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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 16/06/2021 à 08:20
» Dernière mise à jour le 29/06/2021 à 13:19

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 36 : Aie confiance et promets
Même après trois jours, il restait difficile d’y croire.

Croire qu’une force de la nature ayant créé le monde avait été réveillée, recréée peut-être, par une Renégate de l’Ordre, à l’aide d’un rituel impliquant des restes d’un dieu donneur de vie. Croire qu’une montagne pouvait décider de partir en balade, se lever et marcher. Croire qu’une humaine pouvait incarner son esprit dans le corps d’une telle entité, éjecter l’être antique et imposer sa propre volonté à la place. Croire que tout ce qu’ils connaissaient était menacé de destruction à court terme.

Alors en un certain sens, cynique et pragmatique, c’était mieux comme ça. C’était mieux d’être rappelés à la réalité qu’ils avaient mise à l’écart pendant ces trois jours de course. C’était mieux d’être confrontés aussi vite et aussi violemment à un danger qu’ils avaient cru enclin à leur laisser un temps pour souffler.

Mais ces pensées ne pesaient pas bien lourd en face de l’horreur qu’inspirait une Forteresse effondrée.

Pour les Guerriers, c’était leur maison, c’étaient leurs anciens professeurs, c’étaient leurs futurs siblings, c’étaient les archives dont ils espéraient qu’elles pourraient les sauver. C’était leur ancrage dans la réalité. Margar savait qu’elle ne pourrait jamais l’appréhender de la façon dont eux le voyaient, pourtant elle partageait leur abattement. C’étaient des centaines de victimes, peut-être, enterrées vivantes dans un éboulement cataclysmique, et que les Démons s’affairant autour de l’immense monticule de gravats ne pourraient jamais toutes retrouver à temps. La plupart étaient déjà mortes de soif, d’asphyxie pour les plus chanceuses.

Pour elle, c’était surtout la première destruction d’une longue liste. Cela s’était certainement produit dès que la Lame Noire avait commencé à extraire son nouveau corps du sol, produisant ce craquement qui avait jeté au sol tous les fous osant l’observer sous son nez. Et si ce séisme avait eu la puissance de ravager la Forteresse à une distance se comptant en centaines de kètres, il aurait certainement produit les mêmes effets sur l’ensemble du continent. Le désert avait été protégé par son épaisseur de sable, mais Margar se doutait que la côte devait avoir souffert. Peut-être les grandes cités des royaumes côtiers étaient-elles déjà recouvertes de leur propre poussière, peut-être le seraient-elles la prochaine fois que la Lame Noire déciderait qu’un séisme lui plaisait. Peut-être les chaînes montagneuses en grande partie responsables de l’aridité du désert étaient-elles déjà brisées et éparpillées au sol, se transformant en regs de roche sous le vent chargé de sable qui remontait de l’intérieur du continent.

Ce n’était qu’une question de temps. L’équilibre des écosystèmes côtiers était fragile, et même si les vents venus du large les protégeraient pendant un temps, le désert les dévorerait lentement, avec ou sans l’aide d’un être capable d’ébranler le monde en levant les bras. Ils étaient condamnés et n’auraient rapidement plus aucune autre option que la soumission à la montagne vivante.

Un calcul trivial permettait d’estimer que pour sortir le Pic Rocheux de terre, la Lame Noire avait dépensé autant d’énergie que ce qu’il fallait pour provoquer un séisme de magnitude dix ; et ce n’était même pas une attaque à proprement parler. Margar ne se faisait aucune illusion sur la possibilité de la détruire, et commençait déjà à envisager de la rejoindre. Après tout, elle avait travaillé des décennies avec des scientistes ! Obéir à l’ordre nouveau était le meilleur moyen de survivre. Et tant pis si les Guerriers ou les oraciles en étaient exclus d’avance.

Pour l’instant, elle faisait profil bas devant les ruines de la place-forte invincible de l’Ordre. Elle ne pouvait pas vraiment participer au déblayage, mais elle pouvait donner un coup de main dans les tentes de fortune d’où s’échappaient des râles de blessés.

Au milieu du chaos, ignorer les gémissements de douleur et l’odeur du sang pour tenter de faire un peu de bien. Cela lui retournait le cœur, mais personne ne lui posa de question sur ce qu’elle comptait faire ensuite, ce qui lui allait très bien. D’autant qu’on la prenait pour une « respectée oracile » venant elle aussi de perdre sa montagne.

Cela ne dura pas bien longtemps. À peine plus d’une heure après leur arrivée, Sòrkat entra doucement et silencieusement dans la tente où elle aidait un Guerrier à changer un pansement. L’oracile n’avait pas l’air en forme, mais elle ne voyait pas grand-chose dans la pénombre de la tente.

« Margar, chuchota-t-il une fois proche. Il faudrait qu’on parle. »

Elle consulta le Guerrier du regard. Il hocha la tête brièvement et rapidement, l’assurant sans un mot qu’il ferait sans elle. Alors elle reposa soigneusement la bande de tissu qu’elle pliait, et sortit sans faire de bruit.

À la lumière du jour, Sòrkat faisait peur à voir. Il avait pris vingt ans en rides, en tavelures brunâtres et en yeux blanchis, et devait se déplacer avec précaution. Elle s’attendait à devoir l’empêcher de tomber à chaque instant, sur le sable traître où il marchait.

« Je te cherche depuis qu’on est arrivé, articula-t-il. On ne peut pas s’attarder ici.

— Moi, non, admit-elle en le charriant gentiment.

— Pour ce que ça change… »

Il semblait plutôt amusé par l’allusion voilée à son état déplorable (donc par extension à la possibilité qu’il meure bientôt, rendant caduques les considérations telles qu’être bienvenu ou pas parmi l’Ordre). Cela rassura Margar. Elle ne sentait plus violemment à quel point elle pouvait avoir été vache avec lui maintenant qu’il n’affichait plus aucune force, et n’aurait pas voulu qu’il voie une ennemie en elle lorsqu’il semblait avoir besoin de soutien.

« Je comprends mieux pourquoi tu m’as évitée aux repas pendant tout le voyage, reprit-elle. Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Bah… Il m’en arrivera encore. J’ai vécu si longtemps sur le Pic, je ne peux pas l’empêcher de saper mes forces. »

Il regarda brièvement par-dessus les tentes, vers le nord-est. Vers le désert profond.

« Et son nom est Regirock, déclama-t-il d’une voix pleine de défi. Même si je ne crois plus qu’il réponde à celui-là.

— Bof. Tas de gravats, ça lui va mieux. »

La moquerie les fit sourire, malgré l’endroit où ils se trouvaient. Puis ils dépassèrent les dernières tentes, et atteignirent deux Guerriers chargeant de fontes leurs Démons.

« Vous êtes en retard, dit l’un d’eux.

— J’ai eu du mal à trouver ma comparse, s’excusa Sòrkat.

— Tellement que tu ne lui as pas dit où tu l’emmenais, demanda-t-elle.

— Oh, nulle part en particulier. Mais il faut qu’on y aille. »

Une réponse d’oracile, dont les deux Guerriers ne se formalisèrent pas. Margar supposa qu’il l’avait justifiée par une nécessité plus pressante que celle de secourir les victimes de la Forteresse ; peut-être leur avait-il donné un espoir de retarder la Lame Noire. Elle ne voulait pas le savoir.

Elle monta en selle, puis eut le choc de voir Sòrkat se faire attacher à l’autre Démon comme un sac de sable.

« Tu ne le fais pas tomber, insistait le Guerrier. Et tu suis Telkor sans t’écarter pour aller chasser. »

Le dragon hocha la tête d’un air sérieux. Vaguement rassurant, décida Margar. Les prédateurs étaient assez intelligents pour reconnaître la fragilité et la vieillesse chez une proie.

Ils partirent vers le désert profond, et coururent pendant trois heures dans un silence parfois brisé par les indications de Sòrkat. Sur la crête où ils s’arrêtèrent, le désert profond s’étendait déjà depuis des kètres et des kètres, étalant son tombeau de sable jusqu’à l’horizon.

« Nous y sommes, déclara l’oracile. Merci. »

Telkor hocha la tête, avant de déposer précautionneusement l’oracile au sol pendant que Margar détachait les fontes des deux Démons.

« Voilà, conclut le Guerrier en se relevant. Pour deux, vous avez une semaine de provisions, et le village le plus proche est à cinq jours de marche. Par là. »

Plutôt que de montrer une direction, il attira l’attention de son Démon en lui tapotant le bras. Le dragon sortit la tête du sable où il fouinait, puis leva son museau effilé en l’air et sonda le vent pendant un moment.

Il finit par s’élancer en trottinant vers la crête de la dune d’en face, où il se leva à nouveau sur ses deux jambes courtaudes. Sous les yeux attentifs de Margar, il poussa un rugissement de défi, avant de se projeter la tête la première dans la pente.

L’accélération aurait dû le tuer, se dit-elle distraitement au bout d’une seconde. Mais il n’en fut rien et la flèche d’écaille traça sans faiblir un sillon béant dans le sable. Il poussa un petit roucoulement de satisfaction une fois qu’il eut terminé, puis revint à son maître et reprit ses fouilles dans le sable.

« La trace tiendra une demi-douzaine de jours, estima Telkor. Mais j’espère que vous savez marcher droit.

— Je ne suis pas une oracile, admit Margar avec un sourire que l’homme ne pouvait pas comprendre. Je suis une nomade.

— Dans ce cas pas de souci, s’esclaffa-t-il. Quoi que vous ayiez à faire ici… Bonne chance. »

Elle le remercia d’un de ces hochements de tête qu’elle voyait partout. Puis il repartit, emportant les deux Démons avec lui. Elle le suivit du regard quelques nutes, puis se retourna vers Sòrkat, un peu plus bas dans la pente. Il était resté allongé et ne bougeait plus.

« Encore en vie ?

— Ce serait plus facile sur le Pic… Mais par les dieux, j’y vois plus clair qu’à une Cérémonie. Ce sera très bien comme ça…

— D’accord… Au fait, le Guerrier n’avait pas tort. Qu’est-ce qu’on fait ici, exactement ?

— On attend.

— Et on attend quoi ?

— À ton avis… »

Ça se tenait, oui. L’arrivée de la Lame Noire dans son corps de Titan. Mais ce qu’ils feraient à ce moment-là, si déjà Sòrkat respirait encore… Mystère.

« On attend aussi que tu… »

Une quinte de toux, vite étouffée. Même agonisant, il gardait le sens du discours… Elle s’approcha et s’assit souplement à côté de sa tête. Elle n’arrivait pas à se faire à l’idée qu’il fallait l’écouter comme un vieillard, maintenant.

« … Que tu poses la question qui t’obsède. »

Elle grommela. Mais il n’avait pas tort. Autant le cuisiner avant qu’il ne s’en aille, hein ?

« En haut du Pic, commença-t-elle confusément. Quand la Lame Noire a tué Eriane et que je l'ai mise en joue... J'aurais pu l'abattre. Elle aussi m'a vue, et elle aussi m'a épargnée. Pourquoi ne m'a-t-elle pas tuée ? »

L'oracile se renfonça en arrière, dans le sable, un air peiné sur le visage.

« C'est une longue histoire, commença-t-il. Je te la dirais en entier.

— Oui, enfin... Je ne sais pas si tu as remarqué, mais tu es mourant, alors ne lambine pas trop non plus.

— Haha... ha... Pas d'inquiétude. Le dieu qui prend m'a attendu près d'un siècle, il attendra encore.

» Ta famille est liée à la Lame Noire... J'imagine que, quand elle t'a vue au sommet du Pic, et que tu ne l'as pas reconnue, cela l'a troublée. Nous la surveillions depuis assez longtemps pour savoir qu'elle t'avait... rectifié la mémoire.

— Rectifié ? Attends... Quoi ?

— Pas effacé. Reprenons au début... Niram, la Lame Noire était... est toujours... une scientifique, issue du Sèmèrès. Elle est entrée dans l'Ordre... Connais ton ennemi, comme on dit. Elle a tenté de le détruire de l'intérieur. Elle a fini par s'échapper. Elle avait obtenu un œuf de Démon des Sables, c'était tout ce dont elle avait besoin...

» Elle a changé de nom et écumé le désert, se rendant à plusieurs points de rendez-vous par nuit, convertissant des villages nomades...

— Un instant, s’alarma-t-elle. Vous connaissiez l'existence des points de rendez-vous depuis tout ce temps ?

— Mais nous ne savions pas les calculer. C'était inutile... nous n'avons jamais traqué le Sèmèrès. Tu ne le crois pas, mais seul l'Ordre faisait cela.

— Hrmm.

— De toute façon, l'Oracilis est mort, maintenant ! »

Cet argument-là se tenait. Margar hocha la tête, laissant l'oracile (le dernier ?) poursuivre.

« En quelques années, Niram s'est construit un réseau scientifique. Des laboratoires... Des alliances. Elle a apparemment fini par trouver un moyen de renverser l'Ordre...

» Cela te surprendra peut-être, mais elle n'est qu'un pion. Un culte ancien, fondé sur une proximité absolue avec les monstres… »

Cela ne disait pas rien à la scientiste. Une des rares institutions dont le Sèmèrès ait conservé la mémoire, au point de tenter de la réintroduire sur la côte.

« Des Dresseurs ?

— Pas tout à fait. Quelque chose d’un peu plus sinistre, j’en ai peur… Quelque chose que l'Oracilis a cherché à éradiquer. Ils ont contacté Niram, et lui ont offert en guise d'alliance sa fameuse épée, d'une couleur différente... Niram a des intérêts convergents avec ce culte, mais elle en a été tenue soigneusement à l'écart. Elle ne connaît qu'un seul membre, un certain Tograz.

— De ce que j’ai entendu de lui, ce sacré connard est mort. Bon débarras.

— Aaah... Tu l'as traqué au côté de ce Guerrier taciturne ? Alors voilà pourquoi l'information s'est imposée à moi... Où en étais-je ?

— Si, si, continue, c'est intéressant.

— Je ne divague pas, jeune blasée, fit-il mine de la réprimander. Mais j'y reviendrais. Tes parents faisaient partie du réseau de recrutement de la Lame Noire... Ils écumaient le désert, quoique plus lentement qu'elle, pour l'alimenter en scientifiques. C'est en… visitant discrètement ce genre de gens que nous espérions en apprendre plus sur la Lame Noire et ses plans. Cela l'a rendue méfiante, et dans le cas de tes parents, c'était une énorme erreur de ma part de les rencontrer. Mais... ça aussi, j'y reviendrais. »

Margar n’était pas contre. Elle n’avait jamais été vraiment certaine de ce qui s’était passé ce soir-là, une vingtaine d’année plus tôt.

« Ces rencontres entre ses gens et des oraciles ont rendu Niram méfiante. Quand tu es devenue adulte, et que tu as manifesté le souhait de ne pas être mêlée à ses manigances, elle t'a laissée partir... Comme d'autres, avant toi. Comme les autres, elle a rectifié vos mémoires... Tu n'as aucun souvenir d'un village nomade de scientifiques défendus par un Démon des Sables, hein ?

— Je... Non. Un village nomade, oui, je crois voir lequel ça peut être... Mais, un village de scientistes... Comment ?

— La Lame Noire. Les épées peuvent faire ce genre de choses... Mais Niram ne l'a pas beaucoup fait, et elle a eu la main lourde pour toi. Tu as oublié son visage.

— Et alors ?

— Elle avait... changé de nom, depuis longtemps. »

Margar resta immobile, un instant. C'était visiblement une réponse suffisante ; l'oracile lui laissait le soin d'en démêler la signification, et de—

La possibilité la plia presque en deux de rage. Mais ce n’était pas une possibilité, bien sûr.

« QUOI ! »

L'air attristé de Sòrkat parla pour lui : il avait cautionné, voire imaginé... cela. Et il entendait peut-être avoir l'air désolé ? Margar était assez furieuse pour le démembrer à mains nues.

« Vous m'avez recrutée dans votre secte pour combattre ma MÈRE ! rugit-elle. C'est ça que tu cherches à dire ? C'est ça que tu sous-entends ? Alors que je l'ai crue morte pendant dix ans ? DIS-LE MOI EN FACE, LÂCHE !

— Pourquoi voudrais-tu qu'un homme qui n'a jamais combattu personne soit courageux ? »

La cruauté de cette réponse la laissa soufflée un moment, sa colère comme mise en suspens par la contradiction. Sòrkat en profita pour enchaîner, tentant de mobiliser une rage qu'il n'avait plus. Respirant un peu plus lourdement entre chaque phrase.

« Tu n'admettras peut-être jamais que les oraciles aient pu voir le futur, ou vivre un siècle. Demain je serais mort, et tu pourras nous laisser enterrés dans notre passé. Mais aujourd'hui, tu peux rendre vaines toutes nos manigances. Oui, je t'ai monté contre ta propre mère, et je n'aurais pas tenu ton rôle moitié aussi bien que toi… Alors maintenant écoute-moi, si tu ne veux pas que tout cela se résume à un gâchis total…

— Ce n'est pas déjà le cas ? »

La voix de Margar charriait plus de haine qu'il n'y avait de grains de sable dans le désert ; pourtant elle se tut, et laissa parler Sòrkat.

« Pas totalement, promit ce dernier. De notre fait ou de celui du culte dont est issu Tograz, Niram sera tombée avant la fin de la semaine. Si eux s'en chargent, ils prendront la place de l'Ordre et prétendront être les sauveurs du désert. Et c'est un culte.

— Donc tu essaies de me faire gober que je peux mettre fin à une vague d'obscurantisme sans précédent avant qu'elle n'ait commencé. C'est un peu gros pour passer. Et puis pourquoi moi, d'abord ?

— Telle est la question... la seule question. Pourquoi toi.

» Quand tu étais au sommet du Pic... tu n'as pas pu tuer Niram. Pourtant, tu ne l'as pas reconnue. Pourquoi, selon toi ?

— Tu cherches à me faire croire que tu ne le sais pas ?

— Ce sera plus vrai... avec tes mots. »

L'oracile faiblissait à vue d’œil. Margar n'avait que peu de temps ; elle fit de son mieux pour faire abstraction de sa colère aveugle.

« Je... Je ne sais pas, bon sang ! J'ai senti l'odeur du sang. De la poudre. J'ai su que si je tirais, ce serait horrible à voir. Je ne peux pas l'expliquer.

— Il faut avoir tué, pour savoir combien c'est horrible... assura Sòrkat. Tu n'avais jamais tué. Comment peux-tu avoir su ?

— Mais je ne sais pas, à la fin !

— Parce que c'était contre-nature... Tu partages une partie du destin de la Lame Noire. C'est ton héritage... la grandeur, la capacité à modifier l'avenir. Le monde. Tu ne peux pas opposer deux personnes partageant cela... ce serait comme d'opposer les deux faces d'une même toile. Cela la déchire. Et je ne l'ai pas compris assez tôt… Je pensais, bêtement, que je pouvais influencer le destin... en ta faveur.

— Le destin... maugréa Margar. C'est ça, ton explication ? Encore un mot sans existence ?

— Regirock... Le Pic Rocheux... déformait le monde, autour de lui. Nous, les oraciles... partagions ses rêves. Un peu de lui. Le destin existe... Je te l'assure. Tu ne peux rien expliquer sans lui. »

La scientiste était convaincue que si. Mais elle ne pouvait pas vraiment laisser libre cours à sa rage folle. Pas alors que sa seule source d'informations était sur le point de lui mourir dans les bras. Son devoir était de pousser l'oracile à lui apprendre tout ce qu'il pouvait, et à faire le tri ensuite.

Elle le regarda d'un œil froid, analytique, l’œil qu’elle avait posé sur les cadavres étendus à côté de la Forteresse détruite. Et ce qu'elle vit la dérangea. Sòrkat semblait fondre.

Il avait encore vieilli. Comme si, loin de la présence du Titan, il subissait d'un seul coup le poids du siècle qu'il prétendait avoir vécu. Son visage se creusait de rides boursoufflées, difformes, comme si toutes les cellules de son corps perdaient prise. Elle se rappela le rêve dans lequel il l'avait convoquée, des mois plus tôt, ce rêve étrange où les inconscients parlaient, et elle crut avoir celui de Sòrkat sous les yeux.

« Une seule chose... articula l'oracile. Promets-moi une seule chose...

— Quoi ?

— Reste ici... À cet endroit, où tu es, pas un pas à côté. Regirock... Niram... vient par ici. Reste ici... le canon... le canon...

— Par les dieux, Sòrkat, c'est pas le moment de mourir ! Tu avais promis que tu ferais attendre le dieu qui prend !

— J'ai... j'ai fait ce que... j'ai pu... il faut que... il faut que... ça suffise... »

Il avait tant lutté pour arriver jusqu’à ces mots que son visage conserva un rictus quand ses yeux se fermèrent.