C.22 : Résolution
Récapitulatif du dernier chapitre :
Mistid s’enfonce toujours plus profondément dans le donjon en quête de Jiyana, mais elle est au plus bas. Sa magie est épuisée et l’aventurière est toujours affaiblie par ses précédentes blessures. Quelques étages plus haut, le combat entre Aoi et Ro Tha’Kur se finit, et l’explorateur rencontre le mini-boss de l’étage quinze. Cependant, ce dernier est bien trop fort pour lui et son type électrique lui confère une résistance naturelle face à l’eau. Subissant une défaite écrasante, il est contraint de trouver un plan pour avancer. De son côté, Jiyana sembler tenter le tout pour le tout.
***
~An x1834 après Arceus~
— Je dois dire que je n’ai pas la moindre idée de combien de temps nous resterons ici, déclara alors Ayonis.
Il tourna la tête et fixa une petite cascade, un peu plus loin. La vue de ce paysage semblait l’absorber, comme bercé par le bourdonnement de l’eau sur les rochers. Jiyana ne le quittait pas des yeux, guettant la moindre réaction que le dragon pourrait avoir. Elle en était convaincue, jamais elle ne l’avait vue comme ça. Un changement aussi soudain d’attitude, c’était inexplicable, même pour elle. D’habitude, Ayonis était un être aussi brutal que bruyant, mais il semblait pour la première fois songeur et silencieux. A peine avait-il ri quelques secondes qu’il s’était arrêté pour contempler le paysage.
Pourtant, Jiyana le connaissait bien. Cela faisait des années qu’ils se fréquentaient, faisant d’elle probablement la personne la plus proche de lui. Pour ainsi dire elle le connaissait alors qu’il n’était qu’un jeune Reptincel, et leur amitié remontait à leur enfance.
— Je sais très bien qu’il n’est pas possible de rester ici éternellement, reprit-il. Un moment viendra où je devrai remonter afin d’assumer mes devoirs. Lorsque ce moment viendra, je te tuerai.
En entendant ces trois derniers mots, la Roussil se figea. C’était tout l’inverse de ce qu’elle avait anticipé, c’est-à-dire qu’il la garde vivante du début à la fin. Cela dit, elle n’avait aucune idée de ce que « la fin » pouvait être. Aussi c’était bien la première fois qu’elle l’entendait dire ça, bien qu’Ayonis ait l’habitude d’être assez direct dans ses propos. Elle hésitait ; peut-être exagérait-il simplement, auquel cas elle n’avait pas à s’inquiéter, ou peut-être disait-il ça de sang-froid.
— C’est pour cela que je compte m’entraîner, je ne veux pas rouiller avant de remonter. Et puisque tu veux t’entraîner, c’est parfait. Tu vas être mon sac de frappe. Puisque ton corps est si faible, tu vas avoir besoin d’une sacrée remise en forme. Ça va se résumer par manger des fleurs et transpirer du sang. Tâche de me divertir et de te montrer utile le plus vite possible, car je compte utiliser toute ma puissance à chaque affrontement. Plus tu survivras longtemps, plus ce sera intéressant.
— Comment ça … toute ta puissance ? fit-elle.
— Ta résistance ne concerne que toi, car je pourrais me maintenir en forme sans l’aide de personne. Mais avoir un adversaire est toujours plus divertissant. D’ailleurs ça peut-être marrant de voir jusqu’où tu es prête à aller… pour sauver tes fameux « amis ».
— Que… Que veux-tu dire ?
Ayonis la regardait désormais, et s’attardant sur le ton de sa voix à la fois hésitant et surpris, il ne put s’empêcher de sourire.
— Je vois, tu ne le savais pas. Hé bien figures-toi qu’ils sont entrés dans le Donjon à ta poursuite. La Mysdibule que j’ai écrasé plus tôt et un avorton bleu. Ils viennent te chercher.
Jiyana était terrifiée à l’idée que Mistid soit entrée dans le Donjon derrière Ayonis car pour elle, c’était l’une des pires situations possibles. Malgré tout, elle était quand même heureuse de la savoir en vie.
— On dirait que tu ne l’as pas tant écrasé que ça, si elle est ici, lança la Roussil.
Le Dracaufeu se tourna à nouveau vers la cascade, toujours souriant. Son regard se perdait dans l’écume lointaine, il semblait presque en transe avec son environnement.
— Je l’ai justement laissée en vie pour qu’elle vienne. Ce sera beaucoup plus amusant de la tuer devant tes yeux avant de t’éventrer à ton tour.
L’autre en tremblait presque ; chaque phrase qui sortait de sa bouche était plus terrifiante que celle d’avant. C’était pourtant une personne si gentille avant. Un peu rude et malpolie, mais certainement pas aussi violente. Autre chose lui paraissait évident : il planifiait. Jamais Ayonis n’avait planifié quoi que ce soit, c’était toujours par le feu qu’il évoluait. Ou du moins… en apparence, peut-être, songea-t-elle. Mais si tel était le cas, alors il faisait exprès de lui dévoiler cette information. Puisqu’il voulait se distraire, alors il comptait attiser sa colère et son désespoir en lui laissant imaginer ce qu’il ferait à Mistid si elle parvenait jusqu’ici. Elle le savait, mais c’était quand même efficace.
— Très fort, Ayonis, souffla-t-elle.
C’était difficile à dire, mais peut-être n’était-il tout simplement pas la personne qu’elle avait connue autrefois. Après tout, elle entendait partout autour d’elle qu’ils formaient en couple, mais cette rumeur n’était certainement plus d’actualité, n’ayant pas l’attitude d’un amoureux. Après tout, il n’avait pas non plus l’attitude du fiancé, à toujours vagabonder dans tous les sens pour devenir fort. Leur relation semblait n’être qu’une formalité pour lui, alors elle n’avait aucune raison de vouloir faire le contraire. Et Jiyana ne parvenait pas non plus à se rappeler de la raison qui faisait de ces deux-là un couple, comme si tout n’était qu’un lointain souvenir enfoui.
— Pourquoi attendre d’avantage, alors ? demanda la Roussil. Ne perdons pas plus de temps, j’imagine que nous sommes tous les deux d’accord là-dessus.
— Absolument, répondit l’autre. Prépare-toi car tu vas devoir endurer de terribles souffrances.
— Je ne suis pas aussi faible que tu peux le croire, lança Jiyana agacée.
Ayonis gloussa, et quelques flammèches apparurent entre ses crocs. Il prit une grande inspiration et cracha alors un torrent de flammes vers la Pokémon. Bien qu’elle soit du même type, la chaleur dégagée par le mur de feu filant vers elle était insoutenable. Elle tenta d’utiliser Lance-Flamme, mais son attaque fit purement balayée avec elle. La cascade de feu s’étala sur des dizaines de mètres, réduisant tout en cendres sur son passage. Au milieu de la terre brûlés et des troncs carbonisés, Jiyana gisait là, couverte de profondes brûlures et à moitié-consciente. Ayonis s’approcha d’elle, marchant tranquillement. Arrivé à sa hauteur, il s’accorda quelques secondes pour observer son état.
—Lance-Flamme ? Toi ? Ne sois pas stupide, tu as de trop petits poumons pour l’utiliser. Trouve une attaque qui te convient d’avantage au lieu d’essayer de me copier. Aussi tu as intérêt à vite développer Brasier, sans quoi tu ne seras bientôt plus qu’un tas de cendres. Tu as cinq minutes pour me rejoindre dans la clairière pour un entraînement au corps-à-corps, ou ton entraînement est terminé.
Et sur ces mots il revint sur ses pas, une cinquantaine de mètres plus loin, laissant Jiyana agonisante s’efforçant de déplacer le moindre de ses muscles. Ayonis ne plaisantait certainement pas quand il lui annoncer transpirer du sang, c’était vrai. Désormais si elle voulait trouver la force de se déplacer, c’était en songeant à l’idée de dépasser les cinq minutes. Elle n’avait qu’une seule chance d’empêcher le Dracaufeu de tuer son amie, et c’était en s’entraînant jusqu’aux limites de sa vie.
Vint ensuite la séance de corps-à-corps, qui ressemblait davantage à une exécution. Un combat à sens-unique, où l’un des deux adversaires donnait coup sur coup à pleine puissance face à un pantin désarticulé encore fumant. Protéger Mistid. Rien d’autre. Si ses yeux n’étaient pas aussi secs, des larmes pourraient s’en écouler. Des larmes de tristesse ? De douleur ? Ou peut-être de frustration ? A ce point tout commençait à se mélanger, et il n’était pas question de se le demander. Son pelage était recouvert de sang et de contusions mais pour l’heure, sa seule alternative était d’endurer tout pour que son corps se renforce.
Les premières heures de ce qui allait être un entraînement tout droit sorti des enfers s’écoulèrent petit à petit. Après s’être faite briser tous les os du corps, s’être faite brûler à des degrés extrêmes et couverte de sang Jiyana avait enfin droit à du repos. Je vais mourir. Je vais juste mourir. Si elle pouvait trembler, alors elle le ferait certainement, mais son corps n’était pas en état de bouger. Considérant la quantité de sang qu’elle avait perdu en surface, elle n’osait imaginer le nombre d’hémorragies internes dont elle souffrait. Si un ou plusieurs organes avaient été perforés par un os brisé, alors c’en serait vite fini d’elle.
Son odorat fonctionnait encore, c’était une certitude. Et elle sentait du pollen fraîchement emporté par la brise. Tendant avec peine son bras, elle attrapa une fleur blanche et la portant à son museau renifla une forte odeur de sucre. Tiraillée par la fin, elle la mangea, se remémorant sa phrase plus tôt. Elle transpirait du sang, et désormais elle mangeait des fleurs. Malgré la douleur elle s’efforçait d’en attraper le plus possible, manger étant essentiel si elle voulait retrouver ses forces. Si Mistid réussissait à se faufiler sans avoir à affronter le Golem, alors elle pourrait être là à peine quelques heures plus tard. Or quelques heures plus tard, la Roussil ne serait absolument pas en mesure de la protéger.
***
Le lendemain, la Mysdibule était bien décidée à repartir. Son état de santé ne s’améliorait pas, mais au moins il ne se dégradait pas et son insuffisance était guérie. Elle monta alors au sommet de l’arbre le plus proche, se balançant de branche en branche grâce à sa mâchoire. Une fois en haut, elle put observer les alentours de manière plus précise. La sortie vers l’étage suivant pouvait se trouver absolument partout, mais il devait forcément y avoir un indice quelque part. C’était pratiquement impossible de devoir quadriller une forêt aussi dense.
Alors s’entama une longue exploration du niveau, où Mistid marcha pendant des heures sur de la mousse, entre les énormes arbres la surplombant. Le mieux qu’elle pouvait faire était de se retrouver dans l’axe de l’entrée puis de croiser les doigts pour que la sortie se trouve non loin. Un monstre surgit des branchages, un oiseau au bec acéré et aux plumes vertes. C’était bien l’idéal pour se dissimuler dans cet environnement, après tout. L’aventurière savait que les monstres qu’elle rencontrerait seraient forts. Contre toute attente, le volatile plongea vers elle, et ouvrant grand son bec cracha une vague de flammes en direction de la Pokémon. Celle-ci évita de justesse et chargea une attaque queue de fer : sa mâchoire s’illumina d’un éclat blanc avant de frapper violemment le crâne du monstre. Il tomba au sol, mais se releva aussitôt et fondit sur Mistid. Son attaque toujours chargée, elle tourna sur elle-même pour balayer l’oiseau contre un arbre. Le heurtant, il explosa dans un panache de fumée et une petite gemme tomba sur la mousse verte.
La Mysdibule retomba doucement au sol, et poursuivit aussitôt sa route. Je suis plus forte qu’eux, mais contre le Golem ce sera une autre histoire… Je dois être très prudente ! Au loin, elle entendit alors des voix et des bruits de combat. Probablement des aventuriers. Elle se dirigea vers leur source, et au bout de quelques secondes déboucha sur un affrontement entre trois Pokémon et quatre monstres. Il s’agissait de créatures similaires à des centipèdes, dont la carapace sombre suintait de poison. Les aventuriers semblaient acculés, ainsi Mistid en déduisit qu’ils étaient en train de perdre.
C’était une bonne occasion pour améliorer ses facultés avant de se retrouver face à de puissants adversaires. Elle chargea dans sa mâchoire un Vent Féerique et lorsqu’elle fut au niveau des monstres, elle tourna sur elle-même pour envoyer la bourrasque rosée vers eux. L’attaque les emporta dans les airs, mais l’aventurière ne perdit pas une seconde et par une Vive-attaque bondit vers eux, chargeant une attaque Queue de Fer dans sa mâchoire. Une fois en hauteur, elle les acheva les uns après les autres et retomba au sol, en même temps que les petites gemmes.
— M…Merci, dit l’un des aventuriers.
Il s’agissait d’un Cochignon et à en juger par son air, il était médusé. Mistid tenta quand même.
— Où se trouve l’escalier vers l’étage suivant ?
— Euh… Un peu plus loin par là-bas, dit-il en indiquant une direction.
— Merci.
Et aussitôt la Pokémon repartit en suivant l’indication de l’autre. Derrière, les rescapés semblèrent baragouiner quelques mots auxquels elle ne prêta aucune attention. Et en effet, cinq minutes plus tard elle atteignait l’escalier. A sa stupeur, elle pouvait discerner d’ici la lumière émanant du niveau dix-sept. Cela voulait certainement dire qu’il n’était pas loin. Elle entama alors sa descente, et après une centaine de mètre déboucha sur d’immenses plaines.
Le ciel était azur et un soleil brillait ardemment au loin. L’escalier soutenu par des arches descendait encore sur des centaines de mètres, seul détail perçant l’aspect idyllique de l’endroit. Pourtant quelque chose ne faisait pas de sens ; pourquoi un tel niveau existerait sachant que l’étage vingt-et-un était déjà un paradis idyllique. Il devait y avoir autre chose. Mistid l’aperçut alors et compris. Les plaines étaient criblées de trous de taupes géantes. Un petit monstre s’y aventura alors et l’une d’elles émergea du sol pour la dévorer aussitôt. Il s’agissait d’une énorme créature aux poils bruns épais qui jaillit telle un geyser, qui ouvrant sa gueule exhiba de multiples rangées de dents acérés sous son museaux. Elle semblait ne pas posséder de pattes, mais sa mâchoire broya littéralement le monstre.
C’était évident, la descente ne serait pas une partie de plaisir. Elle sentait encore ses blessures et savait qu’un seul faux pas dans ce champ de mines lui serait fatal. D’un autre côté, il n’y avait rien de tel pour exercer ses capacités avant d’atteindre le boss, en sachant qu’il lui faudrait quand même économiser ses forces. Qu’importe, elle avança. La route jusqu’au sol serait encore longue, ainsi elle avait tout le temps pour réfléchir à la stratégie à adopter.
Pour l’heure elle se mit à descendre le long des marches de pierre jusqu’à atteindre le sol recouvert d’un court gazon vert. C’était vraiment un décor de paradis où elle pourrait rester des heures à se prélasser sans se soucier du temps qui passait. Enfin… Le paysage était certes envoutant, mais elle préférait de loin une bonne crevasse obscure et s’y sentait davantage en sécurité. Peut-être justement cet étage piégeait-il les imbéciles y pénétrant en les apaisant au premier regard avant de les tuer.
Et en effet, le sol se mit soudainement à vibrer sous ses pieds. Le message était clair, il s’agissait là de l’une des taupes. Se remémorant l’image du monstre dévoré, elle ne perdit pas de temps et se mit à courir plus loin. A peine quelques secondes plus tard, une créature sombre sortit du sol en projetant des tonnes de gravats autour. En étant proche, Mistid se rendit compte de la taille réelle de la bête. Pour l’heure, elle ne pouvait que fuir face à ces choses dont la force égalisait peut-être le mini-boss précédent.
D’un autre côté, cette taupe-ci semblait être la seule à la poursuivre. L’intuition de l’aventurière était bonne : il n’y avait qu’un seul de ces monstres. Certainement devait-il être plus fort que les autres et avait choisi d’occuper l’entrée du niveau pour faire plus de victimes. Cela en disait long sur une possible chaîne alimentaire au sein du Donjon. La Mysdibule se mit à courir pour échapper à la créature et passa le long de l’un des trous de la taupe. Son regard s’attarda dessus et elle s’arrêta alors. Il semblait s’agir d’une entrée vers les galeries du monstre, c’est-à-dire un possible donjon.
Au sein de sa familia, elle avait entendu parler de cette idée par les aventuriers plus expérimentés. Selon eux, il y aurait à partir du quinzième étage des sous-donjons aléatoires. A première vue il ne s’agirait que de modifications du niveau causés par l’activité de ses habitants, mais ceux-ci semblaient obéir à certaines règles. Elles étaient encore floues, mais ces instances abritaient de nombreux monstres permettant aux Pokémon de devenir plus forts. C’était un risque à prendre, mais il en valait la peine. Mistid le sachant, elle se laissa tomber dans le précipice et atterrit sur de la terre. Elle n’avait aucune idée de quels monstres l’attendaient, mais elle était prête à les affronter pour s’améliorer.