Oswald Brenwark n'avait pas tellement l'habitude de se fatiguer pour se rendre chez un client. Ces derniers temps, c'étaient même ses clients qui se fatiguaient à le faire venir chez eux en quatrième vitesse, et avec tout le luxe qu'ils étaient capables de dépenser pour lui. Oswald ne se considérait pas comme particulièrement vénal, mais il faut dire qu'il était maintenant habitué aux voyages en première classe ou en jet privé. Et pour le coup, le parcours du combattant qu'il avait dû mener pour se rendre jusqu'au village d'Ikalanis aurait sans doute raison de lui pour le reste de la semaine.
Oswald avait tout bonnement refusé que la Team Rocket – pour qui il avait accepté cette affaire – ne le dépose elle-même. Moins il était redevable à Worm, mieux il se portait. Et pourtant, il en était venu à le regretter plus d'une fois. Tout d'abord, il avait bien sûr pris un vol direct Kanto-Sinnoh, qui l'avait déposé à Féli-Cité. Après quoi, il avait pris le train juqu'à Vestigion. Il en avait même profité pour faire un peu de tourisme dans cette ville antique, placée sous le signe de l'Histoire et de la légende.
Mais c'était à partir de là que les choses avaient commencé à se gâter. Ikalanis était un petit village de deux-cents habitants seulement situé sur le Mont Couronnée. Cette immense chaîne de montagne, qui séparait l'île de Sinnoh en deux, était vénérée par les sinnohïtes depuis une éternité. Beaucoup encore l’appelait avec affection Tengan-san, selon son nom original en vieux sinnohïte.
Ikalanis se trouvait vers la partie nord de la montagne. La ville de Frimapic était plus proche, mais impossible d'y accéder par là. Il fallait prendre un bus à Vestigion, qui ne faisait le trajet qu'une fois par semaine. Et le trajet en question durait quatre heures. Oswald avait fait contre mauvaise fortune bon cœur en profitant des paysages grandissimes que le Mont Couronné avait à offrir.
Il faut dire que cette partie de Sinnoh était toujours un peu arriérée. Elle n'avait pas profité du développement qui avait eu lieu en contrebas, du fait de son enclavement. Même des villes comme Vestigion et Célestia, pourtant célèbres et touristiques, se complaisait dans une certaine austérité traditionaliste. La plupart de leurs maisons dataient de l'époque où Sinnoh ne s'était pas encore ouverte au reste du monde, et nombre de leurs habitants ne parlaient toujours pas la langue commune, mais l'ancien sinnohïte. En contrepartie, ils avaient laissé ce coin de la région immaculée. Des kilomètres de paysages naturels et sauvages, vierges de toute technologie ou infrastructure.
Oswald avait eu tout loisir d'en profiter, car ce fichu bus n'allait même pas jusqu'à Ikalanis. Il fallait crapahuter soi-même pendant deux heures de marche pour y parvenir. Oswald manqua de se casser quelque chose plus d'une fois, et cru s'être perdu plus de deux. Il avait qu'une vieille carte à échelle réduite, et ne croisa quasiment aucun panneau indicatif.
Au début, il croisa bien quelques personnes à qui il demanda son chemin. Bien sûr, ces gens ne parlaient pas la langue commune, mais en homme cultivé qu'il était, Oswald savait parler l'ancien sinnohïte. Néanmoins, sa tenue et son accent le désignèrent très vite comme un étranger, et les gens du coin ne se bousculèrent pas au portillon pour l'aider. Et quand il fut monté encore plus haut, il ne croisa plus personne, et en fut réduit à demander son chemin aux Pokemon qu'il croisait. Enfin, à ceux qu'il estimait pouvait parler sans craindre qu'ils ne l'attaquent.
Il eut de la chance de tomber sur un Charmina, visiblement assez intelligent pour comprendre ses paroles ou ses intentions, qui lui indiqua le chemin d'un geste du bras. Il continua de grimper à travers la brume et même parfois la neige, en adressant mille prières à Arceus pour qu’il lui accorde la force. Peut-être qu’il les entendrait ; les habitants de Sinnoh aimaient bien répéter que le Père Créateur vivrait au sommet de leur Mont Couronné.
Ce fut en sueur, courbaturé et avec les jambes en guimauve qu’il parvint enfin dans la vallée d’Ika, une terre plate en pleine montagne entourée d’une rivière d’eau pure qui descendait directement des cimes du Mont Couronnée, la Kakowi. C’était cette vallée et son petit village que les autorités de Sinnoh voulaient transformer en lac de rétention pour son futur barrage hydroélectrique. Naturellement, Ikalanis allait être submergé, et c’était là le but de la mission d’Oswald. Il devait défendre les villageois qui refusaient à céder leurs maisons à l’Etat, contre un gouvernement qui avait commencé les travaux sans tenir compte des litiges en cour. Il devait se dire que les villageois finiront bien par plier bagage, et que de toute façon, personne à Sinnoh ne se souciait de ce village reclus et que les médias ne devaient même pas connaître son existence.
Il n’avait sans doute pas tort. Ce genre de procédé se faisait un peu partout. L’expropriation légale était longue et onéreuse, et donc pour éviter d’en passer par là, quand il s’agissait de terrain sans importance aux yeux du grand public, l’Etat préférait faire ça discrètement. Pour le coup, le gouvernement de Sinnoh ne se doutait pas que leur petite affaire avait attiré ici l’un des avocats les plus célèbres du monde. Oswald comptait donc gagner cette affaire sans même avoir à aller jusqu’au procès, en négociant directement avec les autorités en place, les menaçant principalement d’une très mauvaise publicité, sans parler de l’impact sur l’environnement local qui était très préservé, sur les Pokemon sauvages, etc…
L’affaire était très simple, bien qu’elle n’allait pas lui rapporter grand-chose sans le généreux apport de la Team Rocket. Mais c’était justement cet apport qui rendait Oswald méfiant. La Team Rocket n’était pas du genre à débourser son argent pour rien. Worm lui avait certes parlé d’une histoire de Pokemon Légendaire mystérieux qui serait vénéré par les habitants du coin, mais bien sot serait celui qui prendrait pour dit toutes les paroles qui sortaient de la bouche de Vaslot Worm.
Oswald comptait donc pousser son enquête un peu plus loin que nécessaire, et trouver ce qui intéressait tant la Team Rocket dans ce village paumé. Pour le moment, il descendit la vallée, se dirigeant vers les quelques habitations en contrebas, qui longeait la rivière. Des maisons tout ce qu’il y avait de plus modeste, en bois, selon l’architecture traditionnelle de l’ancienne ère de Sinnoh. Oswald espérait de tout cœur que ce village avait tout de même un hôtel ou au moins une maison d’hôte, et qu’il y avait dedans un vrai lit, non un futon posé à même le sol. Après tout ce qu’il avait enduré pour arriver jusqu’ici, ce serait l’épreuve de trop.
Ne pouvant pas faire un pas de plus pour le moment, et ce même s'il atteignait son but, il se laissa tomber et s'assit par terre, reprenant son souffle, en contemplant la vallée d'Ika dans toute son entièreté. C'était indubitablement un coin charmant. Des sites pareils, aussi préservés, il n'en restait qu'assez peu sur cette île-région qui pourtant resplendissait dans le monde comme un lieu d'histoire et de tradition.
Perdu dans sa contemplation, un bruit étrange derrière lui le fit sursauter. Ce fut comme un bruissement, mais d'un son cristallin assez peu commun. Se sentant épié, il se retourna lentement, pour voir deux yeux d'un vert brillant qui l'observaient à quelques mètres. C'était un Pokemon, à n'en point douter. Mais un Pokemon qu'Oswald ne connaissait pas, à l'allure mystique. Il avait quatre pattes et un long coup, de longues arcades sourcilières, et une espèce de losange au dessus de la tête.
Mais le plus fascinant, c'était sa queue, qui avait l'air intangible, immatérielle, et qui avait la texture du vide spatial, nimbé d'étoiles sous un fond vert. Ça fit immédiatement penser à Oswald au corps de Dame Cosmunia, qui lui aussi semblait donner vers l'espace. Et Oswald put lire dans ses yeux la même intelligence et la même sagesse née de plusieurs siècles d'âge. De toute évidence, cette créature n'était pas un Pokemon commun.
- Euh... bonjour toi, fit l'avocat maladroitement.
À l'inverse de son ami Dan, Oswald n'avait jamais su trop s'y prendre avec les Pokemon. Il ne les détestait pas, mais préférait les contempler de loin. La créature éthérée ne le quitta pas des yeux, et son espèce de petit miroir qu'il portait sur son torse brilla, reflétant un symbole qui faisait penser à une étoile, de couleur verte. Alors, aussi incroyable que cela puisse paraître, Oswald entendit une voix résonner là où se tenait la créature. Une voix claire et cristalline.
- Prends garde, humain. Tu es pétri de justice et de droiture, mais ce n'est pas le cas de ce village. Il abrite la descendance du mal, il vénère un ennemi de la création.
- Que...
- Je guette. Telle est ma mission. Je guette les héritiers du Lemegeton. Ils ne sont pas encore perdus, pas encore totalement damnés. Peut-être pourras-tu les sauver ? Peut-être...
Et sur ce charabia incompréhensible pour Oswald, la créature bondit et disparut dans la vallée. Le Gardien de l'Innocence en resta un moment stupéfait. C'était qui, cette bestiole parlante ? De toute évidence, un Pokemon Légendaire, Fabuleux, ou peu importe le nom qu'on leur donnait. Peut-être était-ce Arceus en personne ? Mais son look ne correspondait pas tellement aux descriptions mythiques et aux statuts qu'on faisait de lui...
Et de quoi voulait-il parler ? Le village abrite et vénère le mal ? Le Lemegeton ? Oswald se vantait d'être un homme cultivé, mais ce nom ne lui disait rien. Au bout d'un moment, la lumière se fit dans son cerveau. Peut-être que ce Pokemon était le fameux Agoetir, ce Pokemon venu de l'espace qui était censé être vénéré dans le village d'Ikalanis, et qui intéressait tant la Team Rocket ?
Plus que jamais, il se promit d'enquêter sur ce sujet, et reprit sa route en descendant la vallée. Quand il entra au village même, il s’efforça de paraître chaleureux et respectueux envers tous ceux qu’il croisait, en usant de son meilleur accent sinnohïte. Bien sûr, ça n’enleva en rien les coups d’œil soupçonneux des passants. Ils ne devaient même pas le connaître, bien qu’il soit un avocat d’envergure internationale qui avait failli se faire assassiner en plein Unys. Sans doute n’avaient-ils même pas la télé ?
Oswald remarqua bien vite quelque chose qui ne le surpris qu’à moitié. Il avait croisé une vingtaine de personne environ dans sa quête pour trouver la mairie du village, et ils avaient tous plus de cinquante ans. Il n’avait vu aucun jeune pour le moment. Que des vieux qui ne répondaient pas à ses salutations et qui marmonnaient entre eux dès qu’il leur fut passé devant. L’ambiance allait être géniale ici…
Comme il n'y avait qu'une cinquantaine de maisons à Ikalanis, il ne lui fallu pas longtemps pour dénicher la mairie, un bâtiment sans doute tout droit sorti de l'ère féodale, quand les Shogun régnaient encore sur Sinnoh. Le maire le reçu rapidement, et Oswald ne fut nullement étonné de rencontrer un vieil homme d'au moins soixante-dix ans qui se tenait à peine debout sur une canne sculptée.
- Je suis Oswald Brenwark, avocat. Je vous ai envoyé une lettre indiquant ma venue prochaine, il y a deux mois.
Enfin, si seulement le service postal fonctionnait dans ce trou perdu. Le maire sembla réfléchir un moment, puis serra enfin la main tendue d'Oswald.
- Aaaah oui, en effet, ça me revient. J'ai été surpris en lisant votre courrier, Maître. Je ne pensais pas que nos déboires avec le gouvernement intéresserait un homme de votre stature. J'ignore même comment vous avez fait pour être au courant...
- J'ai un grand réseau d'information sur les diverses injustices de ce monde, se contenta de répondre Oswald.
Il ne tenait pas à révéler qu'il était au courant grâce à une organisation mafieuse criminelle qui s'intéressait à leurs légendes locales.
- Je tiens à vous rassurer : le peu de choses que j'ai appris sur votre problème me laisse à penser que le gouvernement a allègrement méconnu le droit et la procédure.
- Nous ne voulons pas de leur argent, s'agita le maire. Seulement garder notre chez-nous. Nos familles vivent à Ikalanis depuis la nuit des temps. C'est un lieu chargé d'histoire, une communauté soudée. Nous ne pouvons permettre qu'il ne disparaisse sous les flots.
- Je comprends. Je ferai le nécessaire pour préserver votre lieu de vie. Si vous avez des documents ou un historique concernant ce projet de barrage et sur les négociations entre les deux parties, j'aimerai les avoir. Par ailleurs, est-ce que les travaux pour ce barrage courent toujours ?
- Il y a un chantier, sur les hauteurs nord-est de la vallée. Mais il est constamment à l'arrêt. Nous ne les laissons pas travailler. Nous avons manifesté, nous avons bloqué l'acheminement des matériaux, et nous avons bien fait comprendre aux ouvriers qu'ils n'étaient pas les bienvenus ici.
- Je vois. Mais vous n'avez rien fait d'illégal, j'espère ? Ça risquerai de se retourner contre vous si procès il y a.
- Nous avons seulement exprimé notre juste colère, sans qu'il y ait violence. À dire vrai, je pense que nous avons été entendu, car depuis cinq mois, il n'y a plus eu aucune tentative pour reprendre les travaux. Votre aide est appréciable, Maître Brenwark, mais peut-être plus nécessaire.
- Le gouvernement veut éviter de se pointer avec tout un bataillon de forces de l'ordre, vu qu'il sait qu'il n'a pas respecté la procédure. Ça attirerait un peu trop l'attention. Mais je doute qu'il en reste là. S'il a débuté les travaux, c'est qu'il a déjà mis de l'argent sur la table, et qu'il ne pourra pas le récupérer. Ce qu'il y a de mieux à faire, c'est que je négocie directement avec l'autorité locale et son prestataire de service en charge des travaux. Je pourrais faire annuler le contrat de marché public tout en indemnisant l'entreprise en question à hauteur des frais déjà engagés. J'ignore si elle est au courant de la voie de fait du gouvernement, et si c'est le cas et qu'elle est honnête, ça ne lui plaira pas beaucoup de poursuivre ce contrat.
- Ah ?
Oswald se rendit compte, au ton de sa voix, que le maire n'avait pas compris grand-chose. Comme depuis quelque temps, Oswald avait l'habitude de traiter directement avec des conseillers juridiques de clients assez fortunés, il avait oublié que pour le commun des mortels, les rouages du droit étaient souvent assez obscurs. Ça devait être d'autant plus le cas dans ce genre de village.
- Pour faire simple, on va faire pression sur l'entreprise en charge des travaux, en lui expliquant que le gouvernement qui l'a engagé ne joue pas franc-jeu avec la loi, résuma Oswald. Vous dîtes que les travaux sont à l'arrêt depuis cinq mois, mais y a-t-il quelqu'un au chantier avec qui je peux traiter ?
- Ouais, une espèce de contremaître, qui est juste là pour vérifier qu'on a pas tout détruit ce qu'ils ont commencé. Ils nous insultent, en plus de ça... Nous ne sommes pas des vandales !
- Bien sûr.
Oswald songeait d'ailleurs que vu la moyenne d'âge des habitants de ce village et leur nombre, c'était certain qu'ils n'allaient pas retourner des engins de chantier... Oswald resta un petit moment, le temps que le maire lui donne toute la documentation qu'il avait sur cette affaire et ne lui indique d'autre détail. Comme l'avocat l'avait craint, il n'y avait à Ikalanis aucun endroit pour que les gens de passage ne se posent... tout simplement car des gens de passage, on en voyait rarement ici.
Le maire lui proposa toutefois d'aller dans l'ancienne école du village. Elle était fermée aujourd'hui, faute de suffisamment d'enfant. Le maire lui assura qu'elle était encore salubre et qu'il y avait quelque lits, vestige du temps où l'internat fonctionnait. Oswald décida de s'en contenter. Que pouvait-il faire d'autre de toute façon ? Il espérait boucler cette affaire rapidement et vite revenir à la civilisation.
- Ah, j'y pense... fit Oswald après avoir serré la main du maire en vue de s'en aller. Quand j'étais en haut de la vallée, je suis tombé sur un drôle de Pokemon. Quatre pattes, brillants, un long cou, vert, et une queue façon brume avec des étoiles à l'intérieur. Ça vous dit quelque chose ? J'ai été surpris, car il m'a carrément parlé.
Le maire fronça les sourcils. Il avait soudainement l'air soupçonneux, et en colère.
- Que vous a-t-il dit ? Demanda-t-il froidement.
- Euh... je ne sais plus trop, je n'ai pas compris grand chose, et j'étais un peu sous le choc à ce moment.
Oswald se souvenait vaguement des paroles du Pokemon, mais pour le coup, ça ne lui semblait pas judicieux de les répéter au maire.
- J'ai cru qu'il s'agissait du fameux Agoetir ? Poursuivit Oswald. J'ai entendu dire que vous vénériez un Pokemon de ce nom, ici.
- Non, ce n'est pas lui. Juste un empêcheur de tourner en rond... Agoetir, notre dieu protecteur, a quitté ce monde il y a longtemps.
- Quitté ce monde ? Vous voulez dire, dans l'esp...
- Il est tard, Maître Brenwark. Je suis sûr que vous êtes épuisé et que vous avez beaucoup de travail, aussi je ne vous retiens pas.
Oswald n'insista pas. Il savait reconnaître quand son interlocuteur ne voulait pas en dire plus. De toute évidence, Agoetir était un sujet dont les gens d'Ikalanis ne voulaient pas parler avec un étranger. Oswald se retira donc, laissant tomber ce sujet pour le moment. Mais il se promit de ne pas quitter ce village sans en savoir plus sur ce soi-disant dieu, et pourquoi il intéressait tant la Team Rocket.
Le maire lui avait indiqué le chemin de l'ancienne école, mais de toute façon il l'aurait trouvé sans mal, étant donné le nombre infiniment petit de bâtiments publics ici. Avant de s'y rendre, il s'arrêta dans le seul café du village, qui faisait aussi resto de passage, vente de tabac, d'alcool et bureau de poste. Autrement dit : le lieu central d'Ikalanis, berceau de sa vie sociale.
Il y avait deux clients adossés au bar (encore des vieux bien sûr) qui ne cessèrent de dévisager de façon peu amène Oswald dès son entrée. Tandis qu'il attendait sa commande, à savoir un café et un sandwich, il décida d'aller briser la glace, de se présenter et de les assurer de son soutient contre le projet de barrage. S'il avait pensé se faire des amis comme ça, il fut quelque peu déçu.
- On a pas besoin d'étranger pour régler nos propres affaires, répondit l'un d'eux. Ce barrage ne se fera pas, même sans vous. Les connards du gouvernement savent à quoi s'en tenir désormais avec nous...
Son voisin lui donna un coup de coude avec un regard sévère, comme s'il n'aurai pas dû dire ça, et Oswald n'en tira rien de plus. Il se dépêcha de manger son maigre repas, sous le regard méfiants de la gérante et des deux habitants. Par Erubin, même le Chaglam domestique de la patronne le regardait comme si Oswald venait de manger dans sa gamelle !
- Mortelle l'ambiance ici, soupira-t-il une fois dehors.
Il n'était pas sûr d'avoir envie d'aider les habitants, qui de toute évidence ne voulaient pas de son aide. Mais Oswald avait un principe : une fois un dossier étudié, il ne le lâchait qu'une fois fini. Puis il avait dit à Worm qu'il s'en chargeait. Il ne lui devait rien bien sûr, mais ça l’embêtait de revenir les mains vides devant lui et de subir son ton condescendant et son sourire moqueur. Il reprit donc sa route en direction de l'école abandonnée, tandis que le soleil commençait à se coucher sous les cimes du Mont Couronné.
En chemin, alors qu'il traversait un petit champs en bordure du village, il croisa quelque chose qui le fit s'arrêter. Une fille. Un enfant, un vrai de vrai ! Elle devait avoir douze ans, avec des cheveux rouges criards attachés en une natte descendant assez bas. Elle portait une robe simple à carreaux, et regardait Oswald avec de grands yeux cyans comme si elle venait de voir un alien. Mais au moins avait-elle l'air curieuse et non pas méfiante ou agressive.
- Bonjour monsieur ! Vous n'êtes pas d'ici vous hein ?
Oswald s'apprêtait à répondre que oui, quand il se rendit compte d'une chose : la gamine n'avait pas parlé en ancien sinnohïte !
- Tu connais la langue commune ? S'étonna Oswald.
- Tout le monde la connaît, rigola la jeune fille. C'est juste que personne ne veut la parler ici. Et à force, les plus vieux l'ont même oubliée. Les gens d'ici aiment les traditions et notre vieux patrimoine.
- Et toi non ?
La fille haussa les épaules.
- Disons que je préfère la télévision couleur à la radio, et l'eau courante est plus pratique que d'aller chaque matin à la rivière.
Oswald sourit, ravi d'avoir enfin rencontré quelqu'un de normal et d'amical. Trop concentré sur la jeune fille, il ne remarqua qu'un peu plus tard le Pokemon qui se trouvait derrière elle. On aurait dit une statuette féminine, d'une cinquantaine de centimètre. Avec ses grands yeux roses expressifs, son revêtement rocheux semblable à une robe et son buste blanc, c'était un Pokemon vraiment gracieux.
- Je m'appelle Sylveïs, se présenta la fille. Et elle c'est Cariaphrène.
- Et moi Oswald. Sylveïs... en voilà un joli nom. Et ton Pokemon et tout aussi joli. C'est la première fois que j'en vois un pareil.
- On me l'a offert, expliqua Sylveïs. Il vient de l'étranger. Parait que c'est une statue à laquelle on aurait donné vie, mais il ne fait pas grand-chose. Il ne sait même pas répéter son nom, comme la plupart des Pokemon.
En effet, à part trottiner derrière sa dresseuse à une vitesse dépassant l'entendement de la lenteur, Cariaphrène regardait droit devant lui avec la même expression vide et le même sourire béat.
- Vous faites quoi dans notre village hors du monde, m'sieur Oswald ? Demanda Sylveïs.
- Mon travail. Je suis avocat. Tu sais ce que c'est ?
- Bien sûr. Je suis jeune et j'habite quasiment en dehors de la civilisation, mais je ne suis pas idiote !
- Loin de moi l'idée d'en douter.
- Et alors, vous êtes là pour le barrage non ? Vous défendez qui ? Nous... ou eux ?
- Vous bien sûr. Ce n'est pas parce qu'un village est minuscule et pauvre qu'on peut se permettre de l'engloutir en forçant tout le monde à partir s'ils ne veulent pas.
- Ils n'auraient pas pu nous déplacer de force de toue façon, renchérit Sylveïs. Ils ont peur de nous maintenant, et ils ont raison.
- Peur ? Pourquoi cela ? Demanda Oswald en fronça les sourcils.
Sylveïs lui fit un sourire mystérieux qui, pour une raison ou une autre, lui donna la chair de poule.
- C'est que nous avons deux armes terrifiantes, m'sieur Oswald. Notre foi, et notre sang. Vous êtes quelqu'un de gentil je crois. Alors un conseil : ne fouillez pas trop là où vous ne devrez pas tant que vous serez ici. Ça ne plaira pas aux autres.
- J'ai seulement l'intention de faire mon travail le plus vite possible.
- Tant mieux. Passez une bonne soirée, m'sieur. Allez Cariaphrène, on accélère le pas. Grand-père va nous gronder si on rentre quand il fait nuit !
La gamine et son Pokemon suivirent leur chemin, sous le regard perplexe d'Oswald. Puis il haussa les épaules, et reprit sa route vers l'école désaffectée, en espérant qu'il n'allait pas y passer beaucoup de nuits.
***
C'était la nuit tombée à Ikalanis, mais pas grand monde ne dormait. La grande majorité des habitants s'étaient réunis en secret à la mairie, et étaient assis à même le sol devant un feu de bois, leurs ombres vacillants ajoutant une atmosphère lugubre à cette assemblée.
- Cet étranger... fit un homme. Il est clair qu'il a été envoyé ici comme espion pour le compte de quelqu'un. Je ne vois pas pourquoi un avocat de son envergure se soucierait de notre village.
- Se pourrait-il qu'il soit des Théurgiens ?
- Je ne crois pas, déclara le maire. Il m'a dit avoir croisé Asthyrché en arrivant ici, mais il ne semblait vraiment pas savoir qui il était.
- Il est possible que les Théurgiens l'aient engagé sans rien lui dire !
- Asthyrché est déjà là, ils n'ont aucun besoin de quelqu'un de plus pour nous surveiller. Non, c'est peut-être un envoyé de nos cousins égarés, ceux qui cherchent à ramener le démon. Nous savons qu'une de leur plus puissante lignée vit dans la région Filnadi, et qu'elle est haut placée dans la société...
- Peu importe pour qui l'a envoyé, déclara une vieille femme à l'allure de momie.
Elle était assise au centre et tous semblaient boire ses paroles.
- Nous vivons cachés loin du reste du monde depuis si longtemps, dans l'attente du jour promis. Nous nous nourrissons de notre foi, et nous préparons notre Sainte Prêtresse qui nous guidera le moment venu, éclairée par la sagesse de notre seigneur, maître et créateur, le puissant Agoetir. Nul ne saurait nous y déranger et nous priver de ce mode de vie. Si cet avocat s'avère être un gêneur et un fouineur, nous le ferons disparaître, comme nous avons fait disparaître ces ouvriers il y a trois mois. Le Saint Livre nous guide. Nous sommes le Lemegeton, le vrai, l'originel. Ne l'oubliez pas, et le jour de notre renaissance arrivera forcément !
- Pour le jour de notre renaissance ! Firent en chœur les habitants d'Ikalanis.
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Images d'Asthyrché (que j'avais déjà posté dans X-Squad) et de Cariaphrène :

