa une accélération surprenante, il avait également gagné en vélocité grâce à la Distorsion et il comptait bien en profiter lui aussi.

– Poursuis le avec Ombre Portée.

Noctunoir disparut dans son ombre projetée sur la falaise et se lança à pleine vitesse sur Magnézone qui longeait la falaise en fendant les airs, zigzagant tantôt entre les arbres qui se dressaient sur leur chemin, tantôt entre les rochers saillants. Les deux dresseurs peinaient à les suivre des yeux. Ils fusèrent au-dessus de l’escalier au se situaient Cornil et Tanguy. La bourrasque de leur passage les ébranla et Tanguy faillit lâcher Lixy qui avait jusqu’à présent observé la bataille avec grand intérêt et des étoiles dans les yeux ; un jour lui aussi se battra avec intensité, lui aussi invoquera des éclairs qui pourfendront les cieux ; en attendant il profitait du spectacle.

L’avance de Magnézone se réduisait à vue d’œil malgré tous ses efforts, l’ombre gagnait inévitablement du terrain ; la lutte était courue d’avance depuis le début. Mais lorsque Noctunoir était sur le point d’arriver au niveau de sa proie, à quelques centimètres seulement, Tanguy hurla à plein poumon.

– Freine !

Le lourd tas de ferrailles qu’était Magnézone s’arrêta net et Noctunoir, surpris, continua sa course mais désormais dans la peau du traqué. Il possédait néanmoins toujours sa vitesse et ses déplacements brusques qui rendaient vaine toute tentative d’anticipation. Les positions s’étaient peut-être inversées mais Cornil demeurait confiant, aucune attaque n’atteindrait son partenaire.

– Et maintenant, Coup d’Jus !

De redoutables éclairs émanèrent brusquement du corps de Magnézone et parsemèrent l’espace tout entier de leurs crépitements, aucune zone n’était épargnée par ce déluge de puissance. L’espace d’un instant Cornil crut que Noctunoir, toujours caché dans son ombre, parviendrait à se faufiler entre les mailles de ce filet imprévisible grâce à sa vitesse, allant à gauche, à droite, s’arrêtant et repartant de plus belle lorsqu’un éclair approchait sa position mais l’espoir fut de courte durée ; il fut frappé, et éjecté du pan de la falaise il fut pris dans le tourbillon électrique. Il avait pris de sérieux dommages mais il tenait encore debout.

– Votre utilisation de Distorsion est parfaite, peu de dresseur sont capables d’atteindre une telle maîtrise. Vous pouvez être fiers de fou, confia Tanguy. Mais tu as négligé un détail.

– Lequel, s’osa à demander Cornil qui cachait mal sa frustration d’avoir été pris à son propre jeu.

– Analyste, le talent de mon Magnézone. Sa puissance d’attaque augmente drastiquement lorsqu’il affronte un adversaire plus rapide que lui.

– Ne croyez pas que j’ai dit mon dernier mot. Ce ne sont pas quelques éclairs qui viendront à bout de Noctunoir. Je vous réserve ma botte secrète. Dark Lariat !

Cornil avait raison, Noctunoir gardait encore des forces malgré les chocs qu’il avait encaissés ; il se mit à tournoyer sur lui-même à une vitesse folle rendue possible par la Distorsion. Tanguy avait un mauvais pressentiment, quelque chose clochait. Noctunoir, au lieu de se diriger vers son opposant, faisait du surplace comme une toupie. Pour prévenir à toute mauvaise surprise, il décida de lancer une attaque Luminocanon pour le stopper. La boule de lumière allait se heurter à Noctunoir mais au dernier moment elle fut déviée et se perdit dans l’horizon lointain. Il fut troublé par ce qui venait de se passer. Comment son Luminocanon avait pu manquer sa cible ? Il n’avait pas rêvé, son attaque fonçait droit sur le Noctunoir immobile alors pourquoi était-elle allée s’égarer dans les cieux. ?

– C’est bien, continue de tourner comme ça et lance Poing Feu !

Aussitôt que les flammes se manifestèrent, tout l’espace autour du spectre s’embrasa et il disparut dans un maelstrom ardent. Et le champion comprit. La rotation extrême de Noctunoir avait créé une colonne d’air qui, dans un premier temps, avait servi de bouclier et couplée aux flammes l’avait ensuite transformé en une véritable tornade de feu. Une tornade qui ne s’arrêterait qu’après avoir consumé Magnézone. Elle prenait de l’ampleur à mesure qu’elle tournait, l’environnement se teintait des couleurs fiévreuses du crépuscule ; Magnézone luttait pour ne pas se faire aspirer comme les feuilles arrachées de leur branche que seuls les battements d’ailes tranquilles venaient perturber d’ordinaire. Tanguy restait stupéfait devant l’ampleur d’une telle combinaison, il ressentait l’air chaud, brûlant envahir son corps, complètement impuissant devant cette fournaise vivante. Koner avait peut-être raison, ces montagnes sont capables de transcender humain et Pokémon.

Mais alors que Noctunoir s’approchait dangereusement de Magnézone, une nouvelle secousse se fit sentir, bien plus forte et longue que la précédente et accompagnée d’un bruit d’impact retentissant. Les deux Pokémons suspendirent leurs actions et reportèrent leur attention en direction de leurs dresseurs, soucieux de leur sécurité. Tanguy et Cornil levèrent instinctivement la tête pour essayer d’en découvrir l’origine. Mais à peine eurent-ils le temps de chercher que leur regard se posa sur un pin prêt à s’écraser sur eux. Ses racines se détachèrent lentement en précipitant des gravats dans le vide. Tanguy et Cornil se figèrent dans l’espoir que leur geste inspire l’arbre d’en faire de même. En vain. Le pin chuta et manqua de fracasser le chemin.

– C’est encore l’âme de la montagne, s’écria Tanguy qui ne parvenait à dissimuler sa colère.

Cornil observait toujours le creux où se tenait l’arbre il y a quelques secondes encore.

– Ce n’est pas normal, murmura-t-il pour lui-même, sans tenir compte de la remarque de Tanguy. Il faut se dépêcher, on est plus très loin d’une zone sûre.

Et il accéléra aussitôt ne laissant pas l’occasion de contester sa décision. Une fois arrivée sur un plateau, cachés derrière les arbres d’un petit bosquet, ils observaient une scène aussi rare que dangereuse que seul les plus téméraires ont eu la chance de voir. Un Carchacrok leur tournait le dos une cinquantaine de mètres devant eux, il faisait face à une horde de Rhinocornes, visiblement commandée par un gigantesque Rhinastoc au corps robuste mais couvert de cicatrices. La plupart des plaques orangées qui le protègent étaient fissurées, l’une avait même été arraché et gisait sur le sol irrégulier, vestige des combats passés et présents.

– Une guerre de territoire, chuchota Cornil. Les Rhinocornes vivent de beaucoup plus à l’est de la montagne mais depuis quelques années ils poussent pour étendre leur territoire jusqu’au abord du versant ouest. Ce n’est pas la première fois que je vois ce Rhinastoc, il entre souvent en conflit avec d’autres espèces.
Carchacrok semblait à bout de force, haletant, son corps réagissant au rythme de son souffle lourd gonflait et se contractait. La bataille qu’il avait vaillamment menée seul contre ses envahisseurs touchait à son terme. Bientôt il s’écroulerait sur ses terres dépossédées de leur protecteur et sur lesquelles ses ennemis pavaneraient triomphalement. Rhinastoc était décidé à lui porter le coup de grâce ; il souleva sa queue massive et planta le boulet dans le sol pour faire contrepoids, il brandit ses bras vers l’avant et un rocher fut propulsé vers Carchacrok. Dans un dernier élan guidé par le désespoir, il plongea, évitant le Roc-Boulet, et alla s’empaler sur Rhinastoc. L’attaque dévastatrice poursuivait toujours sa course vers la cache de Cornil et Tanguy. Ce dernier eut le reflexe salvateur de lancer l’attaque Protection de Magnézone qui s’interposa entre eux et le roc. L’impact provoqua une violente explosion qui souffla les alentours. Quand la fumée fut dissipée, deux Rhinocornes alertés de la présence des intrus chargèrent sur eux ; Magnézone était à terre et dans l’incapacité de réagir tandis que Cornil et Tanguy souffraient encore de l’onde de choc, évacuant en toussant les résidus de poussières qui avaient pénétré leurs poumons, ils n’avaient pas pris conscience de l’assaut. Alors que les Rhinocornes avaient parcouru la moitié de la distance les séparant, un mur de flamme se dressa entre eux, bloquant les assaillants pour quelques secondes au moins. Au même moment, une voix familière les somma de la rejoindre. En tournant la tête en direction de la voix, ils découvrirent le bras fumant d’un Maganon sur une hauteur et derrière lui, debout sur une corniche, cachant le soleil de son être, un homme que la crinière flamboyante rendait reconnaissable entre mille.

– Adrien, s’exclamèrent tous les deux !

Quoique déconcertés que chacun connaisse l’invité surprise, ils se hâtèrent de gagner une zone sûre où ils éclaircirent à la situation.

– Tu aurais pu me dire que j’allais trouver ton frère, se plaint Tanguy en reprenant son souffle.

Adrien ne semblait pas gêné de ce malencontreux oubli et tout sourire, il grattait nonchalamment l’arrière de sa tête, sa main engloutie dans sa tignasse d’un rouge vif – Tanguy ne connaissait que trop bien cette expression – il n’eut pour seule excuse que d’être sûr de le lui avoir mentionné.

– Mais plus important, regarde ce que j’ai trouvé.

Et Adrien tira de sa poche une petite boîte en bois d’où il sortit des poils qu’il tendit à son frère et son ami. Cornil en prit quelques uns dans sa main mais effectua un brusque mouvement de recul à leur contact et son visage dévoila une légère grimace.

– Aïe ! Ils sont bouillants !

– Ne me dis pas que …

Après toutes ses années de recherche à parcourir les terres du pays, à arpenter les sentiers sombres du Mont Couronné, à jouer les explorateurs sur des îles sauvages, à suivre la moindre piste aussi futile qu’elle fut, il touchait enfin, littéralement, son rêve du bout des doigts.

– Les Caninos, ils sont là !