C.34 : Le Reptincel, le Dracaufeu
Récapitulatif du dernier chapitre :
Débouchant dans un gigantesque désert, Aoi se retrouve piégé au bord d’un canyon infranchissable. Le combat doit alors s’engager ici, et Ayonis révèle à Aoi une véritable bombe : la Division Zéro compte détruire la familia Reshiram. Le Grenousse se rend alors compte qu’il doit à tout prix remonter. Dans le même temps Jiyana et Mistid sont sur le point de vaincre le Golem quand celui-ci libère sa véritable forme, Goliath, et détruit l’étage. Tous atterrissent au niveau vingt-et-un, mais l’adversaire est trop fort et les deux aventurières sont sur le point de mourir. Elles décident alors de briser leurs limites et le vainquent, au prix de leur santé.
***
~An x1834 après Arceus~
Détruis-le. Pourquoi te confierais-tu à lui ? Tu n’existes que pour répandre le chaos autour de toi.[i]
Cette voix féminine faisait écho dans la tête du Dracaufeu, désormais entouré d’une impressionnante spirale de feu et dont les yeux luisaient d’un rouge vif. A chaque seconde qui passait, son corps semblait s’emplir d’une rage lui faisant perdre la tête. La chaleur autour de lui déformait les rayons lumineux et sa magie faisait trembler l’air.
[i]Tu es Ayonis, ton devoir est de servir la Division Zéro et rien d’autre. Personne n’a de valeur à tes yeux.[i]
Les silhouettes floues apparaissant dans son esprit s’éloignaient petit à petit. Autour, tout était noir. La seule source de lumière provenait de ces formes qu’il ne pouvait représenter concrètement.
— Non, ne partez pas ! voulut crier le Reptincel.
Mais aucun son ne sortait de sa bouche, il était juste là, dans l’obscurité, incapable de prononcer le moindre mot. Il luttait autant qu’il le pouvait, mais c’était peine perdue, il ne pouvait rien faire. Des larmes coulaient de long de son visage, comme il ne pouvait plus se rappeler à quoi ressemblaient ces silhouettes mystérieuses. Il n’y avait plus que des formes floues dont il ne se souvenait pas, comme si un pan de sa pensée lui était inaccessible. Il était bloqué dans sa conscience et ne voyait rien autour de lui. Depuis combien de temps déjà ? Il ne savait plus qui il était.
— Arrête, tu n’as pas à faire tout ça ! Je convaincrai Jiyana de ne rien dire à personne, tu peux me croire !
Au loin, il entendait cette petite voix le supplier presque. [i]Qui est-ce ? se demanda-t-il. Je reconnais pourtant ce timbre particulier. Il m’est familier. Mais rien ne lui revenait, il n’arrivait pas à réfléchir. Devant lui, le Grenousse commençait à paniquer. Dans la gueule du Dracaufeu, un intense rayon de feu apparaissait. Comme aspirant la magie des spirales dansantes l’entourant, une puissante attaque se chargeait.
— Ayonis, arrête ! Il est encore temps, je suis sûr que Jiyana et Mistid te pardonneront ! Alors dis-moi quelque chose au moins !
Pourquoi devait-il arrêter ? Il ne faisait rien de mal, il ne faisait que fuir. Il ne s’arrêtait pas de courir, fuyant tout ce qu’il aimait. Ou en tout cas, tout ce qu’il croyait aimer. Mais ce n’était qu’un concept qu’il se répétait jour après jour, car il n’avait personne à aimer. Il ne pouvait que haïr. C’était tout ce dont il se souvenait, et il comptait bien s’y tenir. C’était une forme de voix intérieure qui lui parlait, similaire à un instinct animal. Cette fameuse voix féminine qu’il entendait régulièrement. Elle était si douce, mais si puissante qu’en voulant y résister il s’épuisait. Sa volonté disparaissait, et il tombait petit à petit.
— Je… Je suis… loyal…
Il tira alors son puissant rayon concentré vers Aoi. Sa taille était énorme toutefois, et les jambes de l’explorateur semblaient paralysées. Cette attaque était clairement un Lance Flammes, mais sa puissance démentielle n’avait rien à voir avec toutes les capacités qu’Ayonis ait pu utiliser auparavant. C’était impossible qu’il puisse contrer une telle charge au vu de sa puissance actuelle. Ne pouvant l’éviter, il se retrouva englouti par ce déluge infernal. Emporté, il fit apparaître des ressorts aqueux autour de ses bras pour compenser. A peine déclencha-t-il sa capacité que l’eau s’évapora. Alors il le réitéra sur le côté et s’échappa de l’attaque. Il roula dans le sable, tandis que sa peau brûlait encore. Qu’est-ce que le dragon tentait-il de dire ?
La chappe noire dans laquelle il se trouvait commençait à perdre son intégrité, des images distordues se bousculant. Beaucoup de fois, les silhouettes qui apparaissaient à ses yeux n’étaient que de vagues formes lumineuse, quand d’autres fois il pouvait clairement identifier les traits des individus. Deux femmes se matérialisèrent dans son esprit. Il pouvait les discerner clairement, voyait leurs contours parfaitement, et le temps sembla se figer. Pourquoi elles ? Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je peux les voir ?!
L’une d’elle lui inspirait la haine la plus profonde, et l’autre… une crainte imprononçable. Il baissa la tête, serrant les dents. Pourquoi ?Il releva le regard vers Lira, sa mâchoire contractée. Je dois te tuer… Sa conscience auparavant calme s’emplit de rouge. Il était pris d’une rage innommable en voyant le visage sombre de la Lockpin. Il faut que tu meures !! Et toi… gronda-t-il en se tournant vers l’autre créature. Et toi… De nouvelles larmes apparurent aux coins de ses yeux. Ce monde est si injuste… Après tous ces efforts, je ne peux toujours pas… Je ne suis pas assez fort pour toi… ! La douleur et la peur se mélangeaient en lui, son cœur se serrant plus que jamais. Mon cœur, couinait-il, il va exploser ! Il porta ses pattes à sa poitrine, tombant à genoux. La douleur était désormais insupportable. Pourquoi moi… ?! La créature mystérieuse ouvra la bouche et prononça quelques mots.
— Je suis loyal… à la Division Zéro… mais je les hais…
Une fine larme s’échappa de l’un des yeux du Dracaufeu. Une gouttelette presque invisible. Mais Aoi l’avait vue, et son regard ne pouvait se détacher du visage du dragon orange qui lui faisait face.
— Si tu les hais, pourquoi les protèges-tu ?! Pourquoi fais-tu ça, Ayonis ?! s’écria le Grenousse.
— Je vais… te tuer… ! résonna sa voix.
Je vais tous vous tuer… ! gémit le Reptincel. Ainsi… je ne pourrais plus… vous haïr… ! Son corps le faisait atrocement souffrir, et les deux représentations féminines disparurent peu à peu. Il ne restait plus que lui, seul dans le noir. La douleur dans son cœur ne s’estompait pas, lui arrachant de violents cris. Dans le monde réel, le Dracaufeu poussa un hurlement de rage et fit apparaître autour de ses griffes deux larges boules de feu, attirant la magie autour d’elles. Elles prirent peu à peu la forme de larges perceuses tournoyant à toute vitesse. Cette fois, il ne rigole plus, songea Aoi. S’il voulait survivre il devrait tout donner.
Après tout, il avait bien une chance. Une forme alternative de son Hydro Poing qu’il imaginait. C’était une technique provenant du fruit de son imagination qui n’avait que très peu de chance de marcher, mais face à une telle mobilisation de puissance chez son adversaire il n’avait guère le choix. Il activa alors sa magie de renforcement, faisant apparaître des bulles d’eau autour de lui. Au moins son entraînement lui avait permis d’améliorer ses réserves, aussi pouvait-il mobiliser une plus grande quantité de magie. C’était nécessaire, car une telle compétence requérait d’énormes capacités.
Les bulles formèrent un premier ressort autour de chaque bras du Pokémon. De la mousse apparut alors le long de ceux-ci, et un deuxième ressort se forma, lié au premier grâce à l’écume. Au niveau de ses jambes l’eau s’accumula en une nouvelle paire de ressorts. Enfin deux anneaux entourèrent les poings du Grenousse. Je n’ai pas de nom pour celle-ci… Si ça fonctionne… je lui en donnerai un ! Tous ses muscles étaient tendus, comme il mit toute sa force pour compresser les structures élastiques matérialisées. Il était à cet instant au summum de sa puissance, un souffle froid l’entourant. Il ne pourrait pas réitérer l’opération, alors il avait intérêt à l’achever sur ce coup.
— Ayonis… Je suis un explorateur, alors je dois te sauver ! Et je te ramènerai là-haut pour que tu affrontes tout le monde ! Tu ne peux pas t’échapper plus longtemps ! s’exclama-t-il.
Les deux bondirent alors de leur position à toute vitesse à la rencontre l’un de l’autre. Bien que ce fut très court, les instants juste avant leur collision semblèrent durer une éternité à Aoi. Il le sauverait. Quelque chose se trouvait en lui, c’était ça. Il allait le retrouver et le ramener à la raison avant qu’il ne soit trop tard. C’est pour ça que je suis devenu explorateur ! Si je sauve Jiyana, alors je le sauverai également ! C’est mon devoir !
Leurs deux attaques s’entrechoquèrent violemment, soulevant le sable autour d’eux dans une véritable tornade. Au contact des foreuses du Dracaufeu, il relâcha la pression contenue dans ses ressorts et l’anneau explosa. L’onde de choc fut surpuissante, soufflant tout autour d’eux. Une colonne d’air comprimé s’échappa derrière Ayonis, qui le coupa par endroits. Son attaque avait fonctionné : la puissance était telle que son adversaire se retrouva projeté dans les airs. Mais alors qu’il se réjouissait, il vit que les perceuses de celui-ci se trouvaient toujours juste devant lui. Ses yeux s’écarquillèrent quand il les vit s’illuminer intensément avant d’exploser.
La déflagration devait bien faire une quinzaine de mètres de diamètre, détruisant presque le corps du Grenousse ainsi que tout ce qui se trouvait autour en un hémisphère surchauffé. Fumant, il chuta lourdement dans le sable. Tout son être le faisait souffrir, hormis son bras déjà blessé. Il le regarda et vit qu’il était totalement brûlé. Il tenta de serrer son poing, mais ses doigts ne bougèrent qu’à peine. Horrifié, il comprit que ses connexions nerveuses avaient presque toutes sautées. Non loin, le général de la Division Zéro l’attendait dans les airs. Il tremblait littéralement de colère, et ses ailes de feu étaient toujours plus grandes. Sur son corps coulait du sang, par endroits. Aoi se releva, la vue troublée et peinant à se tenir droit.
Que pouvait-il faire maintenant ? Il avait utilisé tout ce qu’il avait dans cette ultime attaque, il ne pouvait plus faire mieux ! C’est pas vrai… ça ne peut pas se finir comme ça !
Le Dracaufeu se rapprocha doucement, projetant des braises à chaque battement d’ailes. Pourquoi la douleur dans sa poitrine ne voulait-elle pas disparaître ? Seul dans le monde sombre, le Reptincel sentit ses membres s’ankyloser, immobile et allongé par terre. Pourquoi n’ai-je jamais ressenti cela avant ? Et pourquoi est-ce aussi fort ? C’était comme s’il sentait son cœur pour la première fois depuis bien longtemps. Comme si son passé le rattrapait soudainement, l’écrasant de tout son poids. Mais quel passé ? Chaque nouvelle journée en effaçait une précédente, c’était comme avancer à tâtons pour lui. Pourquoi ne puis-je pas me rappeler d’avant ? Qui suis-je vraiment… ?! D’autres larmes coulèrent le long des joues du Dracaufeu, toujours dans les airs. Aoi retrouvant ses sens, il pouvait les discerner. Que se passait-il chez cet individu pour être tant déchiré ?
Et puis une mémoire en effaçant une autre, un fragment de son passé s’en alla. Ce qu’il voyait changea. Une vive lumière blanche enroba alors son corps, et il se retrouva pris d’un sentiment de froid. Non… Pas ça… L’éclat nacré s’accentua, et peu à peu son enveloppe charnelle sembla changer. Deux appendices lui poussèrent dans le dos, son crâne se remodela, et il grossit. Non… Le Reptincel évolua alors en Dracaufeu, et la douleur s’arrêta. Il se releva, et autour de lui le décor noir disparut dans les flammes. Il n’y eut alors plus rien d’autre que de la colère.
— Meurs ! Meurs ! Meurs !! hurla-t-il à l’adresse de l’explorateur.
— Ayonis, je t’en supplie arrête ! Il n’est pas trop tard !
Le dragon battit violemment des ailes, projetant un souffle brûlant vers lui. La bourrasque l’envoya dans les airs et très vite il se rendit compte qu’il tombait dans le canyon. C’est fini… Bon sang… ! jura-t-il intérieurement. Face au ciel, il vit que l’autre préparait une nouvelle fois ses doubles foreuses, et lorsqu’elles furent chargées, il plongea en piqué dans la direction d’Aoi. Est-ce que c’est ici que s’arrête l’aventure ? Mon sauvetage, ma vie d’explorateur, la V-Team ? Il songea alors à Roscoe et Victini, qui l’attendaient en haut. Lui qui rêvait d’un jour où il pourrait remonter victorieux et les retrouver réalisait désormais que ce moment n’arriverait pas. Il aurait tant aimé rendre sa guilde connue, sauver des gens en détresse partout dans le monde, mais ne pouvait désormais plus rien y faire.
Il devait se satisfaire de cette idée. Il regarda alors sa petite sacoche, où était brodé un œuf ailé, avec un petit V gravé à l’intérieur. Le feu et l’usure l’avaient rendu presque indiscernable, mais le Grenousse connaissait ce blason par cœur. Au moins, il avait été épargné par les trous. Si un jour on le retrouvait, peut-être pourrait-on faire le lien avec la V-Team. Quelque chose bougeait dans le sac, balloté par le vent. C’était la pierre d’âme du mini-boss. L’adrénaline monta alors dans les veines du Pokémon. Ces pierres n’étaient-elles pas exploités pour la magie qu’elles contenaient ? Et si… Et s’il l’aspirait ? Il s’agissait d’un type Electrique, alors c’était parfait contre le Dracaufeu de type Vol et Feu ! Je dois essayer !
Il attrapa la gemme et la saisit de son bras valide, qu’il entoura d’une couche d’eau. Il entreprit alors de la serrer le plus fort possible, mobilisant tout ce qu’il lui restait, tandis que l’autre fendait l’air dans sa direction. Ce n’était qu’une question de secondes avant qu’il ne l’atteigne, désormais. Finalement la pierre se brisa en de minuscules fragments, et une douleur sourde parcourut le bras d’Aoi. Tout son corps fut pris d’un long déchirement, mais il se sentit regagner en énergie. Cela ne voulait dire qu’une seule chose : il venait d’absorber la magie du serpent. Il arma alors son poing, et trois anneaux concentriques reliés entre eux apparurent. Un courant électrique traversa alors l’eau contenue et ceux-ci s’emplirent soudainement de merveilleux éclairs jaunes et verts.
— Je n’ai plus le choix, Ayonis… Il est temps de te sortir de ton cauchemar !
— Je n’ai pas besoin d’aide ! aboya le type Feu. Je n’ai besoin de personne ! Je suis Ayonis, j’appartiens à la Division Zéro et je suis le plus fort !
Son esprit ne répétait plus que ça en boucle, sa conscience entière avait brûlée désormais. Il ne vivait plus que pour détruire jusqu’aux cendres la petite créature devant lui.
— Tu te trompes ! Même moi je peux voir que tu souffres !
Le Dracaufeu lui tomba dessus, lui assénant alors ses deux foreuses de feu.
— Hydra-shok foudroyant !!
L’attaque perforante le heurta, brûlant et déchirant sa peau dans une fumée épaisse. Résistant, il lui asséna alors un terrible uppercut, le heurtant directement au torse. Les trois anneaux condensés se relâchèrent, faisant apparaître un énorme éclair qui transperça l’aventurier, illuminant le canyon dans son intégralité. Le choc fut tel que son cœur se retrouva désintégré, le laissant avec un trou dans la poitrine. Du sang s’échappa de sa gueule, comme son visage semblait figé.
— Je ne… mourrai pas… ! cracha Ayonis. Je suis… le plus fort… !
Un flash le traversa alors et il écarquilla les yeux. Le Dracaufeu se trouvait seul, dans le noir. Pourquoi… suis-je à nouveau ici ? Il observa son corps, ce n’était plus un Reptincel. Il se retourna, et béat devant la silhouette face à lui, tomba à genoux.
Les yeux du dragon abondaient de larmes. Il pouvait enfin la revoir. Depuis combien de temps, maintenant ? Cela faisait si longtemps qu’il ne l’avait pas vue, et elle était si belle. La seule qu’il ait aimé, elle se tenait devant lui. Toutes ses mémoires lui revinrent petit à petit, du moment où il la rencontra, en passant par leurs moments passés ensemble et la fuite d’Akhamsca, jusqu’au temps présent. Tout le malheur qu’il avait causé, désormais, il le sentait. Mais surtout il pouvait enfin voir le visage de son seul amour. A ses côté apparut une Misdybule et là encore, les mémoires lui revinrent. Tout, jusqu’au moment où il la laissa mortellement blessée. Enfin il pouvait de nouveau voir les seules personnes qu’il considérait comme sa famille. Les seules qui ne l’aient jamais laissé tomber, qu’importe l’adversité. Si seulement il n’avait pas perdu la tête. Si seulement… Si seulement il n’avait jamais voulu intégrer la Division Zéro, ils seraient tous les trois heureux.
— Je suis… désolé… lâcha Ayonis dans un filet de sang.
Aoi aussi eut envie de pleurer à cet instant. Un sourire naquit sur son visage. La capacité du Dracaufeu explosa à nouveau en une déflagration qui souffla les nuages autour, les englobant tous deux dans une sphère magique incandescente.