C.18 : Conflit interne
Récapitulatif du dernier chapitre :
Après leur combat contre Ro Tha’Kur, Aoi, Mistid et Jiyana continuent d’explorer les profondeurs du Donjon ensemble, et leur esprit d’équipe s’améliore constamment. En parallèle, la construction du QG bat son plein et Roscoe se dévoile à Adrian.
***
~An x1834 après Arceus~
La journée arrivait à son terme, tout comme la construction du quartier général. Là où le soleil se couchait, l’étendard de la V-Team flottait désormais au-dessus du petit bâtiment fait de bois et de pierre. Victini et Roscoe étaient déjà sur les lieux lorsqu’Aoi arriva, un sac de pièces d’or à la main. Le petit dieu le remarqua et le félicita brièvement, avant de se tourner de nouveau vers leur nouvelle maison.
— On y va ? demanda Roscoe.
Les deux autres acquiescèrent et ensemble, ils franchirent l’entrée. Une volée de marche menait au hall, magnifique pièce en bois qu’une cheminée, à un mur, chauffait. Trois banquettes avaient été placées, et un tapis aux couleurs de la guilde reposait au sol. Adjacente au hall se trouvait la salle de dîner, illuminée par des fenêtres le long du mur. Sans être très large, la pièce était longue, et une grande table en bois entourée de bancs l’occupait. A l’étage se trouvaient cinq chambres à l’intérieur desquelles deux couchettes en paille avaient été aménagées. Au total, dix membres pouvaient cohabiter dans l’espace.
— C’est magnifique… souffla Victini.
Aoi hocha doucement la tête. En effet, c’était magnifique. Pour la première fois depuis bien longtemps, il avait enfin un endroit où il pouvait se sentir chez lui. Fini de dormir dans la rue, désormais il aurait sa propre couchette. Un rêve se réalisait, petit à petit sa vie reprenait du sens. Il était aussi fier d’avoir pu contribuer à l’achèvement de cet objectif. Si Adrian n’avait pas proposé de l’aider, rien ne garantissait que la V-Team puisse survivre. Lui et Roscoe savaient vivre à l’extérieur, mais pas sûr pour Victini.
Derrière son rôle de dieu, la petite créature se trouvait être mentalement fragile, plus particulièrement sur le plan émotionnel. Vivre parmi les Rattata aurait sûrement été le coup de grâce porté à leur guilde. Il serra les poings, pris d’une soudaine colère mêlée à sa frustration quotidienne. La M-Team. Il devait leur faire payer leurs crimes une bonne fois pour toutes.
— Oh, et Adrian a insisté pour qu’on les invite tous au Doux Rondoudou ! fit remarquer Victini. J’espère que ça ne vous pose aucun problème ?
Les deux autres secouèrent la tête, et moins d’une heure plus tard, le groupe se retrouvait à une table de l’auberge. S’y étaient joints Adrian, Oreloc, Jiyana et Mistid. Seule manquait Elna à l’appel.
— Qu’est-ce qu’elle fait ? demanda Aoi à l’adresse du Simiabraz.
— Va savoir. Cette fille est une véritable girouette. Mais je ne pense pas qu’elle soit très loin, elle est partie lorsque vous êtes arrivés.
Sans réfléchir plus, le Grenousse se dirigea vers la sortie, dans l’espoir d’intercepter la Kirlia. Il faisait nuit et la vision n’était possible que grâce aux quelques lanternes accrochées dans les rues, donc pour l’explorateur la tâche était ardue. Après quelques minutes à tourner autour de l’auberge, il se résigna et soupirant rentra au Doux Rondoudou. Faisant demi-tour, il sursauta de surprise en tombant nez à nez avec la Danseuse Féerique. Instinctivement, il rougit.
— Tu cherches quelque chose ? dit-elle.
Son ton était aussi sec qu’à l’accoutumée, rien d’étonnant à cela.
— Je… euh… oui, je pensais te trouver par ici… bégaya-t-il.
— Eh bien tu m’as trouvé, au revoir.
Et sur ces mots elle poursuivit sa route.
— Attends ! s’exclama Aoi. Pourquoi ne veux-tu pas rester au Doux Rondoudou avec nous ?
— Je n’ai pas que ça à faire. C’est une perte de temps de traîner ici.
— Et qu’est-ce que tu as de si important à faire alors, à dix heures du soir ? Ne me dis pas que tu vas aller au Donjon maintenant !
— Ҫa ne te regarde pas !
Sa voix laissait transparaître de la colère, déstabilisant Aoi. Pourtant, il tenta de garder son sang-froid et malgré toute la peur que cette aventurière inspirait en lui, il voulait absolument la voir avec les autres à l’auberge.
— Corrige-moi si je me trompe, mais j’ai l’impression que ça ne regarde personne…
— Eh bien non, tu ne te trompes pas ! éructa-t-elle.
Ce faisant, elle continua son chemin.
— Peut-être est-ce justement parce que tu ne fais rien, lâcha-t-il.
Elna s’arrêta, et quelques secondes s’écoulèrent avant qu’elle ne se tourne, le visage déformé par la colère.
— Qu’est-ce que… tu as dit, gamin ?! hurla-t-elle.
Une vague terrifiante traversa alors le corps du Grenousse, il ressentait son aura meurtrière. La puissance que cette Pokémon dégageait était difficilement endurable pour lui, et il sentit bien vite son esprit comme ses jambes faiblir. Il posa finalement un genou au sol, incapable de se tenir debout. La Kirlia s’approcha doucement de lui.
— Comment oses-tu me dire ça ?!
Choix regrettable, Aoi ne put s’empêcher de sourire légèrement, presque amusé de la situation malgré sa peur titanesque.
— Euh… Si ça te vexe… c’est que ce doit être vrai, non ?
Les yeux de l’autre s’agrandirent doucement, signe de la rage émergeant en elle telle un volcan en éruption.
— Je… Je vais te…
Sa voix était tremblante ; elle leva sa patte, brouillée par l’énergie psychique l’entourant, prête à écraser le petit Grenousse lui tenant tête. Ce dernier ferma les yeux pour ne pas voir ce qui allait arriver, tendu comme jamais auparavant.
— Laisse-le tranquille.
Aoi rouvrit les yeux, découvrant un Simiabraz tenant la patte meurtrière d’Elna. Celle-ci était partagée entre la colère et la stupéfaction de voir l’aventurier arriver ainsi.
— Rentre au palais, Elna. Quant à toi, tu reviens à moi.
Perdue dans ses émotions, la Kirlia poursuivit sa route, accélérant jusqu’à presque courir. L’explorateur se laissa tomber à la renverse, choqué par ce qui venait de se produire.
— Bon sang… reprit Adrian. Qu’est-ce qui t’a pris de la provoquer ainsi ?
— Je… Je voulais savoir ce qu’elle avait en tête… Je n’avais aucune idée qu’elle réagirait ainsi…
L’autre soupira et alla s’asseoir sur une marche à côté. Une seconde plus tard, Aoi le rejoignit.
— Je suppose que c’est ma faute, j’aurais dû au moins t’avertir, compte tenu de ta nature assez… particulière. Elna possède un lourd passé, quelque chose qui la hante et dont elle ne saurait se débarrasser.
— Qu’est-ce que… c’est ? bredouilla un Aoi hésitant.
L’aventurier prit quelques secondes pour réfléchir aux mots qu’il allait prononcer, observant une lanterne à la flamme dansante, de l’autre côté de la rue.
— Il y a quatre ans, elle a perdu son frère. Bien que cet évènement nous ait tous touchés, c’est quelque chose dont elle n’a jamais su se remettre. Elle n’est pas la seule, malheureusement, mais ce qui la caractérise est le fait qu’elle pense pouvoir le ramener à la vie. Non, pour être exact, elle le pense toujours vivant. Jour après jour, elle s’enfonce un peu plus dans cette folie qu’elle a créé, et sa personnalité se dégrade. C’était une jeune fille sympathique, à l’époque. Alors bien sûr, aujourd’hui elle est plus forte, mais j’estime qu’elle porte cette puissance comme un lourd fardeau dont elle n’a pas conscience.
L’autre resta sans voix face à de telles déclarations. Il pensait la Kirlia associable, mais en réalité elle avait perdu sa raison de vivre.
— Ce n’est pas la peine d’aller t’excuser, poursuivit Adrian, car à vrai dire je ne saurais prédire sa réaction. Peut-être choisirait-elle de te tuer, qui sait…
Aoi déglutit, pensant à ce qu’il arriverait de lui si elle décidait de le réduire en charpie. Il devait se faire une raison cependant, il n’avait aucune légitimité ni aucun moyen de la raisonner. Une question lui émergea toutefois en tête.
— Son frère… que lui est-il arrivé ?
— Il est mort durant une expédition. Agnil, il s’appelait. C’est ça, le pire. C’est impossible pour nous de l’aider si elle n’est pas capable de comprendre la réalité. Dans son monde, son tendre et cher existe encore. Dans le nôtre, il a…
Une pointe d’hésitation se fit sentir dans la voix du Simiabraz, comme si tout un tas d’émotions surgissaient à ce moment. Il marqua un temps d’arrêt afin de se reprendre, puis poursuivit.
— A vrai dire, nous l’avons tous vu mourir. J’ai peur de ne plus rien pouvoir pour elle, et je ne suis pas le seul à penser ça. Et là… c’est la fin. La culpabilité que nous avions à n’avoir pu sauver la seule lumière dans la vie d’une si jeune enfant, nous ne pouvons pas même la racheter en sauvant cette même enfant. C’est assurément une fratrie perdue.
— Et… rien ne pourrait la sauver ? osa Aoi.
— Si, ricana Adrian, voir son frère en vie. Mais comment te dire que c’est impossible…
— Je vois…
Ils restèrent ainsi sans parler, assis côte à côte sur une petite marche de pierre, non loin du Doux Rondoudou. A l’intérieur, on festoyait et on buvait, entraînés par la clameur joviale du lieu. Dehors, cette atmosphère ne franchissait pas l’obscurité, et seul le bruit de la ville occupait les sens des deux Pokémon.
—Pour être honnête, reprit l’aventurier, il y a bien quelque chose d’autre à savoir sur elle…
Cette remarque piqua la curiosité du Grenousse qui tourna les yeux vers lui.
—Un jour, sûrement, Elna autorisera ta présence dans son entourage. A ce moment-là, tu réaliseras qu’elle semble courir après quelque chose. Quelque chose d’insaisissable.
—N’est-ce pas son frère, justement ? s’enquit Aoi.
—Non… Elle possède son propre némésis. Une personne qu’elle a juré de retrouver et d’éliminer. Il s’agit d’une Kirlia chromatique que l’on appelle la Chasseuse de Pokémon. C’est une tueuse en série qui a déjà frappé sous ses yeux, ce pourquoi elle a choisi de la traquer. Cependant, aujourd’hui elle n’a toujours pas réussi et cette réalité la torture. Alors à l’avenir, sois clément avec elle, son fond n’est pas mauvais.
Une fois encore les mots manquaient à l’explorateur. Décidément, la Danseuse Féerique cachait bien plus que ce qu’il ne croyait.
*****
Elna courrait, des larmes coulant le long de son visage. Elle se détestait, elle se détestait tant en cet instant. Elle savait qu’elle aurait dû être là ce jour fatidique, que tout aurait été différent, certaine que c’est elle qui aurait dû mourir. Et que faisait-elle, maintenant ? Incapable de le retrouver, elle était seule dans cet univers qui désormais la dépassait totalement. Être plus forte. Il ne lui restait que ça pour survivre.
Après plusieurs minutes, elle parvint à l’entrée du palais Reshiram. Sans se faire prier, elle entra. D’autres Pokémon étaient autour, alors elle essuya ses larmes, s’efforçant d’être aussi impassible que d’habitude. Plus le monde près d’elle diminuait, plus elle accélérait le pas, s’engouffrant dans le couloir menant à sa salle d’entraînement favorite. Aussitôt qu’elle eut refermé derrière elle la grande porte de la salle cubique, elle se laissa tomber au sol et éclata en sanglots.
Qu’elle se sentait impuissante. Prise d’un élan de rage, elle utilisa ses pouvoirs psychiques pour soulever une énorme boule d’acier dont le rayon dépassait les cinq mètres, et l’envoya à toute vitesse contre le mur. La sphère s’écrasa dans la roche, pulvérisant le mur et faisant s’écrouler quelques tonnes de briques. Un nuage de poussière naissant obstrua la moitié de la salle, tandis que le choc résonnait encore entre les murs épais. Pourtant, qu’elle se sentait faible. N’avoir pu sauver la seule personne qu’elle n’ait jamais aimé la rendait folle.
Elle savait détruire, c’était certain. S’emparant des autres objets disséminés à travers la pièce, elle les fit s’encastrer dans les murs, au sol, au plafond… Une véritable pluie de roche et de poussière se formait, et la Kirlia restait adossée contre la paroi en lambeau, totalement seule avec ses sentiments. Pourtant, elle était incapable de construire quoi que ce soit. Elle était incapable de se reconstruire. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais tentée par cette possibilité alléchante, la suggestion qu’Agnil soit toujours en vie a fini par grandir telle une maladie en elle, la rongeant à petit feu. Une part d’elle savait la vérité, mais ce morceau de son esprit était enfermé bien profondément, et sa voix n’était plus qu’un souvenir détestable pour Elna.
***
Après cette fameuse soirée, une longue semaine s’écoula. Pendant cette période, Aoi s’entraîna avec ses nouvelles amies Jiyana et Mistid. Le trio parvint à descendre jusqu’au quatorzième étage, niveau où ils passèrent le plus clair de leur temps quand l’énergie était disponible. Pourtant, impossible de descendre plus loin, le mini-boss était beaucoup trop fort. Entre temps, il avait réussi à effectuer son premier sauvetage depuis l’Arnius, en secourant un duo de Posipi et Negapi qui s’étaient perdus au niveau quatre. Bien que ce soit minime, il s’agissait de la première mission officielle de la V-Team.
Victini passait ses journées au QG, allongé près du feu. Etrangement, il en allait de même avec Roscoe qui, malgré son côté aventureux, avait fini par trouver un certain confort à ce lieu. Il en ressortait que jusque-là, aucun des deux ne prenait son travail d’explorateur à la lettre. Du côté de la familia Reshiram, une expédition se préparait. Ce soir serait la veille du départ.
— Bien, j’espère que tout le monde a compris son rôle. Notre but est de limiter les pertes, il est hors de question que cette opération soit un motif pour que nos troupes soient décimées. C’est bien clair ?
Une approbation générale suivit les propos d’Adrian. Sur une estrade et face à une cinquantaine de Pokémon, il avait sous les yeux le plan d’attaque, dont l’objectif était l’élimination du boss du niveau quarante. Parmi la troupe chargée de le tuer, seuls quelques rares aventuriers l’avaient déjà affronté. On comptait parmi eux le monster trio, ainsi qu’un Brouhabam, un Hariyama, et une poignée d’autres Pokémon aussi téméraires que puissants. Personne n’était jamais rassuré à l’idée de devoir affronter un boss inconnu, mais heureusement la présence des grands noms de la familia Reshiram rassurait les soldats.
Oreloc et Elna se tenaient à la droite du Simiabraz, adossés à un mur. La salle dans laquelle ils étaient tous réunis était suffisamment grande pour permettre à plus d’une centaine de créatures de s’y tenir, mais en raison de sa situation dans les sous-sols, elle était relativement basse de plafond. Ce dernier était soutenu par d’épais piliers en pierre typiques de l’architecture d’une cave.
— Maintenant, permettez-moi de vous introduire la créature en quelques points. Premièrement, il s’agit d’un monstre similaire à un Ptera dont on pourrait dire qu’il est de type Vol. Il est très grand et attaque principalement en projetant des bourrasques. Vous vous dites certainement que ce n’est pas grand-chose, mais croyez-moi que vous n’avez pas envie de vous retrouver à l’intérieur d’une d’elles. Sa force est terrifiante.
Il s’arrêta quelques secondes, fixant la feuille sous ses yeux. Puis il tourna le regard vers Elna qui en fut surprise, puis vers la foule de Pokémon à nouveaux.
— Cela fait des années que nous n’avons pas entrepris une si grande opération. Si cette expédition est un succès, alors nous aurons passé le dernier obstacle majeur pour vaincre Azama. Il s’agit là d’un ordre personnel du seigneur Reshiram, il place donc son entière confiance en nous. Cet affrontement sera le dernier que notre famille livrera seule. Pour vaincre l’hydre responsable de tous nos maux, nous nous assurerons de recruter les meilleurs des meilleurs.
Un murmure parcourut l’assemblée. Cette dernière déclaration de la part d’Adrian avait fait mouche, et les aventuriers étaient soit impressionnés soit remontés à bloc. Le Simiabraz jeta un nouveau regard vers la Kirlia, voyant que son attitude avait changé : sa détermination s’échappait presque de son corps, tant son aura était intense. C’est bien, songea-t-il. Je ne peux ramener ton frère, mais je peux faire en sorte que tu le venges. Il fit apparaître dans sa paume son bâton de feu et le leva en l’air, attirant l’intention de tout le monde.
— Camarades ! Êtes-vous prêts à vous battre pour votre familia ?! Êtes-vous prêts à restaurer notre honneur ?!
Des cris en tout sens lui répondirent, signe que la motivation des troupes était au plus haut. Adrian s’en trouva réjouit, et Oreloc s’approcha de lui.
— Cette fois-ci nous gagnerons, fit ce dernier.
L’autre hocha la tête. Oui, cette fois-ci c’était la bonne.