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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 07/07/2021 à 08:44
» Dernière mise à jour le 07/07/2021 à 08:44

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 39 : Aucun être
« Tiens, un nabot, cracha Aixed. Déçu qu’on t’ait raccourci d’une poignée de kètres, j’imagine ? »

L’être de roche fixa le faisceau de ses yeux sur elle à travers la poussière, et Onis comprit que c’était une diversion. Il recula en souplesse, sans quitter la chose des yeux. Aixed n’avait pas tort : comparé à la masse immense de la montagne, cette version réduite aux facettes striées d’éraflures faisait pâle figure. Il s’en dégageait tout de même une impression menaçante de solidité et ces maigres dommages devaient avoir été provoqués par l’explosion de dynamite. Peu rassurant.

En atteignant l’endroit où Gorbak gisait au sol, Onis osa poser les yeux sur lui. Il respirait difficilement, mais s’en remettrait peut-être. L’Apprenti posa une main sur son épée, et fit de son mieux pour lui fournir une direction, une distance, espérant que cela lui suffirait pour une Hantise. Un endroit où trouver du sable, où Gorbak serait en sécurité. Il n’y resta pas longtemps : à peine leur maître hors de danger, il y revint par le même chemin vers le chaos rocheux où il avait laissé Aixed et le Titan.

Aucun des deux n’avaient bougé — pas plus que les Démons qui n’attaqueraient pas sans l’autorisation du chef de meute. Aixed, visiblement. En revanche, Onis trouva un son se fanant à son arrivée. Sans importance.

« Oui, c’est ça, ricana l’Apprentie. En attendant une tête de plus ne te ferait pas de mal, hein ?

— Nous verrons… »

La voix, rauque et grave, semblait sortir de nulle part. Une voix ancienne, inhumaine. La voix du Titan, résonnant longuement sur chaque pierre.

« T’inquiètes pas qu’on va se faire un plaisir de te raccourcir.

— Pauvre folle… Aucun être… si patient soit-il… ne peut vaincre un immortel.

— J’ai rien de patient ! »

Onis crut que ce seraient ses derniers mots en la voyant se précipiter sur le monstre de roche et lui asséner un coup d’épée dans l’épaule, donnant le signal de la curée pour les Démons.

Pourquoi était-il surpris, au juste ?

***
« Je ferais mieux de foutre le camp, marmonna Margar. Tout ça appartient à quelqu’un d’autre. »

Parler à voix haute était le meilleur moyen que quelque chose l’entende, mais ça la concernait aussi elle. Enfin, elle allait peut-être arrêter quand même, vu qu’elle n’arrivait pas à se convaincre ou à s’ordonner de faire demi-tour.

« Et ils pourraient ranger leur bazar. »

Les rochers éparpillés sur le désert formaient des structures anarchiques, où le sable affleurait parfois encore et où de larges masses de roche s’élevaient en tas brouillons vers le ciel. La progression de la scientiste était difficile (sans parler de respirer), mais elle avait cru reconnaître un éclat d’Acier, dans les derniers instants de la chute de la montagne. Juste avant qu’une volée de pierre d’une modeste douzaine de mètres de large ne roule à trois pas d’elle.

« Bouge pas de là, hein Sòrkat ? maugréa-t-elle à cette pensée. T’aurais pu me prévenir, salaud. »

Mais visiblement, l’oracile avait deviné ce qui arriverait — et tant pis pour la façon dont il l’avait fait. La scientiste s’occuperait de ça et de ses doutes une autre fois, par exemple quand elle aurait le temps de faire une introspection sans risquer de mourir à chaque pas. En attendant…

Elle sourit, en le découvrant au détour d’un amas de pierre.

« Je savais bien que tu m’avais fait signe, toi, déclara-t-elle à l’engin hideux. On va faire un dernier essai, et si jamais quelqu’un vient se plaindre qu’ils ont reçu un boulet dans la tête, ça sera la faute de Sòrkat. Hé ! Ses paramètres, sa responsabilité. »

Le canon était à moitié coincé dans une crevasse. Mais ce ne serait pas bien difficile de le relever, et elle avait ramassé un obus sur son chemin.

Une fois qu’elle l’aurait tiré, elle se considérerait comme libre de toute promesse faite à l’oracile (car ceci en était une, implicite mais évidente) et surtout quitte de toute dette éventuelle pour sa vie, justifiée ou non. Ce qui ne serait pas plus mal. Pour être honnête avec elle-même, Margar ne se souciait absolument pas de ce qu’il pourrait bien y avoir sous l’obus quand il tomberait. Plus vite elle pourrait disparaître et mieux ce serait.

***
Aixed aurait eu du mal à dire qui cette situation désavantageait le plus et elle ne s’en souciait pas le moins du monde. La seule chose intelligente à faire était d’attendre, si possible sans mourir, et de sauter sur son épée à la première occasion ; le tout en restant en mouvement. Hors de question d’offrir une cible trop facile, voile de poussière ou pas.

Le Titan se lassa rapidement de ce jeu idiot et décida qu’intimider le Démon passé dans son dos était plus important que de conserver l’épée plantée dans son épaule et dont le panache se convulsait de douleur. La Lame de Roc qu’il avait armée fit exploser le sol derrière lui, accompagnée d’un grondement de tonnerre : le Démon de Gorbak avait très bien vu venir le coup et avait déclenché son Séisme en guise de protection. Ignorant les fragments de pierre broyée qu’il envoyait voler autour de lui, Aixed bondit sur le Titan.

Son poing la cueillit en plein vol comme prévu : sur une trajectoire proche de la sienne et avec l’inconfort de ne pas pouvoir baisser l’épaule, car cela aurait relâché l’épée. Aussi malgré la vitesse et la violence du coup, l’Apprentie s’accrocha-t-elle sans broncher au large bras. Elle n’eut qu’à lancer son bras vers le haut — de son point de vue en tout cas, vu qu’elle était à peu près à l’horizontale — pour attraper le manche de son épée, et une contorsion brutale lui permit d’envoyer son pied dans la tête de son adversaire pour bénéficier d’un point d’appui.

La manœuvre la projeta violemment face contre terre derrière son adversaire, mais c’était gagné et l’épée émit une chaleur soulagée dans sa main. Elle se releva tant bien que mal, profitant d’être hors de portée des bras du Titan et de la poignée de gondes dont il aurait besoin pour armer une nouvelle Lame de Roc pour souffler un peu et prendre la mesure de la situation.

Cette fois-ci, le Démon de Gorbak ne garderait aucune séquelle du torrent qu’il venait de traverser, même s’il valait mieux éviter qu’il en encaisse trop. Il suffisait qu’un seul le prenne par surprise et il serait salement amoché : ces Lames de Roc avaient près de trois fois la puissance de celles de l’Enarmuré qui lui avait infligé la dernière…

Le reste était statique. Onis et son Démon agaçaient le Titan de face, évitant sans peine ses lourds poings de pierre. Il pouvait les bouger à une vitesse choquante, mais à condition de garder les deux pieds au sol : le moindre déplacement ravageait son équilibre et le privait de toute force. À moins bien sûr qu’il ne cherche à les prendre par surprise, à les convaincre d’attaquer pendant qu’il baissait sa garde… Eh bien ce n’était pas près d’arriver, se promit Aixed en le contournant à petites foulées. Cette chose avait tué leur maître : la haine leur affûterait l’esprit et les guiderait au travers de la tempête de pierre qu’ils affrontaient.

Ce n’était pas un enseignement de Gorbak, mais de la Forteresse, des conflits entre novices. La valeur de la haine et de la colère… Il n’aurait sans doute pas approuvé, mais tant pis.

En arrivant devant le Titan, Aixed remarqua quelque chose qui la contraria beaucoup. L’épée qu’elle avait abattu dans son épaule moins d’une nute plus tôt avait à peine laissé un sillon dans la roche ocre, entre la masse conique de l’épaule et la tête aux yeux garance. Pas assez brutal.

« À ce rythme, il va nous épuiser ! pesta-t-elle à travers le pan de tissu couvrant sa bouche.

— T’as une meilleure idée ? répliqua Onis en sautant par-dessus un coup de poing voulant faucher ses jambes.

— Non, alors je vais l’occuper pendant que tu cherches un truc idiot à lui faire !

— Merci beaucoup, j’apprécie cette touchante attention ! »

Par moments, Onis aussi semblait apprécier un peu d’ironie pour contenir sa colère.

Aixed le remplaça comme promis, avec une question bien précise en tête. Un coup d’estoc, à l’épée, pouvait-il avoir la force de percer ces orbes orange qui gardaient un œil partout ? Le bond qu’elle tenta à la première occasion manquait de préparation — elle parvint à donner le coup d’épée, mais à côté. Quant au voyage retour, il sembla bien s’amorcer puisqu’elle parvint à atterrir des deux pieds sur la tête du Titan et à repartir aussitôt d’une détente de la jambe. Un poing par-dessus lequel elle était passée moins d’une gonde plutôt réussit à la frôler au prix d’un demi-tour violent, et ce fut suffisant pour la dévier et s’envoyer s’écraser au sol.

Encore une fois. Maudit tas de gravats et sa force absurde.

« Des bleus ! cracha-t-elle en se relevant. J’ai déjà battu un Bossu qui faisait mieux que toi, nabot ! »

Le Titan ne lui prêta pas la moindre attention, occupé à tenir en respect le Démon d’Aixed qui dansait autour de son autre bras. L’Apprentie savait que cette diversion en la protégerait pas contre un uppercut si elle tentait à nouveau ce saut à la tête, alors elle resta à distance moyenne, stabilisant autant que possible son souffle court. Guettant l’occasion d’attaquer.

L’occasion prit la forme d’une Balle d’Ombre projetée par l’épée d’Onis. Une épée aussi novice qu’eux tous, et pourtant cette faible attaque bouscula le Titan, le forçant à pivoter son bassin d’un rien. C’était la première attaque depuis le début de ce combat qu’il semblait subir physiquement.

Bien sûr, au moment où Aixed nota cette faiblesse possible, elle était déjà à mi-chemin de la tête du Titan, armant son coup en évitant comme elle pouvait de penser aux détails tactiques.

La pointe de l’épée ricocha contre l’œil central avec un cri spectral, silencieux, un hurlement de défi que seule Aixed entendit. Puis l’important fut de transformer un appui sur la tête de pierre en ce qui ressemblait à un pas pour atterrir disgracieusement dans le dos du Titan, manœuvre au bout de laquelle Aixed lâcha une bordée de jurons en sentant ses genoux la sermonner sur l’utilisation qu’elle faisait d’eux.

Ce qui lui fit pratiquement manquer le grondement sourd annonçant qu’une Lame de Roc venait d’être déclenchée.

L’Apprentie piqua un sprint sur le côté pour tenter d’éviter l’attaque, insulta spontanément le dieu du sable en sentant un pieux de pierre glisser contre sa cheville dès le deuxième pas et manqua de s’infliger un point de côté en se contorsionnant pour atterrir sur une épaule. Le temps de se replacer sur le dos en voulant s’éloigner en rampant le plus vite possible en arrière, et elle voyait la masse rouge sang du ventre du Démon d’Onis qui se jeter au sol devant elle et lancer un Séisme sur la bordure de l’attaque. De quoi la faire survivre à la Lame de Roc avec une collection remarquable d’hématomes ; pas de bleus, ce coup-ci. Plus une estafilade sur la cheville et ce qui ressemblait à un doigt cassé à la main gauche — elle avait cessé de prêter attention à la douleur depuis trop longtemps pour se soucier de ça.

La Lame de Roc passée, elle comme les dragons avaient à nouveau une ouverture : elle pour remettre de l’ordre dans ses idées, les Démons de Gorbak et Onis pour se ruer sur le Titan et lui imposer un Séisme commun.

Elle aurait juré que le second boulet noir tiré par l’épée d’Onis l’avait frôlée — il faussa légèrement l’alignement de la jambe gauche du Titan, décalant de force son poids dessus. Cela semblait expliquer le claquement sec et fracassant qui retentit pendant l’attaque des Démons ; alors elle reprit le rythme de combat et courut à petites foulées pour faire face au Titan.

« On oublie l’épaule et on vise la jambe !

— J’avais deviné, abruti ! »

Ce que l’Apprenti ne releva pas. En effet, une fissure craquelait maintenant le boulet supérieur de la jambe gauche du Titan ; ce serait une cible plus difficile que l’épaule, mais Aixed sourit agressivement. Depuis le début, ce combat mettait à l’épreuve l’entraînement de plusieurs années qu’ils avaient vécu à la Forteresse, peut-être plus qu’aucun autre ne le ferait. Affronter des monstres du désert était une chose, affronter cette entité-ci en était une autre…

« Votre combat est vain. »

De la voix lente de l’être de pierre, cela ressemblait à une exclamation, que personne ne prit la peine de relever : au contraire, cet avertissement les encouragea à s’accrocher. S’il voulait les éloigner par des mots, c’était qu’ils avaient leurs chances.

Puis le moment de flottement fut dissipé par les craquements âpres marquant la présence d’une nouvelle Lame de Roc dans le sous-sol, préparée à partir des fragments de la montagne. Elle ne jaillit pas : les nutes suivantes furent une série de manœuvres prudentes et de déplacements voués à l’échec. Plusieurs fois une mâchoire ou une épée s’abattit sur la jambe du Titan, plusieurs fois il sembla sur le point de libérer son attaque ; jamais il ne sembla estimer le moment opportun. Et tout ce temps, chaque fois qu’il le pouvait, Onis lançait une Balle d’Ombre de son épée.

Jusqu’à ce que le Titan se décide et que le raclement sourd de son attaque ne vienne remuer le sol et briser un instant de calme. La cible était évidente — les autres se jetèrent à l’assaut, et ce ne fut qu’en sentant l’impact de son épée contre la pierre qu’Aixed remarqua la présence de trois Démons. Trois Séismes synchronisés ; le Titan ne s’en soucia pas le moins du monde et n’interrompit pas sa propre attaque, ni ne baissa sa garde furieuse. Il devait pourtant les sentir passer, car l’Apprentie parvint à placer deux autres coups avant que les Démons ne se détachent.

Tout cela sans savoir ce qui était arrivé à Onis. Mais elle savait qu’elle n’aurait pas pu le sauver.

La fin d’une Lame de Roc signifiait toujours un moment de relâchement, mais aussi des turbulences dans la poussière, qui ressemblaient à s’y méprendre à des formes humaines. Elle en profita tout de même pour tenter de voir son acolyte, même s’il n’était plus qu’un cadavre au milieu du chaos laissé par l’attaque. Savoir valait toujours mieux que douter — et la haine valait toujours mieux que la confusion.

Mais la silhouette qui se releva tranquillement, extrayant son épée du sol, n’avait rien de morte. L’Apprenti mit mine de s’épousseter négligemment l’épaule, provoquant ouvertement le Titan. Aixed sourit.

« Je n’ai pas remarqué quand tu as trouvé le temps de travailler un Abri avec ton épée, mais je te garantis que vous allez l’utiliser ! »

Ce qui était une marque de soulagement assez explicite.

L’attention se reporta sur le Titan, sur les mouvements pouvant trahir une faiblesse, sur les dégâts qui progressaient calmement sur sa jambe de pierre. Surtout, sur le son, seul indice pouvant prévenir de la prochaine attaque. Et ils entendirent rapidement le déplacement souterrain d’une nouvelle armée de roches ; mais quelque chose d’autre venait s’y superposer.

Un danger inconnu : tous reculèrent spontanément de quelques pas, fouillant frénétiquement l’environnement pour savoir d’où viendrait l’attaque avant même de l’avoir identifiée.

Peut-être cela les sauva-t-il. Lorsque le sifflement suraigu s’intensifia et qu’ils repérèrent qu’il venait du ciel, les deux Apprentis eurent le réflexe de s’accroupir et les Démons armèrent une fois de plus un Séisme protecteur.

Au milieu d’eux, le Titan était immobile, penché vers l’arrière, semblant chercher la source du bruit.

Puis le fracas — une onde de choc les balaya, aplatissant les Apprentis au sol et arrachant une protestation indignée aux Démons et au Titan dont la voix antique laissa échapper un juron indistinct.

Des bleus, des bosses, des éraflures d’origine inconnue : tout ça attendrait, s’enjoignit Aixed en se relevant. L’important n’était pas de savoir si elle pouvait vraiment tenir debout, ni de chercher à comprendre la provenance des blessures fraîches striant la peau des trois Démons et commençant à peine à saigner ; l’important était de constater ce dont le Titan était capable après ça — quoi que fut « ça » — et de choisir soit de continuer de l’attaquer, soit de le fuir.

Il tenait debout, désemparé — ou en donnant bien l’illusion. Des échardes d’Acier plantées dans sa surface de pierre, et la fissure sur sa jambe faible plus large et plus craquelée que jamais. Sous l’œil de l’Apprentie, le large corps vacilla, les bras massifs se déplacèrent en douceur pour compenser son déséquilibre.

Elle eut la certitude que la difficulté que le Titan manifestait à propos de ses appuis depuis le début du combat n’était pas feinte, qu’il n’avait temporairement aucune force. Alors elle attaqua sans prendre la peine de se protéger, abattit son épée de toutes ses forces dans la craquelure de pierre, et éclata d’un rire sincère quand un poing de pierre la heurta en échouant à la repousser.

Ce qui l’inquiéta un peu. Elle prenait peut-être cet affrontement trop à cœur. Mais elle s’en occuperait plus tard — l’important était devenu d’aider cette faiblesse qui s’élargissait à vue d’œil à céder définitivement.

Il y eut quand elle arma son second coup d’épée un regard du Titan qui lui fit remarquer qu’elle risquait sa vie et était seule contre lui. Puis le moment passa, le choc ébranla son bras comme tous les autres qu’elle n’avait pas comptés, et un Démon surgit par-dessus sa tête avec la vibration annonciatrice d’un Séisme, et une autre épée vint s’abattre sur sa peau fissurée.

Le Titan fut débordé un bref instant de plus ; un sursis assez long à l’issue duquel le boulet de pierre se fendit dans un craquement d’os brisé. La lourde masse de pierre s’affala violemment au sol, manquant d’écraser un Démon.

Il faisait presque peine à voir, immobilisé au sol. Mais cela ne dura pas. Bientôt les deux bras à peu près intacts se tordaient sur eux-mêmes et appuyaient leurs poings au sol, entreprenant de relever l’entité. Un grondement souterrain signala une Lame de Roc — mais il en faisait que la préparer. La blessure lui avait fait perdre le contrôle de la précédente. Et le Démon de Gorbak lui sauta joyeusement dessus avec un Séisme, trop heureux de cette occasion de frapper sans pouvoir subir de contre-attaque.

Ainsi fallut-il près d’une nute et plusieurs Lames de Roc au Titan pour se relever, appuyé sur un bras. Le bras dont ils avaient ciblé l’épaule au début de l’affrontement. Cela semblait déjà à une journée de distance, et pourtant les heures chaudes ne devaient même pas avoir commencé…

« Bien, déclara Onis avec un sourire fatigué. On brise cette épaule, puis on l’émiette en évitant les Lames de Roc.

— Ça va être saoulant. »

Si Aixed avait l’air sincèrement agacée à l’idée du temps que cela demanderait, elle sentit tout de même que la provocation atteignait le Titan, embrasait son regard de colère. Autant continuer.

« Alors, nabot ? Tu sais, par rapport à ce que tu disais tout à l’heure, j’y ai réfléchi. Je pense qu’aucun être n’est immortel, et qu’on ne va pas tarder à vérifier. »

La Lame de Roc qui la prit pour cible ne la surprit pas du tout et ne lui arracha qu’un sourire. Elle avait poussé le Titan à une erreur tactique : flatteur.

***
Le soir tombait, doucement.

L’air libre avait un goût de liberté après les heures passées à suffoquer sous la poussière, une saveur sèche et onctueuse. Ils n’avaient plus de roche sous les pieds, plus de foulards sur le visage, plus de larmes dans les yeux…

Et mourraient de fatigue. C’était ça aussi, la liberté.

L’épée d’Onis avait su retrouver la présence ténue de Gorbak : le vieil homme était allongé dans le sable, inerte. Un sifflement douloureux trahissait son souffle ; il vivait. Les Apprentis s’élancèrent vers lui, sans qu’il ne les remarque avant d’avoir trois silhouettes penchées sur lui, dont son Démon qui le reniflait anxieusement.

« Ah, souffla-t-il en entrouvrant un œil. Je suis…

— Vous êtes à moitié mort, rétorqua Aixed. Alors fermez-là et attendez qu’on vous ait arrangé ça. »

Il referma l’œil, mais reprit la parole en ignorant autant les paroles de l’Apprentie que les fontes qu’elle attira à elle et commença à vider avec application.

« Je suis déçu… de ne pas avoir… Vu. Été là.

— Oui, murmura Onis. Vous n’avez rien raté.

— Beaucoup de poussière.

— Vous avez quand même… Ha. Ce n’est pas tous les jours que… »

Il ne semblait pas tant manquer de souffle que de mots. Onis remarqua l’air vaguement provocateur d’Aixed, mais elle se retint de minimiser le combat pour se contenter de finir les phrases de Gorbak.

« Vous voyez, au final… Votre plan tordu a marché. Comme toujours. »

Un rire difficile, sans souffle, s’échappa de la poitrine du Guerrier avec un gargouillement indistinct.

« Parce que… Seulement parce que… ânonna-t-il. Parce que vous y avez cru… »

Le compliment, cruel pour lui, sembla plonger Aixed dans des pensées loin d’être joyeuses. Onis, lui, ne fut pas surpris. Cela faisait plusieurs jours qu’il tentait de mettre des mots là-dessus.

« Quand avez-vous arrêté d’y croire, maître ? »

Les yeux du vieil homme se rouvrirent à demi, se fixèrent sur l’Apprenti avec une intensité douloureuse. Ils savaient que ce serait la dernière leçon qu’il leur donnerait. Aucun baume ne pouvait soigner des côtes enfoncées.

« Quand… Quand j’ai commencé à… à poser des questions. Sur ce que nous faisions… sur ce que nous étions… »

Les Apprentis se consultèrent l’un l’autre du regard, non sans un frisson commun à l’idée qu’ils le faisaient peut-être pour la dernière fois.

Ce n’était pas une réponse, pas au sens dont ils avaient l’habitude. Ce n’était pas vraiment une mise en garde, ou un garde-fou, cela ne les guiderait pas. On aurait plutôt dit un choix que leur maître leur laissait.

Gorbak laissa son regard se perdre vers le ciel, vers les étoiles et les yeux inquiets de son Démon.