C.29 : Faire surgir le passé
Récapitulatif du dernier chapitre :
Cela fait déjà deux semaines qu’Aoi a disparu, personne n’est en mesure de le localiser. La V-Team se voit finalement contrainte d’accepter la dure réalité : il est probablement mort en tentant d’abattre le Golem de Cristal. Roscoe décide alors de partir à la capitale, Revierre, afin de surmonter ses peurs et devenir plus fort. Quel est cependant ce sentiment désagréable qui le saisit ?
***
~An x1834 après Arceus~
Au plus profond de l’épaisse jungle du niveau dix-neuf, Aoi et Mistid bondissaient de branche en branche à toute vitesse, pourchassés par un monstre. Il s’agissait d’un monstre rare, un large tigre blanc recouvert de zébrures rouges. La bête semblait manier autant le type Electrique que le type Feu et représentait donc un véritable danger naturel pour les deux Pokémon.
— Aoi ! s’exclama la Mysdibule. Séparons-nous en gardant une distance de cinquante mètres entre nous ! On doit être en mesure de le prendre en tenaille.
— Très bien, je m’occupe de l’attirer ! répondit-il.
Se retournant en plein vol, il tira un Pistolet à Eau sur son adversaire. La capacité eut comme effet de provoquer l’énorme prédateur, qui rugit à la suite du Grenousse. Très bien, pensa ce dernier, pendant ce temps Mistid va pouvoir l’attaquer ! Jetant un œil à sa droite, il aperçut la silhouette de la petite créature se balancer de branche en branche à toute vitesse. Le prenant par surprise, le tigre chargea son pelage en énergie électrique et tira un éclair en direction de l’explorateur. D’une Vive-attaque il put l’éviter, et profitant de cet instant de doute, Mistid bondit sur lui, et utilisa une toute nouvelle capacité qu’elle avait créé. Aoi ne pouvait s’empêcher d’éprouver un peu de jalousie, son Hydro Poing faisait encore pâle figure à côté d’elle.
Elle utilisa Vent Féerique autour de sa mâchoire, et l’instant d’après le chargea en magie de renforcement métallique. La balançant alors en direction du monstre, une véritable tornade argentée aux éclats rosés s’échappa.
— Tempête de Fer ! lâcha-t-elle.
La créature subit le coup au flanc, et la pression de l’air le fit s’envoler. Il retomba quelques mètres plus loin et heurta le sol avec fracas, avant d’exploser en fumée. La Mysdibule se rapprocha du batracien, quelques gouttes de sueur perlant sur son front.
— Cet enfoiré nous aura donné du fil à retordre, soupira-t-elle.
— Par rapport au Golem, comment situerais-tu sa force ? s’enquit Aoi
Elle prit quelques secondes pour réfléchir, se remémorant son combat passé. A vrai dire, c’était difficile à comparer. L’un des deux existait pour protéger l’accès aux niveaux inférieurs, tandis que l’autre n’était qu’un prédateur dans cet étage. A partir de là, déjà, ils ne pouvaient pas jouer dans la même cour.
— Le boss sera toujours plus fort… On peut se rapprocher de sa puissance autant qu’on veut, il est impossible qu’un monstre atteigne son niveau.
— J’espère que nous sommes à la hauteur… murmura le Grenousse.
— On aura qu’une seule façon de le voir, mais il nous reste encore du temps avant de devoir descendre l’affronter. Tant que nos capacités ne sont pas suffisamment développées, attendons.
L’explorateur hocha la tête, approuvant cette décision. Ils poursuivirent leur séance de chasse jusqu’à tard le soir, puis revinrent finalement dans leur petite grotte. Du mieux qu’ils purent ils allumèrent un feu dans l’entrée et s’assirent autour. Les yeux d’Aoi étaient plongés dans les braises crépitantes, quand il se souvint soudainement d’un détail.
— J’aimerais que tu me racontes votre histoire, dit-il en se tournant vers Mistid. Tu ne m’as toujours rien dit…
L’autre le regarda, puis tourna la tête, visiblement hésitante. Elle n’avait rien à cacher, mais elle ressentait toujours une sorte de gêne quand il s’agissait de revenir sur le passé. Après tout, c’était justement pour ne plus avoir à exposer le passé qu’ils étaient devenus aventuriers. Qu’importe, elle avait un risque de mourir face à leurs futurs adversaires, alors autant expliquer au Grenousse ce qu’il voulait savoir pour ne plus avoir à en reparler après.
— Comme je t’ai déjà dit, Jiyana, Ayonis et moi avons un passé commun. Nous sommes amis depuis notre enfance et nous avons décidé ensemble de devenirs aventuriers.
De l’autre côté du feu, Aoi était plus concentré que jamais, gobant chaque mot qu’elle prononçait. Elle l’avait remarqué et cela la rendait nerveuse, mais ce n’était qu’un détail. Elle poursuivit donc son récit le restant de la soirée.
— Nous provenons tous les trois d’un endroit nommé Akhamsca, c’est une île au nord de notre pays qui est administrée par une famille royale.
Elle semblait hésiter, cette histoire étant liée à beaucoup de mémoires lui enserrant visiblement le cœur. Elle soupira finalement, et se résigna à poursuivre.
— A la base, Ayonis était le prince royal. Il devait se marier avec Jiyana, une princesse noble. Le mariage avait été arrangé avant leur naissance, mais en fin de compte ils se sont bien trouvés.
— C’est pour ça que tu répètes sans cesse qu’ils sont en couple ! s’exclama l’explorateur, fier de sa découverte.
— Exact. Quant à moi, j’étais une servante appartenant à la famille de Jiyana. C’était la seule à ne pas me traiter comme une simple esclave et à me voir comme une vraie personne à part entière. A vrai dire… c’est la seule du château que je pouvais appeler « amie ».
Cette fois, le batracien resta silencieux. Une servante. Il avait déjà vu des domestiques dans les grandes demeures, notamment dans le palais Reshiram, mais elle venait de mentionner le mot « esclave ».
— J’ai connu la Roussil alors qu’elle n’était encore qu’une Feunnec, et à une époque où Ayonis était juste un Reptincel.
— A-t-il… A-t-il toujours été ainsi ? osa le Grenousse.
— Non… A l’origine c’était un garçon gentil, avec un fort caractère, mais jamais violent. En présence de Jiyana, il devenait tout le temps gêné, dit-elle en souriant. Nous avons passé de très bons moments que je chéris encore, tous les trois…
Mais ses yeux étaient tristes, preuve que quelque chose s’était passé. C’était obligé, après tout, car de ce qu’avait pu voir Aoi, il ne s’agissait pas d’une personne gentille, bien au contraire. Alors pourquoi semblait-il désormais aveuglé par une colère constante ?
— Que lui-est-il arrivé, alors ?
— Aucune de nous deux ne le sait. Du jour au lendemain, son caractère a changé. C’est arrivé le moment où il a évolué, mais nous ne serions pas capables d’expliquer ce changement si soudain.
De timides larmes apparurent aux coins de ses yeux, signe que raconter cette histoire était difficile pour elle.
— Je ne comprends pas… sanglotait-elle presque. Nous étions si proches de notre rêve de liberté, et tout d’un coup notre idéal s’est effondré.
— Vous… Vous êtes pourtant tous trois devenus des aventuriers !
— C’est vrai, mais le lien indéfectible qui nous unissait disparaissait jour après jour. Plus le temps passait et plus il devenait cette brute épaisse remplie de rage qu’il est aujourd’hui. Jiyana est très forte, elle a pris sur elle tout ce temps. Elle l’aime vraiment, elle n’a jamais voulu le laisser. Elle répétait souvent que les garçons jouent les gros durs, mais qu’eux-aussi ont besoin de tendresse.
— Mais alors… sont-ils mariés ?
Mistid secoua la tête.
— Nous sommes partis le jour-même du mariage. Je te raconterais bien tout ça, mais c’est une histoire très longue et je n’ai pas envie de faire remonter tous ces souvenirs. C’est beau, mais c’est du passé. De toute manière, à la fin de cette aventure, certains d’entre nous seront morts. Qu’il s’agisse de toi, moi, Jiyana ou Ayonis, tout le monde ne remontera pas en vie à la surface. Les temps changent, nous ne pouvons que suivre les évènements de notre vie et espérer que tout aille au mieux. Une fois au moins.
Elle se coucha et se retourna subitement, comme masquant ses larmes. Effectivement, Aoi l’entendit sangloter en silence. Il n’était pas d’accord, c’était justement pour changer le cours des évènements qu’il était descendu ici. Il serra les poings de frustration, les yeux perdus dans les flammes devant-lui. En tout cas, il espérait que c’était vrai et qu’il avait la possibilité de changer les choses. Il jeta un regard en direction de Mistid, non loin. Cette histoire semblait renfermer quelque chose de triste. Quelque chose dans la tête du redoutable Dracaufeu qu’il n’était pas en mesure de cerner. Perdu, il se coucha à son tour et s’endormit quelques minutes plus tard.
***
Deux étages plus bas, Jiyana était encore en vie avec Ayonis. La nuit était tombée, ainsi leur entraînement régulier était mis en pause. Son corps était couvert de coupures et de brûlures, et son pelage mettait du temps à repousser. Le jour où son geôlier l’avait informé de la présence de son amie dans le Donjon, elle avait espéré ne pas la voir descendre ici. Mais il lui avait bien répété, plusieurs fois, qu’elle s’était faite tuer face au Golem et qu’il ne restait rien d’elle.
Au fond, elle ne savait pas si elle aurait préféré la voir descendre le long escalier de pierre où non. Désormais il n’y avait plus de chance qu’elle vienne, alors il fallait se résigner. Elle avait amélioré sa maîtrise du type Feu depuis les dernières semaines, mais c’était loin d’être suffisant pour espérer égaler le Dracaufeu. Allongée dans l’herbe, elle se releva et jeta un coup d’œil en sa direction. Il était seul, assis sur un rocher une vingtaine de mètres plus loin à lui tourner le dos. A quoi peut-il bien penser ? Il est tout le temps comme ça, froid et distant. Depuis…
Elle se décida à se lever et se mit à marcher dans sa direction. Entendant ses pas, il tourna légèrement la tête dans sa direction, mais ne daigna pas lui adresser le moindre regard. Il s’efforçait de nous supporter au début, mais il semble ne plus daigner faire le moindre effort, désormais. Pourquoi ?
— Si tu as de l’énergie pour te tenir droite, alors c’est que l’entraînement de toute à l’heure n’a pas suffi, gronda-t-il de sa voix grave.
L’entraînement n’était qu’un prétexte pour se défouler. Il semblait attendre cela depuis si longtemps, songea Jiyana. Pour une certaine raison, il a besoin de nous faire souffrir, Mistid et moi.
— Ayonis, je suis là si tu as besoin de quelque chose, je suis là… murmura-t-elle.
En guise de réponse, une bourrasque enflammée la projeta au sol.
— Je n’ai… besoin… de personne, articula-t-il. Tu n’es que ma prisonnière, rien de plus. Contente-toi de souffrir en silence et ne viens pas me faire la morale… !
Elle se releva, bien que sonnée par l’attaque du Dracaufeu. Comme elle s’y attendait, il était fermé à toute discussion le concernant. Quel qu’en soit le sujet, à vrai dire, il refusait catégoriquement de parler à la Roussil. Elle n’était là que pour le permettre de se défouler. Si au moins de cette manière il pouvait se calmer, elle était prête à assumer ce rôle. Elle leva les yeux vers lui. [i]Personne d’autre que moi n’accepterait de s’en occuper… Je suis prête à rester aussi longtemps qu’il le faudra, alors.
— Ayonis… murmura-t-elle. Pourquoi es-tu prêt à rester aussi longtemps enfermé ici ? Ne veux tu pas reprendre ta vie normale ?
Il resta longuement le regard perdu dans le vide, son visage toujours aussi sévère. Silencieux, il semblait contempler le calme de l’instant, bien loin de son agitation qui le caractérisait si bien. Pourtant, c’était rare que ses réponses ne soient pas empreintes d’une rage intense.
— Non. Ma vie est fausse.
Ces mots eurent l’effet d’un coup de massue pour la renarde, qui les entendait pour la première fois. Il n’y avait qu’une certaine colère qui le trahissait, rien d’autre. Mais que voulait-il dire ? Comment discerner le vrai du faux, dis-moi… Car moi-même je ne le sais pas…
— Je resterai aussi longtemps que tu le voudras, Ayonis. Je ne te laisserai pas seul.
— Cesse de me parler, tu m’ennuies. Hors de ma vue, insecte.
Il battit une nouvelle fois des ailes, projetant un souffle brûlant qui emporta la légère Roussil. Elle s’écrasa dans la terre, et ne bougea plus. Ainsi, il ne restait plus que ça du Ayonis qu’elle aimait ? Pourquoi après tout ce temps, il ne pouvait être bon et gentil ? Pourquoi ? Tu n’appartiens pas à ce côté, tu n’es pas un homme de l’ombre…